Texte du R.A.I.S diffusé le 3 mai 1990. La culture, l’art et la science en sursis.

Publié le par Mahi Ahmed

Texte du R.A.I.S diffusé le 3 mai 1990. La culture, l’art et la science en sursis.

7 AOÛT 2018

 

Voici le texte que notre ami Smail Hadj Ali nous envoie pour mémoire.

 

Pour mémoire,...

et en liaison avec les récents mouvements et tentatives d’interdiction d’activités et de manifestations  culturelles et artistiques initiés par les islamistes-intégristes, voici pour mémoire ce que le Rassemblement des artistes, intellectuels, scientifiques, (R.A.I.S), déclarait, en dénonçant, en mai 1990, le climat de violences et de terreur, fait d’agressions, de menaces, d’insultes au quotidien, instauré par les militants de l’islam politique membres du FIS, contre les artistes  et les intellectuels Algériens, contre l’art, la culture, le patrimoine national, et plus largement la société. 

Trois années après la publication de cette déclaration, le bras armé du terrorisme intégrisme religieux passait à l’assassinat de l’intelligence, de l’art, de la culture, de la connaissance. Cf., notes de bas de page. 

 

Si, l’histoire ne se répète pas, les processus liberticides engagés par les fondamentalistes islamistes sont identiques, car issus de la même matrice idéologique, et ce quels que soient les enfumages politiques et les boniments de leurs « états-majors ». Pour l’histoire, au moment où ce document était diffusé, des intelligences « supérieures » critiquaient et moquaient le combat du RAIS en écrivant que dorénavant le moindre bris de vaisselle devait être imputé aux islamistes.

Smaïl Hadj Ali

 

Texte du R.A.I.S diffusé le 3 mai 1990.

 

La culture, l’art et la science en sursis.

 

Des écrivains insultés (Kateb Yacine, Tahar Ouettar, Rachid Boudjedra)[1], des cinéastes menacés, ou empêchés de tourner (Laradji, Zemmouri, Mazif…), des comédiens empêchés de se produire ou menacés de mort ( Medjoubi[2], Fellag,, Troupe du 1er Mai), des spectacles annulés : « El Aïta », à M’sila, « Faqou »  à la salle Ibn Khaldoun à Alger, le chanteur petit Matoub[3], le groupe Ideflawen, la chanteuse Houria Aïchi déclarés « fesq[4] » , et prétexte à la terreur des citoyens et aux affrontements devant le cinéma Atlas à Bab-El Oued, la chanson chaâbi hors-la-loi, -qu’arriverait-il aujourd’hui à Hadj M’hamed El Anka ?-, les chants religieux -medh-  accompagnés d’instruments à musique « la yadjouz »[5], les romanciers qui ne font que « du vide par le vide, -Abassi Madani[6] dixit-, les journalistes insultés et empêchés d’exercer librement leur métier[7].

Faire la chasse aux artistes algériens parce qu’ils sont artistes, aux intellectuels parce qu’ils sont intellectuels, aux scientifiques[8], quelles que soient leurs opinions ; traquer des démocrates, des militantes d’associations[9], des femmes, des syndicalistes[10], des militants de partis[11]. Telle est la volonté de ces ennemis de la civilisation, de la culture, de la science, et de la démocratie.

Mais cette volonté s’étend à d’autres éléments et aspects de notre société, de notre histoire, de notre vie : atteintes au patrimoine archéologique -dernières en date : le site de Tipasa-, tentatives d’empêcher des « ziarate » -Sidi Moussa, Sidi Ghiles-, profanation de tombes et de  « qouba », de Sidi M’hamed  Bou Qobrine à Alger, et à Djelfa.

 A quand Sidi Abderahmane, Sidi Yahia, Sidi El Houari, Sidi Rached.

Ils empêchent les familles d’enterrer leurs morts, comme l’ont fait depuis des siècles nos pères. Cet « ordre nouveau » affiche ainsi sa prétention d’exclure le peuple algérien de sa propre histoire, de sa culture, de son imaginaire, de ses coutumes ancestrales. Il veut faire table rase de notre passé, qui est aussi notre présent. Il veut introduire dans la société l’inquisition.

Son discours haineux envahit notre vie, sème la violence dans nos familles, traumatise nos enfants. Il est un danger mortel pour l’école, l’université, pour la recherche scientifique et pour le développement économique et social déjà fortement fragilisés par des années d’incurie, de casse, de corruption, d’interdits.

En rendant licite (yadjouz) l’agression, la terreur, l’affairisme et le parasitisme, il tente de sanctifier les valeurs de la régression et de la décadence. Cet « ordre nouveau » qui profite du désarroi social et moral de la jeunesse s’apparente au fascisme. Il est prétexte à toutes les aventures fratricides sans lendemain.

Il est la fin des libertés démocratiques et individuelles.

Face à cette situation dont la gravité ne doit échapper à personne , face à toutes ces menaces et leur cortège de répression, de torture, de censure, d’exclusion, dont octobre 88 a sonné le glas, le R.A.I.S appelle tous les artistes, intellectuels, scientifiques, à se rassembler jeudi 10 mai à 10h du matin à la salle du Conseil Populaire de la ville d’Alger, derrière l’Assemblée populaire nationale, pour la paix, la démocratie, pour la liberté et la création, et à se joindre à la marche pour la démocratie , place du 1er Mai à 14h.

Le R.A.I.S,

Alger le 3 mai 1990.

 

 

[1]  A partir du printemps 1993, trois années après la publication de ce texte, écrivains et poètes, parmi lesquels, Tahar Djaout et Youcef Sebti sont assassinés par les terroristes du Front islamique du djihad armé. (F.I.D.A.).

[2] Azzedine Medjoubi est assassiné en février 1995, à Alger. En mars 1994 le dramaturge Abdelkader Alloula, succombait à ses blessures, victime d’un attentat à Oran.

[3] Les chanteurs Cheb Hasni, et Rachid Baba Ahmed, qui formait un duo avec son frère Fethi, sont assassinés en septembre 1994 et février 1995

[4] Impie

[5] Illicite, au sens de mécréance.

[6] Président du Front islamique du Salut, (F.I.S.)

[7] A partir de 1993, plus de soixante journalistes Algériens seront assassinés par les terroristes du Front islamique du djihad armé (F.ID.A).

[8] Des dizaines seront assassinés, parmi lesquels, le psychiatre Mahfoud Boucebci, le pédiatre Djillali Belkhenchir, le philosophe Rabah Guenzet, l’archéologue Djamil Bouhendel, l’écrivain Abderahmane Chergou, les sociologues M’hamed Boukhobza, Djilali Liabès, l’économiste Abderahmane Faredeheb, l’universitaire Rabah Stambouli, .

[9] Parmi elles, l’architecte Nabila  Djahnine, présidente de l’association « Tighri n’Tmettouth » -Cri de femmes-, assassinée en février 1995

[10] Parmi eux  Hafid Sanhadri,  assassiné en mars 1993, .Abdelhak Benhamouda, secrétaire général de l’UGTA,  en janvier 1997,

[11] Parmi eux  Rachid Tigziri et Aziz Belkacem,  et des dizaines d’autres, assassinés en janvier et décembre 1994.

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