LES ÉLITES DES MUTATIONS LIBÉRALES ALGERIENNES

Publié le par Mahi Ahmed

LES ÉLITES DES MUTATIONS LIBÉRALES ALGERIENNES

vendredi, 28 avril 2017 / raina

1. Le cahier des charges des « institutions internationales »

Les réformes ont constitué la colonne vertébrale d’un reprofilage graduel mais intensif du rôle des élites de l’économie

A partir de la fin des années 80, en Algérie comme ailleurs, ainsi que le relève pertinemment le professeur Rolande Borrelly, il n’était plus possible d’énoncer une autre vérité que celle des « bienfaits » des réformes pour la libéralisation : bienfait de la concurrence des produits importés (stimulant des entreprises locales), bienfait des investissements étrangers (support du transfert de technologie, modèle d’organisation à imiter, occasion d’engager des partenariats dynamiques), bienfait des privatisations (libérant les initiatives et rationalisant la gestion des entreprises publiques, mastodontes paresseux et rentiers), etc. C’est le Consensus de Washington qui constitue le bréviaire des politiques économiques

L’ancien ticket du développement n’a plus cours. Le développement devient « le fruit promis d’une croissance spontanée transmise par le marché mondial et une spécialisation fondée sur les avantages comparatifs ». La question de l’attractivité du cadre institutionnel en constitue la variable-clé. Elle se nourrit à un axiome unique : seuls l’IDE, « incontournable », et la privatisation, « facteur de croissance », vont permettre de dynamiser l’ensemble du tissu économique algérien. La mondialisation devient une chance à saisir, une« fenêtre d’opportunité » à ne pas rater. Il ne s’agit plus de construire une structure industrielle autonome mais plutôt de s’insérer au mieux dans la restructuration mondiale des activités industrielles. Ceci, par ailleurs, ne devant pas être compris comme une invitation indirecte à débattre de l’intérêt de cette insertion et encore moins de son bien fondé. Seul le modus operandi devrait mobiliser notre attention.

Quant à l’Etat, il doit ajuster ses mécanismes avec « les contraintes et opportunités qui naissent de son insertion internationale

L’Etat reçoit des rapports des fameuses« institutions internationales », Banque mondiale, FMI, OMC, Union Européenne, etc. qui lui enjoignent de mettre en ordre la politique nationale, à cette fin. Ces rapports sont, quant au fond, autant de commandes pour s’ajuster aux intérêts et aux pressions économiques et politiques, travestis en questions et en impératifs techniques et de rationalité, des Etats occidentaux.

 

LES ELITES DES MUTATIONS LIBERALES ALGERIENNES

2. Les thèmes de bataille du discours des élites libérales

Dotées du statut social et de l’autorité politique de conseillers du prince de rang à la fois local et mondial, des élites nationales mondialisées ou aspirant à le devenir, sont chargées de produire l’idéologie de circonstance, en l’occurrence le « There is no alternative », qui accompagne le redimensionnement de la souveraineté de l’Etat national à la mondialisation« incontournable. Les élites converties puisent volontiers dans le lexique forgé par la mondialisation au nom de l’universalité des règles de « la science économique » Le pouvoir terminologique, qui affirme et met en exergue la sphère de nos intérêts nationaux, s’estompe devant la puissance du verbe globalisé qui nous dessine jusqu’aux contours du camp de nos amis et de nos alliés en nous désignant les lignes de nos ennemis. Communauté internationale, climat des affaires, gouvernance, économie de marché, réformes structurelles, Etat providence, souverainisme, société civile, droits de l’homme, devoir d’ingérence, gagnant- gagnant, paix sociale, employabilité, etc, etc, sans oublier la sempiternelle tarte à la crème de l’économie rentière et de l’Etat rentier, ces mots de l’errance indigène dans la mondialisation « impérative » ont déclassé indépendance nationale, souveraineté nationale, développement national, système productif national, justice sociale qui balisent la terre ferme de notre individualité historique nationale, mais qui sont, à présent, dénigrés pour cause, dit-on, de péremption

— La symptomatologie

— Une symptomatologie exacerbée qui s’attache à dresser l’inventaire systématique et disqualifiant des "maux" de la politique, de l’économie, de la société, symptomatologie qui s’assimile à une interminable recension d’échecs, de blocages, de ratés, d’impasses et de crises dont les racines socioéconomiques et politiques sont occultées et qui renvoie finalement à une sorte de malédiction dont on attend impatiemment la délivrance. Par qui ? Pour aller où ?

Cette symptomatologie a pour but de participer à la formation d’une perception de la réalité socio-économique et politique sur le mode de la catastrophe imminente et ses dilemmes cornéliens : « Statuquo ou changement réel », « Réformes ou suicide collectif » et ses qualificatifs de prédilection : « inéluctable, incontournable, impératif, lancinant, urgent », etc. Il s’agit de produire un sentiment de l’urgence et de la fatalité des « réformes structurelles » mais pour imposer, comme conclusion logique, des grilles de lecture de la réalité, de ses pathologies et des thérapies à soumettre, conformes à la doxa des « institutions internationales ». Exemple il devient « impératif » de : « créer des Fonds souverains, « intégrer l’OMC, « instaurer la convertibilité du dinar », « adopter des règles conformes à celles en vigueur à l’échelle internationale », « supprimer les subventions » etc., etc.

— Le benchmark

L’idée normative est opposée à la réalité contingente de l’Algérie. Les élites s’appliquent à mettre en évidence l’écart qui sépare la réalité politique et socio-économique du pays de ce modèle abstrait d’ordre sociopolitique conforme aux « concepts et aux notions les mieux établis en sciences économiques et en économie politique » idéaltype posé comme la norme à atteindre

Les contingences sociales et historiques sont évacuées. Tout est en failles et en attentes, c’est-à-dire dans l’attente de ce qui devrait être. Les classements des « institutions internationales » notamment du « doing business » sont érigés en références absolues. Il s’agit d’importer les success stories et les logiciels qui ont réussi dans d’autres contextes, exemple, la Corée du Sud. Un rapport du FEMISE n’hésitait pas à conclure en septembre 2001 qu’ « ’il restait à l’Algérie, sur la voie de la libéralisation économique, 30% du chemin nécessaire pour approcher la situation de l’Union Européenne ». (Rapport du Forum Euro-Méditerranéen des Instituts de Sciences Economiques, séminaire des experts gouvernementaux sur la transition économique, 27-27 septembre 2001.)

Ainsi, forgée en référence aux représentations normatives, juridiques et morales des démocraties libérales occidentales, la grille de lecture de la réalité ne peut, par la suite, que produire le constat d’un pays en constant décalage, pointant les écarts négatifs comme autant de preuves cumulées de l’échec. En un mot, l’image du gâchis. Toute la perspective historique de l’Algérie se résume alors à réunir les conditions de sortie de cette « impasse » et celles du passage à ce « modèle universel », panacée de tous les maux présumés ou réels de l’Etat national algérien.

L’occultation de la réalité contemporaine du capitalisme mondial et de sa crise actuelle

Une vision idyllique de l’économie mondiale : le mythe du gagnant-gagnant

Impulsé par ces élites, le « débat » économique national est dédié pratiquement sans réserve à la cause de l’insertion internationale de l’économie algérienne et son corollaire fatal, l’obligation « impérieuse » d’adaptation des institutions, des structures, des mécanismes, des ressources humaines et bien entendu, des choix nationaux. Dans cette vision idyllique de l’économie mondiale guidée par des « règles universelles », les échanges seraient, pour l’essentiel, affaire d’avantages comparatifs, de croissance et de développement, le dollar est un « signe impartial et international des échanges » ; ONU, FMI, Banque mondiale, GATT, OMC, etc. sont des institutions internationales de régulation créées « pour éviter que les conflits ne dérapent », etc. Bref, tout l’enjeu se situe dans la capacité à améliorer sa productivité, à développer de nouvelles richesses.

Un monde au bord de l’apocalypse, une crise de nature systémique et de proportion globale aux retombées domestiques sous estimées

L’ampleur déstabilisatrice des recompositions sociales et politiques et de la reconfiguration du rôle de l’Etat qui accompagnent cette insertion est occultée

Depuis bientôt 8 années, le monde assiste, apparemment impuissant, aux métamorphoses brusques, violentes et imprévisibles de la crise qui a frappé, en 2007-2008, le système financier des Etats-Unis, clé de voute de l’ordre capitaliste mondial, le fracturant de l’intérieur même de son intime mécanisme. Cette crise qui a d’abord évolué en crise de dimension économique et sociale, puis en crise politique, dégénère, à présent, le verbe n’est pas fort, en crise géopolitique. Une crise de nature systémique et de proportion globale sans issue visible qui fait rappeler aux analystes qu’il a fallu au système capitaliste, 15 ans et une guerre mondiale pour sortir de celle de 1929. L’horizon de profit s’est raccourci de manière drastique, n’offrant plus que la spéculation financière et boursière et les guerres comme débouché rentable au capital. Les profits se trouvent moins dans l’investissement que dans la spéculation. La vieille question de l’incitation à investir, elle, se heurte au mur de la tendance mondiale à la stagnation.C’est l’immédiat qui tient lieu et place d’avenir.

Dans la très grande reconfiguration géopolitique guerrière et chaotique en cours-qui résulte de la stratégie US de désintégration programmée de tout le système de relations internationales, politiques, économiques et juridiques- il est une construction qui est tout particulièrement menacée, c’est l’État-national et singulièrement l’Etat périphérique. En reprenant la métaphore d’un ancien ministre au fait des réalités de l’ordre du monde, on peut dire que le bateau Algérie vogue sur un océan mondial en furie, situation d’autant lourde de périls que la richesse économique du pays le fait précisément dépendre du marché international le plus ultra-conflictuel, celui de l’énergie.

Le lexique des « institutions internationales

L’argumentaire des élites libérales s’est construit autour des principaux thèmes de bataille des institutions financières internationales (Banque mondiale, FMI), mais aussi des institutions de l’Union Européenne.

- La thématique rentière

En Algérie, la problématique du « système rentier » constitue la clé de voute de, pratiquement, toutes les élaborations traitant des réformes du régime socio-économique et politique algérienne. Les facteurs explicatifs de tous les dysfonctionnements qui affectent le « système », renvoient systématiquement et invariablement à cette catégorie. Depuis la fin des années 1980 et dans le sillage des programmes de libéralisation de la Banque mondiale et du FMI, elle est devenue le pivot central des entreprises de déconstruction et de disqualification de la politique de développement national suivie, dans le passé. Ainsi, rapports économiques, rapports politiques, rapports sociaux, tout gravite autour de la « rente pétrolière ».

- Le thème des dépenses publiques « excessives » au service d’une cause, sous-entendue politicienne et donc douteuse : l’achat de la « paix sociale ».

- Le thème du secteur public « inefficace » par définition, « gouffre financier » et ses très nombreuses déclinaisons

— Le thème de la « crise du système »

Abdeltif Rebah

 

 

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