Milosovic , la mondialisation et nous

Publié le par Mahi Ahmed

03.07.01

 

 

Milosovic , la mondialisation et nous

 

Par  Mahi Ahmed

  

 


Le 28 juin dernier Slobodan Milosovic , l’ancien président de la Yougoslavie a été livré par le gouvernement de Serbie au tribunal pénal international ( TPI ) de la Haye . Il est accusé de crime de guerre et de crime contre l’humanité. Le premier  ministre serbe , Zoran Djinjic , en faisant prendre une telle décision à son gouvernement , a agi  en  dépit  de l’arrêt du conseil constitutionnel de Yougoslavie gelant le décret gouvernemental serbe  réglementant ses rapports avec le TPI .Le Président yougoslave Kostunisa n’a pas été associé à une telle prise de décision engageant pourtant le pays dans son ensemble. Le premier ministre serbe a été la  cheville ouvrière de l’opposition démocratique de Serbie ( OSD) qui a battu le parti de Milosevic aux dernières élections présidentielles et législatives .Il est catalogué d’homme de l’occident et des USA en particulier  . Il a pris cette décision , sous une forte pression des USA , des dirigeants de l’Union européenne et des institutions occidentales en général comme l’OTAN ,  la BIRD , le FMI etc. En la prenant , il  s’est tout de même délibérément inscrit dans une démarche géostratégique de long terme initiée ,  dés la fin des années quatre-vingts par les Occidentaux. Une telle démarche  visait une  stabilisation dirigée  de la région des Balkans dans la perspective de son intégration progressive à l’Europe et aux valeurs occidentales .Djindjic est-il plus conséquent que Milosevic ? L’histoire le dira et son peuple jugera . Milosevic , fils d’un père théologien orthodoxe d’Origine monténégrine et d’une mère communiste , a continué d’avoir une approche panslave  d’une Yougoslavie dominée démographiquement par les Serbes .Chez lui l’idée d’une grande Serbie fondée sur le nationalisme serbe s’est développée avec l’affirmation de la volonté d’indépendance exprimée par les autres nationalités yougoslaves soutenues activement par l’occident .

 Au-delà des guerres atroces à caractère ethnique, confessionnel et nationaliste  et très coûteuses en vies humaines , en infrastructures et en matériels , qui ont secoué et qui continuent d’ébranler toute la région des Balkans et partant l’Europe et la paix mondiale , il convient peut-être , , de tenter de réfléchir sur les voies qui sont susceptibles de renforcer la cohésion et la stabilité des sociétés , de développer le respect réciproque des différences ethniques , confessionnelles et culturelles , au sens large ,  qui marquent leurs composantes . Il s’agit , de fait , de s’interroger de nouveau et de rafraîchir les mémoires sur les processus complexes et longs d’édification des Etats modernes et de la formation encore plus complexe et plus longue de nations modernes . Il s’agit de comprendre qu’aucun pays , qu’aucune région ne peut échapper ,dans ses fondements et dans ses structures , aux mutations lourdes de leurs environnements régionaux ou internationaux . Il n’y a pas de vision politique stratégique valable qui ne tienne pas le plus grand compte des tendances lourdes de l’évolution de ses environnements .La décennie quatre-vingt-dix , avec  l‘échec de l’URSS et l’effondrement du système socialiste mondial , marque avec le développement impétueux de la révolution informationnelle une accélération effrénée de mutations planétaires .Ces mutations touchent l’ensemble des secteurs en rapport direct ou indirect avec le développement de l’homme et des sociétés et dont il faut être en mesure d’en assurer le contrôle et d’en réglementer les rythmes à une échelle humaine différenciée .Le phénomène actuel de la mondialisation qui est dans sa substance un processus continu d’intégration et de désintégration sous les couleurs d’un libéralisme débridé , porte dans son cours de telles mutations. , en les modulant selon ses intérêts .

 La Yougoslavie et les Etats qui composent la région des Balkans ne peuvent constituer ,  nonobstant l’intensité et le bouillonnement de leur évolution historique , une exception historique , un cas unique à l’échelle de l’histoire .Cependant force est de relever que les bouleversements qui ont touché la Yougoslavie au cours de l’histoire ont été à chaque fois en rapport étroit avec une recomposition de l’Europe et des rapports de forces existants .

 

 I  ) La Yougoslavie et le nationalisme serbe

 

Les développements dans l’ex - Yougoslavie et dans toute la région des Balkans prennent ainsi, depuis plus d’une décennie , une certaine forme d’exemplarité. Cette dernière est applicable à toutes les régions du monde , Etats et peuples , dont les dirigeants et les élites intellectuelles n’ont pas su tirer toutes les leçons et enseignements des expériences historiques en matière de construction de l’Etat et de formation de la nation à partir des diversités ethniques ,confessionnelles ou territoriales caractérisant leur pays. Ce qui arrive , de nos jours à la Yougoslavie et à la région des Balkans, peut frapper n’importe quelle autre région et quel autre pays du monde .La région des Grands-lacs en Afrique ( Congo et Rouanda ) en a donné un avant-goût .

La Yougoslavie est à ce titre édifiante dans son cheminement historique.  Les nationalistes Serbes en particulier avec toutes les couleurs politiques qu’ils ont pu prendre au fil du temps et des contextes géopolitiques ,  assument une responsabilité de premier plan .Ceci non pas parce qu’ils ont aimé leur patrie et voulu la défendre ou lui faire jouer le rôle qui doit lui revenir  , mais justement parce qu’ils se sont révélés incapables de tirer les leçons de l’expérience historique et de discerner ce qui change dans l’évolution  profonde de l’histoire . Ils ont activé un nationalisme éculé , fermé aux réalités en mouvement et oppresseur à merci .Ils n’ont pas saisi ce qui donne à l’acception du concept de nationalisme un contenu approfondi plus en rapport  avec les lignes de forces économiques , sociales et culturelles et démocratiques qui font avancer  la  cohésion et la stabilité de la société et l’édification de l’Etat et la formation continue de la nation dans le sens du progrès et de la modernité .Cela ne peut et ne doit en aucune manière signifier l’abandon de la tradition , la dilution ou la perte des identités ethniques ou culturelles mais leur renforcement créateur en faisant en sorte qu’elles puissent être prises en charge et porter par les générations successives vivant pleinement leur temps et contribuant à enraciner chez elles la culture démocratique.

 

1.      Aperçu historique

 

Il faut noter que les peuples qu’on appellent yougoslaves n’ont pas eu un passé étatique commun assez enraciné pour être en mesure de stabiliser et développer ce qui leur est commun au niveau linguistique ,ethnique et culturel . Ces peuples ont vécu , pour des périodes variables , sous la domination de l’empire Ottoman et puis sous l’Empire d’Autriche-Hongrie .Les mouvements nationaux qui se sont développés en leurs seins au XIXe siècle aspiraient à la création d’Etats indépendants .Au début du XXe siècle les slaves du sud ,les Slovènes et les Croates catholiques ,les Serbes orthodoxes et les slaves musulmans de Bosnie-Herzégovine  ont vécu dans l’Empire d’Autriche-Hongrie au sein d’entités administratives diverses .Avec le processus de dislocation de l’empire Ottoman ,la Serbie et le Monténégro ont obtenu leur indépendance en 1878 .La Bosnie-Herzégovine est annexée par l’Empire d’Autriche-Hongrie en 1908 contrecarrant ainsi les plans du Royaume de Serbie dans cette direction . L’assassinat du prince héritier du royaume austro-hongrois le 28 juin 1914 à Sarajevo a provoqué la déclaration de la guerre le 28 juillet 1914 au  royaume de Serbie par la monarchie austro-hongroise. Cette Guerre est devenu par le jeu des alliances et l’importance des territoires en jeu une guerre européenne et mondiale. Les nationalistes serbes déclarèrent alors ,dés le début , que leur objectif dans cette guerre était la création d’un Etat yougoslave unifiant les Serbes, Croates et Slovènes .Un comité des slaves du sud de l’empire austro-hongrois a été formellement constitué le 30 avril 1915 à Paris par des représentants de ces communautés ayant choisi d’émigrer. La volonté d’union de la Serbie cachait dans les faits une détermination d’expansion et d’hégémonie .Les divergences entre les parties engagées dans ce processus d’union apparaissaient rapidement au niveau de la conception du futur Etat yougoslave : centralisme ou fédéralisme .La déclaration de Corfou du 20 Juillet 1917 signée par le gouvernement serbe et le comité des slaves du sud engagé dans la guerre définissait le nouvel Etat comme monarchie parlementaire sous la dynastie des Karadjordjevic ( Serbe ) avec pour nom le Royaume des Serbes ,Croates et Slovènes .Un tel Etat reconnaissait l’égalité des alphabets cyrilliques et latin et la liberté des confessions catholique, orthodoxe et musulmane. Le 1er décembre 1918 a été crée sur les ruines de l’empire austro-hongrois sous la conduite du prince- régent de Serbie , Alexandre , le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes .Ainsi , faut-il le noter ,  l’union des yougoslaves a été réalisée dans un contexte géopolitique instable de recomposition de l’Europe .Les premières années d’existence du nouveau Royaume ont mis à jour le caractère complexe de l’édification d’un Etat nouveau regroupant des populations de traditions religieuses , politiques et culturelles diverses  (38,83% de serbes orthodoxes , 23,77% de Croates catholiques , 8,53% de Slovènes catholiques , 16,5% de minorités non-slaves : Allemands ,Hongrois , Albanais , Roumains , Turcs , Italiens etc) .L’instabilité dans le nouvel Etat était nourri par le pouvoir centralisateur des Serbes et par les aspirations nationales des autres composantes du royaume . Cette instabilité déboucha sur l’instauration de la dictature par le roi Alexandre Karadjordjevic .La réorientation de la diplomatie yougoslave , après l’assassinat du roi Alexandre à l’instigation de nationalistes croates , vers les forces de l’Axe ( Allemagne , Italie )  provoqua le renversement le 27 mars 1941 de la régence du Royaume par un coup d’Etat de l’armée entendant ,de ce fait , protester contre le ralliement à l’Axe .La riposte d’Hitler ne se fit pas attendre .Elle entraîna  la capitulation de la Yougoslavie le 17 avril 1941 et la proclamation de l’indépendance de la Croatie par l’organisation croate (fascisante ) Ustasa (signifiant insurgé ) en réaction à la dictature du roi serbe Alexandre .

La résistance  armée contre le fascisme fut conduite en Serbie , au Monténégro et en différent point de l’espace yougoslave y compris en Croatie par un mouvement animé par les communistes sous la conduite de JosipTito .La Yougoslavie a été l’un des pays d’Europe qui ont le plus souffert de la deuxième guerre mondiale ( un million de pertes en vie humaine et d’énormes dévastations ).

Le mouvement communiste transnational conduit par Tito et opposé aux nationalismes en présence a pris le pouvoir en Yougoslavie et a entrepris une édification d’un socialisme spécifique expérimentant toutes les voies possibles ( modèle soviétique , libéralisme économique , autogestion). Tito ,par le rôle qu’il a joué dans la libération du pays , devient un symbole vivant de l’unité yougoslave et un facteur énergique dans la consolidation de l’Etat fédéral .Sous son égide le pays connaît un développement économique ,social et culturel significatif .De pays agricole en 1945 ,la Yougoslavie devient peu à peu un pays moyennement industrialisé .Il bénéficie , par sa politique de non-alignement , d’un prestige international certain surtout auprès des pays du tiers-monde et singulièrement des pays du mouvement de libération national dont notre pays.

Le président Tito a imposé la reconnaissance du pluralisme national .Il a  voulu œuvrer pour la construction d’un Etat de type fédéral où les minorités nationales (Voivodine et Kosovo ) sont déclarées égales en droits aux peuples constitutifs slaves de la Fédération .Cependant , dans les faits , le centralisme a pris le dessus et l’autonomie est restée étouffée, exacerbant ainsi les revendications nationales.

 

2.      Milosovic et la désintégration de la Yougoslavie

 

Tito meurt le 4 mai 1980 : Le pays entre dans une période de  crise profonde ,économique , sociale et politique .La dette extérieure est énorme ( 21 milliards de dollars ) . L’inflation est galopante(665 % en 1990).  Le chômage est élevé (16,78 % en 1988 ) .Le pouvoir dirigé par la ligue des communistes de Yougoslavie doit faire face à un contexte national détérioré et à une situation mondiale en mutation rapide avec l’avènement de la perestroika et l’accélération de la détente à l’échelle des relations internationales .Les divergences politiques s’aiguisent entre les dirigeants des communautés au sein même de la ligue des communistes yougoslaves .Les Slovènes et les Croates s’opposent aux velléités de centralisation du pouvoir . L’autonomie des provinces de Voivodine et du Kosovo est aboli en 1989-1990 .Les dirigeants serbes prennent en charge la contestation des serbes du Kosovo se déclarant victimes de persécutions de la part des nationalistes albanais du Kosovo. Le rapport de forces entre les différentes entités fédérales tel qu’établi par la constitution de 1974 est sérieusement mis en cause par une centralisation renforcée du pouvoir serbe et par une exploitation nationaliste éculée des masses populaires serbes . Les manifestations de protestations des masses albanaises conduites par leurs élites contre la suppression de l’autonomie de leur province sont sévèrement réprimées en 1989 et 1990 .Les délégations des communistes slovènes et croates quittent le XIVe congrès de la ligue fédérale tenu en janvier 1990 . Les efforts entrepris de tous les côtés pour refonder la Fédération en tenant compte des évolutions internes et externes n’aboutissent pas du fait de deux positions irrémédiablement inconciliables . L’une ,celle des Slovènes et des Croates , représentant le flanc développé  du pays , défendait un modèle confédéral débouchant à terme sur un démantèlement volontaire de la Yougoslavie . L’autre , celle des Serbes et des Monténégrins proposait un projet fédéral renforçant les institutions centrales et pérennisant le rapport de forces en faveur des Serbes . La Bosnie-Herzégovine et la Macédoine tentait de proposer un compromis pour maintenir une forme d’union yougoslave, respectant la diversité ethnique et confessionnelle .

Slobodan Milosevic dirigeait dans les faits dés cette période la Yougoslavie ,  ayant été porté à la tête de la Serbie en 1990 .

Le contexte d’alors de la Yougoslavie exigeait de procéder à une analyse lucide des réalités en mouvement dans la Fédération ,au sein des communautés et à l’échelle internationale. Une telle analyse devait imposer   d’essayer , sur une base démocratique et consensuelle ,  de dégager une vision stratégique de très long terme tenant compte des terribles défis de l’avenir portés par les dynamiques de la mondialisation. Une telle vision ,  devait être mise au service d’une refondation de l’Etat yougoslave en s’appuyant sur tout ce que les expériences d’union vécues par toutes les composantes du pays ont produit de durable au niveau sociologique , par exemple :

Ø   une histoire commune riche au niveau de ses acquis dans l’édification économique , sociale et culturelle dans le sens du progrès et de la  justice sociale ,

Ø   la lutte anti-fasciste ,

Ø    le non-alignement et la solidarité avec les mouvements de libération nationale.

Au lieu d’un tel effort collectif et démocratique , Milosevic  s’enfonça , mû par un nationalisme effréné , dans l’exercice d’un pouvoir autoritaire et réprimant  toute tentation démocratique .Une telle politique d’enfermement dans des valeurs figées relatives à la nation ,à l’indépendance ,au progrès et la justice sociale ne pouvait avoir d’avenir. Les valeurs qui résistent au temps et au contingences et qui portent l’histoire par la force et l’intensité de leur magnétisme , ce sont celles qui occupent les mémoires profondes des individus et des sociétés  et qui sont productrices d’intelligences et de savoirs et font évoluer l’humanité vers plus de progrès , de justice sociale ,de paix et de modernité .Il n’y a  de valeurs sociales que vivantes et en  évolution continue et aussi diverses que les structures de nos sociétés et de leur transformation dans le cours de l’histoire . Les conséquences de l’exercice d’un tel type de pouvoir par Milosevic sont on ne peut plus parlantes :

Ø   désintégration de la Yougoslavie réduite à une Serbie déchirée et à un Monténégro rebelle

Ø   Guerres très coûteuses en vie humaines ,en destructions et en terme d’exode en Croatie , en Bosnie-Herzégovine et au Kosovo.

Ø   Economie sinistrée frappée de surcroît par un embargo décidé par l’ONU où le PIB a chuté de plus de 40% et où l’industrie a perdu plus de 55% de ses capacités .

Ø   Isolement international y compris au niveau des amis traditionnels de la Yougoslavie .

 

 II ) Milosevic et la mondialisation .

 

L’ère Milosevic est intervenue dans un cadre mondial nouveau . Celui-ci était marqué formellement par la fin de la confrontation politique , idéologique politique et culturelle entre les deux systèmes capitaliste et socialiste. L’échec de l’expérience socialiste de type soviétique a été comprise par les dirigeants des USA et d’autres pays occidentaux ainsi que par leurs idéologues néo-libéraux et autres concepteurs de la troisième voie comme une occasion inespérée. Celle-ci  devrait être mise à profit pour aller , avec les atouts colossaux fournis par l’avance des pays engagés au sein de l’OTAN aux plans économiques , technologique ,scientifique , culturel et militaire d’une part et d’autre part par la révolution informationnelle et les processus sérieusement engagés de la mondialisation vers la construction d’un monde unipolaire sous la direction des USA .Un hégémonisme subtile mais musclé a commencé à prendre forme . Les concepts d’Etat de droit , de droits de l’homme ,de démocratie ,de paix ont été soumis à une modulation rythmée ,quand au fond ,  par les intérêts immédiats ou de long-terme de l’occident . La guerre du Golf , prétextant d’une annexion du Koweit par l’Irak , a mis en branle le schéma de la puissance de feu et de destruction  moderne que l’occident sous la houlette américaine était en mesure de  mobiliser en lui donnant le caractère d’une intervention de la communauté des nations . Il reste pourtant toujours à prouver que l’Irak qu’on a présenté comme la troisième armée du monde disposait d’une puissance de nuisance armée comparable à celle d’Israel  , pays se trouvant dans la même aire géographique . Israel opprime depuis plus de cinquante ans férocement le peuple palestinien martyr , possède l’arme nucléaire et d’autres armes biologiques , mais c’est l’Irak , peuple et pays qu’on détruit , qu’on affame . L’Irak a osé ,  avec l’infantilisme politique de ses dirigeants toucher à la problématique énergétique de la région constituant la plus grande réserve mondiale .

La construction du monde unipolaire projeté se devait d’obéir à une restructuration géopolitique et géostratégique des rapports de forces prévalant au sein de la triade ( USA , EUROPE ,JAPON et ASIE dU SUD-EST ) . Un tel monde devait se soumettre globalement aux lois de l’économie de marché . Une telle restructuration s’opère sur la base de critères liés :

 

Ø   à l’importance géostratégique des pays concernés dans le cadre des objectifs d’extension et de recomposition de l’OTAN ,

Ø   à  la nécessité de l’extension , de la restructuration et de l’homogénéisation des aires de marché en fonction des impératifs de la mondialisation ,

Ø   du degré de maturité ou de résistance des régions ciblées .

 

Après l’intégration douce ,au niveau politique et économique , des pays de l’Europe de l’Est et du Nord  comme l’Estonie, la Lettonie , la Lituanie , la  Pologne , la Tchéquie , la Slovaquie , la Hongrie , la Roumanie et la Bulgarie , la région des Balkans et surtout son noyau dur la Serbie , avec son nationalisme rude ,  devenait une préoccupation de premier plan . La stabilisation de cette région et son insertion dans le mouvement de restructuration globale en cours prenait une signification majeure . La Serbie et les Serbes vivant en grand nombre dans toutes les républiques yougoslaves constituaient les poches de résistance à isoler et à réduire .

C’est précisément ce contexte géostratégique nouveau que le pouvoir de Milosevic a voulu ignorer ou ne pas comprendre dans sa portée. Milosevic a cru que le recours au nationalisme historique des Serbes constituait la meilleure résistance aux dynamiques de recomposition en cours .Il n’a pas compté avec les développements profonds , sourds ou actifs , qui secouaient les différentes composantes de la société yougoslave .Il n’a pas perçu la montée , en leur sein , des aspirations à plus de liberté ,  de démocratie et  de modernité à l’instar de celles des autres pays .Il ne s’agit pas de philosopher sur les catégories de liberté , de démocratie ou de modernité .L’important  pour un responsable politique c’ est de saisir les aspirations des différentes catégories de son peuple et notamment celles de sa jeunesse et de ses élites . Cela ne peut signifier ignorer ou négliger les autres couches sociales , bien au contraire . Cela ne peut vouloir dire se soumettre à des acceptions de ces catégories définies par les dirigeants occidentaux . Mais cela doit signifier l’importance de faire montre d’intelligence ,de savoir-faire , d’esprit créatif pour prendre en charge les dynamiques qui travaillent en profondeur la société et de faire en sorte qu’elles forgent encore plus la cohésion  de cette dernière en la mettant dans une position qui repousse avec efficacité les manoeuvres sordides mettant en danger son  existence. L’intérêt premier des Serbes n’est-il pas d’avoir les meilleures relations de voisinage et de coopération fructueuse avec les territoires qui l’entourent et avec les peuples avec lesquels elle a partagé une histoire commune de plus de soixante-dix ans ? Un tel intérêt n’est-il pas aussi dans la création de conditions intérieures et extérieures favorisant un développement économique ,social et culturel florissant permettant de faire face , en mobilisant toutes les ressources du génie national , aux assauts fulgurants de la mondialisation ?

Milosevic semble être tombé dans trois pièges aussi catastrophiques les que les autres :

 

Ø   le piège du nationalisme grand-serbe ,un nationalisme qui ne tient  compte ni de la situation réelle de la nation , ni de l’état de l’Etat qui doit en principe la forger .

Ø   le piège du cramponnement au pouvoir qui aveugle et fait oublier que l’exercice du pouvoir est un rapport à la société et un contrat à son égard ,la vérité du pouvoir se formant dans les dynamiques sourdes qui travaillent la société profonde et qui provoquent les explosions qui , soit réveillent les pouvoirs en place de leur torpeur ou les balayent sans ménagement .

Ø   le piège de la suffisance et de l’ignorance qui cultivent le dogmatisme , le populisme ,la démagogie et l’autoritarisme et qui au seuil de ce troisième millénaire ,celui du savoir et de la science ,ne peuvent mener qu’à la ruine historique .

Mais Milosevic n’est-il pas d’abord responsable devant son peuple qui doit le juger aussi pour ce qu’il a entraîné pour les autres peuples ?

Quelle analyse faire de cette intervention massive mesurée au modèle de la guerre du Golfe des forces de l’OTAN précisément dans la région des Balkans ? Les prétextes avancé pour cela sont :

Ø   l’exacerbation de la guerre civile en Bosnie-Herzégovine et la supériorité militaire des Serbes soutenus par leur grand frère ,

Ø   l’occupation armée du Kosovo , la  terrible répression engagée contre la population albanaise du Kosovo entraînant un exode massif des albanais vers la petite et pauvre Albanie .

Ø   la non existence en Serbie d’un Etat de droit , le non respect des droits de l’homme et des règles d’éthique et de moral régissant les relations internationales .

En admettant la pertinence de tels prétextes pour la région des Balkans , pourquoi , quand semblables prétextes sont réunis dans d’autres région du monde ,  soit on ignore les situations existantes soit on procède à des traitements moins percutants .

 Israel est un pays qui nous intéresse . Ses dirigeants successifs n’ont-il pas commis depuis plus de cinquante ans l’un des plus grands crimes contre l’humanité à l’égard du peuple palestinien ? Les occidentaux et la communauté internationale n’interviennent même pas pour envoyer des observateurs internationaux comme le demande sans cesse le Président Arafat . Pourtant cette région du monde revêt une importance stratégique certaine et reconnue par  tous .C’est au contraire sur le peuple palestinien que les pressions les plus sordides et les plus inhumaines sont exercées pour qu’il se soumette au diktat d’Israel . Ce dernier est un allier sûr des USA et de l’occident et il ne pose pas de problème , semble-t-il  , au niveau des recompositions planétaires actuelles . Au contraire il est un facteur dynamique dans ce processus .Ce n’est là qu’un exemple illustratif des  pratiques mondialistes actuelles injustes .

Le Président yougoslave Kostunisa qui est fortement soutenu par le peuple serbe voulait juger Milosevic dans son propre pays pour l’ensemble de ses crimes .Il a œuvré à son arrestation  . Mais il était réservé à l’égard du TPI . Il a fait un effort considérable pour rétablir des rapports normaux avec les pays voisins et avec la communauté internationale .Il a mis en place une commission « vérité et réconciliation » composée de quinze personnalités reconnues qui devait établir en profondeur les responsabilités historiques et définir les voies de la réconciliation . mais la livraison de Milosevic au TPI par le Premier Ministre serbe Zoran Djinjic établit ainsi un fait accompli lourd de conséquences .Celles-ci  sont aussi bien nationales qu’internationales.

C’est la force d’exemple de l’acte qui compte . Djindjic a répondu , en dépit de toutes le règles de la légalité et de la démocratie en vigueur , aux fortes pressions exercées sur les responsables yougoslaves par les USA , certains pays européens comme la France , L’Allemagne etc et par le Procureur du TPI ,  Mme Carla Del Ponte . Ces pressions prenaient la forme d’un marchandage terrible à la veille de la conférence des pays donateurs sur la Yougoslavie à Bruxelles le 29 Juin 2001 . L’aide financière à la Yougoslavie sera possible et dans l’ordre souhaitée ,  si Milosevic est livré au TPI , sinon rien . Que faire alors dans un pays au bord de la ruine totale ,  dont les infrastructures et le tissu industriels ont été fortement endommagés par les raids de l’OTAN et dont le PNB représente moins de 10% de ce qu’il était il y a dix ans ? Djindjic a choisi d’échanger Milosevic contre une manne financière ,qui même contrôlée dans son utilisation , permettrait d’insuffler une bouffée d’oxygène dans la vie économique et sociale du pays .Il s’est mis du côté de ceux qui impulsent la mondialisation. À quel niveau ? C’est là la question  et l’histoire et les nations des Balkans y répondront un jour .

Le TPI ,lui ,avec les dirigeants occidentaux qui l’ont mis réellement en place après les accords de Dayton sur la Yougoslavie , vient de frapper fort en traduisant devant ses instances le premier Président d’une République depuis le procès de Nuremberg . C’est un événement majeur qui donne force à un droit pénal international non encore élaboré par la communauté des nations . Tout devient alors possible pour intimider et faire pression sur les Etats ,les Nations et les dirigeants .As-t-on parlé ,même maintenant ,  d’un TPI sur l’apartheid en Afrique du Sud,  d’un TPI sur la guerre d’Algérie même après les déclarations d’Ausares, d’un TPI sur la guerre du Vietnam ,sur le Cambodge , etc .Que Mme d’El Ponte porte sa compétence et son courage humanitaire jusqu’à demander la traduction d’Ariel Charon et d’autres dirigeants israéliens devant un TPI approprié  et  sa crédibilité et son respect du droit ne peuvent être que renforcés et servir réellement d’exemple .

Le jugement de Milosevic par des tribunaux de son propre pays avec une transparence internationale reconnue , n’aurait-il pas mieux servi le droit,  la démocratie , l’édification d’un Etat de droit moderne et la consolidation de la nation dans le sens de la stabilité et de la paix ? La réaction récente des autorités croates aux injonctions du TPI et la crise gouvernementale et sociale à laquelle elle a donné suite ont montré combien sont fragiles encore les rapports entre forces démocratiques et combien sont vivaces les sentiments nationalistes et patriotiques .Chaque société a besoin de faire sa mue vers la démocratie , l’Etat de droit , le progrès , la justice sociale et la modernité aux rythmes qu’elle est en mesure de supporter et d’accélérer avec l’intelligence et la perspicacité de son génie et celui de ses élites .

 

 III )  Qu’en est-il de nous ?

Ce n’est pas un fait du hasard si notre pays connaît depuis la fin des années quatre-vingts une crise multidimensionnelle profonde  . Les processus de reconfiguration des rapports de forces mondiaux étaient entrés dans une phase accélérée. Notre pays était toujours considéré par les analystes stratégiques occidentaux comme faisant partie de la sphère d’influence soviétique sans tenir aucunement compte de notre nationalisme à fleur de peau .Sa situation et son importance géostratégique pour les intérêts de l’occident étaient soulignées .Nos richesses énergétiques en développement continu à deux brasses de l’Europe ,l’étendue de notre territoire et les ressources d’avenir qu’il recèle , la jeunesse de notre peuple et son acquit interculturel ,son attrait touristique ne peuvent laisser indifférent face aux enjeux que tracent la construction d’un monde unipolaire et les dynamiques de la mondialisation .

 L’entrée dans la décennie 90 a trouvée notre pays sérieusement mis à mal par :

 

Ø   Une crise économique ,sociale ,culturelle et identitaire d’une gravité jamais connue ,

Ø   l’islamisme politique qui ,instrumentant la religion  et nourri par une détresse inqualifiable de l’écrasante majorité de notre jeunesse rasant pour ainsi dire les murs et  celle d’importants secteurs de notre peuple , a mis le pays à feu et à sang en recourrant au terrorisme barbare n’ayant pu imposé sa volonté d’instaurer un Etat théocratique ,

Ø   une incapacité chronique du système en place à identifier en profondeur les racines de la crise , à se détacher du populisme radical et hégémonique ambiant et à hausser notre capital nationaliste au niveau des exigences nouvelles pour refonder l’Etat dans le sens de la rationalité , de la démocratie et de la modernité prenant en charge notre identité propre et pour rendre la nation plus en mesure à faire face aux défis actuels ou futurs .

 

Voilà plus de dix ans que nous n’arrivons pas à sortir notre pays de cette crise .L’image et les positions de notre pays sur le plan international sont sérieusement détériorées . Les études et  analyses théoriques et politiques , dans les centres d’études et les officines étrangers ,  sur les évolutions en cours chez nous gagnent en ampleur , en intensité et en précision dans la formulation d’objectifs et de voies de sortie de crise . Des spécialistes et experts de l’Algérie émergent de partout . Les médias à forte puissance d’intervention et d’impact sont mobilisés et focalisés sur une base concertée ou non , peu importe ,c’est leur boulot dira-ton , sur une forme de « jougoslavisation » de notre crise .On appelle à grands cris l’envoi de commissions internationale d’enquête .On laisse de côté l’islamisme politique et le terrorisme féroce qu’il a engendré . On publie des photos de généraux susceptibles d’être traduits devant des juridictions étrangères . L’un de ces généraux a été même sérieusement inquiété lors d’un passage à Paris .

Les événements appelés de Kabylie alors que leur contenu dépasse de loin le cadre régional étroit et réducteur , constituent , si on les examine de plus prés en liaison avec les évolutions enregistrées au sein de notre société au cours de ces dix dernières années ,un tournant d’une très grande importance .Ces événements sont portés essentiellement par des jeunes qui ont grandis et mûris avec cette dernière décennie noire .Ils avancent fondamentalement des revendications démocratiques ,sociales et identitaires avec une vision rationnelle  des processus de règlement des problèmes . Ils se distancient de l’islamisme politique tout en soulignant l’attachement à la cohésion nationale . et aux facteurs formant nôtre identité .

Il est grand temps de comprendre les dangers de dislocation qui nous guettent et de tirer les leçons des expériences historiques qui ont montré amèrement comment les liens sociaux , culturels et même nationaux ,pourtant considérés comme solidement portés par la conscience sociale , peuvent de distendre , se casser et déboucher sur des tragédies d’ordre ethnique , tribal ,régional ou autres . Il est grand temps aussi de se ressaisir et de comprendre aussi que l’autoritarisme et le populisme aggravent et ne règlent pas à la longue les problèmes que nous avons .

Une jeunesse mue par une vision positive de son avenir et ouverte vers le savoir , la science et la culture ,consciemment jalouse de son identité , forgée dans l’exercice démocratique qui fait prendre la mesure de la liberté , est capable d’être mobilisée pour la construction d’un Etat de droit , démocratique et catalyseur d’une nation moderne capable de se hisser au niveau des grandes batailles du troisième millénaires et des défis qu’elles engendrent .

 

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