Le projet occidental pour l’Orient : des régimes parlementaires sous protectorat

Publié le par Mahi Ahmed

 

Le projet occidental pour l’Orient : des régimes parlementaires sous protectorat

par Pierre Khalaf

Partenaires | Beyrouth (Liban) | 5

La tendance générale

Des régimes parlementaires sous protectorat
Ce qui se passe en Libye constitue le modèle que réserve au monde arabe une alliance politique composée des Frères musulmans, des milieux de la bourgeoisie libérale et de certains mouvements de la gauche. Avec quelques nuances imposées par les nombreuses spécificités entre un pays et un autre, l’exemple libyen offre un échantillon du projet politique vers lequel sont entrainées les sociétés arabes, qui bâtissent les illusions de leur salut sur l’idée de l’intervention étrangère pour répandre la démocratie et se débarrasser du joug despotisme et de la tyrannie.
Dans le cas libyen, nous assistons à un renouvellement de l’hégémonie coloniale sur le pays et sur ses richesses pétrolières, basé sur un partage de l’influence et du butin entre les puissances occidentales. L’élément nouveau est l’entrée en jeu de la France en tant que partenaire principal, après que le Conseil national de transition (CNT) se soit engagé à accorder aux compagnies françaises 35 % du pétrole, comme l’a révélé un haut responsable du CNT au Parisien. La présence états-unienne, britannique et italienne est préservée, tandis que les influences chinoises et russes sont en voie de liquidation, non pas à cause des positions de ces deux pays dans la crise libyenne mais parce que ces influences sont considérées comme des vestiges de la Guerre froide qu’il faut absolument éliminer.
Sur le plan interne, le système qui est concocté sous la férule de l’Occident colonial et triomphateur est un régime républicain, parlementaire sous l’intitulé de démocratie. Rien de nouveau car il s’agit d’un calque des régimes que les puissances mandataires avaient installés dans les années 20 du siècle dernier : des élites qui se partageaient des Parlements dans le cadre d’élections et d’une vie politique, le tout sous la stricte surveillance d’un haut commissaire. Tout ce monde évoluait sous un plafond fixé par la puissance mandataire, qui disposait d’un mandat « légal » délivré par l’ancêtre des Nations unies, la Société des nations (SDN). C’est pratiquement le même système qui est en train d’être mis en place aujourd’hui, avec certainement plus de subtilité, vu que les temps ont changé.
Il y a un siècle, les pays arabes vivaient sous des monarchies constitutionnelles, ou des régimes parlementaires, avec des partis politiques qui « remportaient » des élections et « formaient » des gouvernements, l’ensemble du processus étant réglé, régi et dirigé par la puissance coloniale.
L’histoire se répète avec des acteurs nouveaux, le plus important étant la Confrérie des Frères musulmans, qui, après 60 ans d’exclusion des cercles du pouvoir, n’a pas trouvé de meilleur cheval que celui de l’Occident pour accéder aux plus hautes sphères de la société.
Le drame est que cette alliance ne propose aucun projet politique ou vision économique pour sortir les sociétés arabes du sous-développement. Prendre le pouvoir est son but et tous les moyens sont bons pour y parvenir. Tout le reste n’a plus aucune importance, pas même la cause de la Palestine, que ces nouvelles élites dirigeantes excluent de leur discours politique. La réussite de ce projet risque de plonger les pays arabes dans un siècle d’obscurantisme et de livrer les richesses au pillage par de l’Occident qui ne laissera que les miettes à ceux qu’il aura aidé à arracher le pouvoir aux despotes pour le monopoliser à leur tour

La tendance en Syrie

Les contras syriens à pied d’œuvre
Tout observateur honnête aura constaté que la mobilisation des contestataires le dernier vendredi en Syrie frôlait le ridicule. Pas plus de 10 000 personnes ont répondu dans l’ensemble de la Syrie à l’appel à manifester, placé sous l’intitulé « La mort plutôt que l’humiliation ». La couverture médiatique de ces modestes rassemblements était inversement proportionnelle au nombre des participants. La tactique des agitateurs est d’organiser des rassemblements dans des villages lointains « pour la photo », afin de donner l’impression que la « révolution » se poursuit, alors qu’il n’est plus un secret pour personne que les grandes villes comme Damas, Alep, Hassaka, Raqqa et d’autres encore, refusent obstinément de participer à la déstabilisation du pays.
En revanche, les extrémistes armés restent actifs dans de nombreuses régions, notamment à Homs, au centre, certains villages de la province de Daraa, au Sud et Deir Ezzor à l’Est. Pas plus tard que dimanche, six militaires, dont un officier et trois fonctionnaires civils ont été tués dans une embuscade tendue dans le centre du pays. Même l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), qui est la principale source des médias occidentaux, a reconnu que pendant le mois du Ramadan, 500 personnes ont été tuées en Syrie, dont 113 militaires.
Ces groupes armées qui tuent, kidnappent, sabotent et détruisent, ressemblent en tout point aux tristement célèbres Contras, créés, entrainés et financés par la CIA, dans les années 80, pour déstabiliser le Nicaragua.
En donnant l’impression que la mobilisation reste forte et en alimentant les violences, ces groupes extrémistes veulent préparer le terrain à une intervention étrangère contre leur propre pays. Ils pavent la voie à un renforcement des sanctions dans l’espoir d’affaiblir le pouvoir central et faciliter une action militaire de l’Otan via la Turquie. La finalité étant de créer les conditions favorables à une répétition du scénario libyen en Syrie.
Mais ces équations sont basées sur de faux calculs. Tout d’abord, le pouvoir syrien reste soudé dans chacune de ses composantes, notamment l’armée, les services de sécurité et le corps diplomatique. Il dispose d’un solide soutien populaire qui s’est déjà manifesté à plusieurs reprises avec le refus des grandes villes de prendre part au mouvement de contestation et les millions de personnes qui sont descendues dans la rue pour exprimer leur soutien au président Bachar el-Assad. Ensuite, le régime a entamé des réformes selon un calendrier national qui ne prend pas en compte les exigences et les intérêts des occidentaux. Ce qui explique la colère des ces derniers. Enfin, la Syrie continue de jouir de forts soutiens sur la scène internationale. Pas plus tard que dimanche, le ministre russe des Affaires étrangères a assuré que les pays du BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) refusent la réédition en Syrie du scénario libyen. Serguei Lavrov a accusé l’Occident d’encourager l’opposition syrienne à refuser le dialogue avec le pouvoir dans le but de déstabiliser le pays.
Dans ce contexte, il est clair que les États-Unis et leurs agents européens et arabes devront attendre longtemps avant de voir le régime syrien faiblir et céder à leurs menaces et autres intimidations.

La tendance au Liban

Dans sa décadence, le haririsme s’en prend à l’armé et au grand mufti de la République
La campagne politique et médiatique féroce qu’a lancée le Courant du Futur de Saad Hariri contre l’Armée libanaise et le grand mufti sunnite de la République, illustre la décadence politique d’un mouvement qui a dirigé le Liban pendant 20 ans après la fin de la guerre civile et la conclusion de l’accord de Taef. Ce courant s’élance sans frein, la tête devant, en brisant des limites et en violant des principes politiques et moraux que son fondateur, Rafic Hariri, avait fixés pour être en phase avec les habitudes et les spécificités libanaises.
Le mufti Mohammad Rachid Kabbani a offert pendant 20 ans une précieuse couverture politique et morale au haririsme et a respecté une vieille tradition qui voulait que Dar el-Fatwa (le siège des muftis) reste aux cotés du Premier ministre (qui est toujours sunnite au Liban). Ces six dernières années, cheikh Kabbani s’est mis en porte-à-faux avec de grandes figures de la communauté sunnite pour défendre Saad Hariri et avant lui Fouad Siniora. Il a fourni un filet protecteur communautaire à des personnalités sunnites qui ont commis des crimes impardonnables contre la patrie, comme le député actuel Ahmad Fatfat, qui a ordonné aux forces militaires au Liban-Sud, alors qu’il était ministre de l’Intérieur lors de la guerre de 2006, d’ouvrir la caserne de Marjeyoun à l’armée israélienne et d’offrir du thé aux officiers ennemis.
Lorsqu’aujourd’hui, cheikh Kabbani, fidèle à la tradition, veut rester proche du nouveau Premier ministre et lui assurer une protection politique et morale en sa qualité de plus haut responsable sunnite dans un système basé sur le « confessionnalisme politique », il est critiqué, boycotté et qualifié de « traitre » par le Courant du futur. Le parti de Saad Hariri avait d’ailleurs eu la même attitude peu chevaleresque à l’égard de Najib Mikati après sa nomination au poste de Premier ministre.
La campagne contre l’Armée libanaise illustre, pour sa part, la mentalité milicienne et antiétatique du Courant du futur. Ces six dernières années, le masque du « parti civilisé tournée vers l’action politique et éducative » était tombé, quand les hordes armées de ce mouvement ont sévi partout au Liban. Mais en s’attaquant à l’armée, les haririens commettent une grave erreur politique car le principal vivier de l’institution militaire se trouve dans les régions sunnites pauvres, de tout temps délaissées par le Courant du futur, notamment le Akkar, au Nord, la Bekaa-Ouest et l’Iqlim el-Kharroub, au Mont-Liban.
Dans sa chute, le discours décadent du Courant du futur ressemble de plus en plus à ceux des groupuscules extrémistes sunnites d’affiliation al-Qaida, comme Jund el-Cham et Fateh el-Islam, qu’il a d’ailleurs contribué à financer. Ce comportement qui frôle l’hystérie est sans doute dû au fait que les promesses états-uniennes sur l’imminence de la chute du régime syrien ne se sont toujours pas réalisées et ne se réaliseront pas de sitôt, alors qu’il s’est impliqué à tous les niveaux dans le plan de déstabilisation de la Syrie.
La virulence des campagnes contre Najib Mikati et l’armée s’expliquent par le refus du Premier ministre et de l’institution militaire de cautionner ce plan. Bien au contraire, de par son attitude politique, Mikati a assuré une couverture solide à l’armée qui tente d’empêcher que le Liban ne soit transformé en rampe de lancement contre la Syrie. Au grand dam de Marwan Hamadé et Johnny Abdo, inventeur de cette théorie de rampe de lancement qui avait pour objectif de compléter, avec l’aide de Jacques Chirac, le complot commencé avec l’assassinat de Rafic Hariri, et qui visait à ancrer solidement le Liban au camp israélo-américain.

http://www.voltairenet.org/Le-projet-occidental-pour-l-Orient

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