Manuel Valls ou la «fermeté incarnée»

Publié le par Mahi Ahmed

Manuel Valls ou la «fermeté incarnée»

Le cas de Manuel Valls est intéressant. Il est l’un des ministres de l’Intérieur les plus populaires du gouvernement socialiste, et, de surcroît, certains ténors de la droite, une partie du PS et les syndicats de police, qui eurent les yeux de Chimène pour Nicolas Sarkozy, lui tressent de belles couronnes.

Par : Omar Merzoug*

«Premier flic de France» comme il se désigne lui-même, il a pour ambition de réconcilier la gauche et l’ordre, de faire en sorte que son règne ne soit pas synonyme de laxisme et d’impunité. Sa nomination a rallié les plus larges suffrages. Jean-Claude Delage, secrétaire général d’« Alliance», syndicat de police très sarkophile, apprécie à ce point Manuel Valls qu’il déclare que l’actuel titulaire de la Place Beauvau «diffère finalement très peu de ses prédécesseurs, Sarkozy, Hortefeux ou Guéant». Brice Hortefeux constate la volonté de Manuel Valls de protéger «nos» concitoyens. C’est sans doute, à ses concitoyens de souche européenne que songe Hortefeux, car on n’a pas mémoire que l’ancien ministre de l’Intérieur ait montré la moindre compassion pour les Algériens ou les étrangers séjournant dans l’Hexagone. Quant à Claude Guéant, son prédécesseur place Beauvau, il prend acte de la volonté de Manuel Valls «de réconcilier la gauche et la sécurité». Enfin, Valérie Pécresse, ancienne ministre de l’Education nationale, songeant aux démêlés de Manuel Valls avec Martine Aubry notamment, ose même soutenir que, touchant des points importants, Manuel Valls «a plus d’ennemis dans son propre camp qu’à droite».

C’est assez dire que la présence de Manuel Valls à l’UMP ne déparerait pas. Ces douteux parrainages n’ont pas l’air de troubler outre mesure le ministre de l’Intérieur qui se donne volontiers la contenance d’un «Père Fouettard». Tout à son effort de prouver qu’il est un homme de fermeté et que les délinquants des cités n’ont désormais qu’à bien se tenir, il ne condescend pas à prendre la mesure de ce fait. Même (et surtout) si cela se réalise au prix du reniement précoce de quelques promesses électorales, celle notamment du récépissé devant permettre de retrouver la traçabilité des contrôles d’identité. Pour un gouvernement qui dispose de toutes les légitimités, de tous les pouvoirs que confère la République, ne pas se montrer capable de s’imposer face aux lobbies n’est jamais bon signe, surtout que les groupes de pression ne défendent jamais l’intérêt général, mais toujours des intérêts particuliers, ce qui est contraire à l’esprit de la République française. Cette reculade en rase campagne porte, dans la bouche de Manuel Valls, le beau nom de «pragmatisme». C’est d’autant plus fâcheux que l’actuel titulaire de la Place Beauvau semble sujet aux mêmes obsessions et aux mêmes tropismes que M. Guéant pour tout ce qui touche aux questions d’immigration et de sécurité.

En politique, les premiers pas d’un gouvernement sont toujours hautement significatifs. Les démantèlements des camps des Roms rappellent de très mauvais souvenirs : entre autres, le discours de Grenoble, prononcé l’été 2010 par Nicolas Sarkozy, exemple détestable de ratissage de voix à l’extrême-droite, parfaitement inefficace au demeurant. Des voix à gauche se sont élevées contre ces mesures. Europe Ecologie-Les Verts estime que François Hollande ne respecte pas ses promesses de campagne. Le président Hollande s’était en effet engagé durant la campagne «à ne pas expulser de familles Roms sans leur apporter de proposition de relogement», a estimé le porte-parole du mouvement écologiste, Jean-Philippe Magnen, dans un communiqué. Or, de nombreuses familles Roms sont aujourd’hui expulsées sans aucune perspective.

Europe Ecologie-Les Verts demande au gouvernement de Jean-Marc Ayrault de mettre fin à ces évacuations qui ne résolvent pas le problème, puisqu’elles ne font que le déplacer, les Roms n’allant pas disparaître du paysage français comme par enchantement. Le gouvernement Ayrault «se met dans les pas du précédent» en «pointant du doigt les Roms», estime Eric Coquerel, militant du Parti de Gauche. Celui-ci combat pour une politique globale qui tiendra compte de la dignité des migrants. Autre fait troublant : le fait que Valls exprimerait des réserves à l’égard de l’attribution du droit de vote aux étrangers aux élections locales, une autre promesse du candidat Hollande qui ne passera sûrement pas l’hiver. Pour les funérailles de cette promesse, le prétexte est tout trouvé : l’opinion publique française ne serait pas mûre. Faire reculer l’insécurité est une tâche titanesque et protéiforme qui réclame un travail de fond. Elle suppose d’agir de surcroît sur de multiples paramètres. S’attaquer aux seuls symptômes ne suffit pas ; il faudrait traiter les causes du mal.

Or le mal est profond. La misère, le chômage endémique, la désespérance sociale, le mépris des minorités, les discriminations, le racisme, en sont les noms. De ce point de vue, la politique du gouvernement Sarkozy a provoqué des déchirures dans le tissu de la nation qu’il sera difficile de réparer. Or je crains que la gauche n’ait guère consenti à un effort de réflexion qui soit, en ce domaine, à la hauteur des enjeux. «Créer de la centralité, fabriquer de la culture commune et développer un sentiment d’appartenance», comme le disait l’actuel ministre de l’Intérieur, ne se fait pas en un jour ni même en un quinquennat. La gauche ne veut pas donner le sentiment de l’angélisme, si bien qu’elle paraît stupéfiée, tétanisée par les problèmes complexes que pose l’insécurité. Mais tout cela ne fait pas une politique, cela fait tout au plus une posture. Il y a pis : la gauche semble avoir tourné le dos aux analyses sociologiques de la délinquance et de l’insécurité, pourtant éclairantes. En 2002, le candidat malheureux Jospin a déclaré que faire appel aux causes sociales de la délinquance n’était, ni plus ni moins, qu’une «naïveté».

Les déclarations de Manuel Valls qui émaillent la presse relèveraient-elles de la diversion ? Ces rodomontades, à l’adresse des plus démunis et des laissés-pour-compte de l’ordre républicain, devraient-elles s’interpréter comme un épais rideau de fumée ? L’enjeu pour la gauche est de faire reculer la pauvreté, le chômage, la précarité, le racisme qui sont les matrices de toutes les insécurités. A force de désigner les «minorités», les Roms, les musulmans, les immigrés, en somme tous les étrangers, à la vindicte publique, on en fait des boucs émissaires et on assure les succès futurs du Front national (près de 18% des voix aux dernières élections présidentielles françaises) qui n’aura plus dès lors qu’à rafler la mise.

L’événement survenu le 7 juin 2009 n’est guère fait pour nous rassurer. Arpentant, ce jour-là, le pavé d’Evry, la ville dont il est le maire et trouvant sans doute que l’élément européen y est peu représenté, Valls s’écriait : «Belle image de la ville d’Evry… tu me mets quelques White, quelques Blancos.» Bien que n’ayant récolté que 5,7% des voix (une misère) lors de la primaire socialiste d’octobre 2011, Manuel Valls occupe aujourd’hui un poste important au gouvernement. Après ses propos, sa nomination Place Beauvau serait-elle une provocation ? On est en droit de se le demander surtout après que Martine Aubry, dans une lettre ouverte écrite en juillet 2009, ne mâcha pas ses mots à l’endroit de Manuel Valls : «Si les propos que tu exprimes reflètent profondément ta pensée, alors tu dois en tirer pleinement les conséquences et quitter le Parti socialiste.»

Au reste, Manuel Valls a essuyé les foudres de Faouzi Lamdaoui, membre du Conseil national du PS, qui a lu, dans les déclarations de Valls, un «dérapage scandaleux : «La confusion, volontaire ou pas, entre la mixité sociale et l’origine des habitants de la ville ne l’honore pas», souligne l’ancien secrétaire national à l’Egalité, estimant qu’elle «conforte des thèses chères à l’extrême-droite qui prône une hiérarchie absurde entre les races».

De plus, on a parfois le sentiment que Manuel Valls, parce qu’il a été tardivement fait français, ressent le besoin de se lancer dans une surenchère identitaire pour donner des gages sur une «francité» acquise de fraîche date : «Valls doit réfléchir sérieusement aux conséquences de ses propos qui ont choqué la plupart de ses camarades socialistes et de nombreux Français», déclarent les signataires d’une pétition approuvée par de nombreux militants et élus socialistes qui a circulé sur Internet. Alors les propos de M. Valls sont-ils scandaleux ou expriment-ils simplement la réalité du terrain ? Si la gauche a été élue pour que sa politique soit un reflet de la réalité du terrain, il y a maldonne, car la droite en ce domaine la surclasse. Nous croyions que le candidat Hollande avait fait campagne sur le changement, qu’au demeurant la vocation de la gauche était d’être à l’avant-garde et non pas à la traîne de la nation. Se serait-on trompé ?

Au reste, serait-il exagéré de réclamer des responsables politiques de la hauteur de vues et un langage qui ne doit rien à la vulgarité et à la médiocrité intellectuelles ? Le «White Blancos» de M. Valls est une obscénité langagière, à moins qu’elle ne soit l’emblème auquel se réduirait sa politique. Ce qui disparaît avec cette focalisation sur la fermeté, ce sont les dimensions socio-historiques de la misère, de la pauvreté et des discriminations. On a le sentiment que la voie est ouverte à des appréciations de type essentialiste de la délinquance. Les Roms, les Arabes, les étrangers ne sont pas comme les Français de souche. Ils sont très différents et par conséquent poseraient, par nature, des difficultés insurmontables au «vivre ensemble».

Interrogé sur cette phrase, M. Valls a affirmé: «Je l’assume totalement. Je veux lutter contre le ghetto. C’est quoi le ghetto ? On met les gens les plus pauvres, souvent issus de l’immigration – et pas seulement – dans les mêmes villes, dans les mêmes quartiers, dans les mêmes cages d’escalier, dans les mêmes écoles.» Dont acte. Mais il faudrait commencer par surveiller son langage, ne pas marcher sur les brisées du Front national et surtout éviter d’accréditer les termes dans lesquelles l’extrême-droite formule les problèmes.

Manuel Valls ne fait pas mystère de sa volonté de combattre la «ghettoïsation», car, à ses yeux, «ce qui a tué une partie de la République c’est la ghettoïsation, la ségrégation qui sont une réalité». Il faut dire les choses clairement, car, selon lui, «tout le monde le pense (…) à force de nier les problèmes on a laissé les questions à d’autres». Drôle de façon de «raisonner». Pour amener la diversité sociale, faudrait-il stigmatiser les Algériens, les Noirs, les étrangers ? En fait, tout se passe comme si, sans le dire et peut-être sans en avoir conscience, M. Valls adoptait le point de vue des protestants blancs américains qui s’estimaient lésés par l’affirmative action ou «discrimination positive» dont l’adoption par le gouvernement Johnson visait à corriger les discriminations subies par les Noirs.

M. Valls croit-il vraiment que les Dupont et les Durand sont discriminés ? Ce serait, ni plus ni moins, s’aligner sur les positions du Front national ! En 2006, dans un article paru dans Le Nouvel Observateur, Manuel Valls souhaitait «une évolution de la loi de 1905 pour qu’un peu d’argent public aille à la construction de mosquées. Pour un maire intégrer c’est être sur tous les terrains : travail avec la police, les magistrats, mais aussi aide aux victimes, création d’une identité commune par un urbanisme, des services publics sociaux et une école de qualité. Il faut développer le vivre ensemble». Développer le vivre ensemble, c’est d’abord s’imposer le respect des populations qui vivent sur le sol de France, respect sans lequel toutes les dérives sont possibles. Rappelons à Manuel Valls, qui n’a que le mot de République à la bouche, qu’on peut toujours, comme le disait de Gaulle, sauter sur sa chaise comme un cabri en disant : «La République ! La République !» Mais cela n’a de sens qui, si on entend par République non seulement la fermeté, mais d’abord l’égalité et la justice qui sont les matrices de toute réelle citoyenneté.

O. M.
*Docteur en philosophie, journaliste et écrivain

 

 

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