UNE CONSULTATION DE PURE FORME

Publié le par Mahi Ahmed

UNE CONSULTATION DE PURE FORME

par K. Selim

Pour les historiens de demain, les  élections dans le monde arabe des XXe et XXIe siècles apparaîtront comme des incongruités politiques, uniques repères du temps qui passe dans des autocraties immobiles.

 Il en est ainsi de la convocation du corps électoral égyptien pour des résultats courus d'avance. Sous état d'urgence ininterrompu depuis l'assassinat d'Anwar El-Sadate il y a trente ans, verrouillage institutionnel interdisant toute vie politique et toute perspective de renouvellement, sinon d'alternance, l'Egypte est l'expression achevée des républiques vidées de tout contenu démocratique.

 La consultation purement formelle qui s'est déroulée hier n'a d'autre signification que d'assurer le degré zéro de la légitimité à des instances qui ne reposent que sur la contrainte. La seule justification de cet ordre des choses est la crainte que la libre expression populaire ne débouche sur l'avènement d'un régime obscurantiste dirigé par l'organisation des Frères musulmans. Le système égyptien est passé maître dans l'instrumentalisation de la religion et de la manipulation du dogme à des fins politiques.

 En réalité, l'autoritarisme au service d'une caste de nantis nourrit précisément l'extrémisme qu'il prétend combattre. Après des décennies de gestion brutale des oppositions, qu'elles soient laïques ou religieuses, la réalité sociopolitique du pays du Nil est plus que jamais sous l'influence des islamistes.

 Certes, l'étouffement des libertés n'explique pas tout. La misère de l'écrasante majorité du peuple égyptien et l'opulence d'une minorité sont le terreau d'une rupture rampante mais radicale de l'ordre établi. Au bord du Nil, la corruption atteint des niveaux inégalés dans une région où elle n'est pas le moindre des fléaux.

 A ces facteurs endogènes, s'ajoutent l'alignement servile sur les Etats-Unis et la politique de collaboration avec Israël. Ces deux faces d'une même médaille «stratégique» forment également un des paramètres structurants de l'aversion populaire pour le régime cairote.

 L'Egypte a cessé depuis longtemps d'être à l'avant-garde du réveil arabe, amer constat pour les intellectuels égyptiens qui observent que le centre du monde arabo-musulman s'est déplacé vers Ankara. L'armée turque et l'AKP démontrent tous les jours que la modernité démocratique n'est pas incompatible avec l'Islam et l'efficacité économique.

 La victoire préfabriquée du parti présidentiel, le Parti national démocratique (PND), ne peut pas effacer la réalité. Le trucage et la fraude à très grande échelle ne peuvent que conforter ceux qui estiment qu'il n'y a rien à attendre de ce genre d'exercice et que le dévoiement des mécanismes démocratiques lui confère un caractère de gesticulation simiesque qui ne trompe personne.

 Ces élections sans enjeu n'ont d'intérêt qu'en raison de l'âge avancé du président Moubarak et par les manœuvres pour préparer une succession qui se rapproche inexorablement. Le reste n'est que littérature.

 Mais les historiens de demain pourront peut-être faire le parallèle entre la consultation égyptienne, qui bénéficie de commentaires très modérés dans la presse occidentale, et le déchaînement d'indignation qui avait accompagné, il y a quelques mois, les élections en Iran. Les condamnations ont plu sur Téhéran, dont pourtant le degré d'ouverture et de sincérité électorale est sans commune mesure avec la mascarade égyptienne.

 Pour les démocraties occidentales, les dictatures arabes sont des clients et des alliés malléables. Jusqu'à quand ?

http://www.lequotidien-oran.com/?news=5146080

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