L’approvisionnement en médicaments du système de santé algérien

Publié le par Mahi Ahmed

L’approvisionnement en médicaments du système de santé algérien

Une gestion non maîtrisée

le 03.11.10


Pénuries, ruptures de stocks, péremption de médicaments sont des sujets récurrents, sources de préoccupation des usagers comme des différents acteurs du système de santé algérien, des problèmes rapportés souvent par la presse et qui ne laissent pas indifférent.

Par Dr Brahim Brahmia (*)

Or le bon fonctionnement d’un système de santé quel qu’il soit repose sur un réseau d’approvisionnement et de distribution de produits pharmaceutiques fiable en mesure de répondre à la demande des citoyens, aussi bien en ce qui concerne les soins préventifs que curatifs. Mais lorsque le circuit du médicament connaît des défaillances, l’action sanitaire, elle aussi, devient sujette aux aléas et ce, quelles que soient les ressources financières allouées à l’achat de médicaments. Ici comme dans n’importe quel secteur, la prévision est la pierre angulaire de la gestion : «Gérer c’est prévoir» (H. Fayole). L’avenir est une période qui a son importance, étant donné que c’est là que nous allons mener le restant de notre vie, pour paraphraser Théodore Leavitt.
Il nous semble que notre circuit du médicament souffre d’une gestion incohérente des stocks et de sérieuses lacunes au niveau de la prévision, pour ne pas dire le manque d’intérêt pour la gestion prévisionnelle. Nous allons exposer dans ce papier quelques principes de base qui régissent la gestion des stocks et l’approvisionnement en médicaments, et situer les facteurs qui déterminent l’accroissement de la demande.


Evolution et tendance du système de soins


L’un des facteurs les plus influents sur la consommation des médicaments demeure l’offre de soins, à savoir toutes les entités et composantes du système de santé qui contribuent directement ou indirectement à la distribution de prestation de santé : hôpitaux, cliniques, dispensaires, services de diagnostic, cabinets médicaux, etc. Observons cette offre du point de vue de sa composante en ressources humaines : l’indice de couverture – données 2000 /2009(1) : 40 857 médecins  (1,2/1000 habitants) ; dentistes : 11 010 (1/3121 hab.) ; pharmaciens : 8232 (114 176 hab.), personnels paramédicaux : 66 000 (1,9 11000 hab.). La capacité litière d’hospitalisation est estimée à près de 63 000 en 2010, (environ 1,88 lit /11 000 hab.), tous secteurs confondus, mais elle est appelée à une plus large extension dans l’avenir, en vue de s’adapter à la transition sanitaire en cours pour répondre aux besoins de la nouvelle charge de morbidité.
Il faudrait souligner les progrès considérables enregistrés dans le développement du système de soins algérien en moins de cinquante ans. Rappelons qu’à l’indépendance, l’Algérie comptait en tout 342 médecins pour une population de plus de 10 millions d’habitants ; l’enseignement supérieur était doté d’une seule faculté de médecine, celle d’Alger. En 1963, le pays comptait environ 2000 étudiants au total, toutes spécialités confondues. La médecine gratuite des années 1970 reposait sur le recrutement de milliers de médecins coopérants, provenant de divers horizons, à telle enseigne qu’à la difficulté de l’accès aux soins s’ajoutait celle de la communication entre le praticien et son patient qui a fait que ce dernier, même pris en charge, était parfaitement un incompris !


Pour ce qui a trait à l’infrastructure hospitalière, l’Algérie a hérité de près de 44 000 lits en 1962, (soit 4 lits/l 000 hab) ; mais le système de soins, concentré dans les centres urbains du Nord, et fondé sur l’action curative, était quasiment inopérant par manque de personnels ; les besoins de la population relevaient principalement de la prévention et des conditions de vie déplorables, ne pouvaient être satisfaits, ils étaient caractéristiques d’un pays sous-développé dont l’économie était désarticulée.
La politique de développement de l’Algérie indépendante a permis l’édification d’une infrastructure sanitaire diversifiée et décentralisée, s’étendant à toutes les régions du pays, dont la planification était menée dans le cadre de cinq régions sanitaires, tenant compte des aspects socioéconomiques, géographiques et épidémiologiques. Aujourd’hui, l’Algérie dispose de dix facultés de médecine assurant la formation de milliers d’étudiants – dont les filles sont désormais majoritaires – et dont de nombreux sont originaires de l’Afrique et du monde Arabe. Près de 3000 médecins sont formés chaque année. L’indice de couverture en praticiens ne cesse de progresser bien que la répartition du corps médical reste déséquilibrée, particulièrement en ce qui concerne les spécialistes, les trois-quarts exerçant dans les grandes villes (Alger, Oran, Constantine, Annaba). Dans certains quartiers de la capitale, le taux de couverture en médecins se rapproche des indices de couverture de cantons en Suisse. L’hôpital est le plus grand pourvoyeur d’emplois ; l’effectif du CHU Ibn Badis de Constantine dépasse les 8000 salariés. Les wilayas du Sud sont boudées par les médecins spécialistes ; le handicap des distances constitue ainsi un obstacle à l’égalité dans l’accès aux soins.


Un marché à forte croissance


Malgré les progrès enregistrés, le développement de l’offre de soins est encore non maîtrisé : le système algérien de la santé se caractérise par le dualisme secteur public/secteur privé, au détriment de la coordination et de la complémentarité. On a l’impression que chaque secteur agit pour son propre compte depuis l’amorce de l’ouverture économique et l’application des réformes. Avec la libéralisation économique, l’approvisionnement et la distribution des produits pharmaceutiques qui constituaient la mission des trois monopoles publics, (Enapharm, Enopharm, Encopharm) ont été ouverts aux intervenants privés. Rappelons l’avantage que représentaient ces trois organismes publics en matière de capacité de négociation avec les laboratoires étrangers et l’action engendrée sur le niveau des prix à travers les économies d’échelle découlant des quantités commandées. On ne refait pas l’histoire. De nos jours, le marché du médicament ici s’intègre dans l’économie de marché. (2)
Quels que soient ses investissements dans la production locale, l’Algérie reste fortement dépendante du marché mondial du médicament, elle importe en moyenne 70% des médicaments consommés. Une multitude d’importateurs (123) investissent ce marché dont les 2/3 sont implantés à Alger, 12% à Oran et 5% à Constantine. La part de la Pharmacie centrale des hôpitaux (PCH) étant de l’ordre de 8% du total des importations, les grossistes agréés sont au nombre de 469 (3) et plus de 6000 pharmaciens animent le réseau de la distribution d’officine. Ce qui est frappant, c’est cette fragmentation du réseau de distribution et sa désarticulation, s’agissant d’un produit stratégique – touchant à la vie des personnes – et le manque de professionnalisme chez les acteurs, il ne s’agit pas d’une marchandise quelconque. Le médicament mérite une attention particulière et requiert une capacité managériale irréprochable chez les différents opérateurs. Les pénuries en cascades et les ruptures fréquentes des stocks attestent d’une gestion incohérente du réseau et d’une désorganisation dans l’approvisionnement ainsi que de l’absence évidente de coordination entre les différents opérateurs.(4)


Cette atomisation des acteurs du circuit de l’approvisionnement/distribution nous semble aller à contre-courant de ce que nous observons au niveau mondial : la mondialisation des échanges et la déréglementation tarifaire imposent aux firmes la concentration par fusion/absorption pour une meilleure compétitivité qui passe impérativement par la maîtrise des coûts. Dans le secteur du médicament, nous venons de citer 123 importateurs et près de 500 grossistes ; chacun pour soi, est-on tenté de dire. En tant qu’acheteurs, ils se présentent en rangs dispersés chez les fournisseurs ; les commandes ne sont pas groupées, le manque à gagner consiste dans les remises et réductions de prix en rapport avec le volume que comporte la commande. Les Pharm que nous avons évoquées pesaient de tout leur poids dans la négociation avec les laboratoires étrangers afin de bénéficier de la réduction des prix compte tenu des commandes globales passées : les premiers bénéficiaires sont sans conteste les caisses d’assurance maladie et les ménages. En Algérie, la consommation pharmaceutique explose sous l’effet de nombreux facteurs ; les importations ont augmenté en une année de 28% : de 1,440 milliard de dollars en 2007, elles passent à 1,85 milliard l’année suivante, représentant en volume respectivement 29 262 et 58 000 tonnes. En valeur, elles ont triplé en l’espace de six ans –  elles atteignaient en 2002 le montant de 600 millions de dollars et ce, malgré l’option en faveur du générique et la mise en place du tarif de référence en avril 2006, soutenue par l’interdiction à l’importation des spécialités fabriquées localement. Les laboratoires français dominent le marché algérien du médicament ; leur part dans les importations varie entre 65 et 70%. L’Algérie a été le premier marché africain et arabe de la France et son neuvième dans le monde, en 2009 (5).


La consommation se répartit globalement à raison de 70% pour les ménages et 30% pour les établissements de soins. La consommation par habitant varie entre 40 et 50 dollars, et il s’agit d’un indice moyen comparativement aux pays africains, 7 dollars, et aux pays européens 400 dollars en moyenne. Elle continuera à augmenter encore plus vigoureusement (sauf crise économique ou récession majeure), entraînée par la transition sanitaire qui fait en sorte que notre pays cumule aujourd’hui une double charge de morbidité ; les maladies transmissibles qui perdurent (celles soumises à vaccination et d’autres dues à la dégradation persistante de 1’hygiène du milieu) et des maladies non transmissibles dont le poids croissant menace durablement les fonds des caisses d’assurance maladie et interroge déjà sur leurs capacités de financement. Paradoxalement, l’Algérie faisait face en 2009 à un problème de traitement d’un stock cumulé de 25 000 tonnes de médicaments périmés. (6)
Il faudrait mettre en évidence l’étendue de la couverture sociale qui profite à près de 85% des algériens (assurance maladie, gratuité des soins au profit des malades chroniques et des indigents) ; le nombre d’assurés sociaux cotisants représente cependant moins du tiers de la population totale : près de 8 600 000 en 2006 mais dont la moitié sont des cotisants inactifs. Au demeurant, sur une population de plus de 35 millions d’habitants, le nombre des assurés actifs n’est que de 4 325 000 (7) L’effectif des assurés cotisants affiliés à la Caisse d’assurance sociale des non salariés (Casnos) reste confiné à près de 500 000 au niveau national et ce, quels que soient les efforts d’incitation envers cette frange de la population active.
D’autres facteurs, sans être exhaustifs, contribuent à l’augmentation de la consommation pharmaceutique :
- l’accroissement démographique : la population algérienne qui compte de nos jours 35,5 millions d’habitants, a plus que triplé en moins de 50 ans ;
- l’augmentation de l’espérance de vie à la naissance : de 47 ans à l’indépendance, elle atteint actuellement 73 ans et rivalise avec celle de certains pays développés(8). L’indicateur de l’espérance de vie en bonne santé pour l’Algérie (62 ans en 2008) dépasse celui de la Fédération de Russie (60 ans), à la même année (9) ;
- le vieillissement de la population qui va accentuer la consommation médicale et engendrer un poids plus grand des maladies chroniques et celles dégénératives ; environ 8% des Algériens sont âgés de 60 ans et plus ;
- la dégradation de l’hygiène et la surcharge du milieu habité : un taux d’occupation par logement d’environ 7 personnes et plus de 2 par pièce ;
- l’amélioration du niveau de vie : les ménages consultent plus souvent avec l’élévation du niveau des revenus : en moyenne 1,5 ordonnance par habitant et par an aujourd’hui ;
- la densification du réseau national des soins aussi bien dans sa composante publique que privée. A l’horizon 2025, l’infrastructure hospitalière devrait connaître un plus grand essor, d’après les projections du ministère de la Santé et de la Réforme hospitalière ;
- l’urbanisation rapide qui va rapprocher les demandeurs des infrastructures sanitaires, (médecine de ville et soins hospitaliers), susceptible d’accroître la consommation médicale avec une plus grande accessibilité aux soins ; en ce début de siècle, deux Algériens sur trois vivent dans des centres urbains ;
- la transition sanitaire en cours : les maladies chroniques et celles non transmissibles, combinées à la modification du mode de vie et au prolongement de la longévité exigent des soins coûteux et de longue durée, ce qui constitue un véritable défi aux organismes de financement et aux usagers.


La consommation de médicaments continuera sans doute à augmenter plus rapidement et probablement avec une tendance plus accentuée vers la hausse.
Comment y faire face ? La production nationale n’est pas prête à relayer les importations ; avec un taux de couverture de l’ordre de 30% de la consommation, le pays est contraint à l’importation encore pour de longues années.
Les sources de financement sont menacées dans leurs capacités à prendre en charge une facture de produits pharmaceutiques vouée à un accroissement exponentiel. Les usagers prennent déjà à leur charge de nombreux médicaments non remboursés en plus d’un ticket modérateur déjà élevé. En 2008, la CNAS a remboursé près de 64 milliards de dinars de médicaments, soit plus du tiers de ses dépenses ; à la même année,les importations dépassaient les 1,85 milliard de dollars. L’actualisation de la nomenclature des actes médicaux, en gestation, (7000 actes contre 1800 pour celle de 1987) risque de compromettre sérieusement l’équilibre des comptes de cet organisme d’assurance maladie si ses recettes ne sont pas améliorées en conséquence.


Placés en tenaille entre, d’une part, une production locale en-deçà des espérances, et d’autre part, des importations en forte croissance, les décideurs du secteur santé adoptent un train de mesures en faveur de l’usage rationnel du médicament en vue d’atténuer le niveau des dépenses : promotion du générique, tarif de référence, déremboursement, contractualisation et conventionnement. Mais les résultats ne donnent pas entière satisfaction ; et malgré l’importance des ressources allouées aux médicaments, la gestion même des approvisionnements n’est pas en mesure d’assurer une distribution régulière ni d’éviter les ruptures de stocks de produits stratégiques. A cet effet, les structures sanitaires publiques ont été destinataires d’une circulaire ministérielle soulignant «des lacunes importantes, voire graves...» au niveau de la gestion des approvisionnements et des stocks de produits pharmaceutiques ; le document attire l’attention des gestionnaires sur les aléas rencontrés et rappelle les principales démarches nécessaires à la gestion rationnelle des médicaments.(lO) Le ministre de la Santé, de la Population et de la Réforme hospitalière insiste sur la nécessité de ramener le délai de couverture des stocks de médicaments dans les structures sanitaires publiques de trois à six mois : «Il faut prévoir une quantité de médicaments en mesure de couvrir les besoins sur une période de six mois» (11). Cependant, il demeure évident que si la gestion reste désorganisée, ni le surstockage ni le gonflement des stocks de sécurité ne peuvent prémunir contre la pénurie et les ruptures. Le management comme la médecine ou la pharmacie est une science et il a ses principes.


Principes de base de gestion des approvisionnements et des stocks


La gestion des approvisionnements et des stocks est un domaine très vaste qui se trouve au carrefour de plusieurs sciences, dont il adopte les outils et méthodes dévolues à la gestion quantitative. Il emprunte aux mathématiques le calcul matriciel et les méthodes de la recherche opérationnelle, en vue de l’optimisation des paramètres de coûts et l’ordonnancement des commandes ; avec le recours aux statistiques appliquées, la gestion des approvisionnements recherche la méthodologie d’analyse des séries chronologiques de la consommation des médicaments. Elle lui permet d’établir les modèles statistiques ou économétriques adaptés à chaque catégorie d’articles, compte tenu de plusieurs paramètres connus des statisticiens et des spécialistes versés dans les techniques de la prévision. L’ingénierie informatique aide à l’analyse des données et au calcul, pour faciliter la prise de décision : détermination de la quantité économique à commander, de la date de lancement des commandes, du niveau du stock d’alerte, du stock de sécurité adapté à chaque produit, compte tenu de la durée de vie des lots en stocks et du taux de satisfaction des commandes reçues.
La fonction approvisionnement a deux missions principales : la mission des achats et celle de la gestion des stocks.


Mission du service des achats


Ce service travaille en collaboration directe avec celui de la gestion des stocks. Ce dernier doit aviser régulièrement du niveau des stocks et mettre à sa disposition en permanence la liste des produits dont le niveau du stock a atteint le stock d’alerte, pour déclencher le lancement de la commande à temps. Le responsable des achats a pour tâche la prospection du marché pour être au courant des innovations, (nouveaux médicaments, des médicaments retirés du marché), se mettre en rapport avec les fournisseurs potentiels préparer le lancement des appels d’offres. C’est encore à lui qu’incombe la responsabilité en ce qui concerne le respect de la procédure et réglementation relatives à l’ouverture des plis et à la sélection des fournisseurs. Parmi ses objectifs : acheter les produits les plus efficaces et à moindre coûts en veillant au respect des délais. Sa fonction première se dissocie de l’activité commerciale et doit consister à donner satisfaction en bout de chaîne aux demandeurs de soins. Sachant qu’un retard dans la réception des médicaments, ou une livraison non conforme peut conduire à la rupture de stock ; et pour les patients à la dégradation de leur état de santé, voire au décès.
Il procède au lancement de la commande ainsi qu’à son suivi par la relance du fournisseur, jusqu’à la réception des articles commandés.
Le problème majeur auquel se heurte le gestionnaire des achats demeure sans doute l’ordonnancement des commandes : quelle quantité commander et quand faut-il lancer la commande ?
En fait, il s’agit de principe de la gestion prévisionnelle ; les articles détenus en stocks sont très divers (5000 spécialités inscrites dans la nomenclature) et sont destinés aux soins de pathologies diverses. Certains ayant un caractère stratégique sont indispensables, (sérums, vaccins, antibiotiques, dérivés du sang, produits chirurgicaux et de laboratoires, etc.), d’autres sont des médicaments d’appoint dont on peut tolérer un certain taux de rupture, la santé du patient ne s’en trouvera pas affectée, (vitamines, sirops pour affections bénignes, fortifiants, pommades antalgiques).


De ce fait, la gestion des approvisionnements et des stocks de médicaments impose une organisation des magasins d’entreposage et une sélection des articles compte tenu de leurs différentes caractéristiques. Il s’agit d’adopter une gestion sélective, par l’application de la distribution de Paréto. L’analyse de la consommation ou celle des stocks à une date déterminée, doit faire ressortir deux ou trois classes principales (classes A, B, C.). La classe A requiert la maximum d’attention : 20% des articles vendus (ou consommés) représentent 80% de la valeur totale (des ventes ou des consommations). Le résultat de l’analyse A, B, C, des stocks ne s’éloigne pas trop de l’analyse des ventes. Faire cette double analyse a le mérite de se rendre compte de l’équilibrage des quantités détenues en stocks par rapport au volume des ventes. Le taux de rotation des stocks varie d’un article à un autre ; un médicament peut être très fortement demandé au cours d’une période déterminée ; s’il a un caractère saisonnier, sa surveillance doit être constante et le stock renouvelé en conséquence car la moindre défaillance conduira à la rupture ; sa durée risque d’être d’autant plus longue que les démarches des achats sont laborieuses.
L’estimation du stock de sécurité doit reposer sur des calculs de probabilités de deux paramètres : l’allure de la consommation et l’évolution des délais de livraison. Sur cette base, il convient de fixer le niveau du stock de sécurité, mais il ne s’agit pas d’un lot figé, d’une quantité stockée à part, à laquelle on ne doit pas toucher. Il s’agit d’un stock destiné à pallier les aléas provenant d’une demande excessive, ou d’un retard dans la livraison dépassant momentanément les sorties ordinaires puisées sur le stock actif. Au cours de l’année, les mouvements des sorties de stocks doivent suivre le procédé FIFO (First in First out), afin d’éviter le risque de péremption. La survenue de la maladie à laquelle il est destiné étant aléatoire, l’utilité du stock consiste à répondre correctement à la demande et sans à-coups.
En fait, le rôle d’un stock peut être compris comme suit : il ne doit être ni trop élevé pour occasionner des surcoûts, ni trop faible pour engendrer des ruptures, mais doit être correctement adapté à la demande.


étude statistique des ventes ou des consommations


L’un des principaux handicaps rencontrés est certainement l’absence de données statistiques fiables et régulières, sur lesquelles on peut fonder une gestion prévisionnelle rationnelle. Ce type de contraintes caractérise la plupart des pays en développement, malgré les investissements considérables consentis dans l’enseignement supérieur et dans l’acquisition d’équipements informatiques de dernière génération. C’est le talon d’Achille de toute approche managériale évoluée. Faudrait-il souligner la rareté des enquêtes exhaustives sur la consommation médicale dans notre système de soins. Une seule à notre connaissance a été menée... il y a une trentaine d’année(I2). Les comptes nationaux de la santé concernant l’Algérie ont été publiés une seule fois (2002). Il est tout à fait évident que le pilotage d’un système de soins ne peut être efficace si on n’a aucune visibilité de l’évolution de la consommation médicale des ménages ; qui consomme quoi ? Or, nous sommes en mesure de constituer des banques de données précieuses aussi bien au niveau des structures sanitaires qu’au niveau des administrations de la CNAS. Malheureusement, les données complètes et fiables sont rarement disponibles pour les chercheurs. Or, sans ce matériau, il est illusoire de cerner l’évolution de la consommation des médicaments par classe thérapeutique, par filière de soins, par secteur (hospitalier ou ambulatoire), etc.
La gestion sélective permet de procéder à une classification des articles selon leur degré d’importance dans l’acte thérapeutique, leur rôle stratégique dans la distribution des soins, le niveau de leur consommation, leur valeur dans le montant des ventes, ou leurs particularités (psychotropes, anesthésiants, neuroleptiques, produits dangereux ou toxiques, tels que le mercure, etc.). L’analyse statistique doit porter sur les séries chronologiques des ventes des quatre ou cinq dernières années, afin que les paramètres dégagés puissent servir objectivement à la prévision ; après les opérations de dessaisonalisation, on calculera la tendance, on déterminera le modèle statistique que suit l’évolution des ventes, le type de loi statistique. Plusieurs phénomènes peuvent influer sur les ventes : le phénomène cyclique, la saison, un événement aléatoire, la conjoncture, une flambée épidémique, etc.


Le modèle statistique déterminé pour chaque article, ou catégorie d’articles, servira à la prévision de la consommation au cours de la période considérée et servira ainsi à l’estimation du nombre optimal de commandes à lancer, au calcule de la quantité ou lot économique à commander, à l’ordonnancement des livraisons. Une vaste théorie a été consacrée à la discipline de la gestion des approvisionnements. A cet effet, il convient de rappeler l’application du modèle de Wilson, incontournable dans le management des stocks (l3). Certains modèles sont très sophistiqués et nécessitent l’intervention de spécialistes pour les calculs et l’utilisation de logiciels de statistiques appropriés : moyennes mobiles, moindres carrées, lissage exponentiel, Samam, Arima, Box et Jenkins, etc. Après l’analyse des séries chronologiques, et l’identification des modèles de prévisions appropriés, on doit adopter les techniques quantitatives de gestion qui conviennent à chaque article ou catégorie d’articles. Une gestion exceptionnelle doit être accordée aux produits stratégiques, chers, sujets à la rupture. Ceux-là doivent faire l’objet d’une analyse statistique affinée.
En un mot, la gestion des approvisionnements et des stocks de médicaments est une question trop sensible pour être prise à la légère ; aujourd’hui, les méthodes et techniques scientifiques de gestion éprouvées sont disponibles pour assister les hommes dans la prise de décision. Dans un monde qui évolue sans cesse avec de nouvelles contraintes qui apparaissent à chaque détour, il n’est plus permis de tourner le dos aux acquisitions de la science et persévérer dans une gestion empirique dans un secteur aussi sensible que celui de la santé, sans oublier que ce secteur a fait pourtant l’objet de nombreux travaux de recherche et publications .(l4)

 

Le circuit du médicament


Depuis la fin des monopoles, le marché des produits pharmaceutiques est éclaté sur des centaines d’intervenants : importateurs, grossistes/répartiteurs, officines. La régulation du marché est loin de l’optimum, quelles que soient les innovations dans ce domaine. Il n’en demeure pas moins que le marché connaît de façon cyclique de sérieuses perturbations qui entravent considérablement le fonctionnement des établissements de santé et influent négativement sur la santé des patients : «Le marché du médicament est de plus en plus perturbé... Il y a eu trop de libéralisation sans aucun mécanisme de contrôle. Il y a des monopôles et des situations d’exclusivités, dus au statut d’importateur/distributeur de certains opérateurs. Il y a des pénuries provoquées... » (15)
Les sources d’approvisionnement sont constituées des laboratoires étrangers et des unités locales de production. Le réseau de distribution se compose des dépôts des importateurs et des grossistes répartiteurs, y compris la PCH. La vente en détail relève de plus de 6000 pharmacies et officines. L’existence de stocks à plusieurs niveaux, en plus de l’acheminement des médicaments sur de longues distances, se traduit  par des manques à gagner en termes d’accroissement des coûts. Il est important de souligner que la localisation ou l’ouverture d’un dépôt doit être déterminée par les moyens du calcul de la recherche opérationnelle afin d’optimiser les coûts de stockage et ceux de la distribution, s’agissant des principes de la gestion rationnelle du réseau de distribution.
A ce propos, nous devons dire que les défaillances répétées dans l’approvisionnement en produits pharmaceutiques attestent du manque de maîtrise dans la gestion. Il ne s’agit pas d’une gestion décidée mais elle semble subie.

Les gestionnaires ne font que répondre au coup par coup, en dehors d’une gestion prévisionnelle et d’un management opérationnel pertinent. De notre modeste point de vue, il nous semble que ces problèmes seraient appelés à perdurer tant que la gestion de l’approvisionnement reste fragmentée et relève de la gestion empirique. Il nous paraît tout à fait raisonnable d’envisager la concentration des opérateurs et leur organisation en trois ou quatre entités coordonnées : une entité par région sanitaire tout au plus. Des économies d’échelles se répercuteront par la baisse des coûts, et autant de gains dans la limitation des dépenses de la CNAS, tout en espérant la montée en puissance de la production nationale. Les ruptures de stocks ne peuvent jamais être évitées à moins de disposer de stocks de niveau infini, ce qui est impossible ; mais l’organisation du circuit de distribution et la gestion rationnelle des approvisionnements peuvent être en mesure de limiter le nombre des ruptures et assurer la disponibilité de la grande majorité des spécialités, compte tenu de l’évolution de la demande.
Dire à la fin la progression des indicateurs sanitaires malgré les turbulences de la crise économique, des destructions et exodes engendrés par la décennie noire ; alors que dans des pays plus nantis, tels que la Russie et d’autres pays de l’Est, les indicateurs se dégradent et font que le système de santé algérien surclasse celui de la Russie (Peaucelle).


(*)
Economiste de la santé, consultant,  enseignant, chercheur à la faculté des sciences économiques de gestion université
Mentouri de Constantine

Renvois :

-1. World Health Organization, World health statistics, 2010.
-2.
Pour de plus amples détails sur ce concept, voir John Keneth Galibraith, Les Mensonges de l’économie, Edit. Graset, Paris, 2004.
-3. Union nationale des opérateurs en pharmacie, 2007, Alger
- MINEFI, Missions économiques - Le marché du médicament en Algérie, 2006.
-4. Cf M. Le ministre de la Santé et de la Réforme hospitalière, quotidien El Watan, du 12 août 2010 - Article du quotidien El Khabar, même date.
-5. LEEM, Association des entreprises françaises du médicament.
-6. Selon le vice-président de l’Ordre des pharmaciens, mai 2009,  Alger
-7. L’Office national des statistiques jette un pavé dans la mare : la moitié de population qui travaille n’est pas affiliée à la CNAS, selon cette source, soit près de 5 millions de travailleurs. (qutodien El Watan du  28 juillet 2010).
-8. Conseil national économique et social, rapport national sur le développement humain 2007, Edit. 2008, Alger : ce rrapport donne un indicateur beaucoup plus élevé que ceux publiés par les organismes internationaux cités.
-9. WHO, World Health Statistics, op. cit., tab.1.
-10. Ministère de la Santé, de la Population et de la Réforme hospitalière, circulaire n° 007/SP/MIN/MSPRH/ 05 de  nov. 2008, Alger.
-11. Quotidien El Watan du 12 août 2010
-12 Mouafeg, Jeannine, Les dépenses de santé des ménages algériens, (année 1979-80), ONS, Statistiques, publication trimestrielle n° 4, septembre 1984, Alger.
-13 Buchan, Joseph et Koenigsberg, Ernest, Scientific Inventory Management, Prentice-Hall Edit. Zermati, Pierre, Pratique de la Gestion des stocks, Edit. Dunod, 1990, Paris.
Ferrier J., La gestion scientifique des stocks, Dunod, Paris.
Antier, P., Conseils pratiques pour la gestion des stocks, Dunod, Paris.
Fournier, Paul et Menard, Jean-Pierre, Gestion de l’oppravisionnement et des stocks, Edit. Gaëtan Morin, Montréal,2004.
-14 Brahmia Brahim, Gestion de la distribution des produits pharmaceutiques en Algérie, cos de la gestion des stocks, mémoire de magistère, Université de Constantine, Université de Louvain La Neuve, 1984.
Brahmia Brahim, La dynamique du systéme de santé Algérie, bilan et perspectives, thèse de doctorat, université Montpellier 1, 1991.
Brahmia Brahim, Economie de la santé, évolution et tendances des systèmes de santé, . OCDE, Pays de l’Est, Maghreb, (ouvrage sous presse).
Bouchelaghem Amirouche, Gestion des produits pharmaceutiques dans les secteurs sanitaires : COS du CHU de Constantine, mémoire de magistère, (dirigé par le Pr B. Brahamia). Université de Constantine. 1998.
-15 Le président du SNAPO, Le Quotidien d’Oran, du 14.08. 2010

 

Publié dans Economie et société

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article