LE NÉO-IMPÈRIALISME ET L’ÉPREUVE DU SENS

Publié le par Mahi Ahmed

LE NÉO-IMPÈRIALISME ET L’ÉPREUVE DU SENS

 

Par Mahi  Ahmed(Dr.Ing.  )2002

 

Le premier anniversaire de l’effroyable et inqualifiable attentat terroriste islamiste  contre les tours jumelles de New York et surtout contre la première puissance mondiale va être célébré dans une atmosphère et une conjoncture internationales guerrières et remplies de tensions hautement dangereuses. La marque que l’on veut imprimer, à cette occasion, au patriotisme américain et à la solidarité internationale avec les victimes du terrorisme et avec le peuple américain procède d’un populisme et d’une étroitesse qui entendent voiler à dessein les véritables enjeux et problématiques qui sont au cœur des dérives globales, régionales et nationales que nous observons particulièrement depuis plus d’une décennie. L’humanité, les peuples et les États  sont placés face à une déterminante épreuve du sens, puisque c’est de  l’absence de ce dernier  ou de son caractère diffus qu’il s’agit.

La menace d’une nouvelle guerre asymétrique US, aux conséquences géopolitiques imprévisibles, contre l’Irak de Saddam Hussein, se précise de jour en jour. Une telle guerre procède des dérives signalées et relève bien de la doctrine de W. Bush . Dans un article publié dans le quotidien d’Oran le 3 Mai 2002 sous le titre : « La doctrine W. Bush : une stratégie de domination et de coercition globalisée » nous écrivions ce qui suit : « Nous sommes témoins, face aux dangereuses évolutions auxquelles nous assistons, d’un aiguisement sans précédent de l’arrogance de la puissance des USA. Celle-ci est alimentée par un engagement et une influence décisifs du complexe militaro-industriel revenu aux commandes réelles. Ce dernier entend faire des multinationales qu’il contrôle de même que des capacités de recherche, d’innovation et de création des Etats Unis, les  leviers sans cesse renforcés d’une domination militaire  au long cours et les placer au niveau de fonctions motrices et dirigeantes des processus d’une globalisation aux couleurs américaines….. . .

Nous vivons donc, avec cette doctrine de W. Bush,  des temps historiques similaires à ceux où le dogmatisme idéologique primaire  appuyé sur le populisme et la puissance militaire et économique déclenchait des processus de domination et de guerre incontrôlables et que l’humanité a payé et continue de payer chèrement…

Les stratégies de domination et de coercition des Etats et des nations n’ont jamais résolu de façon durable les problèmes des peuples. »

Alors que Sharon décime le peuple palestinien et qu’Israël renforce sa puissance militaire y compris nucléaire et de destruction de masse, alors que la pauvreté totale et les fléaux les plus dangereux s’élargissent et se répandent de manière accélérée dans les pays du tiers-monde, alors que le chômage et l’exclusion sociale frappent plus du cinquième des populations des pays développés, l’ONU, les institutions internationales qui comptent , les puissances occidentales dites démocratiques de même que nos pays arabes et les pays du tiers monde jadis si combatifs, sont tétanisés et sans volonté de réaction appropriée par la fougue des « faucons » US des temps de la globalisation. Un néo-impérialisme US, fondé , avant tout, sur une puissance de feu et une logistique militaire inégalables et visant le contrôle planétaire stratégique, géopolitique et économique, et non forcément l’occupation territoriale durable, prend forme et crée les conditions de son installation pour le long terme. Les USA, se sentant au sommet de leur suprématie , rêvent du modèle de l’empire romain aux couleurs étoilées pour les temps de la post-modernité. Le recours à l’histoire, même la plus éloignée, n’est valable, pour les éminences grises de l’actuelle administration US que s’il conforte leurs penchants dominateurs, que s’il justifie des sorties des impasses, économiques, sociales et culturelles provoquées par le système social dominant. On pousse l’insolence jusqu’à taire les expériences historiques ravageuses du colonialisme et de l’impérialisme du dix-neuvième et vingtième siècle. Pourtant de telles expériences résonnent encore fort, pour une part significative,  dans l’histoire et l’évolution actuelle des sociétés et des pays qui en ont été les champs dans tout ce qu’ils connaissent comme retards, comme aliénation, comme dislocation des repères  et dilution des identités. Les USA semblent oublier rapidement les leçons du Vietnam. Mais ce qui frappe l’observateur, ce sont les processus de formation et d’action de ce néo-impérialisme. Ces processus sont impulsés et  alimentés par des fondements théoriques élaborés par des élites intellectuelles en voie de recomposition se réclamant et au service d’un néo-conservatisme aux visées impériales et impérialistes. Ils sont surtout une œuvre soutenue, au niveau du temps et de l’espace , des multinationales gigantesques aux dimensions planétaires contrariées par la puissance de leurs élans , des possibilités incommensurables que  permettent les nouvelles technologies , l’accélération des recherches et des capacités de productivité accélérée d’une part et d’autre part par les résistances qu’opposent encore de façon différenciée les États-nations refusant de se soumettre complètement aux injonctions d’un marché national et international débridé  et restant encore sensibles aux nécessaires stabilités et équilibres des États et des nations, voire même à une certaine idée de la justice sociale. L’État-Nation, pour ce néo-impérialisme en marche, c’est comme Carthage pour les guerres puniques et l’empire romain.

 Depuis le 11 septembre 2001, l’attaque préventive, dans la confrontation binaire entre le bien et le mal, devient, quels qu’en soient les conséquences et les coûts, particulièrement humains, le pôle dominant de la nouvelle doctrine US.

La raison invoquée pour justifiée l’attaque contre l’Irak et son peuple soumis depuis plus de dix ans à un humiliant embargo , au rationnement ,à la malnutrition , à la faim et aux fléaux les plus divers, c’est la détention d’armes chimiques et bio-chimiques de destruction de masse de même qu’une propension à fabriquer des armes nucléaires. Il est vrai que la résolution du conseil de sécurité du 3 avril 1991 exigeait le désarmement de ce pays après la première guerre du Golfe pour engager précisait-elle « une démarche dont les objectifs sont de créer au Proche-Orient une zone exempte d’armes de destruction massive et de tous les missiles-vecteurs ». Jusqu’en 1998, les inspecteurs envoyés par l’ONU en Irak, ont supervisé , avec l’accord et le concours des autorités en place, la destruction du programme nucléaire, d’une partie substantielle des quantités existantes de missiles et d’armes chimiques.

Mais W.Bush a tracé, après le 11 septembre, les contours de l’axe du mal où l’Irak , en tant que zone stratégique de première ligne au Moyen-Orient et sur le plan énergétique, tient une place urgente pour les recompositions géopolitiques programmées. Ce n’est pas tant Saddam Hussein , dictateur avéré, réprimant férocement les forces démocratiques et progressistes, qui est le véritable problème. Les USA ont fait bon ménage avec de nombreux dictateurs ,en Amérique-Latine, en Asie ou en Afrique au cours du vingtième siècle.

 Parmi les multinationales dominantes, ce sont celles du complexe militaro-industriel et de la finance internationale spéculative qui exacerbent les tensions et les pressions actuelles et prônent l’hégémonie néo-impérialiste, face aux déconvenues qu’elles enregistrent sur les places boursières suite au décollage non encore réussi de la nouvelle économie, aux sérieuses crises et déroutes économiques comme en Argentine , au Brésil ou en Uruguay, aux faillites spectaculaires couvertes d’une corruption et d’une dépravation défiant l’entendement de locomotives comme Enron , Worldcom poussant l’économie US et l’économie mondiale dans des processus de récession aggravée.

Sébastien Mallaby, éditorialiste du Washington Post affirme dans un article du Foreign Affairs d’avril 2002 « que le désordre mondial actuel exige des États-Unis une politique impériale. Brossant un tableau apocalyptique des tiers-mondes où se combinent faillite des États, croissance démographique incontrôlée, violence endémique et désintégration sociale, il estime que le seul choix rationnel serait de revenir à l’impérialisme, c’est à dire à la mise sou tutelles directes des États du tiers-monde menaçant la sécurité de l’occident…,les options non impérialistes ayant démontré leur inefficacité. . .la logique du néo-impérialisme est trop forte pour que l’administration Bush puisse y résister. »

Le conseiller personnel de Tony Blair pour les affaires étrangères, Robert Cooper parle de « l’opportunité d’un nouvel impérialisme libéral » S’adressant à l’occident il dit : « Nous devons, entre nous, agir selon les lois et dans le cadre d’un système de sécurité ouvert et coopératif. Ailleurs, lorsqu’il s’agit d’États situés en dehors du continent pot-moderne européen, nous devons revenir aux méthodes plus dures d’une ère précédente : la force , l’attaque préventive, la ruse , bref tout ce qui est requis pour s’occuper de ceux qui vivent encore de la guerre de tous contre tous du XIXé siècle. » Il ajoute : » ce qu’il nous faut aujourd’hui, c’est une nouvelle forme d’impérialisme, acceptable du point de vue des droits humains et des valeurs cosmopolites, un impérialisme qui a pour but comme tout impérialisme d’apporter l’ordre et l’organisation. » « quand nous agissons dans la jungle, nous devons utiliser les lois de la jungle. » Pour Cooper la jungle c’est l’Afrique, l’Amérique Latine, l’Asie etc. Voilà qui est on ne peut plus clair. Ainsi la perte du sens pour le présent et l’avenir des sociétés et des individus, des États et des Nations , du sens qui fonde et galvanise la jeunesse et toutes les forces saines pour construire une société et une humanité de paix , de justice et de progrès, autorise tous les déraillements intellectuels et politiques possibles.

Le monde semble ainsi , sous nos yeux, comme frappé de folie. Il tourbillonne dans tous les sens, livrant à un marché capitaliste mondial débridé et chaotique et à un unilatéralisme de grande puissance, la maîtrise, directe ou indirecte, de règles et de mouvements de nature hautement complexe qui façonnent pourtant les évolutions sociétales et celle de l’humanité dans son ensemble. Notre planète est gravement touchée au niveau des ressorts qui doivent assurer ses stabilités naturelles et humaines. La bipolarité mondiale, basée sur une contradiction idéologique et sociale fondamentale , maintenue, au fil du temps,  par une adaptation continue de la théorie et de la pratique de l’équilibre de la terreur poussée aux limites extrêmes, a certes été dépassée avec la chute du mur de Berlin et l’effondrement de l’URSS et du système socialiste. Mais ce dépassement a ouvert les champs du monde et de l’humanité à des désordres multiples , globaux, régionaux, nationaux, ethniques, religieux.

Il y a,  comme une perte, subtilement organisée, des nécessaires visions et orientations à caractère stratégique et relevant des véritables valeurs humaines et sociales, qui sans être rigides ou dogmatiques, construisent , sur le long terme le développement équilibré  des sociétés , des Etats ,des nations et des relations internationales.

En observant l’évolution du monde au cours de la dernière décennie et plus spécialement depuis le début du troisième millénaire, on reste durement frappé par la profondeur et les orientations chaotiques des dynamiques de changements menaçant dans la durée l’humanité et  notre planète et partant  notre société et  notre pays. De telles dynamiques prennent en ampleur, en densité et en capacités de destruction de ce que l’histoire et les civilisations universelles ont patiemment construit dans le sens du progrès, de la rationalité et de la coexistence pour fortifier une stabilité, non statique mais dynamique, des sociétés et des peuples, fondée sur la liberté réelle et le respect des diversités ethniques et culturelles . De telles dynamiques revêtent , de plus en plus,  un caractère global et globalisant, mues par un système capitaliste dominant se servant d’une idéologie néo-libérale extrémiste, adaptée à ses visions des impératifs actuels et futurs d’une globalisation déterminée et orientée, d’abord et avant tout,  par ses intérêts exclusifs. Il importe de repérer de telles dynamiques, de les examiner au niveau des contenus qu’elles véhiculent et des formes qu’elles prennent. Il convient aussi de les rapporter sans cesse aux besoins réels de notre société, dans le présent et à l’avenir, à son développement équilibré et solidaire activé d’abord et avant tout par le développement créateur de ses propres capacités et l’action d’un génie national maintenu en éveil.

 

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