Le patronat algérien est-il pour la démocratie et les libertés? La réponse est non

Publié le par Mahi Ahmed

Le patronat algérien est-il pour la démocratie et les libertés? La réponse est non

Yassine Temlali Journaliste

 

 

Certes, bien avant le 22 février 2019, des chefs d’entreprises haïssaient déjà passionnément Abdelaziz Bouteflika. Cependant, ils ne le haïssaient pas parce que c’était un autocrate mais parce que c’était un étatiste qui empêchait de s’édifier d’autres fortunes que celles de ses affidés. Eux-mêmes, pourtant, ont compté parmi les amis d’autres autocrates et/ou se sont lancés dans les affaires grâce au soutien de l’Etat, c’est-à-dire des contribuables - lesquels, pour rappel, comprennent quelques millions de salariés.

 

Toutes les corporations s’impliquent dans le hirak, encore largement interclassiste même si ce sont les plus pauvres qui paient à la répression le plus gros tribut. Toutes sauf une, le patronat. Le radicalisme le plus radical de ses franges les plus révolutionnaires n’est pas allé plus loin qu’une petite purge interne, la destitution d’Ali Haddad de la direction du Forum des chefs d’entreprises, une organisation qui entre 2004 et 2018 - rappelons-le aux oublieux et autres amnésiques -, a soutenu cinq fois la candidature d’Abdelaziz Bouteflika à la Présidence de la République.

 

A peine Ali Haddad sacrifié par ceux-là mêmes qui l’avaient porté au pinacle, on vaque de nouveau à ses occupations patronales : revendiquer des « réformes structurelles », exiger l’amélioration du climat des affaires et prévenir qu’« on ne peut pas se permettre d’installer notre pays dans une zone de turbulences » pour citer l’ancien président du FCE, Reda Hamiani.

 

Dans ce discours patronal centré sur « l’économie nationale », fétichisée à l’extrême comme si elle devait avoir une existence indépendante de celles des Algériens, on peine à saisir l’écho de ce qui se déroule dans la rue depuis le 22 février 2019. La question qui préoccupe le pays entier, celle du régime à bâtir pour se prémunir d’une nouvelle autocratie, s’y résume à peu de chose. “Personnellement, je ne pense pas qu’un président doive rester pendant vingt ans au pouvoir”, estime Reda Hamiani, l’homme qui, en tant que patron des patrons, a “personnellement” aidé Abdelaziz Bouteflika à s’y maintenir au moins une décennie, en appuyant sa candidature à la présidence en 2009 et en 2014.

 

Bienveillance médiatique

 

Et étrangement, malgré cette compromission notoire avec Abdelaziz Bouteflika et le boutéflikisme, le FCE bénéficie, sauf rares exceptions, d’une formidable bienveillance médiatique en une période où, pourtant, la règle est le démolissage en règle. On a même l’impression qu’on lui a déjà pardonné tous ses péchés, anciens et futurs. On ne se hasarde pas à lui demander pourquoi il a soutenu et re-soutenu les prétentions monarchiques d’Abdelaziz Bouteflika ni s’il ne pense pas devoir en rendre compte devant les Algériens au même titre que l’UGTA caporalisée d’Abdemadjid Sidi Saïd. On ne s’aventure pas à lui demander si ses milliers d’adhérents se sentent concernés par autre chose que l’environnement des “affaires”, s’ils sont pour les libertés publiques, les libertés politiques, les libertés démocratiques, la liberté tout court.

 

En vérité, si on ne pose pas ces questions au patronat, c’est souvent qu’on sait que c’est vain, la réponse étant connue d’avance : il n’est réellement pour aucune autre liberté que la « liberté d’entreprendre », l’entrepreneuriat nécessitant en Algérie, pour que le prodige s’accomplisse, abattements fiscaux, crédits bonifiés et accès facilité au foncier.

 

Les “rebelles” en ont moins contre l’autocratie que contre l’étatisme

 

Certes, des membres du FCE ont protesté contre son soutien au “5e mandat” mais ils ne l’ont fait qu’une fois confirmée, le 22 février 2019, le rejet populaire d’une présidence à vie boutéflikienne. Ils y étaient probablement depuis longtemps hostiles mais leur hostilité avait dû être exprimée si bas qu’ils étaient seuls à l’entendre. D’autres avant eux, en 2014, avaient montré des réticences à appuyer la candidature d’Abdelaziz Bouteflika à son 4e mandat : la motion de soutien du FCE à “Fakhamtou” n’en avait pas moins été adoptée à une rigoureuse unanimité.

 

Certes, bien avant le 22 février 2019, des chefs d’entreprises haïssaient déjà passionnément Abdelaziz Bouteflika. De là à revendiquer un changement démocratique véritable, il y avait un écart. Ils ne le haïssaient pas parce que c’était un autocrate mais parce que c’était un étatiste, non pas parce qu’il muselait les Algériens mais parce qu’en tenant les commandes de l’économie, il empêchait de s’édifier d’autres fortunes que celles de ses affidés. Eux-mêmes, pourtant, ont compté parmi les amis d’autres autocrates et/ou se sont lancés dans les affaires grâce au soutien indirect et multiforme de l’Etat, c’est-à-dire des contribuables - lesquels, pour rappel, comprennent quelques millions de salariés.

 

Certes, il existe des patrons qui se rêvent en dragons sud-coréens libres et puissants, s’abattant avec fracas sur la planète capitaliste dominée par le G7. Mais, propagande mise à part, ils savent ce de quoi le miracle sud-coréen est le nom, qu’il n’a été possible que sous une dictature féroce, qui, justement, a bâillonné les patrons pour paver leurs success stories des souffrances d’un prolétariat tyrannisé, travaillant 12 heures par jour, sept jours sur sept.

 

L’autoritarisme convient bien au patronat ou, celui-ci s’en accommode. Cela est plus que jamais évident. Peut-on raisonnablement faire confiance, pour bâtir un système politique démocratique, à un FCE qui a systématiquement soutenu Abdelaziz Bouteflika et qui, à ce jour, n’en a pas exprimé le moindre remord ?

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