Une déferlante progressiste

Publié le par Mahi Ahmed

Une déferlante progressiste
Éditorial du magazine The Nation, publié en ligne le 7 novembre 2012 :
http://www.thenation.com/article/171102/progressive-surge?rel=email#

Encore sous le choc d’une catastrophe, le pays a évité de tomber de Charybde en Scylla. La réélection du Président Obama, qui fait naître certains espoirs chez les progressistes, suscite un sentiment général de soulagement. Peut-être n’avons-nous pas assisté à une renaissance de la démocratie ce 6 novembre, mais les électeurs ont en tout cas permis la défaite d’un symbole vivant de la ploutocratie.

Il est important de rappeler, avant que Mitt Romney ne quitte la politique pour couler la confortable retraite d’un membre du 1 % des plus grosses fortunes des États-Unis, que sa victoire aurait mis en péril la sécurité de tous, à l’exception des privilégiés auxquels leur extrême richesse épargne entre autres choses le souci de trouver un foyer sûr et bien chauffé après un ouragan. Une victoire Romney/Ryan aurait permis de valider une vision du monde radicalement individualiste, aux antipodes de toutes les valeurs chères aux progressistes. Elle aurait supprimé la marge de manœuvre dont la gauche à besoin pour se renforcer, et consolidé les forces de la société qui, de la droite religieuse jusqu’à Wall Street et aux élites économiques, en passant par cette mécanique anti droit de vote qu’est le Tea Party, forment un bloc irréductible d’opposition à tous ceux qui luttent en faveur de l’égalité des chances aux États-Unis aujourd’hui.

Cette coalition de droite a été défaite par "un électorat américain émergent" regroupant les femmes, les afro-américains, les hispaniques, les jeunes ouvriers fortement syndiqués des États stratégiques du Middle West. Non seulement ces électeurs ont fourni à Obama la marge qui lui a assuré sa réélection, mais ils ont permis à plusieurs progressistes convaincus de remporter des victoires jubilatoires dans la course à des postes clés au Sénat : Dans le Massachusetts, Elisabeth Warren, professeur de droit à l’université d’Harvard qui milite activement en vue de l’assainissement du secteur financier, a ravi le siège de Scott Brown malgré les efforts désespérés de Wall Street pour la stopper. Dans l’Ohio c’est Sherrod Brown qui, malgré le déluge des spots de propagande négative déplafonnés (d’un montant de plus de 31 millions de dollars) du Comité d’action électorale, a battu son très populiste rival républicain ; dans le Wisconsin, Tammy Baldwin a évité que l’ex-gouverneur Tommy Thompson s’empare d’un siège vulnérable, devenant ainsi la première lesbienne ouvertement déclarée à siéger au Sénat, où elle viendra grossir les rangs d’un nombre déjà record de femmes. Merci aux électeurs pour cette réponse si adéquate à la guerre anti femmes menée par les Républicains.

Ces résultats donnent au Sénat une nouvelle majorité démocrate non seulement légèrement supérieure à l’ancienne, mais aussi franchement plus progressiste. Certaines victoires démocrates sont nées des faux-pas des Républicains de droite : la sénatrice du Missouri Claire Mc Caskill a sans nul doute bénéficié du commentaire scandaleux du Républicain Todd Askin sur le "véritable viol", tout comme le démocrate de l’Indiana, Joe Donnelly, a été favorisé (malgré ses propres positions contre l’avortement) par les propos consternants du chouchou du Tea Party Richard Mourdock. Mais d’autres, tels Chris Murphy dans le Connecticut et Tim Kaine en Virginie, ne doivent leur victoire qu’à une lutte acharnée contre les Républicains et leurs soutiens financiers démesurés.

Grâce à ces renforts, le comité électoral progressiste du Sénat offre au leader de la majorité Harry Reid une ouverture pour répondre aux pressions en faveur de la réforme des règles du Sénat, mettre fin à l’obstructionnisme abusif et faire de la majorité démocrate une force capable de peser efficacement dans les négociations - quel qu’en soit le sujet, depuis l’avenir de la Sécurité sociale jusqu’à la suppression des exonérations d’impôts pour les riches mises en place par Bush - malgré une Chambre des représentants toujours aux mains des Républicains. Les choses seront plus difficiles pour le leader des minorités Nancy Pelosi, mais elle dispose d’un comité combattif, renforcé par l’arrivée de nouveaux venus comme Mark Pocan du Wisconsin, Ann McLane Kuster du New Hampshire et Alan Grayson de Floride. Les Démocrates feraient bien de prendre exemple sur ce dernier : après avoir perdu son siège pour 18 points en 2010, il a opéré un retour triomphal en 2012 en promettant de servir comme "un membre du Congrès qui se battra pour le plein emploi, la couverture médicale universelle, le maintien de la sécurité sociale, le Medicare, le Medicaid, les prestations santé, les congés maladies payés, les congés payés et tout ce dont nous avons besoin pour mener une vie décente ; un membre du Congrès qui va lutter pour l’impôt progressif et s’assurer que même les "pleins aux as" soient obligés de verser leur juste contribution, qui va se battre pour la moralisation des domaines financiers et politiques...un membre du Congrès qui luttera pour la justice, l’égalité et la paix".

Ceux qui, comme Grayson, cherchent à écarter les grandes fortunes qui corrompent notre système politique, ont intérêt à suivre attentivement la tendance réformiste qui s’exprime actuellement, à la fois au Sénat et à la Chambre, à travers la mise en place de la proposition de réforme du financement des campagnes législatives baptisée Fair Elections Now, soutenue vraisemblablement non seulement par les sympathisants habituels du parti démocrate, mais également par l’indépendant Angus King, qui a cautionné un système électoral de ce style dans le Maine.

Ce fut encourageant d’entendre le Président insister, dans son discours de victoire, sur la nécessité de réformer notre système électoral. Mais les militants de base savent désormais que compter sur la sympathie du Président n’est pas la plus efficace des stratégies. Les changements désespérément nécessaires en matière d’assainissement des finances, et dans d’autres domaines comme la réforme de l’immigration, qu’Obama, malgré ses promesses, n’a pas réussi à mettre en œuvre pendant son premier mandat, seront menés à bien par des mouvements indépendants, réunissant une mobilisation populaire générale et un puissant électorat progressiste que ni la Maison Blanche ni le Congrès ne peuvent se permettre d’ignorer.

Ces mouvements progressistes n’attendront pas janvier, la nouvelle prestation de serment du Président et la prochaine convention du Congrès. C’est maintenant qu’il faut relever le défi.

Suite à l’accord sur le plafonnement de la dette, le pays sera confronté à la fin de cette année à une "falaise fiscale" qui risque d’entraîner des coupes désastreuses dans les programmes sociaux tout en replongeant le pays dans la récession. Faute d’une mobilisation populaire massive, seuls les programmes gouvernementaux et les administrations généreusement financés par les lobbies de Washington peuvent espérer sortir indemnes d’un Congrès de transition en proie à la panique.

Malheureusement, comme l’écrivait sans ambages Robert Borosage dans ces colonnes il y a tout juste une semaine, “dans la lutte fondamentale contre ’la politique d’austérité et ses coupes sombres’, un Président Obama réélu sera probablement du mauvais côté". Le Président en tient toujours pour un "grand marchandage" dont les effets les plus néfastes toucheront une fois de plus, selon l’expression méprisante de Romney, "ces 47 % d’assistés" qui ne comptent que sur les programmes et services gouvernementaux pour joindre les deux bouts. Les progressistes ne peuvent donc pas se permettre de perdre un seul jour dans leur lutte pour établir leur propre agenda indépendant. Nous devons faire de la crise de l’emploi une priorité, en écartant des discussions nationales le thème du déficit, et la peur qu’il engendre, pour les recentrer sur les investissements dans l’éducation et des infrastructures réellement utiles pour l’avenir de notre pays.

La catastrophe naturelle qui a frappé la Côte Est a clarifié notre situation et nous a permis d’entrevoir une voie alternative. Peut-être les violentes tempêtes de Sandy vont-elles pousser le pays à reconsidérer sa vision du gouvernement et de la fonction publique, à prendre conscience de la nécessité de reconstruire l’infrastructure de l’Amérique (tout en créant de nombreux emplois productifs) et à prendre enfin plus au sérieux le bouleversement climatique. Au moins, après une campagne au cours de laquelle il n’avait que trop rarement abordé le sujet, le Président a-t-il admis la nuit de son élection la nécessité d’agir contre le réchauffement de la planète. Peut-être, l’ouragan constituera-t-il également un puissant argument contre l’austérité, là où Obama a échoué.

Nous nous réjouissons que le scrutin ait écarté la fraction la plus riche de la population. Nous nous réjouissons que la minorité raciste qui empoisonne la politique de ce pays se soit vue barrer la route. Nous nous réjouissons que la politique progressiste [financement par de petits contributeurs, vote anticipé, électorat diversifié et élargi] ait fait la différence. Nous sommes prêts à aider, voire à encourager, le Président Obama à réussir son deuxième mandat. Quelle que soit l’intransigeance que lui opposera le Congrès, son pouvoir exécutif lui donne une grande latitude en matière d’immigration, comme nous l’avons vu, d’assouplissement de la guerre contre la drogue, et même au niveau des émissions de CO2 et du climat.

Mais foin des demi-mesures ; ce dont nous avons besoin, c’est d’un changement structurel en profondeur. Et c’est aux organisations qui ont réussi à battre en brèche la haute finance lors de cette élection qu’il incombe de l’initier.

La rédaction

 

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