Le moteur de la relance

Publié le par Mahi Ahmed

 

Par Ammar Belhimer

Onze organisations syndicales mondiales(*), couvrant toutes les sensibilités et les branches d’activité, viennent d’interpeller les dirigeants du G 20 qui doivent se réunir à Séoul ces 11 et 12 novembre. Leur objectif : les inviter à donner la priorité à l’emploi.
En réalité, cette préoccupation n’est pas étrangère à ce cénacle des hommes qui dirigent notre monde. A Pittsburgh, en septembre 2009, ils s’étaient déjà engagés à «mettre l’emploi de qualité au cœur de la relance». Ce ne fut qu’un simple effet de style destiné à faire taire la colère de milliards d’êtres humains foudroyés par la crise, au moment où des aides colossales étaient apportées à des banquiers faillis, juste parce qu’ils gèrent eux-mêmes leur propre faillite. La contestation et les luttes sociales ne semblent pas avoir été à la mesure du drame et les plus démunis continuent de supporter le poids de la crise : «La crise économique qui a fait des ravages dans la vie et les moyens d'existence des personnes qui travaillent est loin d'être terminée. Elle est désormais une crise sociale. Ils sont actuellement plus de 220 millions de chômeurs dans le monde ; c’est le plus haut niveau jamais enregistré et une augmentation de plus de 31 millions par rapport à 2007. Un supplément de 100 millions de personnes — principalement dans les pays en développement — ont été poussés vers l'extrême pauvreté», disent les organisations syndicales. Par ailleurs, les inégalités entre les nations s’accentuent de façon dramatique et ce, en dépit du fait que le travail de plus en plus ingénieux de l’homme génère de plus en plus de ressources : la richesse globale produite sur terre s’est accrue de 72 % depuis 2000 pour atteindre 200 trillions de dollars aujourd’hui. La part du lion revient à l’Europe (32%) et aux Etats-Unis (31%), devant l’Asie pacifique (22%). 8% reviennent à la Chine, 4% à l’Amérique latine, 2% à l’Inde et un petit 1% à l’Afrique. Une bonne moitié de la population totale possède moins que 2% de la richesse globale, même si cette part tend à croître laborieusement. Au registre des contrastes sociaux, on estime par ailleurs que :
- les 10% les plus riches s’emparent de 83% des richesses ;
- et que le 1% le plus aisé accapare 43% de l’assiette globale.
L’abus est tel que les auteurs du rapport du Crédit suisse(**) qu’on ne peut soupçonner de bolchevisme aigu se mettent à espérer que la répartition de la richesse prenne du sens et serve la croissance des nations émergentes : «Nous apercevons déjà des signes que les choses bougent, avec la croissance très rapide de pays à faible niveau de richesse nationale. Plus durablement, nous attendons et espérons que cette répartition de la richesse soit, notamment pour la Chine et l’Inde, le catalyseur d’une telle tendance.» Les réaménagements sociaux attendus relèvent d’un tout autre chapitre que l’altruisme : une meilleure diffusion de la richesse est source de financement de la consommation future, de possibilités d’emplois, de relance de l’activité entrepreneuriale. En un mot, de tout ce qui contribue à l’élargissement de la sphère de reproduction élargie du capital. Contrairement aux promesses et satisfecit émanant des Etats ou des organisations intergouvernementales, pour les organisations syndicales la reprise mondiale reste «fragile et incertaine», alors que la peur des marchés financiers pousse de nombreux gouvernements du G20 à adopter des programmes d'austérité qui, s’ils venaient à être mis en œuvre dans toute leur rigueur, augmenteraient considérablement les risques d’un retour à la récession. Les syndicalistes associent ces programmes à des objectifs de dévastation des services publics et de réduction du niveau de vie : «Les gouvernements ne doivent pas admettre la perspective d'une décennie de stagnation des marchés du travail dans les pays industrialisés, l’enracinement de la pauvreté dans les pays en développement et une génération perdue de la jeunesse exclue de l'activité productive.» A la faveur de ces politiques, il s’opère un transfert, jugé insupportable, de la dette privée vers la dette publique : «Réduire les dépenses publiques, les salaires, les pensions et les programmes sociaux dus par ce transfert est moralement injuste et économiquement mal fondé. Il aura pour effet d’accroître les inégalités — un facteur-clé dans le déclenchement de la crise – et les risques de basculement de l'économie mondiale dans la récession avec des résultats catastrophiques.» Il est attendu des gouvernements un changement de cap à tous les stades : la priorité à la réduction du chômage sur le court terme et la poursuite d’un autre modèle de croissance et de développement équilibré et durable – qui assure une prospérité équitablement répartie et un travail décent — sur le moyen terme. Les groupements syndicaux estiment ces objectifs réalistes pour peu que les gouvernements œuvrent à réduire les déficits publics à travers «une croissance économique soutenue, forte et durable, plutôt que par des réductions de dépenses». Au cœur de ce dispositif, il est préconisé des politiques économiques qui taxent le capital davantage que le travail — depuis le milieu des années 1970, la répartition de la richesse produite entre le capital et le travail s’est considérablement modifiée au bénéfice du premier. A ce titre, les organisations syndicales citent «l’accélération des réformes financières pour la mise en place d’une fiscalité équitable, la taxation des opérations financières, la réduction de la spéculation financière et la répression des paradis fiscaux ». La réforme en cours du dispositif de Bâle, rendu public en septembre 2009, a déçu. Les dirigeants doivent s'engager au niveau mondial pour coordonner les mesures réglementaires visant à réformer le secteur financier dans un sens qui protège les particuliers et les entreprises de services bancaires d'investissement «volatiles et risqués», par la promotion des banques coopératives et des services financiers et d’assurance publics. Réalise-t-on l’ampleur des incidences de la crise financière sur une économie aussi déréglée et atypique que la nôtre si les charlatans locaux du néolibéralisme partisans d’une privatisation/bradage des banques publiques avaient atteint leurs objectifs il y a quelques années ? L’histoire économique de ce pays mérite d’être écrite. Aux yeux du mouvement syndical, un bon assainissement des finances publiques passe par des mesures néo-keynésiennes qui soutiennent la croissance et relancent la demande, de manière à accroître la production et l'emploi : «Sur le court terme (2011-2012), la priorité doit être de parvenir à une récupération plus rapide sur le PIB. Les politiques visant à augmenter la demande devraient se poursuivre jusqu'à ce que le chômage revienne à des niveaux d'avant la crise.» L’un des secrets des mises en cause actuelles des acquis sociaux vient de ce que les nouveaux maîtres du jeu économique n’ont plus de rapport direct avec la production matérielle des richesses, comme à la fin du XIXe siècle, lorsqu’une partie du patronat éclairé réalisait que des lois sociales contraignantes – régimes de retraite, limitation de la durée du travail, salaire minimum, formation permanente, assurance accidents – permettraient d’éviter la concurrence sauvage et contribueraient à établir la compétition entre producteurs dans un contexte qui atténuerait les tensions, domestiquerait la démocratie en la guérissant de ses tentations autoritaires, guérirait les maux coûteux de la misère, et assurerait un mode de développement humain qui serait le gage de la prospérité future.
A. B.
(*) http://www.ituc-csi.org/global- unions-statement-to-theg20. html
(**) Crédit suisse, Research Institute, Global Wealth Report, octobre 2010.

http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2010/11/09/article.php?sid=108482&cid=8

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