La campagne burlesque du « consommons algérien »

Publié le par Mahi Ahmed

La campagne burlesque du « consommons algérien »

3.05.2015

Par Mohamed Bouhamidi

Le 26 avril le gouvernement a lancé une grande campagne consommons algérien. Mêmes causes, mêmes effets, en 1986-87, en pleine crise financière et en pleine pénurie de toutes sortes, le ministre des Industries légères, avait lancé une campagne similaire.

Il avait fait installer en hâte d’immenses panneaux, sur les immeubles d’Alger, de publicité avec les logos des entreprises publiques algériennes, alors que les petits commerces comme les grandes surfaces restaient vides.

Les émeutes d’octobre 1988 sont passées par-là, suivies par dix ans de violence terroriste et par l’accord de 1994 avec le FMI puis l’accord d’association avec l’Union Européenne signé en 2005. Ces panneaux ont disparu et cette campagne peut paraître moins grotesque mais les différences entre les deux époques sont criardes.

Le premier constat est le transfert massif de la richesse nationale cumulée dans le secteur d’Etat ou générée par les revenus pétroliers vers le privé. L’argent du pétrole qui servait aux entreprises publiques de commerce extérieur à importer les produits de consommation courante ou d’intrants industriels, est totalement transféré à des monopoles privés.

Des fortunes colossales se sont ainsi constituées à partir de réseaux liés à des centres du pouvoir ou carrément créés par eux. Dans le secteur de la culture, le phénomène est encore plus frappant. La loi interdit de nommer des responsables dont les époux, épouses, ascendants, descendants ou collatéraux ont des intérêts ou des entreprises liés à leurs activités de responsables.

En Europe le scandale serait immédiat. Pourtant le gouvernement a systématiquement désigné à la tête des grandes manifestations culturelles institutionnalisées une poignée de patrons d’entreprises qui canalisent vers leurs boîtes toutes les commandes annexes et connexes de ces manifestations, salons ou festivals du livre, du cinéma, du théâtre, de la musique etc… en créant au besoin des rapports croisés entre eux pour maximiser la prébende.

Et comme les manifestations majeures sont connectées à des manifestations organisées à l’étranger, forcément en France à cause de la langue, chacun peut imaginer, où se situe, au pays ou à l’étranger, le centre de gravité de ces réseaux croisés d’importateurs, d’éditeurs, de boites de communications et de prestataires de services.

Cette politique mise en œuvre depuis une décennie va évidemment s’aggraver avec la nomination de responsables, eux-mêmes membres d’ONG transnationales, qui préconisent « moins d’Etat » et plus de société civile dans sa gestion, moins d’obligations envers les besoins culturels de la nation et la société et plus de mercantilisme dans la culture avec leurs encouragements aux « initiatives privées », moins d’ancrage national et encore plus de déterritorialisation de la culture avec l’appel à une intervention des ONG dans la formation en lieu et place de nos instituts.

La loi du livre, écrite à cette époque d’interpénétration et de mélange entre responsabilités publiques et intérêts privés, que le parlement va voter, ouvrira toutes grandes à l’installation des chaînes étrangères de librairies sous pilotage français et sous camouflage quelques noms algériens.

Le secteur de la culture n’est que la loupe grossissante de tout ce qui passe avec mais avec infiniment plus de sophistications déployées à ciel ouvert.

Sur le fond, cette campagne pour consommer algérien peut-elle apporter le moindre correctif patriotique, si dans les arcanes de l’État, les décisions restent inspirées et imposées par les acteurs dont les intérêts fondamentaux commandent encore plus de prébendes et donc encore moins de nation et encore plus de mondialisation. Entre les appétits voraces et les bons sentiments, le vainqueur est connu d’avance.

M.B.

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