L’ARC GÉOPOLITIQUE DE L’ÉNERGIE DU TRANSSAHARIEN À L’ORIENT

Publié le par Mahi Ahmed

 

Par le Dr Lagha Chegrouche*
J’essayerai de partager avec vous les résultats d’une recherche sur cette région qui s’étend de l’Afrique à l’Orient. Une recherche qui a duré presque 20 ans : une dizaine d’années sur la Caspienne et une dizaine d’années sur ce que j’appelle l’Afrique transsaharienne. Nous évoquerons en particulier les aspects géopolitiques et énergétiques du «contrôle global » dans cette région.
Le Transsaharien est un espace géopolitique en devenir, un enjeu d’intérêt stratégique mondial. Sa configuration géographique dépend si l’on se place selon le méridien ou selon les parallèles pour repenser la géopolitique de cette région. Donc, la première constatation que l’on peut annoncer est la configuration géographique de cet espace dans lequel s’opèrent les stratégies de contrôle géopolitique global de l’énergie. On peut qualifier cela, c’est-à-dire la forme géographique, en un «croissant ». Sans faire le lien avec d’autres considérations historiques ou civilisationnelles, c’est un «arc géopolitique» : le premier point d’ancrage part de l’Atlantique, l’Afrique transsaharienne. L’autre extrémité arrive jusqu’à la limite de Xinjiang en Chine, donc la Caspienne. Le Golfe étant la passerelle. La géopolitique de l’Afrique transsaharienne rappelle celle de la Caspienne à la fin du siècle dernier. Comme pour cette région enclavée au cœur de l’Asie, la question du «contrôle global des réverses et des voies d’accès» est la matrice des différents conflits. La rivalité prend la forme de conflits ouverts et complexes où des puissances s’affrontent sur des zones pétrolifères, par groupes ethniques ou cultuels interposés, au gré de colossaux intérêts économiques et énergétiques. La multiplication des conflits comme dans le Delta du Niger, le Darfour ou l’Azawak en est l’illustration. L’onde de choc de cette rivalité menace au passage la paix régionale et la sécurité de l’approvisionnement international. Le jeu d’acteurs autour du contrôle des ressources et des voies d’accès se déroule globalement en deux séquences. - La première est celle des enjeux économiques liés à la prospection et à la production des hydrocarbures sous-marine et sur terre dans le Sahara, le Sahel, le Delta du Niger, le golfe de Guinée. L’octroi de nombreux titres miniers en est le premier enjeu.
- La seconde est celle des voies d’accès, port d’expédition et tracés des tuyaux, qui achemineront les hydrocarbures, hors de cette région, vers les marchés cibles d’Europe et d’Amérique : golfe de Guinée, golfe d’Aden, Terminaux méditerranéens d’expédition pour le Greenstream et le Transsaharien (Trans- Saharian Gas Pipeline). Comment s’opère donc le contrôle global de l’énergie en termes de stratégie de compagnie ou de stratégie d’Etat ? Comment s’opère, en particulier, le contrôle stratégique des ressources fossiles ou des ressources énergétiques, le long de cet arc géopolitique ? Les compagnies et les Etats inscrivent leurs actions autour et le long des fractures géopolitiques induites par des rivalités locales et des convoitises internationales. Le monde n’a pas tellement changé, en termes de contrôle des ressources et des voies d’accès. Une sagesse touareg disait : «La rivalité est toujours autour d’un puits d’eau. Dites où il se trouve et je vous guiderai dans ce désert !» Premièrement, le contrôle s’opère le long des corridors ou des voies d’accès à ces ressources. Ce peut être par les mers en partant du contrôle des points d’entrée à ces ressources (Méditerranée, Atlantique, mer Rouge) et éventuellement par les voies terrestres qui sont les gazoducs pour le gaz ou des oléoducs pour le pétrole. Un oléoduc ou un gazoduc coûte environ 2 à 5 milliards. Et le Transsaharien, qui va faire l’objet d’une présentation, coûte quant à lui 10 milliards de dollars. Donc forcément, un opérateur, une compagnie ou un Etat est tenu pour des raisons économiques et stratégiques d’assurer suffisamment le contrôle. On entend souvent que c’est une histoire de sécurité des approvisionnements, c’est plutôt une nécessité pour tout le monde, pour les compagnies, pour les producteurs, pour les consommateurs, pour les Etats. C’est une nécessité absolue de sécuriser ces corridors. La question pertinente est par qui et comment on doit sécuriser ces voies. Deuxièmement, il n’y a pas simplement le contrôle des voies d’accès ou des corridors de transport, il y a également le contrôle des sites de production, les gisements. Par exemple, un gisement dans la Caspienne, dans le Golfe ou dans cette région transsaharienne, représente des milliards de dollars qui sont investis ou des productions d’hydrocarbures à valoriser, et donc forcément ce sont des milliers d’hommes qui travaillent et qu’il faut sécuriser. A la fois une sécurisation technique, car un gisement comme celui de Hassi-Messaoud, de South Pars ou de Kachagan nécessite une sécurisation technique et une sécurisation humaine, et donc forcément une stratégie d’Etat, une stratégie de compagnie. Cependant, ma contribution sera centrée sur la région transsaharienne. Pour la Caspienne et le Moyen-Orient, je crois qu’il y a suffisamment de références dont certaines contributions exceptionnelles du général Gallois et une série de mes publications portant sur la Caspienne. D’abord, qu’est-ce-que l’Afrique du Nord ? C’est une notion géopolitique très étriquée. Pour quelqu’un qui veut étudier avec pertinence cette région-là, cela n’a aucun sens. Est-ce que l’Afrique du Nord s’arrête uniquement au niveau des pays du Maghreb ou du Grand- Maghreb, sachant que l’Egypte fait partie également de l’Afrique du Nord ? Est-ce que l’Afrique du Nord ne comprend pas, par exemple, les pays du Sahel ou ceux de la ligne du golfe de Guinée jusqu’à la Somalie ou le golfe d’Aden ? Donc, c’est une perception géopolitique à géométrie variable, c’est même une notion controversée, c’est une représentation confuse qui ne porte sur aucune unité géopolitique, ni une unité culturelle ou historique. L’état du savoir sur la région transsaharienne semble encore éphémère ! Pourtant, c’est un espace géopolitique en devenir, qui mérite recherche critique et méthode. Ensuite, si nous prenons par exemple des approches ethniques ou linguistiques, en particulier la toponymie locale, celle des noms et des lieux. Pourquoi par exemple dans la presse générale ou spécialisée en Europe, parle-t-on du Sahel, sans savoir exactement où il commence et où il finit, ce qu’il englobe, quel type de population il comprend… ? L’approche géographique ne propose qu’une interprétation partielle et imparfaite. Simplement, ce qui m’intéresse dans cette contribution, c’est une approche globale et critique permettant de restituer la région transsaharienne et l’Azawak. L’Azawak (latinisé Azawad) est le «cœur du Transsaharien», une «mer de sable», un espace enclavé mais riche en ressources. Il est considéré comme l’espace des Touareg, «l’homme Bleu». Azawak signifie azur, une région qui s’étend sur l’essentiel du Sahara et du Sahel. La majorité des bassins producteurs de pétrole et de gaz des pays du Sahara et du Sahel est localisée dans l’Azawak. Enfin, les Touareg vivent nombreux en Algérie, mais leur présence couvre à peu près une réalité de 4 millions d’habitants, des «nomades» paisibles dans tous les pays du Sahara et du Sahel, exception faite des anciens mouvements de rébellion au Niger et au Mali. Cet espace transsaharien n’a rien à voir avec le Moyen-Orient ou la Caspienne. Moins diversifié sur le plan ethnique et cultuel que le Mashrek, plus tribal que la Caspienne, l’Azawak est surtout un espace homogène sur le plan géographique, ethnique et linguistique. Une forte identité géopolitique. Donc on peut et on doit, pour comprendre la géopolitique de cette région, se concentrer plutôt sur cet espace que de le comparer avec d’autres, en évitant surtout de transposer des modèles abstraits inopérants. Les trois grandes régions qui forment à mon avis cet arc géopolitique de l’énergie, le «croissant énergétique», sont : l’Afrique du Nord, le Moyen-Orient et la Caspienne.
- Vous avez par exemple en Afrique du Nord toutes les rivalités modernes, qui sont notamment des rivalités internes (terrorisme, rébellion, conflit politique, crise économique). Et par moment, elles ont une coloration tribale au sens strict du terme, car la structure démographique et sociologique en Afrique du Nord est encore tribale. Mais le caractère qui peut pour certains représenter un risque géopolitique, mais qui n’en représente pas réellement un, est le caractère récurrent ou durable de ces conflits qui sont souvent arbitrés par des formes d’intermédiation tribale.
- Par contre, si l’on regarde le Moyen-Orient, il y a très peu de conflits internes ou de rivalités tribales ou locales. Le cas du Yémen étant l’exception, un concentré de rivalités. Pour le reste de la région, c’est plutôt régional, international et avec une dimension nouvelle, le retour ou l’émergence de la Perse et éventuellement de la Turquie, notamment après l’effacement durable de l’Egypte. Le retour de la Perse, ce n’est pas simplement l’aspect nucléaire qui constitue une préoccupation internationale, c’est le rôle géopolitique de l’Iran : une volonté de positionnement stratégique en tant que puissance régionale. C’est la même chose pour la Turquie qui, dans l’espace altaïque ou le Turkestan, qui va de la Turquie au Xinjiang en Chine, en passant par la Caspienne, comprend une unité de langue, une identité géopolitique et une volonté «néo-ottomane » d’un positionnement stratégique. Le risque géopolitique est par contre élevé et tout conflit ne serait qu’entre puissances fortement armées, y compris par recours probable à des moyens balistiques et nucléaires.
- Pour la Caspienne, c’est à peu près la même situation que l’Afrique du Nord, si on exclut le cas de l’Afghanistan. La rivalité est locale et tribale. J’ai pu séjourner dans cette région-là et on y constate les mêmes caractéristiques ethniques et cultuelles. Bien sûr, les rivalités locales sont plus exaspérées par une ingérence internationale, facilitée plutôt par l’effondrement de l’Union soviétique et le confinement du rôle de la Russie, que par des considérations cultuelles ou politiques. Pour tout opérateur qui cherche à investir, il doit évaluer le risque notamment dans une approche géopolitique et prospective. Je pense personnellement que le risque est modéré en Afrique du Nord car on n’y retrouve pas d’armées puissantes, ni de rivalités entre puissances. Il en va de même pour la Caspienne, même avec l’Afghanistan où nous pouvons faire la comptabilité macabre, le risque géopolitique reste modéré et la preuve est que plusieurs compagnies ou puissances cherchent à investir dans la Caspienne d’une manière durable. Par contre, au Moyen-Orient, le risque est fort car s’il y a un conflit, il est sûrement entre puissances. Mais cela ne veut pas dire que les compagnies ou les Etats ne cherchent pas à investir. Au contraire, ils investissent pour la seule raison que c’est une région sous contrôle. Donc le Moyen-Orient est un espace sous contrôle, dominé par les Etats- Unis. La Caspienne est une région sous influence. Le rôle des Etats-Unis est important, mais la Russie nous a montré durant le conflit de la Géorgie qu’elle a son mot à dire et surtout les moyens pour imposer son influence dans cette région du monde. Nous pouvons ainsi préciser les différents points d’accès, des «check points» dans la région transsaharienne. Nous constatons les voies d’évacuation du pétrole et du gaz vers l’Atlantique et la Méditerranée : les tankers de la région, les méthaniers d’Algérie ou les méthaniers du Nigeria qui vont dans les deux sens : vers le Nord pour l’approvisionnement de l’Europe et vers la côte Est pour l’approvisionnement des Etats-Unis. D’autres check points sont en formation. Un nouveau point d’accès ou de contrôle est en train de se constituer : via la mer Rouge en raison de la montée en puissance des réserves d’Egypte et du Soudan. Une bataille s’annonce autour des réserves du Tchad et du Niger. Parce que les opérateurs d’Europe, des Etats-Unis ou de Chine sont suffisamment implantés dans la région. Ceux de Chine ont fortement investi au Soudan et cherchent un accès à la mer Rouge, d’où cette rivalité autour de la pacifi- cation de la Somalie et le contrôle du golfe d’Aden. La Somalie vient d’être classée comme la «première zone de risque dans le monde», en raison surtout de sa proximité du golfe d’Aden et de l’importance de cette voie d’accès pour l’approvisionnement international. Un autre point d’accès aussi stratégique que le premier, est celui du golfe de Guinée. Les Etats- Unis en contrôlent déjà l’accès. Une forte tendance à contrôler les ressources énergétiques dans l’espace transsaharien, localisées entre les deux golfes : le golfe d’Aden et le golfe de Guinée. Une stratégie de contrôle initiée par les Etats-Unis et qui a commencé à s’affirmer depuis 1995, avec la montée en puissance des réverses d’hydrocarbures de cette région. Sa traduction est l’Africom, United States Africa Command, un commandement militaire pour l’Afrique. C’est à mon sens l’aboutissement d’une série d’accords économiques et militaires entre les Etats-Unis et les pays de la région, y compris bien sûr les programmes militaires d’équipement, d'entraînement et de formation. A la fois au Maroc, en Mauritanie, en Tunisie, en Algérie, en Egypte, au Mali ou au Nigeria, la question de l’hébergement de ce commandement qui peut éventuellement, sous couvert pour le moment de lutte contre le terrorisme, assurer le contrôle global de cette région. Certains «câbles diplomatiques américains » diffusés par Wikileaks confirment l’intérêt stratégique des Etats-Unis et surtout l’implication technique et opérationnelle des puissances locales dans cette nouvelle architecture géopolitique. Une confi- guration que nous avons déjà annoncée en 2005. Théoriquement, le candidat le plus éligible à l’hébergement de l’Africom, compte tenu du positionnement stratégique des Etats-Unis, est le Maroc ou l’Egypte. Même avec l’agrément de ces deux «alliés» crédibles, les Etats-Unis ont refusé. Ils veulent associer l’Algérie comme un partenaire et surtout comme une «plateforme d’action globale» dans ce dispositif stratégique. Par analogie avec l’espace altaïque, l’Algérie c’est à peu près l’équivalent de la Turquie. Géographiquement, c’est un vaste pays et l’histoire de l’armée se confond avec celle de l’Etat, comme la Turquie. A la différence de ce pays qui n’a pas de ressources énergétiques, l’Algérie possède un fort potentiel, une armée considérée «efficace» et elle coopère avec l’Otan. Si l’Algérie adhère à ce dispositif géopolitique, elle peut sécuriser, soit comme «acteur», soit comme «relais», le contrôle global de la région. Et l’Algérie dispose d’un avantage que le Maroc et l’Egypte n’ont pas : sur les 4 millions de Touareg, plus d’un million sont des ressortissants algériens, malgré leur mobilité géographique. Dans cette mutation géopolitique, un élément important est à signaler : on peut parler de terrorisme, de rébellion, de conflit politique ou crise économique, mais ce qui est stratégique, c’est que depuis 1995, si l’on regarde les budgets d’équipements militaires de l’ensemble des pays de la région, du Maroc à l’Egypte, et de l’Algérie au Nigeria, on observe un accroissement de 2 à 5% du produit intérieur brut. C’est l’équivalent de 30 milliards de dollars par an, soit presque le montant des IDE qui sont injectés dans le secteur énergie (pétrole et gaz) dans ces pays. Sachant que par exemple au Niger, au Tchad ou au Mali, la majorité de la population est menacée de famine. Dans le reste des pays de la région, la paupérisation de la population est générale et dans certains cas, structurelle. C’est donc un espace géopolitique potentiellement en puissance mais porteur de conflits et de convoitises internationales. L’espace transsaharien chevauche pratiquement tous les pays : le Maroc, l’Algérie, la Tunisie, la Libye, l’Egypte, le Sahara occidental, la Mauritanie, le Mali, le Niger, le Tchad, le Soudan et l’on peut quasiment circuler d’un pays à l’autre sans être contrôlé. Le terrorisme s’en sert lors des prises d’otage comme dans le cas des ressortissants allemands : capturés en Tunisie et libérés au Mali, en transitant par la Libye et l’Algérie ! «Dites donc où se trouve le puits et je vous guiderai dans ce désert !» La géographie des bassins d’hydrocarbures (potentiels ou producteurs) se confond avec celle de cet espace transsaharien et en particulier avec celle de l’Azawak. La structure pétrolifère de certains de ces bassins chevauche également. Si l’on prend par exemple le bassin de Ghadamès, partagé par la Tunisie, la Libye et l’Algérie, un bassin potentiellement producteur, dont sa structure géologique risque de poser problème. De nombreuses études géopolitiques et prospectives montrent que l’Afrique du Nord et le golfe de Guinée sont des réservoirs pétrolifères complémentaires du Moyen-Orient pour l’approvisionnement international. En plus, la région transsaharienne a cet avantage d'être une façade d'exportation atlantique et méditerranéenne. Un avantage-coût par rapport au Golfe pour l’approvisionnement des Etats-Unis et de l’Europe. La région transsaharienne dispose de 8-10% des réserves mondiales prouvées en pétrole et en gaz. Les réserves prouvées de la région se sont fortement accrues comme l’illustre le cas de la Libye et du Nigeria pour le pétrole ou celui de l’Algérie et du Nigeria pour le gaz, à la suite d’un effort d’exploration sans cesse croissant. En effet, 300 titres d’exploration ont été conclus depuis 2005, dont plusieurs ont permis des découvertes commerciales. Si la région maintient ce rythme d’exploration, le potentiel des réserves en pétrole et gaz est appelé à s’accroître. En effet, les compagnies locales, en particulier Sonatrach, NNPC et NOC, mettent régulièrement des dizaines de nouveaux permis d’exploration aux enchères. L’enjeu est l’évaluation du potentiel des réserves récupérables. Les réserves prouvées de gaz dans les pays de la région (Algérie, l’Egypte, la Libye, le Nigeria) s'élèvent à 13 400 milliards de m3 en 2008, ce qui équivaut à 20 années de consommation pour l’Europe. La durée de vie de ces réserves est de 75 ans. Elle est bien supérieure dans le cas de la Libye et du Nigeria et inférieure pour l’Egypte et l’Algérie. La Libye et le Nigeria disposent de l’essentiel des réserves pétrolières : 41,5 milliards de barils pour la première et 36,5 milliards pour le second. Pour le gaz naturel, le Nigeria détient un tiers des réserves prouvées de la région. Une partie de ces réserves est actuellement consacrée à des projets de gaz naturel liquéfié (GNL). Ces projets ne cessent de se développer du fait d’une demande américaine. Le projet de gazoduc transsaharien s’ajoute à ce programme d’exportation de GNL. Le Nigeria a certes les plus importantes réserves de gaz en Afrique mais sa capacité de production reste encore faible. Une production brute estimée à 70 milliards de m3. La géographie de ses réserves présente une forte dispersion des champs et gisements gaziers d’où la nécessité d’un important réseau de collecte et de traitement. Le Nigeria dispose en effet de 250 champs pétroliers et gaziers de faible taille en comparaison par exemple avec l’Algérie, où le seul gisement de Hassi R’mel contenait 3 600 milliards de m3. Par contre, le Tchad n’était pas même un producteur en 1990, et le Soudan l’était faiblement. Pour le gaz, c’est plutôt l’Egypte. En 1990, c’était un pays qui avait de faibles ressources gazières, et en 2009, il a la moitié des ressources d’Algérie, et cela dépasse celle de la Libye. Le projet transsaharien, appelé Transalia, part du Nigeria vers l’Algérie, en passant par certains gisements du Niger. Il doit relier l’Europe, soit vers l’Italie, via le Galsi, soit vers l’Espagne, via Medgaz. Face à cette perspective soutenue par l’Union européenne et des compagnies européennes, la Libye cherche à développer le Greenstream 2, avec le soutien implicite des Etats-Unis et explicite de l’Italie. Le projet libyen devrait acheminer le gaz du Tchad et le gaz du Soudan vers l’Europe. Le Transalia est d’abord 10 milliards de dollars pour son investissement, et 30 milliards de m3 de gaz pour sa capacité. La majorité des experts s’accordent pour 2020 sur une offre de 230 à 240 milliards de m3, destinés principalement à l’Europe. Cela révèle à notre avis que l’Europe n’est qu’un «marché de consommation» dans la perception géopolitique et stratégique des Etats- Unis, c’est comme dans le cas de la Caspienne. Toujours, une logique de poumon d’hydrocarbures destiné à approvisionner l’Europe. Pour conclure, on compte depuis 2005, 300 titres d’exploration, destinés principalement aux compagnies des Etats- Unis et de Chine. Cette région représente 8-10% des réserves prouvées du monde, avec prédominance des bassins gaziers, et les Etats-Unis projettent de récupérer 25% de leur approvisionnement de cette région et y mettent les moyens. Dans ce jeu transsaharien, les puissances n’agissent pas d’une manière homogène ou collusoire. Toutefois, la stratégie d’Etat la plus pertinente est celle des Etats-Unis, parce qu’elle combine toutes les séquences de jeu. La montée en puissance de son rôle économique et militaire dans la région coïncide avec le rythme d’accroissement des réserves prouvées. La dépendance énergétique incite de plus en plus ces puissances à peaufiner des stratégies offensives en matière de diversification des routes et des sources d’approvisionnement. De ce fait, la région transsaharienne est devenue un enjeu d’intérêt stratégique. Le projet de gazoduc transsaharien s’inscrit dans ce contexte de forte rivalité géopolitique et énergétique.
L. C.
* Chercheur en énergie et stratégie Paris

http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2010/12/19/article.php?sid=110181&cid=41

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article