La Palestine à l’ONU, mirage ou réalité ?

Publié le par Mahi Ahmed

La Palestine à l’ONU, mirage ou réalité ?

Hocine Belalloufi

Mardi 20 Septembre 2011

 

 

 

La demande d’adhésion de l’Etat de Palestine à l’ONU, qui doit être formulée le 23 septembre 2011 par le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, fait débat. S’agit-il d’un coup d’épée dans l’eau, d’une diversion, voire d’une trahison ? S’agit-il au contraire d’une brèche ouverte dans une situation politique bloquée ?

Cela fait une année que les négociations israélo-palestiniennes sont totalement interrompues, du fait du refus des Israéliens de mettre fin à la colonisation continue des territoires occupés de Cisjordanie et de la formulation permanente, par Tel-Aviv, de nouvelles exigences telles que la reconnaissance d’Israël en tant qu’«Etat des Juifs». Les parrains américains et européens se sont révélés incapables d’amener les dirigeants israéliens à négocier sérieusement et à cesser d’agir de façon unilatérale.
Afin de sortir de l’impasse d’un processus de paix désormais moribond, l’Autorité palestinienne a décidé de présenter à l’ONU une demande d’admission de l’Etat de Palestine sur les frontières de 1967 avec Jérusalem-Est pour capitale. Transmise au Conseil de sécurité par le Secrétaire général de l’ONU, cette demande doit remplir deux conditions pour être avalisée. Il lui faut d’abord recevoir le soutien d’au moins neuf des quinze membres du Conseil de sécurité. Il convient ensuite qu’aucun des cinq membres de ce Conseil de sécurité n’appose son véto. Si ces deux exigences sont satisfaites, la Palestine deviendra le 194e Etat de l’ONU. Dans le cas contraire, les Palestiniens adresseront leur requête à l’Assemblée générale des Nations-Unies qui regroupe 193 pays. Le droit de véto ne fonctionnant pas au niveau de l’Assemblée générale, la majorité de la plénière suffira pour l’obtention d’un statut amélioré d’Etat observateur non-membre. Cela leur permettrait de rejoindre un certain nombre d’institutions telles que la Cour pénale internationale (CPI) de la Haye.
L’initiative de Mahmoud Abbas a suscité maintes réactions en Palestine et dans le monde. Elle a provoqué une grande bataille diplomatique, Israël et ses alliés se mobilisant pour tenter, sans succès à ce jour, de faire revenir le président de l’Autorité palestinienne sur sa décision.
 

 

 

Les opposants à l’initiative de l’Autorité palestinienne

Au sein de la population et du mouvement national palestinien, la démarche de Mahmoud Abbas ne fait pas l’unanimité. Des citoyens palestiniens ont fait montre de scepticisme, d’autres ont carrément exprimé leur opposition. Au sein même de l’Autorité palestinienne, Salem Fayyad, Premier ministre de Mahmoud Abbas, a affirmé son désaccord. A Gaza, le Hamas accorde peu d’importance à cette initiative dont il n’attend rien de significatif. Cela ne l’empêche pas de se montrer très critique à son égard. Considérant que le mandat présidentiel de Mahmoud Abbas est arrivé à expiration depuis longtemps, les dirigeants du mouvement de Khaled Mechaal jugent que la priorité doit aller à la mise en œuvre de l’accord de réconciliation entre le Fatah et leur parti. Ils craignent que cette démarche ne se traduise par une renonciation aux frontières de 1948, un oubli des réfugiés et un abandon des droits à la résistance et à l’autodétermination. Enfin, ils reprochent à son initiateur d’agir en solitaire, sans concertation avec les autres factions palestiniennes.
Le Djihad islamique a affirmé son intention de libérer toute la Palestine et son refus de concéder même un iota de cette terre aux sionistes.
De son côté, le gouvernement israélien a fermement condamné l’initiative de Mahmoud Abbas. Le cabinet de Benyamin Netanyahu prône un retour à des négociations directes qu’il n’a eu de cesse de saboter, à l’instar des gouvernements israéliens précédents. Israël refuse en effet de négocier sur la base des frontières de 1967, dernière base crédible pour l’édification d’un Etat palestinien un tant soit peu viable. Accusant les Palestiniens d’agir de façon unilatérale, il oublie qu’Israël a toujours placé ses vis-à-vis ainsi que toute la communauté internationale devant le fait accompli.
Les Etats-Unis, qui se tiennent inconditionnellement aux côtés d’Israël, ont dénoncé l’initiative palestinienne. Le président Obama n’a pas hésité à la qualifier de «diversion». Quant au Congrès américain, il pourrait couper les cordons de la bourse à l’Autorité palestinienne. Parrains et alliés inconditionnels d’Israël, les Etats-Unis tentent depuis plusieurs semaines d’empêcher que la demande palestinienne n’obtienne le quota indispensable au sein du Conseil de sécurité. Le président Obama ayant affirmé, il y a exactement une année, sa volonté de voir arriver un Etat palestinien à l’ONU en 2011, ils préfèreraient ne pas utiliser leur droit de véto afin de ne pas ruiner davantage leur réputation dans le monde arabe ! Mais dans le cas où ils y seraient contraints, les Etats-Unis n’ont pas fait mystère de leur détermination à apposer leur véto afin d’empêcher la Palestine d’intégrer l’ONU en tant qu’Etat à part entière.
L’UE, comme à son habitude, a adopté une position ambigüe dans la forme mais claire sur le fond. Se tenant formellement à équidistance des deux protagonistes auxquels elle a demandé de faire des sacrifices, elle s’est rangée en réalité sur la position israélienne de refus de la demande palestinienne. L’envoyé spécial du Quartette pour le Proche-Orient (Etats-Unis, ONU, UE et Russie) a opté pour la même attitude. Mais Tony Blair n’a pu s’exprimer officiellement au nom du Quartette, la Russie soutenant l’initiative de Mahmoud Abbas.
 

 

 

Les partisans de l’initiative

Des citoyens palestiniens soutiennent l’initiative de Mahmoud Abbas. Au sein du mouvement national, le Fatah, mouvement du leader de l’OLP est partie prenante de la démarche. D’autres mouvements de l’OLP partagent la même position. Il s’agit du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), du Front démocratique de libération de la Palestine (FDLP) et du Parti du peuple palestinien (PPP). Tous se sont mobilisés, en Palestine et sur la scène diplomatique régionale et internationale.
Cette initiative est soutenue en Israël même par des antisionistes mais également par des sionistes qui entendent préserver la sécurité de leur Etat, c’est-à-dire les territoires colonisés en 1948, et éviter qu’il ne soit davantage isolé sur la scène internationale. C’est ainsi que des responsables, militaires et hommes d’affaires pour la plupart, ont lancé il y a quelques mois une initiative en faveur de la création d’un Etat palestinien aux côtés d’Israël. Des artistes, scientifiques, universitaires et hommes de lettres ont par la suite signé une pétition allant dans ce sens.
Dans le monde, la demande devrait être soutenue par 129 Etats au nombre desquels figurent ceux de la Ligue arabe, la Russie, la Chine, la Turquie, des pays musulmans ainsi que des pays africains (Afrique du Sud, Erythrée, Zimbabwe…), asiatiques (Inde, Pakistan, Vietnam, Corée du Nord…) et latino-américains (Cuba, le Venezuela, la Bolivie…). L’Iran, par la voix de son président, a affirmé que la reconnaissance de l’Etat de Palestine à l’ONU constituerait un premier pas vers la libération de toute la Palestine. Les pressions occidentales étant particulièrement fortes, il se peut que tel ou tel Etat se rétracte finalement, mais une large majorité – de l’ordre des deux-tiers – devrait normalement voter en faveur de la Palestine.
 

 

 

L’entrée de la Palestine à l’ONU ne constitue pas une solution miracle

En Israël, certains considèrent que l’initiative de l’Autorité palestinienne relève juste d’une campagne de relations publiques sans importance. Pour eux rien ne changera car ce n’est pas à l’ONU, mais sur le terrain que les frontières se tracent. Des Palestiniens ainsi que de nombreux partisans ou adversaires d’Israël à travers le monde partagent cette vision des choses.
Ceux qui pensent que la décision de l’ONU ne changera pas la donne sur le terrain ont raison. Ce n’est effectivement pas dans cette organisation internationale que les choses se jouent. Surtout lorsque la décision a trait à cet «enfant gâté» des grandes puissances occidentales qu’est Israël. Il faudra davantage qu’une simple décision de l’Assemblée générale ou qu’une résolution du Conseil de sécurité pour contraindre cet «Etat voyou» à respecter la «légalité internationale». C’est en dizaines que se comptent les résolutions internationales que l’Etat hébreu a foulées aux pieds depuis sa création. Israël ne connaît que la force qu’il utilise sans vergogne et de façon criminelle comme l’attestent les dernières expériences : attaque du navire Le Marmara, agression de Gaza, guerre du Liban…
Pour l’amener à composer, il convient de modifier le rapport de force qui est totalement en sa faveur aujourd’hui. Ce n’est qu’ainsi que l’on pourra espérer le contraindre à accepter ce qu’il refuse aujourd’hui, à savoir l’édification d’un Etat sur les frontières de 1967 avec Jérusalem-Est pour capitale et le retour des réfugiés. En attendant, les dirigeants sionistes continueront à bafouer le droit international et à avaler ce qui reste de la Palestine historique. La Cisjordanie occupée par l’armée sioniste compte pas moins de 500 000 colons aujourd’hui. Ils ne partiront pas par un simple vote de l’Assemblée générale de l’ONU. Israël engloutit chaque jour un peu plus Jérusalem-Est qu’il a annexé. Il faudra davantage qu’une simple résolution du Conseil de sécurité – en admettant même que celle-ci soit adoptée – pour y mettre un terme. Plus d’un million et demi de Palestiniens enfermés à Gaza vivent un calvaire du fait du blocus imposé par Israël. Ce n’est pas dans les salons feutrés de New-York que l’on sera en mesure de briser ce blocus mais en ouvrant totalement et inconditionnellement le passage de Raffah avec l’Egypte et en escortant militairement les navires désireux de se rendre à Gaza, comme l’a annoncé le Premier ministre turc récemment. C’est par la résistance armée que les Libanais ont défait politiquement Israël en 2006.
Il ne faut donc pas attendre du probable vote de l’Assemblée générale qu’il se traduise immédiatement sur le terrain. Israël n’acceptera pas davantage un Etat palestinien la semaine prochaine qu’aujourd’hui. Son objectif stratégique est clair : coloniser toute la Palestine.
 

 

 

Une bataille à mener et à gagner

La bataille pour imposer l’intégration d’un Etat palestinien à l’ONU ne modifiera pas comme par enchantement le rapport de force actuellement en faveur d’Israël. Elle débouchera encore moins sur la fin de l’odieuse et inacceptable colonisation de toute la Palestine. Mais ce n’est pas une raison pour refuser de la mener car cette bataille ne s’oppose nullement, bien au contraire, à l’action visant à inverser le rapport de force au profit des Palestiniens. Il s’agit d’une bataille tactique qui constitue un jalon dans l’objectif stratégique qui consiste à réaliser les objectifs historiques du mouvement national palestinien.
Cette bataille contribue d’abord à accroître l’isolement d’Israël sur la scène politique et diplomatique régionale et internationale. Les menaces israéliennes de mesures de rétorsion dures (déclarer caducs les accords d’Oslo, interdire de sortie les responsables de l’Autorité palestinienne de Cisjordanie, bloquer les revenus de l’Autorité, voire annexer des colonies…) prouvent que l’initiative palestinienne fait peur aux dirigeants sionistes. Ils sont sur la défensive. Ils craignent en particulier que les Palestiniens puissent contester l’occupation de la Cisjordanie par 500 000 colons devant la Cours pénale internationale (CPI).
Par son caractère modéré – l’obtention d’un petit strapontin à l’ONU – la demande palestinienne brise le consensus politique de la société israélienne et de son régime et rallie à la cause palestinienne les gouvernements qui, à l’instar de ceux de Turquie ou d’Egypte, étaient jusqu’ici les alliés stratégiques d’Israël. Isoler Israël ne signifie pas gagner à la cause de sa destruction un maximum d’Etats mais juste gagner les plus modérés d’entre eux, ceux qui acceptent le fait colonial sioniste, mais qui refusent l’outrance des dirigeants de cet Etat. C’est cela qui fait mal à Israël aujourd’hui. Perdre un à un ses anciens alliés. Perdre son aura et son statut d’éternelle victime démocrate des barbares du monde arabe.
Cette bataille a comme autre avantage, non négligeable, d’amener l’Autorité palestinienne à rompre avec sa stratégie de soumission, de négociation sans lutte. Une stratégie suicidaire qui a divisé et affaibli le peuple palestinien et qui a amené beaucoup de Palestiniens et de sympathisants de leur cause dans le monde à considérer que Mahmoud Abbas et son gouvernement collaboraient avec l’occupant. Comment ne pas se féliciter que ces anciens alliés contre-nature rompent leur alliance totalement stérile pour les Palestiniens car uniquement avantageuse aux Israéliens ? Une telle rupture ne peut que réintégrer dans le combat des forces qui en avaient été retranchées et qui ne pesaient plus dans le rapport de force au profit des Palestiniens. Elle ne peut que renforcer l’unité des mouvements de résistance et ouvrir de nouvelles perspectives de lutte à ce peuple.
Un autre avantage, non négligeable, consiste à dissiper la pseudo brouille entre les Etats-Unis et Israël afin de mieux faire apparaître aux yeux du plus grand nombre la collusion étroite entre ces deux compères. En dépit de ses belles et douces paroles, Obama n’est pas différent des présidents qui l’ont précédé. Il ne peut pas être différent, même s’il le voulait.
Cette bataille présente enfin un dernier atout, celui de rompre avec la fiction d’une unanimité de la communauté internationale. Il apparaît aujourd’hui clairement qu’il existe deux camps et chaque Etat doit choisir le sien. Il n’existe plus de processus de paix, de communauté internationale et autre Quartette pour le parrainer. Cette approche relève de la mystification. Il n’y a aucun consensus international possible entre dominants et dominés. Une telle clarification constitue déjà une immense victoire pour la cause palestinienne.
                                              

 

 

Un combat long et multiforme

Délégitimer le droit qu’Israël s’octroie de coloniser de nouvelles terres et imposer la reconnaissance internationale d’un Etat palestinien est très important. Car l’enjeu politique immédiat ne réside pas, contrairement à ce qu’affirme par exemple le Djihad islamique, dans la disparition de l’Etat colonial d’Israël, mais dans l’effacement accéléré de ce qui subsiste de la Palestine. Les Palestiniens ne sont pas aujourd’hui en situation de terrasser le colonisateur. Ils sont au contraire en condition d’être terrassés par lui et de perdre toute leur terre. Il est facile, dans ces conditions, de renvoyer la libération de la Palestine aux calendes grecs et d’affirmer que l’on combattra durant encore cent ans, mille ans s’il le faut et que l’on vaincra par ce qu’on a raison et que la légitimité se situe de notre côté. Il ne s’agit là, malheureusement, que de belles paroles. Combien de peuples, combien de pays, combien d’Etats ont disparu depuis la nuit des temps sous les coups de colonisateurs et d’envahisseurs, en dépit de la légitimité de leur résistance ? Il ne suffit pas d’avoir raison ni d’avoir le bon droit de son côté pour triompher. Même le courage et la détermination à lutter ne suffisent pas toujours à assurer la victoire.
Pour inverser le rapport de force face à un ennemi puissant, il faut du temps,  de la patience et de la persévérance. Il convient surtout de ne pas refuser de mener des combats locaux, partiels, sectoriels, des combats qui semblent petits, sans intérêts, mais qui, accumulés, contribuent à renverser la vapeur. Pour vaincre dans la guerre, il faut livrer des batailles et veiller à gagner chacune d’entre elles ou le maximum, non par des mots, mais par des actes. Et ces batailles se livrent sur tous les terrains : militaire certes, mais aussi politique, diplomatique, économique, social, culturel, sportif… Il ne faut mépriser aucun terrain de lutte et ne pas opposer chaque bataille particulière à l’issue finale de la guerre.
Pour gagner face à une ennemi infiniment supérieur en force, il convient, surtout à l’ère moderne, de disposer d’une stratégie efficace, voire efficiente. Or, qui peut nier aujourd’hui qu’Israël, soutenu inconditionnellement par la seule superpuissance du monde, par l’UE et le Japon et accepté par la majorité absolue des Etats de la planète, y compris les Etats arabes, dispose d’un rapport de force écrasant face aux Palestiniens ? Qui peut, sur cette base, nier que le mouvement national palestinien se retrouve dans l’impasse dans son tête-à-tête avec Israël ? Comment sortir de cette impasse ? Telle est la question principale qui se pose aux Palestiniens et à tous les habitants du monde arabe. Et ce n’est pas avec des professions de foi aussi courageuses soient-elles et le refus de mener quelques batailles «sans intérêt» qu’ils s’extrairont de la mauvaise passe dans laquelle ils sont.
Cela s’avère d’autant plus vrai que la victoire de la résistance libanaise en 2006, l’émergence d’un puissant mouvement international de solidarité avec le peuple palestinien à la suite de l’agression de Gaza en 2009 et le processus de révolutions démocratiques et sociales qui s’est ouvert cette année dans le monde arabe ouvrent enfin des perspectives et indiquent dans quelle sens cette stratégie doit se forger. Face à un système impérialiste de domination à trois têtes (grandes puissances occidentales, Israël et les régimes arabes), il s’agit de travailler à la convergence des résistances et mouvements de libération, des mouvements démocratiques et sociaux et des régimes qui résistent à cette domination dans toute la région. Le peuple palestinien n’est plus seul face à Israël. Il dispose, comme nous l’avons vu en Turquie et en Egypte, pour ne citer que ces deux cas, d’alliés qui peuvent l’aider à desserrer l’étau qui l’étrangle. En livrant des batailles comme celle de l’ONU, il forge un vaste front qui le renforce et qui isole et affaiblit ses ennemis.

 

 

 

 Source: La Nation

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