Élargissement des conflits sociaux : expression de la dynamique sociale ou échec du mode de gouvernance ?

Publié le par Mahi Ahmed

Élargissement des conflits sociaux : expression de la dynamique sociale ou échec du mode de gouvernance ?

Par : Mustapha Mekideche
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Face à la généralisation des conflits sociaux, il faut bien s’interroger sur les éléments déterminants et communs de leur genèse pour en tirer des enseignements quant à leur gestion. Il faut d’abord bien admettre que le point de départ de cette généralisation de la contestation sociale se situe en janvier 2011. Il a été initié, comme en octobre 1988, par cette tranche de la jeunesse (16 à 24 ans) qui est, soit au chômage, soit employée à 60% dans l’informel pour reprendre le chiffre du sociologue chercheur Musette.
Première remarque, ce large mouvement social multiforme, et je crois inédit, repose sur des revendications catégorielles légitimes dans la plupart des cas et formulées de façon précise et structurée. C’est le cas par exemple des mouvements initiés par les gardes communaux, les étudiants, les employés des chemins de fer, les paramédicaux, les internes des hôpitaux, les enseignants contractuels et les techniciens Sonatrach du gisement gazier de Hassi R’mel. La deuxième observation est que ces mouvements sociaux mettent en général à leur tête des cadres “syndicaux” de type nouveau, compétents et déterminés à l’instar de Meriem Maârouf, licenciée en philosophie, porte-parole et présidente du Conseil national des enseignants contractuels (CNEC), ou bien Ali Arhab, cadre en instrumentation sur les modules de gaz de Hassi R’mel. Troisième remarque :  beaucoup de ces conflits étaient latents depuis plusieurs mois ou plusieurs années ; les managements concernés avaient mis tout simplement la poussière sous le tapis et avaient voulu, ce faisant, gagner du temps. Les responsables gestionnaires ou administratifs, toujours en place, ont été rattrapés par les problèmes qu’ils n’avaient pas résolus en leur temps, les nouveaux, quant à eux, héritent d’une situation plus compliquée et plus aigue. Quant aux représentants de ces mouvements, légitimés par leur base, ils ont évidemment mis à profit la fenêtre de tir, que représentait la montée dans le pays de la contestation sociale et de la revendication démocratique de ces derniers mois, pour faire aboutir leurs différentes revendications catégorielles en suspens. C’est ce qui explique, par ailleurs, le nombre de plus en plus important des conflits sociaux qui ont éclaté ces dernières semaines. Il y a donc bel et bien un problème de gouvernance sociale. Le manque d’efficacité, pour ne pas dire l’échec de cette gouvernance sociale, est en fait beaucoup plus large. Il est illustré par le caractère formel et malheureusement inopérant des instruments de négociation et de dialogue social en vigueur : tripartite, pacte national économique et social, négociations de branches. Car pour le coup, ils n’ont apporté aucune valeur ajoutée dans le traitement de ces conflits sociaux généralisés ; ils ont encore moins anticipé ces conflits. Par conséquent, des enseignements devront en être tirés pour une mise à jour de ces instruments de concertation et de négociation sociales lors des prochains rendez-vous sociaux. De même que les nouveaux acteurs sociaux, légitimés par le mouvement social, qui ont fait irruption dans l’espace socioprofessionnel, y compris les syndicats autonomes, devront être parties prenantes dans la nouvelle architecture du dialogue social.
Mais, en économie, les miracles n’existent pas. Aussi, une fois stabilisé le front social, c’est-à-dire une fois rattrapés ces grands déficits socioprofessionnels cumulés depuis des décennies (salaires, conditions de travail et statuts), il faudra bien songer à mettre en place un véritable contrat social équilibré entre les employeurs publics et privés et les salariés. En effet, ces nouvelles charges financières, induites par la satisfaction des revendications sociales, seront supportées, selon les cas, par le budget de l’État ou la trésorerie des entreprises. Si des gains de productivité et l’amélioration de la qualité et de l’efficacité des services publics ne suivent pas, l’inflation augmentera inexorablement, pénalisant en retour les segments les plus fragiles de la société. C’est bien les termes du contrat à négocier dans la transparence, branche par branche, service public par service par public, administration par administration, en prenant à témoin l’opinion publique. Ces contrats sociaux, pièces annexes d’un véritable pacte économique et social de croissance, seront dans les faits des contrats de performance. C’est cela qui peut constituer le socle d’un consensus social retrouvé. En conclusion, et pour boucler la boucle, cela suppose pour ce faire la légitimité démocratique de l’ensemble des partenaires. Légitimité sociale pour les représentations syndicales et patronales et légitimité politique pour la représentation publique. Cela est possible. Il suffit que chacun y mette du sien. De toute manière, il n’y a pas d’autres solutions durables car la rente pétrolière n’est pas éternelle. La société s’est déjà mise en mouvement ; la classe politique devra suivre. Il faudra faire vite.

M. M.

http://www.liberte-algerie.com/edit.php?id=153828

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