Republication contribution:L’AGRESSION ISRAELIENNE BARBARE CONTRE LE LIBAN

Publié le par Mahi Ahmed

~~L’AGRESSION ISRAELIENNE BARBARE CONTRE LE LIBAN Mobiles géostratégiques et enseignements pour nous

26 août 2006

L’arrogance « fascisante » de la force militaire est devenue une constante de la politique d’Israël. Il est pénible de devoir utiliser l’adjectif de fasciste s’agissant d’un Etat qui prétend représenter une communauté qui a subi, en tant que telle, les pires affres du fascisme hitlérien. Mais la réalité de la cruauté des faits de cette nouvelle guerre du Liban secoue et aiguise nos consciences éprouvées De quelques causes Le caractère et les dimensions qu’elle a pris, surtout au Liban mais aussi en Israël, interpellent nos responsabilités de citoyens sortis à peine des ténèbres épaisses du colonialisme. Elle aiguise en nous l’impératif de l’effort pour une intelligibilité profonde et objective des dangereux processus historiques dont nous sommes des témoins jusque-là inactifs et impuissants, alors que nous en sommes directement ou indirectement les enjeux. Certes notre cœur saigne de voir en direct la mort de dizaines d’enfants innocents, des massacres et des destructions à grande échelle comme à Kanaâ, à Beyrouth, à Tyr ou à Ghaza, des centaines de milliers de personnes déplacées ou contraintes de trouver refuge à l’étranger, des ambulances et des convois humanitaires ciblés aveuglement par des F16 ou des Drones enragés, des infrastructures comme les ponts, les autoroutes, les centrales électriques, les immeubles d’habitations... détruites, un pays transformé en ruines. Nous devons cependant manifester, avec la vigueur qui s’impose, notre colère contre l’agresseur et ses puissants soutiens et notre solidarité productive avec les victimes, avec le peuple et l’Etat libanais, avec le peuple et l’Autorité palestiniens, en développant toutes les solidarités. Nous devons chercher à comprendre les causes réelles et profondes, les mobiles de cette crise majeure dans cette partie du Moyen-Orient. Nous devons essayer d’évaluer objectivement son contenu géopolitique, sa portée stratégique, ses multiples effets et surtout tirer les enseignements qu’elle dégage aussi bien sur le plan mondial qu’au niveau de notre pays. L’adoption par le conseil de sécurité de la résolution 1701 demandant le cessez-le-feu et traçant les contours, le plus souvent, partiaux et unilatéraux, de stabilisation du Liban et de sécurisation des frontières israélo-libanaises, souligne encore plus cette nécessité. Une crise majeure comme celle-ci ne peut procéder de la génération spontanée. Elle ne peut être que le fruit d’une conjugaison de causes immédiates qui la déclenchent et de causes profondes qui l’expliquent et la rendent intelligible. On ne peut l’isoler du contexte qui marque les évolutions nationales, régionales et internationales. On ne peut donc pas aussi la dissocier des pondérations géostratégiques qui reviennent à chacune des parties, directement impliquées dans le conflit qui l’a initiée et qui l’alimente. Israël ne peut avoir décidé unilatéralement, le 12 juillet dernier, après l’action du Hezbollah, de s’engager dans une guerre de cette nature contre le Liban sans consultation avec son puissant allié, les USA et sans information appropriée de certains pays dont les intérêts sont évidents dans cette région. Israël, les USA et certaines puissances mondiales comme la Grande-Bretagne ou l’Allemagne répètent sans vergogne, et comme pour tromper le monde sur leurs véritables mobiles, que l’intervention de Tsahal au Liban est une action justifiée par l’agression initiée par le Hezbollah. Il demeure que l’acte du Hezbollah, acte de résistance, est une réalité, plusieurs fois reproduite, qui s’inscrit dans la nature de la situation tendue entretenue par Israël depuis 1967 et plus particulièrement depuis 1982 au Liban. Mais dépoussiérons la chronologie des faits pour examiner cette assertion soulignée d’Israël et des puissances occidentales et repérons certaines des causes qui ont pu déterminer les dirigeants israéliens à se lancer dans cette aventure barbare. Nous pouvons examiner d’abord les causes suivantes : 1) la capture de deux soldats de Tsahal au Liban-Sud par les milices du Hezbollah Tanya Reinhart, professeur émérite de l’université de Tel-Aviv et ancienne journaliste de Yediot Ahranot, écrit dans un article publié le 28 juillet 2006 portant le titre révélateur Le nouveau Moyen-Orient d’Israël ce qui suit : « Le 12 juillet 2006, un groupe armé du Hezbollah a attaqué deux jeeps de l’armée israélienne qui patrouillaient le long de la frontière avec le Liban. Trois soldats israéliens ont été tués et deux autres ont été faits prisonniers. Lors d’une conférence de presse tenue quelques heures après l’attaque à Beyrouth, le chef du Hezbollah, le cheikh Hassan Nasrallah a déclaré que le but de l’action était de réaliser un échange de prisonniers : la libération des deux soldats capturés contre celle de trois prisonniers libanais qu’Israël avait refusée lors d’un précédent échange de prisonniers (réalisé avec le concours de l’Allemagne). Nasrallah déclara qu’il n’avait pas l’intention de pousser la région dans la guerre. » Il ajouta : « Si Israël choisit de nous affronter, il doit s’attendre à des surprises. » La professeur Tanya Reinhart commente : « Israël n’a consacré aucun instant à l’action diplomatique, ni à des négociations ou à un examen à tête froide de la situation ainsi créée. » Elle ajoute : « Lors d’une réunion tenue le même jour, le gouvernement israélien donna l’ordre à ses forces armées d’engager une offensive massive contre le Liban. Le gouvernement libanais a été tenu responsable des actes du Hezbollah. » Le Premier ministre israélien Olmert a fait ce jour-là la déclaration suivante : « L’évènement de ce matin n’est pas une action terroriste mais un acte d’un Etat souverain qui a attaqué Israël sans raison et sans provocation… Le gouvernement libanais, dont fait partie le Hezbollah, s’emploie à déstabiliser la région. Le Liban est responsable et le Liban subira les conséquences de ses actes. » A 21h50 du même jour, le journal Haaretz on line annonce qu’Israël a bombardé des ponts au centre du Liban et attaqué des positions du Hezbollah au Liban-Sud. Ce n’est qu’à la suite de ces attaques, qui ont fait de nombreuses victimes, que le Hezbollah a lancé ses katiouchas sur le nord d’Israël. L’engrenage d’une guerre impitoyable était ainsi déclenché . Ces faits sont donnés par une intellectuelle israélienne, spécialiste en linguistique et en analyse des médias, qui connaît la situation de son pays de l’intérieur même, qui a analysé l’histoire de ces presque six décennies d’existence de l’Etat d’Israël et du conflit israélo-palestinien et arabe et qui, en 2002, a publié un livre, réédité en 2005, portant le titre. Comment terminer la guerre de 1948 ? La capture de deux soldats israéliens ne peut justifier, à elle seule, cette guerre, comme nous venons de le montrer. Auparavant et depuis le retrait forcé (à cause de l’héroïque résistance libanaise et notamment du Hezbollah) d’Israël du Liban en 2000, il y a eu de nombreux incidents de frontière provoqués par l’une ou l’autre des deux parties, il y a eu au moins trois processus d’échange de prisonniers et le recours à un affrontement plus large a été évité. La crise ouverte cette fois-ci par Israël, avec une extrême rapidité et une puissance de feu exigeant une logistique lourde, ne pouvait qu’obéir à des plans stratégiques soigneusement élaborés et concertés. Un officiel israélien a affirmé au journal Le Washington Post, dans son édition du 16 juillet 2006 que « l’action du Hezbollah a offert une occasion unique qui a conjugué des intérêts communs (lesquels ?) ». Cependant, un examen objectif du contexte historique, qui prévalait dans la région et dans le monde au moment de l’intervention israélienne au Liban, nous indique d’autres causes immédiates qui se sont conjuguées à la précédente et ont concouru à hâter la décision israélo-américaine de faire éclater, avec cette intensité, cette nouvelle crise dans la région. 2) la capture d’un soldat israélien par un groupe armé du Hamas dans la bande de Ghaza Le 2 juillet dernier, le soldat israélien Shavit est enlevé à Ghaza par un groupe armé du Hamas. Cet enlèvement est intervenu à un moment particulier de l’évolution de la situation dans les territoires occupés palestiniens. Des élections présidentielles, communales et parlementaires, reconnues par tous les observateurs mobilisés et par la communauté internationale comme démocratiques, venaient d’avoir lieu. Elles ont dégagé des représentations pluralistes et contribué à développer la culture démocratique entre les différents courants politiques et sociaux du peuple palestinien en lutte encore pour sa libération du joug colonial. Ces élections intervenaient après la mort du président Arafat et dans le cours des efforts déployés pour la mise en œuvre de la prétendue feuille de route, dont la finalité devait être l’émergence d’un Etat palestinien à côté d’Israël et que les Palestiniens avaient acceptée malgré ses insuffisances et les manœuvres qu’elle laissait prévoir. Ces élections devaient légitimer la représentativité des dirigeants palestiniens et les accréditer comme « interlocuteurs valables » pour reprendre une terminologie que nous ne connaissons que trop. Ces élections ont souligné la représentativité du Hamas qui a enlevé de nombreuses municipalités à Ghaza et en Cisjordanie et qui s’est assuré la majorité absolue au Parlement palestinien. Ces résultats électoraux autorisaient le Hamas à désigner un Premier ministre de ses rangs et à former le gouvernement. C’est ce qui fut fait dans le cadre du respect de la Constitution qui régit l’Autorité palestinienne et dans le cadre de processus de concertations présidentiels et parlementaires normaux, c’est-à-dire légaux. Ce processus démocratique n’était du goût ni des dirigeants israéliens ni de celui des USA ou de certaines puissances occidentales comme la Grande-Bretagne ou l’Allemagne. Car pour eux, le Hamas était une organisation cataloguée de terroriste, figée pour toujours dans cette position. Le Hamas et son gouvernement devaient être jugés sur leurs actes par le peuple palestinien mais aussi par la communauté internationale. Mais avant même que le nouveau gouvernement ne se mette au travail et ne définisse ses positions de pratique politique, il a été soumis à une intenable pression coercitive, politique, financière de la part d’Israël, des USA et de la communauté européenne. D’abord Israël, les USA et l’Union européenne ont exprimé un refus catégorique de reconnaître le gouvernement palestinien issu d’élections démocratiques supervisées par des observateurs internationaux. Puis, l’aide financière qui était allouée par l’Union européenne ou d’autres institutions internationales a été suspendue, mettant la présidence et le gouvernement palestiniens dans l’impossibilité de payer les fonctionnaires de l’Autorité palestinienne, notamment des secteurs en charge de l’administration, de la police et de la sécurité, de la santé publique ou de l’enseignement... et ce, depuis des mois. En outre, l’armée israélienne a renforcé ses attaques indistinctes et ravageuses, sous prétexte de lutte contre le terrorisme, contre les structures du Hamas et d’autres organisations palestiniennes créant un climat oppressif extrême, torpillant par les assassinats ciblés ou l’arrestation de dirigeants des organisations palestiniennes par des tentatives criantes de division des rangs palestiniens, tout effort de recherche de consensus palestinien pour trouver des voies de sorties des impasses imposées par le tandem israélo-américain et de retrouver unis le chemin des négociations et peut-être d’une paix définitive. Ce sont les impasses dressées par Israël et ses alliés stratégiques qui ont provoqué l’action de résistance qui a débouché sur la capture du soldat Shavit. Car, jusqu’à nouvel ordre et avant que le problème palestinien ne trouve sa juste solution, peut-on penser un seul instant que les organisations palestiniennes, dans la diversité de leurs positions politiques, puissent cesser d’être des organisations de résistance et de libération nationale ? Le Hamas et la nouvelle situation créée sur le plan des rapports de forces politiques en Palestine occupée ont constitué de nouveaux facteurs de tensions non maîtrisées par Israël et susceptibles de mettre en échec les plans échafaudés par Sharon des prétendus « retraits unilatéraux de certains territoires » pour imposer la paix aux Palestiniens. Cela peut expliquer la troisième cause immédiate : 3) La crise intérieure israélienne Ariel Sharon a été le concepteur et l’exécuteur de la terrible agression contre les peuples palestinien et libanais de 1982. Celle-ci, faut-il le rappeler, avait produit l’horreur des massacres de masse de Sabra et Chatila. Elle avait poussé le peuple libanais dans une guerre civile atroce qui a duré quinze ans. Ariel Sharon, en pur faucon sioniste, ne s’était pas lassé de torpiller les différentes initiatives et les différents processus palestino-israéliens qui ont été engagés à la suite de la conférence de Madrid et des résultats du processus dit d’Oslo pour déboucher sur un probable règlement du problème palestinien. Par sa provocation de l’esplanade de la mosquée d’El Aqsa, il a déclenché la deuxième Intifadha et favorisé le développement, en dehors de l’OLP, de certaines organisations de résistance à caractère religieux comme le Hamas. Ariel Sharon, qui s’est considéré en osmose idéologique et stratégique avec les néo-conservateurs américains arrivés au pouvoir avec l’élection de G.W. Bush, n’a eu de cesse que : a) de laminer le mouvement israélien pour la paix déjà affaibli après l’assassinat d’Itzhak Rabin et la base sociale du parti travailliste notamment ; b) de restructurer le paysage politique israélien et le rapport de forces y prévalant pour imposer étape par étape sa solution aux Palestiniens et au monde ; c) de détruire le président Arafat ainsi que les capacités d’action de l’Autorité palestinienne au moyen de l’humiliation, d’une féroce répression et de l’isolement international avec l’aide de ses alliés US. Le coma profond d’Ariel Sharon a provoqué la disparition de ce dernier de la scène politique israélienne et créé une situation nouvelle en Israël. La scission du Likoud initiée par Sharon et la création du parti Kadima a engagé un processus d’une modification sensible du paysage politique israélien. Les dernières élections parlementaires anticipées laissent percevoir un affaiblissement simultané du Likoud et du parti travailliste au profit de Kadima, le parti de Sharon. Celui-ci, désormais dirigé par Ehud Olmert, se voit chargé de la mise en œuvre des plans de Sharon et s’emploie à créer le mouvement politique et social susceptible de les porter. La crise intérieure israélienne Ariel Sharon a été le concepteur et l’exécuteur de la terrible agression contre les peuples palestiniens et libanais de 1982. Celle-ci, faut-il le rappeler, avait produit l’horreur des massacres de masse de Sabra et Chatila. Elle avait poussé le peuple libanais dans une guerre civile atroce qui a duré quinze ans. Ariel Sharon, en pur faucon sioniste, ne s’était pas lassé de torpiller les différentes initiatives et les différents processus palestino-israéliens qui ont été engagés à la suite de la conférence de Madrid et des résultats du processus dit d’Oslo pour déboucher sur un probable règlement du problème palestinien. Par sa provocation de l’esplanade de la mosquée d’El-Aqsa, il a déclenché la deuxième Intifada et favorisé le développement, en dehors de l’OLP, de certaines organisations de résistance à caractère religieux comme le Hamas. Ariel Sharon, qui s’est considéré en osmose idéologique et stratégique avec les néo-conservateurs américains arrivés au pouvoir avec l’élection de G. Bush, n’a eu de cesse que: a) de laminer le mouvement israélien pour la paix, déjà affaibli après l’assassinat d’Yitzhak Rabin et la base sociale du parti travailliste notamment, b) de restructurer le paysage politique israélien et le rapport de force y prévalant pour imposer étape par étape sa solution aux Palestiniens et au monde, c) de détruire le Président Arafat ainsi que les capacités d’action de l’Autorité palestinienne au moyen de l’humiliation, d’une féroce répression et de l’isolement international avec l’aide de ses alliés US. Le coma profond d’Ariel Sharon a provoqué la disparition de ce dernier de la scène politique israélienne et créé une situation nouvelle en Israël. La scission du Likoud initiée par Sharon et la création du parti Kadima a engagé un processus d’une modification sensible du paysage politique israélien. Les dernières élections parlementaires anticipées laissent percevoir un affaiblissement simultané du Likoud et du parti travailliste au profit de Kadima, le parti de Sharon. Celui-ci, désormais dirigé par Ehud Olmert, se voit chargé de la mise en oeuvre des plans de Sharon et s’emploie à créer le mouvement politique et social susceptible de les porter. Cependant, les plans de Sharon ne sont pas parvenus à bout de la résistance palestinienne ni à la diviser. La construction du mur de Jérusalem, le retrait unilatéral et musclé de la bande de Ghaza, le torpillage continu de la feuille de route et l’isolement territorial et l’humiliation de l’Autorité palestinienne, loin de faire poindre des signes de leur efficacité et renforcer la reconnaissance et la sécurité d’Israël, ont, au contraire, développé la tension dans la région et l’isolement international des dirigeants israéliens. Ehud Olmert, Amir Peretz (le nouveau ministre de la Défense et chef du parti travailliste, qui a vendu son âme de syndicaliste représentant des travailleurs), Tzipi Livni (ministre des Affaires étrangères) sont de nouveaux venus dans l’élite dirigeante israélienne. Ils bousculent la tradition cultivée, depuis la création de l’Etat hébreu, d’attribuer les premières responsabilités au niveau de la Présidence de l’Etat et du gouvernement à des personnalités activant ou issues de Tsahal. Ce qui crée une situation nouvelle modifiant, en principe, la position de l’armée dans le rapport de force national. Et lui assignant un nouveau rôle devant encore être défini et mis en oeuvre. Ainsi, la politique de Sharon et son héritage prématuré ont déclenché un mouvement de repositionnement politique et stratégique et de restructuration des rapports de force qui est en cours, qui est loin de montrer toute sa cohérence et qui développe des tensions multiples au niveau du Likoud de Netanyahu, du courant social démocrate et de la société civile en général. Refonder l’unité nationale israélienne sur la base de la pensée et des plans stratégiques dessinés par Sharon et Shimon Perez (qui a été rappelé par ses convictions sionistes et à qui on devrait retirer le prix Nobel de la paix), nécessitait pour ces nouveaux venus au pouvoir l’ouverture d’une crise comme celle initiée par l’agression contre le Liban pour consolider encore plus leur légitimation. La crise intérieure israélienne prend encore plus de relief si on la rattache aux échecs cuisants de la mise en oeuvre de la doctrine de G.Bush et aux évolutions régionales en cours. Un contexte régional détérioré et de plus en plus instable Dans une contribution portant le titre «La doctrine de W. Bush: une stratégie de domination et de coercition globalisée... publiée dans le Quotidien d’Oran du 25 avril 2002, nous avions écrit: «Cette doctrine, si on l’examine à partir des analyses existantes ou de la pratique politique américaine au jour le jour, semble reposer sur trois piliers principaux interactifs: l’idéologie néo-libérale moralisante, la maîtrise de la globalisation économique et politique, la suprématie militaire comme base d’une stratégie de coercition globalisée. Les années qui ont suivi n’ont pas démenti notre affirmation. Elles la renforcent. Il est patent que la mise en oeuvre de cette doctrine par W. Bush et son administration, au niveau de ces trois piliers, s’embourbe et va d’échec en échec et de blocage en blocage. Il n’y a pas un champ ouvert par W. Bush qui ne fasse pas face à des résistances multiformes l’empêchant d’aboutir et développant les processus politiques, économiques, sociaux et culturels pour le mettre en échec et le dépasser dans le sens de la paix, de la démocratie, de la légalité et de la stabilité internationales réelles et du progrès social. Les guerres dites de sécurisation et de stabilisation régionales ou internationales, comme celles de hautes technologies menées par des armadas d’enfer en Afghanistan ou en Irak ou celles poursuivies dans les Balkans ou en Afrique et ailleurs, ont rendu la situation dans les régions et les pays concernés encore plus instable. Elles ont détruit les Etats-nations qui y existaient, brisé les bases économiques déjà si fragiles, intensifié les confrontations ethniques et religieuses et favorisé le développement de l’extrémisme islamiste recourant à la violence terroriste. La deuxième guerre du Golfe a été déclenchée dans le cadre de la lutte globalisée contre l’axe du mal, contre le terrorisme international et dans le cadre de l’exportation planifiée des valeurs et de la démocratie occidentales. L’Irak qui s’était débarrassé du régime monarchique imposé par la puissance coloniale anglaise et qui était dirigé par le Baath depuis le début des années soixante, représentait, sur le plan historique, avec la Syrie, aussi baathiste, et malgré les divergences existantes entre eux, une nouvelle expérience du nationalisme arabe. Cette expérience a certes pris des formes autoritaires historiquement rétrogrades, comme ce fut le cas pour les courants dirigés par Nasser, Bourguiba, Ben Bella etc., mais elle s’intégrait dans les processus sociaux complexes de libération et d’émancipation nationales. Les USA et leurs alliés, en «mauvais élèves» de l’histoire, n’ont pas compris que ce sont les peuples, avant tout, qui sont les artisans heureux ou malheureux de leur développement historique et qu’il ne peut exister de technologies de fabrication de peuples ou de systèmes sociaux. La dernière campagne US d’Irak devait donner le signal et les impulsions nécessaires pour la réalisation de ce qui a été appelé «le Grand Moyen-Orient», solidement ancré dans les visions géostratégiques découlant de la doctrine de W. Bush. Nous savons ce qu’il advient de l’Irak. Ce pays a certes été débarrassé d’un dictateur sanguinaire par la plus sophistiquée et la plus coûteuse des interventions militaires de la première puissance mondiale. Mais c’est un pays ramené à des décennies en arrière. C’est un pays occupé militairement et administré dans les faits par des forces étrangères. C’est un pays qui a perdu la cohésion de la nation qui le portait et qui est profondément divisé selon les ethnies, les rites religieux ou les religions. C’est un pays engouffré dans une atroce guerre civile et qui baigne quotidiennement dans le sang et la désolation. C’est un pays qui a perdu ses ressorts et ses capacités économiques et l’une des plus fortes et des plus productives intelligentsias du monde arabe. En préparant et déclenchant la dernière guerre d’Irak, W. Bush et ses stratèges politiques et militaires avaient fixé, dans cette région du monde, les cercles de leurs alliés, comme l’Egypte, l’Arabie Saoudite, la Jordanie ou les pays du Golfe qui devaient se réformer sans changer, et ceux de leurs ennemis déclarés comme la Syrie et l’Iran qui devaient se considérer comme faisant partie de l’axe du mal ennemi. Dans le même temps, les USA ont développé une alliance d’une qualité nouvelle, parce que idéologique et politique, avec le courant d’Ariel Sharon au Likoud qui fait d’Israël un puissant partenaire dans la mise en oeuvre de la doctrine de W. Bush au Moyen-Orient et au-delà. Les Palestiniens l’ont durement ressentie et continuent de vivre l’horreur de ses conséquences. Les Libanais l’ont subie à répétition et aujourd’hui ils en vivent toute la barbarie. Les Egyptiens, les Saoudiens ou les Jordaniens assistent, la rage au coeur, aux sournoises humiliations et à la corruption à grande échelle de ceux qui les dirigent. La guerre d’Irak et les pratiques politiques et militaires des USA qui l’ont accompagnée, ont renforcé et élargi la haine des masses arabes à leur égard et à l’égard d’Israël. Elles ont gravé dans les sociétés du monde arabo-islamique de lourdes traces difficiles à effacer de la mémoire collective comme de la mémoire historique. Ceci d’autant plus que l’autoritarisme des systèmes en place qui, en emprisonnant la liberté et la démocratie réelles, développent dans les sociétés qu’ils dirigent et qui connaissent une forte explosion démographique et où la jeunesse constitue le plus grand nombre, la pauvreté, l’exclusion, l’inculture et les clivages sociaux favorisant l’émergence et le développement de l’islamisme politique dans toutes ses variantes mais où la variante rétrograde et radicale, organisée et paramilitaire et recourant à la violence armée, prend le dessus. C’est donc une situation bien détériorée, explosive même, qui se développe dans cette région où les forces relevant du nationalisme arabe, qui dès les débuts des années cinquante ont en grande partie édifié les Etats-nations, n’ont pas su repérer et comprendre (surtout les élites) les impératifs démocratiques qu’exigeaient les évolutions économiques, sociales et culturelles. Elles n’ont pas su ouvrir les voies pour construire, au niveau de chaque pays, ce large front patriotique et démocratique pour relever les défis des dernières décennies du siècle dernier et de celui qui commence au niveau des terribles enjeux économiques, sociaux, culturels. C’est une région à la croisée des chemins où la place de la religion et de son instrumentalisation sont en débat. Certains Etats et forces sociales se réclamant de l’islamisme politique instrumentalisent les problèmes réels d’importants secteurs sociaux au nom d’une compréhension idéologique et politique étroite et régressive de l’Islam et n’hésitent pas, par le recours à la violence armée, à plonger leurs pays dans de dangereuses crises ou à chercher à déstabiliser des régions entières. D’autres développent des formes de mouvements islamiques de résistance et de libération nationales face à l’occupation et aux menées du néo-impérialisme, agissant comme forces politiques et sociales pour la cohésion et l’unité d’action de l’ensemble des forces nationales et patriotiques. C’est une telle situation qui devient une cause pour pousser les dirigeants américains et israéliens, pour qui cette région est d’abord le plus grand réservoir d’hydrocarbures du monde et une région de passage maritime et terrestre essentielle, à agir pour montrer de quel côté se trouve la puissance militaire. C’est donc un ensemble de causes immédiates, liées certes, qui peuvent expliquer cette agression barbare contre le Liban. Mais les véritables mobiles sont d’ordre stratégique. Nous tenterons de les développer dans notre prochaine contribution. Dès qu’Israël, depuis sa création en 1948, s’engage dans une quelconque action militaire d’envergure dans les territoires palestiniens toujours occupés, au Liban, en Jordanie ou ailleurs au Moyen-Orient, une formidable machine occidentale de soutien politique, militaire, de propagande, etc. est mise en branle sous la direction des USA et des multiples centres du sionisme international. Israël est toujours présentée comme une victime menacée d’éradication par ses ennemis historiques livrés au fondamentalisme et aux forces du terrorisme. Israël agit à la fois comme: a) la mauvaise conscience de l’Occident colonialiste et impérialiste qui a dépecé, selon sa volonté et selon ses intérêts colonialistes, l’empire ottoman après la Première Guerre mondiale; qui a favorisé l’émergence du nationalisme sioniste, divisé et réduit le nationalisme arabe; qui a produit Hitler et la barbarie fasciste, déclenché la Deuxième Guerre mondiale et générer la Shoah ou l’holocauste. Les dirigeants allemands parlent même de raison d’Etat. b) une plate-forme géostratégique d’intervention politique et surtout militaire fortement intégrée dans les différents mécanismes de défense et de sécurisation des intérêts des puissances occidentales néo-impérialistes dans cette importante région du monde aux multiples atouts vitaux, notamment énergétiques. Cela n’a pas été différent cette fois-ci aussi. La raison reposant sans cesse sur l’élargissement et l’approfondissement du savoir est, en principe, la force motrice essentielle de la culture universelle et de l’humanisme. Elle semble perdre, dans ces temps complexes qu’on nous impose, ses repères et ses critères fondateurs, par un parti pris injustement fondé pour Israël, au niveau de certaines prétendues personnalités étrangement médiatisées tels : - des philosophes et écrivains formatés du type Bernard Henri Lévy (1), - des politiciens soixante-huitards récupérés et grisés par les lumières des rampes du pouvoir mondialisé et s’autoproclamant experts en géostratégie et en management des conflits globaux, comme par exemple Joschka Fischer (2), ancien ministre des Affaires étrangères d’Allemagne, - ou de nombre de journalistes occidentaux trahissant leur devoir d’information objective (qu’exige en principe l’éthique de la profession qu’ils sont censés exercer) et se mettant aux ordres des magnats des médias dominant le capital financier international, tels que Rothschild Murdoch, Warner, Springer etc. Cette dernière agression perpétrée par Israël dans la région, si elle s’est circonscrite, dans un premier temps au Liban, elle a, par sa forme de haute technologie (reposant sur les outils les plus sophistiqués du renseignement, de l’intervention aérienne armée, du management moderne de réseaux etc.), par ses cibles au niveau des secteurs des populations et des infrastructures et par la démarche ostentatoire et complice des Etats-Unis et d’autres puissances occidentales, montré qu’elle relevait de mobiles géostratégiques plus élaborés, concertés, coordonnés et inscrits dans la durée. Depuis les années 1990, le séisme historique total, provoqué par la dislocation et la disparition du système socialiste mondial, continue d’être suivi de répliques dont les magnitudes sont fonction de la pondération géostratégique qu’affecte l’unique superpuissance restante aux différentes régions du monde en fonction de ses intérêts impériaux immédiats ou lointains, et qui sont définies dans le jargon des néo-stratèges d’actions de «sécurisation et de stabilisation». Il n’est pas un événement de portée historique qui touche un pays ou une région donnés dont l’intelligibilité des causes profondes ne soit pas liée à la mise en oeuvre de la nouvelle doctrine de domination et de coercition impériales des USA et de leurs dirigeants néo-conservateurs actuels. Il n’est pas aussi de relations internationales, aujourd’hui, où les dynamiques qui travaillent ce qu’on appelle la mondialisation, ne dessinent et n’imposent, au profit des puissances occidentales pour qui joue le rapport de forces mondial actuel, des formes de soumissions politiques, économiques et autres. Zbigniew Brzezinski, l’un des plus illustres experts américains en géostratégie, a dit dans l’un de ses fameux livres de prospective géostratégique portant le titre «Le grand échiquier, la domination américaine et ses impératifs géostratégiques», publié en 1997, ce qui suit (3): «Dans quelle mesure les USA sauront faire prévaloir leur prépondérance globale en tant que superpuissance dépendra du fait comment une Amérique engagée partout dans le monde s’en sortira avec les rapports de forces complexes prévalant dans le continent eurasien et comment elle pourra y agir contre l’émergence d’une puissance dominante ennemie» (traduit de l’allemand par mes soins). Il ajoute: «L’Eurasie est de ce fait l’échiquier sur lequel se jouera, aussi à l’avenir, la lutte pour la suprématie globale». Eurasie signifie l’ensemble formé par l’Europe et l’Asie. Ce sont, en effet, ces deux continents, dont la puissance des évolutions économiques, scientifiques et militaires se situent encore à des niveaux différents, qui émergent, mus par un certain nombre de facteurs idéologiques, politiques, économiques, culturels et géostratégiques, qui, au fil des dernières décennies du siècle passé, avec les dynamiques de la mondialisation, prennent des formes géopolitiques de concurrence intense d’intérêts avec la superpuissance américaine et déclenchent chez cette dernière des élans inquiétants de coercition et de domination. Le renforcement de leurs rapports multiples aiguise encore plus de tels élans. Condoleezza Rice, quand elle était encore l’assistante de W. Bush pour les questions de sécurité et l’une de ses éminences grises, affirmait: »Nous voulons fonder notre stratégie de dissuasion sur la prévention. La dissuasion a fait ses preuves pendant la guerre froide. Elle ne produira pas forcément les mêmes résultats à notre époque». La prévention militaire musclée est devenue une constante de tous les actes de mise en oeuvre de la doctrine dite de W. Bush. La prévention peut être directe, comme en Afghanistan ou en Irak. Elle peut aussi, en tenant compte des contingences, des évolutions des rapports de force mondiaux, de même que des risques, être sous-traitée par des alliés puissants et loyaux. L’agression israélienne contre le Liban est une guerre préventive US sous-traitée à Israël et dirigée en même temps contre l’islamisme international, l’Iran chiite et islamiste aux visées de puissance régionale et les alliés de ce dernier pays comme le Hezbollah ou la Syrie. Faut-il rappeler cette insistance de W. Bush à répéter, lors du sommet du G8 à Saint-Pétersbourg, suivi en cela par ses vassaux (comme le dit Zbigniew Brzezinski) britanniques et allemands en particulier, que c’est le Hezbollah et ceux qui le soutiennent qui sont la cause de l’intervention israélienne au Liban ! Nous pouvons répertorier au moins trois mobiles majeurs géostratégiques qui ont poussé les USA à sous-traiter à Israël la production de cette crise majeure dans la région du Moyen-Orient en attendant d’achever le reste: 1) Le spectre de l’islamisme politique et la problématique de l’Islam, 2) La restructuration, la sécurisation et la stabilisation du Grand Moyen-Orient, 3) La maîtrise durable des plus grandes réserves énergétiques du monde. Avant d’examiner chacun de ces mobiles, il serait peut être utile de remettre en mémoire les deux faits suivants: a. comme avant le déclenchement de la troisième guerre du Golfe, nous avons observé une intense concertation et coordination entre W. Bush et Tony Blair, qui sont de nouveau apparus comme un tandem d’alliés stratégiques. Ils ont dessiné ensemble dans le déluge qui frappait le Liban l’envergure qu’il donnait à la crise créée et la feuille de route qui devait être suivie par le Conseil de sécurité et surtout par eux-mêmes et les alliés mobilisés. b. Lorsque la police britannique a éventré les plans d’un important groupe de jeunes terroristes islamistes de nationalité britannique de faire exploser des avions américains dans le ciel sur leur route vers les Etats-Unis, W. Bush a dit dans une déclaration à la presse à peu près ceci: «Nous faisons face au fascisme islamique et nous devons le détruire comme nous avons détruit le communisme». Le spectre de l’islamisme politique et la problématique de l’Islam L’islamisme politique est devenu, dans la phase historique que nous vivons, un phénomène international et « internationaliste » actif depuis les années soixante-dix, lorsque qu’il a été impulsé et encouragé en tant que mouvement structuré idéologiquement et politiquement par la trilatérale comme facteur de déstabilisation des maillons faibles du système socialiste mondial. Il travaille les sociétés du monde arabo-islamique. Il agit aussi dans les secteurs à fortes concentrations musulmanes aux Etats-Unis, en Europe et ailleurs. C’est un mouvement traversé par différents courants nés et se nourrissant de la détresse d’importantes forces populaires face aux impasses auxquelles ont mené le sous-développement et des systèmes de pouvoir hégémoniques et souvent corrompus, incapables de résoudre les problèmes vitaux de leurs sociétés et de reconnaître, dans leurs étendues et leurs profondeurs, les défis majeurs de notre temps et de les relever. C’est un phénomène complexe qui, souvent, a été analysé à partir de ses manifestations idéologiques, politiques, sociales ou violentes sans faire l’effort multidimensionnel nécessaire de connaître en profondeur les dynamiques qui lui ont donné naissance et les formes par lesquelles il s’exprime afin de mieux l’apprécier et le différencier. C’est un mouvement dont le caractère de masse et populaire et sa fonction idéologique ont été instrumentalisés par des pouvoirs nationaux et des puissances internationales. L’Islam, en tant que religion, se trouve confronté à ce phénomène (l’islamisme) et soumis par des experts autoproclamés et de tous acabits et des idéologues et politiciens, champions de la diversion, à de dangereux amalgames. Nous assistons, certes, depuis le succès de la révolution populaire iranienne conduite par l’ayatollah Khomeyni de février 1979, à l’émergence d’un modèle d’Etat-Nation à caractère islamique exerçant un rayonnement réel sur l’aire régionale et ailleurs, et ce en dépit des orientations religieuses obscurantistes de certains de ses dirigeants. Frédéric Tellier, professeur à l’IEP de Paris comme à Harvard et Chicago, écrit dans un livre intitulé «L’heure de l’islam», paru aux éditions Ellipses, ce qui suit à propos de l’Iran: »Ce qui a donné vie et vigueur à l’islamisme comme idéologie et mouvement social n’est pas le dynamisme intérieur de la religion ou une volonté inébranlable du clergé à prendre le pouvoir, mais le bouillonnement de la modernité. L’Iran a-t-il connu une révolution religieuse ? Il est permis d’en douter. En dépit des apparences, l’islamisme est un phénomène authentiquement moderne, même s’il se justifie par référence à un passé qu’il promet de faire revivre. Malgré son anti-occidentalisme proclamé, sa dénonciation de la modernité, la révolution islamique appartient bel et bien à son siècle et en reflète les idéologies. Elle est de notre temps, pur produit de la modernité, phénomène moderne par excellence. Cette modernité contestée, voire haïe, est en fait sa matrice» (4). Ainsi l’islamisme, bouillonnant en tant que phénomène social, politique et idéologique, recourant par certaines de ses franges au terrorisme national et à grande échelle, est présenté sans discernement par les centres de recherche néo-conservateurs américains et autres ainsi que les courants politiques dirigeants qu’ils influencent fortement aujourd’hui, aux USA et ailleurs en Occident, comme un spectre meurtrier qui hante dangereusement la stabilité, la paix et les équilibres mondiaux. Il a été élevé, depuis les sanglants événements de septembre 2001 à New York et Washington, au niveau d’ennemi principal des USA et du monde occidental. Nous observons, au niveau de l’Occident, dominé aujourd’hui par la pensée néo-libérale et néo-conservatrice, à une espèce d’enracinement et de globalisation d’un mode de raisonnement binaire et indigent, basé sur l’opposition radicale et non dialectique entre le Bien et le Mal. Le Bien, c’est tout ce qui a été façonné par la civilisation judéo-chrétienne et par les valeurs considérées comme occidentales produites et renforcées depuis la fin du dix-huitième siècle au niveau de la liberté, de la démocratie, des droits de l’homme, de la solidarité, etc. Le Mal est tout ce qui n’est pas le Bien dans l’acception que lui donne l’Occident judéo-chrétien. Nous assistons à la diffusion d’une sorte d’idéologie fondamentaliste et guerrière et de pratiques politiques internationales sectaires chargées d’alimenter et d’animer les croisades contre ceux qui représentent le Mal. Par exemple, M. Bolkestein, ancien commissaire européen au marché intérieur (devenu célèbre par ses directives sur la libéralisation des services): en évoquant le projet d’adhésion de la Turquie à l’Union européenne et la pression migratoire, il mettait en garde dans les termes suivants: »Si cela devait arriver, la libération de Vienne en 1683 n’aurait servi à rien. Nous les avions arrêtés à Poitiers, nous les avions arrêtés devant Vienne; nous les arrêterons encore. Turcs, Arabes, Berbères, ce ne sont tous que des musulmans, c’est l’Islam». Quel amalgame volontairement exprimé et à ce niveau de responsabilité de la communauté européenne !. Et pour renforcer ses dires, Bolkestein cite un historien britannique de renom, spécialiste reconnu de la Turquie et du Moyen-Orient, Bernard Lewis, qui a affirmé: »L’Europe sera musulmane d’ici la fin du siècle». Bernard Lewis n’est pas n’importe qui. C’est lui qui a découvert «le gène de l’Islam» et appelé à «lever l’étendard de la résistance face aux nouvelles invasions barbares». Bernard Lewis est installé au USA depuis 1974 et s’est distingué par un soutien militant à la politique oppressive israélienne. Il est surtout un conseiller très écouté de W. Bush et très proche de Paul Wolfowitz, ancien adjoint du secrétaire d’Etat à la Défense et véritable concepteur avec Richard Pearl, entre autres, de l’invasion contre l’Irak. Au cours d’une cérémonie organisée en mars 2002 à Tel- Aviv en l’honneur de Paul Lewis, Wolfowitz lui a rendu hommage en ces termes: »Bernard Lewis nous a appris à comprendre l’histoire complexe et importante du Moyen-Orient et à l’utiliser pour nous guider vers la prochaine étape afin de construire un monde meilleur pour les prochaines générations». Bernard Lewis est devenu en effet l’idéologue en chef du «choc des civilisations», concept qu’il a découvert dès 1957, au lendemain de la guerre de Suez, qui ne traduisait pas pour lui une volonté de libération nationale des peuples arabes, mais « une hostilité à la culture occidentale ». Il est utile de donner encore la citation suivante tirée de son livre « Islam Quarto », publié chez Gallimard en 2005: « Les ressentiments actuels des peuples du Moyen-Orient se comprennent mieux lorsqu’on s’aperçoit qu’ils résultent, non pas d’un conflit entre les Etats ou des nations, mais du choc entre deux civilisations. Commencé avec le déferlement des Arabes musulmans vers l’Ouest et leur conquête de la Syrie, de l’Afrique du Nord et de l’Espagne chrétienne, le ‘grand débat’ entre l’islam et la chrétienté s’est poursuivi avec la contre-offensive chrétienne des croisades et son échec, puis avec la poussée des Turcs en Europe, leur farouche combat pour y rester et leur repli. Depuis un siècle et demi, le Moyen-Orient musulman subit la domination de l’Occident - domination politique, économique et culturelle, même dans les pays qui n’ont pas connu un régime colonial. Je me suis efforcé de hisser les conflits du Moyen-Orient, souvent tenus pour des querelles entre Etats, au niveau d’un choc des civilisations ». Pour Lewis, la nationalisation du canal de Suez, la chute du Chah et la révolution iranienne de 1979, la résistance tenace du peuple palestinien face à l’occupation israélienne et pour leur Etat indépendant les résistances au Liban, en Irak et même les conflits du Kosovo et de la Bosnie ont tous pour cause la haine de l’Occident et de ses valeurs. Il ajoute pour mieux préciser le spectre qui hante l’Occident : « L’Islam, qui est faible depuis deux siècles, a toujours cherché des appuis pour combattre son ennemi : la démocratie occidentale. Il a d’abord soutenu les puissances de l’axe contre les alliés puis les communistes contre les USA, ce qui a abouti à deux désastres. » L’islamisme chiite, qui dirige l’Iran, qui active et développe, selon des voies différentes, des organisations paramilitaires modernes et fortement armées au Liban, comme le Hezbollah en Irak ou l’armée du Mahdi de Moktada Sadr ou la milice de Abdelaziz Hakim ; qui anime une sorte d’international chiite à travers le monde, confère, du point de vue de l’Administration américaine actuelle à l’Iran, placé dans son environnement moyen-oriental et asiatique et sous l’angle de ses richesses naturelles, une très forte pondération géostratégique. De ce fait, l’agression israélienne contre le Liban est une guerre préparant ses prochains prolongements iraniens, syriens et asiatiques. Les objectifs des états-unis En visant la destruction totale de l’organisation de la puissance de feu et de nuisance matérielle et logistique du Hezbollah de même que l’isolement politique de ce dernier sur le plan de la classe politique libanaise et arabe proche ou dépendante de l’Occident, cette agression poursuivait les objectifs suivants : désarmer l’islamisme chiite au Liban et sécuriser, surtout par la présence d’un important contingent de troupes étrangères avec un mandat musclé, les frontières de ce pays avec Israël et avec la Syrie. Cela vise à mettre hors service toutes les possibilités logistiques terrestres, maritimes et aériennes susceptibles d’être utilisées pour le réarmement du Hezbollah, la restauration de ses structures paramilitaires et de sa puissance de feu et vise aussi à rendre inopérant toute tentative d’utilisation du Hezbollah et de ses forces armées comme maillon éprouvé dans une probable confrontation avec la Syrie ou l’Iran. Affaiblir sensiblement et isoler l’islamisme chiite libanais pro-iranien et au-delà l’islamisme politique recourant à la violence armée dans la scène arabe et mondiale tout en renforçant les courants de confession musulmane qui acceptent de coopérer où dans les intérêts de pouvoir et financiers sont fortement liés aux puissances occidentales. Cela vise aussi à maîtriser l’Islam, à le contenir en jugulant les bouillonnements sociaux et politiques qui le traversent et le bousculent. Cela veut dire à l’instar de ce qui se fait en Afghanistan, en Irak ou ailleurs, faire face au spectre de l’islamisme, en mettant aux « ordres » l’aire arabo-musulmane et surtout ses forces politiques dirigeantes. La restructuration, la « sécurisation et la stabilisation » du Grand Moyen-Orient Condoleezza Rice, la secrétaire d’Etat américaine aux Affaires étrangères, a lors de sa première tournée tardive en Israël et au Liban après l’intervention massive de Tsahal sur le territoire libanais, déclaré avec une grande impudence : « Le temps est venu pour un nouveau Moyen-Orient », alors que l’urgence résidait à arrêter la nouvelle guerre en imposant un cessez-le-feu immédiat. Sa démarche relevait, de fait, de considérations stratégiques dont la guerre était justement l’un des maillons et tant que cette guerre n’avait pas atteint les buts fixés, elle devait continuer et tous les efforts devaient être entrepris pour contenir les pressions internationales, faire traîner les délibérations du conseil de sécurité, pour lui donner le temps nécessaire d’aboutir. C’est que cette guerre représente une étape opérationnelle du plan revu et corrigé du Grand Moyen-Orient (GMO). Ce dernier est définit comme le Moyen-Orient élargie à l’Iran et la Turquie. C’est cela le noyau de l’échiquier eurasien dont parle Zbigniew Brzezinski. Le Moyen-Orient, secoué et modelé au gré des puissances coloniales, principalement la Grande-Bretagne et la France a, tout au long du XXe siècle suscité un intérêt grandissant pour les Etats-Unis en liaison, entre autres, avec les trois facteurs suivants : la mise à jour des énormes réserves énergétiques de cette région et principalement l’Arabie Saoudite et les Etats du Golfe persique, l’importance géostratégique de cette aire géographique dans le cadres des luttes et des intérêts multiformes qui découlaient des rapports de forces complexes imposés par la guerre froide et du rôle qu’y occupait Israël, les dimensions prises par le développement et la combativité du nationalisme arabe, catalyseur des luttes de libération nationale des pays arabes encore sous le joug colonial et maillon actif dans le mouvement anti-impérialiste mondial et dans le mouvement des non-alignés. Les USA se sont attelés, en s’appuyant sur leurs gigantesques compagnies pétrolières, à s’assurer durablement le contrôle des ressources énergétiques de la région au niveau de l’exploration, de la production, du transport et de la commercialisation. Leur compagnie pétrolière, l’Aramco, est devenue par exemple en Arabie Saoudite un véritable Etat dans la royauté et le véritable centre des décisions. Les USA s’étaient aussi assurés le contrôle du pétrole iranien et celui de l’Iran en faisant échouer les nationalisations des industries pétrolières initiées par Mossadegh et en faisant du Schah un allié et un serviteur loyal. La gestion stratégique du Moyen-Orient par les USA visait en gros deux objectifs majeurs : assurer le contrôle et la sécurité des sources et installations énergétiques pour le plus long terme, veiller en intervenant directement ou indirectement dans les modulations des rapports de forces nationaux, ou dans la région même à contribuer à créer une sorte de stabilité ou d’équilibre même instable en fonction des évolutions du rapport de force mondial déterminé par le mouvement des intensités de la guerre froide. Les USA se sont trouvés confrontés, à partir du début des années 1950 avec l’onde de choc déclenchée par la révolution des officiers libres en Egypte à quatre dynamiques qui ont travaillé en profondeur les sociétés arabes et la région du Moyen-Orient dans son ensemble et bien au-delà : le Nassérisme comme expression moderne du nationalisme arabe orienté vers la libération nationale et sociale et dont le rayonnement et la force de l’exemple étaient immenses et bien au-delà du monde arabe et islamique. Le courant Baâth, comme autre expression du nationalisme et du mouvement de libération arabe, organisé idéologiquement et politiquement sur le fondement de l’unicité de la nation arabe, plus porté sur certaines formes de modernité et de laïcité, mais mû par un centralisme autoritaire dont les conséquences ont été très coûteuses pour les pays qu’il a dirigés comme l’Irak ou la Syrie. La problématique énergétique Le mouvement de libération national palestinien dont la cause était, à des degrés divers, devenue celle de tout le monde arabe et musulmans au niveau des Etats, mais surtout au niveau des peuples. Cette cause était au centre de nombreuses guerres et crises importantes entre Israël, les combattants palestiniens et les Etats de la région. Le traitement injuste du problème palestinien par les USA et les puissances occidentales a été à la source de la détérioration des rapports de nombre de pays arabes des plus importants avec l’Occident. Cette situation a eu pour conséquence le renforcement des relations multiformes, notamment politiques et économiques avec l’URSS et les pays socialistes. L’armement lourd des principaux pays arabes était assuré par l’URSS et certains pays de l’Est. Ce qui attisait encore plus les tensions dans cette région. La place de plus en plus forte prise par l’influence soviétique au Moyen-Orient, modifiant sensiblement les rapports de forces internationaux y prévalant. De telles dynamiques ont conféré à cette aire géostratégique un caractère d’instabilité prononcé attisé par les enjeux que se disputaient les deux grandes superpuissances et les puissances occidentales entre elles, de même que par les luttes ouvertes ou sourdes autour des orientations et des tâches nationales et démocratiques du mouvement de libération national, dans chaque pays et à l’échelle de la région. La disparition de l’URSS et la dislocation du système socialiste mondial au début des années 1990 semblent avoir investi les USA de la responsabilité de l’unique superpuissance restante. La supériorité américaine était, alors, indiscutable dans les quatre domaines suivants de la puissance globale comme l’affirme Zbigniew Brzezinski. « D’une force et d’une présence militaires mondiales inégalables, d’une force économique agissant comme locomotive de la croissance mondiale, de l’avance technologique dans les plus importants secteurs d’avenir, de l’attrait que rencontre, à l’échelle mondiale et surtout chez la jeunesse, son modèle culturel. Dans le cadre de l’instabilité du monde nouveau qui vient d’émerger avec la disparition de l’URSS, la nécessité de réaliser des équilibres géostratégiques nouveaux plaçait le GMO au centre des préoccupations prioritaires (pour les raisons avancées ci-dessus) des USA. Déjà en 1992, Paul Wolfowitz avait présenté un plan pour le nouveau Moyen-Orient au département de la défense. Les éléments de ce plan ont été affinés en 1996 par Richard Perle dans un document à l’intention du gouvernement israélien. L’ensemble des deux documents forment en fait la doctrine néo-conservateurs pour le GMO qui préconisaient l’élimination par la force des menaces que constituaient la Syrie et l’Iran et en commençant par mettre hors d’état de nuire leur front libanais. Ces plans ont été laissés pour un temps dans les tiroirs. L’instabilité du Moyen-Orient devenait, pour les USA, de plus en plus aiguë. Elle a été encore plus aggravée par les facteurs suivants : l’agression et l’occupation de l’Irak, par la politique colonialiste de Sharon à l’égard de l’autorité et du peuple palestinien, par la montée en puissance de l’Iran s’affirmant comme puissance régionale et de l’islamisme chiite, par le développement et le recours à la violence armée de l’islamisme politique, par l’autoritarisme des régimes arabes en place et leur incapacité chronique à faire face à l’aggravation des problèmes économiques, sociaux culturels et identitaires et aux multiples défis des dynamiques de la mondialisation. C’est en novembre 2003, dans le feu de la guerre et de l’occupation de l’Irak, du développement des tensions en Asie centrale, sur les fronts de l’énergie et des matières premières fondamentales que W. Bush fait connaître son projet du Grand Moyen-Orient. Ce projet étai articulé sur deux axes principaux : le règlement du problème palestinien sur la base de l’existence des deux Etats israélien et palestinien, l’encouragement de la mise en œuvre des réformes démocratiques orientées sur le marché dans les pays arabes et musulmans, réformes visant à provoquer des changements positifs dans toute la région. Le problème palestinien n’a pas été réglé, bien au contraire, à cause du parti pris manifeste et actif des USA pour Israël. Le processus de démocratisation a été considéré par les régimes en place, l’exemple de l’Irak n’y a pas aidé comme une entreprise d’exportation de la démocratie occidentale et comme une ingérence dans les affaires intérieures. Le projet de W. Bush a connu un enlisement volontaire. Mais voilà que le terrorisme islamiste prend une dimension planétaire, que l’Irak, les USA et leurs alliés s’embourbent dans une complexité conjuguant le terrorisme islamiste, la résistance nationaliste, les confrontations ethniques, que l’Afghanistan n’est pas stabilisé et les talibans relèvent la tête et que l’Iran bombe le torse, s’affirme comme puissance régionale et active, directement ou indirectement les milices islamiques chiites au Liban, en Irak et veut s’engager avec fermeté dans l’enrichissement de l’uranium et dans le nucléaire. De tels développements, ajoutés à d’autres aussi importants sur le plan national américain et sur le plan international, ne sont pas pour faire remonter la perte vertigineuse de popularité de W. Bush et de son administration alors des élections parlementaires importantes se tiennent à courte échéance. C’est une telle situation qui explique la volonté des néo-conservateurs et de W. Bush de tenter de reprendre l’initiative en retirant des tiroirs, pour ce qui du Moyen-Orient, le plan Paul Wolfowitz complété par Richard Pearl, c’est-à-dire en fait un plan américano-israélien de sécurisation et de stabilisation musclé pour le GMO. La mise en œuvre a commencé avec le Liban, la suite viendra, car le troisième mobile géostratégique qui explique l’agression barbare contre le Liban est le suivant : la maîtrise durable des plus grandes réserves énergétiques du monde. Le Moyen-Orient et l’Iran recèlent d’énormes réserves en hydrocarbures. Ils disposent de grandes capacités de production, de raffinage ou de traitement et d’infrastructures diverses pour le transport des produits énergétiques destinés à la consommation nationale ou à l’exportation. Ils constituent, de ce fait, pour leurs importants partenaires, un facteur d’approvisionnement et de sécurité stratégique. Le président W. Bush avait, dès le début de son premier mandat, souligné la gravité de la problématique énergétique pour son pays. Les USA sont en effet les plus grands producteurs consommateurs et importateurs du monde. Avec une population qui représente, a peu près 5% de la population mondiale, l’Amérique participe à hauteur de 17% dans la production mondiale d’énergie. Si elle génère 30% du PIB de la planète, elle consomme environ 25% de l’énergie mondiale. Par ailleurs, il est prévu que la croissance globale de la demande énergétique, dans les prochaines 25 années, sera de 50%, avec l’émergence massive de gros demandeurs d’énergie, comme la Chine et l’Inde sur les marchés énergétiques. On observe par ailleurs les facteurs suivants : une cadence quelque peu rapide dans l’épuisement des ressources pétrolières mondiales, une accélération et des dimensions vertigineuses de la demande énergétique, surtout en Asie (Chine, Inde, Japon, Corée du Sud etc.), une faiblesse et un coût élevé, malgré des progrès sensibles, du développement et de l’exploitation des énergies nouvelles et renouvelables, des retards encore persistants dans la mise au point des technologies et dans la mise en œuvre de véritables politiques d’économie de l’énergie, les problèmes non encore efficacement résolus de pollution liée à certains produits énergétiques, la liste de ces facteurs n’est pas exhaustive. Mais tous ces facteurs aiguisent la concurrence sur le marché énergétique, incitent à une diversification des produits énergétiques en fonction de leur disponibilité sur le long terme en fonction de leurs qualités et de leurs coûts. Cela signifie le développement des tensions et des programmations géostratégiques. Le gaz naturel prend par exemple de plus en plus d’importance. Il est considéré comme le combustible de ce siècle. Les réserves de gaz naturel sont importantes et les découvertes de nouveaux gisements gaziers progressent en liaison avec le développement de nouvelles techniques d’exploration et d’extraction. Le gaz naturel représente actuellement près de 25% de la consommation énergétique mondiale. Le taux de croissance annuel moyen de la consommation de gaz naturel est d’environ 2,5 à 3%. De toutes les sources d’énergie primaires, la progression la plus forte prévue pour les vingt prochaines années sera celle du gaz naturel. On évalue actuellement les réserves mondiales prouvées de gaz naturel à 179 trillions de mètres cubes (tm3) (estimation de 2004). En 2004, le rapport réserves prouvées (R) sur production (P) de gaz naturel dans le monde (R/P) était de plus de 65 ans. Le même rapport est par contre de 200 ans pour le Moyen-Orient. Ainsi, grâce à ses réserves colossales de gaz naturel, la région du Moyen-Orient est destinée à occuper une place centrale de plus en plus disputée sur le marché de ce produit énergétique et dans les rapports géostratégiques mondiaux. Deux pays de cette région, l’Iran et le Qatar représentent à eux seuls 70% des réserves de la région. Mais l’Iran, le Qatar, l’Arabie Saoudite et les Emirats arabes unis représentent ensemble 90% des réserves de gaz naturel de la région. Ces considérations chiffrées font apparaître la place singulière et de forte intensité géostratégique de l’Iran, les autres pays gaziers du Moyen-Orient sont déjà sous contrôle américain et occidental. Un chiffre aiguise encore plus cette singularité de l’Iran, placée dans l’échiquier eurasien : le Moyen-Orient, la Russie et certains pays d’Europe et d’Eurasie font ensemble 76% des réserves mondiales prouvées de gaz naturel. Or, les USA et l’Europe des 25 consomment près de 40% du gaz naturel mondial et leur demande va en croissant. L’Iran est une aire géographique d’une très grande sensibilité géopolitique. Elle a des frontières par terre et par mer avec 15 pays, dont l’Azerbaïdjan, le Turkménistan et le Kazakhstan qui sont riches en hydrocarbures et actuellement autant tournés vers la Russie que vers l’Europe. Toutes ces considérations, et sans qu’il soit nécessaire dans le cadre de cette contribution d’exposer d’autres facteurs et d’autres éléments d’analyse, montrent l’importance de l’enjeu iranien et des jeux stratégiques dans lesquels ce pays est engagé depuis la révolution islamique de Khomeyni de février 1979 sur les plans : de la construction d’un Etat, action hybride à la fois théocratique, autoritaire et puissant de certains apports de la modernité, du contrôle de ses richesses naturelles, notamment les hydrocarbures et la construction d’une économie puissante inspirée du modèle chinois, du développement de l’industrie nucléaire en rentrant dans une confrontation complexe et dangereuse avec les USA et l’Europe, sans compter les voisins immédiats du Golfe persique, de la propagation et de l’organisation politique et souvent paramilitaire de l’islamisme chiite, de sa propension à s’affirmer comme puissance régionale. La normalisation de l’Iran, y compris par la force militaire et son insertion dans les plans américains de sécurisation et de stabilisation du Grand Moyen-Orient et de l’ensemble eurasien, est, aussi, avec la maîtrise sur le long terme des ressources énergétiques, l’un des mobiles géostratégiques de l’agression israélienne contre le Liban. Nous examinerons dans d’autres contributions d’autres mobiles géostratégiques aussi importants et peut-être décisifs pour la suprématie de la superpuissance américaine : la restructuration et le redéploiement globalisé du complexe militaro-industriel, les réajustements des rapports de forces multidimensionnels USA-Europe, etc. Les causes immédiates et les mobiles géostratégiques que nous avons tenté d’examiner se conditionnent. Elles soulignent la gravité de cette crise majeure initiée par Israël impulsé par les USA et soutenu délibérément par certaines puissances occidentales, notamment la Grande-Bretagne de quelques enseignements pour nous. Le caractère et le déroulement de l’intervention israélienne au Liban, les réactions militaires et politiques qu’ils ont provoquées et leurs prolongements actuels dégagent un certain nombre d’enseignements qui méritent d’être traités avec le maximum d’objectivité, de rigueur et de réalisme. Il s’agit entre autres de l’affaiblissement chronique et de l’instabilité dangereuse du monde arabe dans un monde en pleine restructuration géostratégique. Les Etats arabes et leurs organisations multilatérales, notamment la prétendue « Ligue arabe », ont manifesté, en juillet dernier, une incapacité déroutante à développer les réactions et les solidarités qui s’imposent face à l’insolence et à la barbarie impérialo-sionistes et face aux injustices faites à un pays « frère » le Liban, à peine sorti des décombres d’une guerre civile, attisée par l’agression israélienne de 1982 et nourrie par les jeux d’intérêts sordides des grandes puissances occidentales et de régimes et oligarchies arabes enfoncés dans leur meurtrière stagnation et poussant à leurs limites historiques. Bien au contraire, certains régimes comme l’Egypte, l’Arabie Saoudite ou la Jordanie et d’autres, craignant d’être balayés par les vents forts qui soufflent de toute part, ont cru bénéfique pour eux de se ranger, par un silence et une inactivité volontaires, du côté du plus puissant, de rentrer dans ses jeux en condamnant sans discernement le Hezbollah et en essayant de faire céder les Palestiniens encore plus face aux intransigeances israéliennes. Ils ont muselé la colère de leurs peuples. La région du monde arabe est tellement malade que les puissances occidentales en particulier la Grande-Bretagne et la France essaient dans le sillage des USA de la restructurer à leur guise, comme elles avaient dépecé, jadis, après la Première Guerre mondiale, l’empire ottoman. La similitude des démarches d’hier et d’aujourd’hui est des plus frappantes. Ce sont en fait des accords USA-Grande-Bretagne d’abord, puis USA-France qui ont tracé la voie qui a mené au cessez-le-feu et mettre en route les solutions pour l’avenir proche et lointain. Quelles sont donc les causes profondes de nos reculs, de nos défaites, de nos incapacités chroniques à peser avec efficience, c’est-à-dire dans le sens des intérêts de long terme de nos peuples, dans la détermination des rapports des forces internationaux et dans les évolutions politiques, économiques, sociales et culturelles qui y sont liées dans la consolidation et un développement fructueux de la paix et de la stabilité régionales et internationales ? Devons-nous nous contenter aujourd’hui où l’accélération de l’histoire connaît des rythmes affolants, de discours à caractère populiste dont la couverture nationaliste avait pourtant, dans les années 1950 et 1960 du siècle dernier, su et pu nous mobiliser largement et avec succès contre le colonialisme et pour nos indépendances nationales ? Les Etats nations arabes ont connu , tout au long du XXe siècle, des évolutions diverses. Celles-ci ont été marquées principalement par l’émergence et le développement de deux grands mouvements historiques, le nationalisme arabe et le réformisme musulman. La naissance et le développement de ces deux mouvements étaient une réaction massive aux affres et à l’humiliation du joug colonial, une réaction organisée, fondée sur les facteurs unificateurs de nos nations et impulsant les évolutions de nos identités, facteurs plongeant leurs racines dans notre histoire déjà plusieurs fois millénaire avant l’avènement de l’ère chrétienne. Le nationalisme arabe visait à inscrire les sociétés arabes à majorité musulmanes dans des processus de libération nationale, d’édification d’Etats nations modernes se nourrissant sans cesse du progrès universel et de la modernité au développement, desquels ils apportent leurs contributions, tout en préservant et adaptant les fondements de leurs identités culturelles et nationales. Aujourd’hui, le nationalisme arabe est fortement interpellé. Il doit opérer les mutations indispensables pour s’élever, dans chaque pays, au niveau d’un puissant mouvement patriotique démocratique et pluraliste et de progrès reconnaissant les impératifs et les défis du temps sur les plans politique, économique, social et culturel. Sinon le monde arabe sera livré totalement aux appétits des féroces forces du néo-libéralisme et du capital financier international foncièrement spéculatif et destructeur des bases économiques réellement productives et de fonction fondamentalement sociale. Ceux-ci n’ont d’yeux que pour les richesses naturelles. La problématique de la nécessité du renouveau patriotique arabe est fortement posée. C’est là l’un des enseignements majeurs que nous retenons : la problématique de l’islamisme politique et de l’Islam. Nous avons tenté de montrer que l’un des mobiles stratégiques de l’agression impérialo-sioniste contre le Liban était ce que nous avons appelé « le spectre de l’islamisme et la problématique de l’Islam ». Depuis le début des années 1970, nous assistons, dans les pays arabes et islamiques, sous l’action de plusieurs facteurs, à une émergence devenant de plus en plus virulente et destructrice du phénomène de l’islamisme politique. Nous en avons subi la terrible terreur particulièrement au cours de la décennie 1990. Notre société en a durement payé le prix, mais il reste qu’une analyse profonde et intégrée, idéologique, économique, sociale, culturelle sociologique, etc. de l’islamisme politique et de son action doit être faite. Nous devons reconnaître les motivations objectives réellement politiques et sociales qui nourrissent l’instrumentalisation idéologique et politique de l’Islam. Les différenciations et les convergences patriotiques et de progrès doivent se faire à ce niveau. Nous ne devons pas laisser la compréhension sur l’exégèse de la religion à des ignorants s’autoproclamant imams ou émirs. Nous devons favoriser, par tous les canaux possibles et avec les moyens nécessaires, l’éclosion d’une véritable nahda, à l’exemple du mouvement réformiste avec Djamal El Afghani, Abdou, Rachid Rida, ou Ben Badis fortifiant l’ijtihad et l’utilisation de tous les acquis de la science et réfléchissant sur la problématique de l’Islam dans nos sociétés aspirant au progrès et à la modernité. Poser la problématique de l’Islam ne peut signifier réduire la croyance religieuse, qui elle est individuelle et intime. Cela signifie, bien au contraire, la recherche du renforcement de la rigueur, et de la profondeur de la compréhension des préceptes de la religion musulmane et de la culture arabo-islamique en liaison avec les conditions objectives dans lesquelles nous vivons. Poser une telle problématique et en faire un sujet de recherche multidisciplinaire, de débats larges, féconds et constructifs débouchant sur des pratiques qui ouvrent notre société sur elle-même au lieu de la laisser s’enfermer sur elle-même, qui multiplient ses énergies, ses connaissances et son savoir, ses capacités créatives capables de transmissions positives de génération en génération, acquiert une valeur stratégique dans ses temps où un amalgame dangereux et pitoyable est fait par les puissants de ce monde entre islamisme politique, terrorisme et Islam. Ne les laissons pas lancer une nouvelle croisade contre l’Islam au nom des valeurs judéo-chrétiennes, comme disent certains de leurs idéologues de première ligne. Alors que ces valeurs que sont la liberté, la démocratie, les droits de l’homme, le droit international sont des valeurs universelles pourvu que les acceptions des concepts qui les expriment soient clairement définies et adoptées par chacun et par tous, ce qui est chose relevant de la complexité, puisque s’agissant avant tout de processus sociaux, poltiques et culturels. La refondation démocratique de l’Etat et du système de pouvoir, les mobiles géostratégiques qui motivent l’agressivité des USA, d’Israël et des puissances occidentales dans le Moyen-Orient soulignent sérieusement notre vulnérabilité. Nous vivons dans des temps qui ne pardonnent pas, du point de vue historique. Ou bien nous montrons que nous sommes capables d’intelligence de production de savoir, de technologies et de techniques, de culture en adaptant sans cesse et sur la base de la liberté, d’un fonctionnement effectivement démocratique de nos institutions, notre génie national aux exigences politiques, économiques, sociales, culturelles que mettent en relief les évolutions complexes tant nationales que mondiales. Ou bien, nous continuerons à gérer notre crise et nous nous dirigerons vers une situation où les puissances étrangères essaieront, comme elles tentent de le faire ailleurs, certes sans succès, de nous « démocratiser » au service de leurs intérêts géostratégiques. Nous avons déjà accumulé des retards énormes, pour surtout des raisons liées à la force de l’inertie qui donne l’impression du mouvement et de l’action. Cette force est celle d’un système de pouvoir et d’Etat qui ont atteint, en rapport avec des dynamiques nationales et internationales, leurs limites historiques. Dire cela, ce n’est pas rejeter tout ce qui a été édifié de positif et de durable par cet Etat et par ce système de pouvoir. En le disant, nous voulons faire observer que notre société a évolué. Elle s’est démographiquement développée. lle est fortement jeune. Sa structure sociale s’affirme de plus en plus en prenant les caractéristiques d’une société poussant vers la modernité mais en rencontrant la résistance des forces d’inertie. Elle dispose d’un système scolaire, universitaire et de formation professionnelle étendu qui a besoin d’un sursaut qualitatif que seul un fonctionnement démocratique de l’Etat et de ses institutions peut lui apporter. Refonder l’Etat républicain, c’est le reconstruire sur la base des valeurs nouvelles de la liberté, de la démocratie, du progrès, de la justice sociale, de la solidarité et de la modernité qui assurent à notre jeunesse (qui fait notre peuple) et aux générations futures de porter notre nation, par le travail et le savoir vers un avenir toujours plus radieux. Refonder l’Etat républicain, c’est légitimer démocratiquement, à tous les niveaux, la représentation populaire, c’est exprimer une volonté organisée de combattre l’archaïsme et l’utilisation de la religion de notre peuple à des fins politiques, c’est donc prendre la mesure des enjeux de notre époque, et surtout de ceux qui attendent les générations futures. Refonder démocratiquement l’Etat et le système de pouvoir, c’est la plus décisive des ripostes à l’agression israélienne et des puissances occidentales contre le Liban et le peuple palestinien, c’est le plus fondamental des exemples pour construire le mouvement patriotique dont nous avons besoin à l’échelle nationale et à l’échelle du monde arabe. Bibliographie 1.Bernard Henry Levy : La guerre vue d’Israël in le Monde du 27 juillet 2006 2. Joschka Fischer : Iran könnte der grobe Gewinner in Die Zeit 20 juillet 2006 3. Tanya Reihart : in www.redress.btinternet.co.uk/treinhart 4. Robin Wright : Strikes are called part of broad startegy in Washington Post 16 juillet 2006 août-30 5. Zbigniew Brzezinski : Die einzige Weltmacht, Amerikas Strategie der Vorherrschaft Fischer Taschenbusch Verlag 6. Christophe Reveillard : L’Iran géopolitique in Géostratégie n° 12 -Avril 2006

Par Mahi Ahmed

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