LE MONDE QU’ON VEUT NOUS IMPOSER :

Publié le par Mahi Ahmed

30.10.01

 

LE MONDE QU’ON VEUT NOUS IMPOSER :

LA MODERNITÉ NE PEUT ÊTRE À SENS UNIQUE

                        

Par MAHI AHMED 

          (Dr.Ing.)

Le premier novembre constitue , pour nous algériens , un appel permanent à la conscience et à notre devoir envers la nation . Celui de cette année nous interpelle plus que les précédents depuis notre indépendance , tant les enjeux nationaux et  internationaux sont sérieux et décisifs pour le long terme . L’ordre mondial nouveau qui se dessine depuis le 11 septembre 2001 ne doit pas se faire à nos dépends . Nous devons , nous aussi déployer les efforts nécessaires , régis par l’exercice démocratique , pour clarifier la vision du monde que nous voulons et que nous souhaitons contribuer à construire pour les générations futures de notre peuple .Les élites intellectuelles sont interpellées au premier chef pour participer à rendre intelligibles ,sous l’angle de nos intérêts vitaux bien compris pour aujourd’hui et pour demain , les processus complexes  déterminant l’évolution historique actuelle et ses prolongements stratégiques . Qu’observe-t-on aujourd’hui ?

Les populations d’Afghanistan continuent de subir douloureusement les affres des bombardements des armées américaines et britanniques multipliant leurs ruines et les plongeant dans un chaos politique et social indescriptible . Le doute s’installe ,y compris au niveau de cercles influents des USA , au sujet de l’efficacité de la stratégie militaire retenue pour combattre le terrorisme international.

 Le bio-terrorisme à l’anthrax , une autre manifestation spectaculaire du terrorisme international ( lequel ?) prend une ampleur très inquiétante et révèle au monde entier l’inanité et le caractère dangereux pour l’humanité de la course aux armements et à leur sophistication .

Le complexe militaro – industriel qu’on croyait réduit avec la fin de la guerre froide se voit renforcé encore plus avec l’attribution de marchés colossaux comme celui que vient d’avoir Lockheed Martin pour la construction de nouveaux types d’avions de combat pour les armées américaines et britanniques pour un montant de 200 milliards de dollars . Le Président Bush tient à son bouclier anti-missiles et s’achemine vers un accord avec la Russie qui entend aussi se repositionner  stratégiquement y compris dans ce domaine .

Le mouvement mondial de la paix et les organisations pacifistes renaissent et prennent de l’ampleur y compris aux USA , mobilisant une jeunesse fortement inquiète pour son avenir et de plus en plus consciente des enjeux actuels .

La récession économique frappe les USA en dépit des fortes injections en centaines de milliards de dollars consenties par la nouvelle administration au profit des grandes firmes multinationales ,alors que la demande régresse ,que le chômage grimpe et que les laissés pour compte se multiplient . La récession économique perdure et s’aggrave au Japon et frappe aux portes de l’Europe communautaire . L’économie mondiale est dans tous ses états , plus instable que jamais , menant à la détresse et à plus de sous-développement et plus de pauvreté les plus faibles .

Les progrès des sciences et des technologies et l’élargissement du savoir se développent à pas de géant et dans tous les domaines, accélérant la productivité , réduisant les coûts de revient , améliorant sans cesse la qualité des produits et services . Mais de tels progrès ne profitent durablement ,dans les faits , qu’à des minorités, vouant les autres franges des sociétés aux vertiges de la déchéance , de la pauvreté , de l’ignorance , de l’exclusion et partant de l’instrumentalisation , religieuse , idéologique dogmatique et politique .

Voilà plus de dix ans que nous sommes sortis ( prétendument sortis ) d’un monde bipolaire régi par l’équilibre de la terreur pour plonger dans un autre monde plus fragile , plus instable pris d’assaut par l’économie et l’idéologie néo-libérale aux ordres d’une centaine de Multinationales et n’ayant comme soucis premier que de casser ,au nom d’une acception figée de la liberté et de l’ouverture , éloignée des réalités historiques et de l’histoire de l’évolution des sociétés et des nations , tous les tissus institutionnels ,étatiques ou autres qui entravent les dynamiques de leurs marchés et de leurs profits .

Les perspectives ,si l’on continue dans cette voie , seront encore plus sombres . Selon les prévisions de l’ONU la population mondiale passera de 6 milliards aujourd’hui à 11 milliards d’habitants en 2050 . La répartition de cette population est plus lourde que sa croissance absolue .Ainsi la population chinoise passe de 1998 à 2050 de 1,256 milliards à 1,478 ; celle de l’Inde respectivement de 982 millions à 1,529 milliards . celle du Pakistan de 148 millions à 346 millions ; la Nigeria de 106 millions à 244 millions ; l’Indonésie  de 206 millions à312 millions , le Brésil de 166 millions à244 millions ; les USA de 274 millions à 349 millions . Par contre la population russe ,  décroît dans le même intervalle de temps de 147 millions à 122 millions ,celle de l’Europe dans son ensemble de 728 à 628 millions . Le plus gros des populations vivra dans des concentrations urbaines . Si en 1950 il n’ y avait seulement que huit méga villes avec plus de 5 millions d’habitants , il y en avait en 1998 39 dont 28 située dans l’hémisphère sud . De tels chiffres montrent à l’évidence que le développement démographique mondial et surtout sa répartition constituent certains des facteurs fondamentaux des transformations géostratégiques de l’avenir. Les poids démographiques des pays déséquilibrant ,avec leurs conséquences économiques , sociales, culturelles , se trouvent face aux pays dits développés . C’est souligner la gravité des tensions et des menaces potentielles .

Depuis le 11 septembre 2001 des voix de l’intelligentsia , de la classe politique et des médias occidentaux , notamment de tendance libérale , s’élèvent pour dire comme l’affirme Wolfgang Schäuble  ,éminente personnalité politique de la démocratie chrétienne allemande : « Seule la civilisation moderne (libérale ) est en mesure de sauvegarder durablement les fondements vitaux de la planète Terre . » Il ajoute : « ..les parties du monde où se trouveraient les forces motrices des réseaux terroristes ont un intérêt majeur à la poursuite du projet de la modernité ( modernité occidentale et libérale conçue comme un projet universel ) .

Ainsi les idéologues et les faiseurs d’opinion de notre monde actuel , malgré l’effroyable expérience historique accumulée au cours du siècle passé , ne veulent pas se départir de leur vision figée de la modernité dont les processus complexes ont été pourtant enclenchés par le siècle des lumières et de l’Aufklärung , lui-même mûri par des siècles de transformations sociales et culturelles . Ils considèrent que les valeurs et la culture de la modernité qu’il vivent et que la révolution des sciences et des techniques de la communication et de l’information permettent de diffuser en temps réel dans le monde entier sont les meilleures parce qu’ayant fait leurs preuves en assurant par exemple depuis la fin de la seconde guerre mondiale aux pays dits développés stabilité et développement économique , social, scientifique , technique et culturel . Mais les valeurs comme la liberté , la démocratie , la solidarité de même que la culture ou l’économie de marché représentent des catégories qui , pour recevoir la  qualité d’universalité , doivent ressortir des réalités historiques , culturelles ,voire identitaires des groupes sociaux ou des peuples où elles entendent s’enraciner . On n’impose pas à une société , sans qu’elle ne soit en mesure de les prendre en charge , des valeurs démocratiques , une culture ou la modernité. Celles-ci ne peuvent procéder de la génération spontanée .Elles doivent relever à la fois d’un mûrissement favorable des rapports de forces sociaux , culturels et politiques et de la nature de l’État et de l’action conséquente du système de pouvoir en place . Elles sont aussi fonction de la nature des systèmes de relations internationales dominants . La modernité comme paradigme prévalant dans les pays occidentaux ou dans ceux où l’économie de marché procède d’une assise politique ,sociale et culturelle forte , ne peut être à sens unique . Elle ne peut être transmissible . Elle ne peut traduire seulement les transformations qualitatives dans les apparences , les modes de vie ou même dans la nature des relations sociales ou politiques . Le « Mc World » ou le « monde Coca Cola » comme l’appelle le sociologue américain Benjamin R. Barber qui représente cette culture commerciale portée largement par Hollywood et par les industries des multimédias américains et qui se fonde sur la consommation instantanée et le gain rapide et massif ,  ne peut ni décrire ni être représentatif de la modernité à laquelle aspire les peuples .Celle-ci doit être sociale ,libératrice et stabilisatrice à la fois .Elle doit développer le savoir , l’intelligence et la créativité au service de l’humain , de sa pérennité et de celle de son environnement écologique . La modernité et les valeurs qui la conditionnent , véhiculent certes un fond commun indivisible au niveau de chaque société évoluant dans ce sens , mais elles prennent des formes diverses et relèvent de processus susceptibles d’ être différents compte tenu des identités , des cultures et des traditions historiques ayant façonné nos différences et les nuances qui peuvent marquer nos approches sur les valeurs ou sur la modernité .La liberté , l’ouverture n’ont de sens et de portée sociale et culturelle que si elles procèdent de la conscience du nécessaire et envisage leurs limites en relation avec celles des autres . en tenant le plus grand compte de l’environnement dans lequel celles-ci évoluent . La modernité comme l’exercice de la liberté ou de la démocratie ne peuvent être ni  données ni acquises par contamination comme nous le suggèrent certains idéologues conservateurs occidentaux .

Il n’y a pas d’alternative à la démocratie et à la modernité qui  indiquent de fait le sens de l’histoire . La démocratie et la modernité ne procèdent pas de modèles imitables .Les formes qu’elles prennent ne se développent pas dans un sens unique . Elles relèvent des caractéristiques intrinsèques de chaque société . Leur dénominateur commun devrait être celui de faire évoluer les sociétés vers toujours plus de progrès et de justice sociale . Elles deviennent , ainsi comprises , des facteurs efficaces de dépassement et d’éradication de l’archaïsme  et de lutte contre le terrorisme national et international instrumentalisation la religion à des fins politiques et idéologiques . Les rendre vivantes dans notre pays , aujourd’hui plus qu’hier , est le meilleur signe de fidélité à l’esprit du premier novembre en ce premier siècle mouvementé et plein de défis du troisième millénaire .

 

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