Les dangereux paris de Benyamin Netanyahou

Publié le par Mahi Ahmed

Les dangereux paris de Benyamin Netanyahou

Laurent Zecchini (Correspondant du Monde à Jérusalem)

 

publié le jeudi 25 mars 2010.

 

LE MONDE | 23.03.10 | 13h21

Il faut reconnaître à Benyamin Nétanyahou une logique : la politique de colonisation qu’il défend depuis plus de dix ans a beau bafouer les droits historiques des Palestiniens, elle n’en est pas moins "démocratique", en ce sens qu’elle est conforme au mandat qu’il a reçu des Israéliens le 10 février 2009.

Le premier ministre israélien dirige le gouvernement le plus à droite de l’histoire du pays, avec des partis appartenant à l’extrême droite et au fondamentalisme juif le plus intransigeant, mais un constat s’impose : depuis qu’Israël a pris le contrôle de la partie arabe de la Ville sainte à la faveur de la guerre de 1967, tous les premiers ministres israéliens successifs ont construit à Jérusalem-Est.

La question est de savoir si la poursuite de cette politique sert les intérêts à long terme des Israéliens, ou si elle est suicidaire. En un an de mandat, M. Nétanyahou a réussi l’exploit douteux d’avoir fait reculer les négociations de paix avec les Palestiniens, et d’avoir affaibli la relation stratégique entre l’Etat juif et les Etats-Unis. Car, si l’aide annuelle américaine d’environ 3 milliards de dollars à Israël représente 20 % de son budget militaire, elle n’est que la partie la plus visible de cette dépendance.

L’industrie militaire israélienne est sans rivale au Proche-Orient, mais l’aviation de Tsahal nécessite un flux continu de pièces détachées en provenance de l’Amérique. Ce soutien logistique est indispensable si Israël devait mener des guerres longues, a fortiori dans le cadre d’un conflit avec l’Iran. Il s’agit d’une aide économique déguisée qui trouve aux Etats-Unis son principal marché d’exportation.

Sur le plan diplomatique, Washington offre un "parapluie" permanent à Israël en écartant des votes hostiles à l’Etat juif aux Nations unies. Quant à la politique d’"ambiguïté nucléaire" d’Israël, elle bénéficie de la complicité américaine depuis les années 1970. Si l’administration Obama en avait la volonté politique, elle pourrait faire pression sur M. Nétanyahou, en imitant l’exemple de George Bush (père) et de son secrétaire d’Etat James Baker : en 1991, confrontés au même défi de la colonisation, ils avaient suspendu l’octroi de garanties bancaires de plusieurs milliards de dollars.

Cette "relation spéciale" avec les Etats-Unis n’est pas exempte d’une certaine schizophrénie, puisque l’aide publique et privée des Américains sert de facto à financer la colonisation juive dans les territoires palestiniens, dont Washington demande l’arrêt. Un gel de celle-ci à Jérusalem, a plaidé M. Nétanyahou, reviendrait à franchir une ligne rouge pour les partis de droite et religieux, et précipiterait la chute de son gouvernement. C’est probablement exact, mais cela n’empêche pas que l’idée d’un changement de majorité est évoquée, à Jérusalem comme à Washington.

Le président Shimon Pérès pousse M. Nétanyahou à se doter d’un gouvernement cohérent, avec l’objectif de parvenir à un accord de paix avec les Palestiniens, ce qui signifie faire appel à Tzipi Livni, chef de file de l’opposition et du parti centriste Kadima. L’administration Obama est favorable à un tel aggiornamento. M. Nétanyahou dispose-t-il d’une majorité de rechange ? Oui et non. Faire entrer Kadima, c’est prendre le risque d’une possible scission au sein de son propre parti, le Likoud, très lié au lobby des colons.

Se débarrasser du parti religieux ultraorthodoxe Shas et de son président et ministre de l’intérieur Eli Yishai, boutefeu de la crise passagère avec Washington, c’est s’aliéner le puissant chef spirituel de Shas, le rabbin Ovadia Yossef. En refusant d’arrêter la colonisation à Jérusalem-Est, M. Nétanyahou confirme qu’il attache plus d’importance à l’avis du "parti des colons", qu’à celui de la Maison Blanche.

Les Palestiniens ont assisté avec une certaine satisfaction aux soubresauts de la relation israélo-américaine. Mahmoud Abbas, président de l’Autorité palestinienne, sait qu’il doit exploiter avec doigté l’irritation américaine envers M. Nétanyahou. Celle-ci lui redonne un avantage politique, mais l’extension des violences dans les territoires occupés peut replacer les Palestiniens en position d’accusés.

Le Hamas, hostile aux négociations de paix et à toute normalisation de la situation en Cisjordanie, s’efforce d’y allumer la mèche d’une "troisième Intifada". Mais cinq ans ont passé depuis la fin du dernier soulèvement populaire (2000-2005), et une grande partie de la population palestinienne aspire à profiter de la croissance économique. La stratégie du premier ministre Salam Fayyad, qui vise à construire les fondations d’un Etat palestinien avant d’obtenir la reconnaissance de son indépendance en 2011, semble sage, mais fragile.

M. Nétanyahou n’a fait aucun geste pour dissiper le soupçon que son adhésion au principe de "deux Etats pour deux peuples" était tactique. Il poursuit un étrange raisonnement : la politique de colonisation et d’annexion rampante de la partie arabe de Jérusalem mène à une impasse en interdisant la viabilité d’un Etat palestinien. Si cette perspective s’évanouit, Israël se retrouvera dans le pire des scénarios : un Etat israélien binational devant gérer par la coercition une minorité palestinienne qui deviendra inexorablement majorité. Cet Etat en rappelle un autre : l’Afrique du Sud de l’apartheid.

Courriel : lzecchini@lemonde.fr.

http://www.lemonde.fr/opinions/article/2010/03/23/les-dangereux-paris-de-benyamin-netanyahou-par-laurent-zecchini_1323240_3232.html

 

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