Quand ils sont venus…Par Arezki Metref

Publié le par Mahi Ahmed

Quand ils sont venus…Par Arezki Metref

Pour un peu, on se croirait dans un remake de Mac Beth de Shakespeare déclarant à propos de la vie : «C’est un récit conté par un idiot, plein de bruit et de fureur et qui ne signifie rien.»

Les faits n’ont même pas besoin d’être commentés, ils parlent d’eux-mêmes. Leur concomitance ferait croire à une conspiration forçant le scepticisme des gens comme moi qui ont tous les défauts hormis la tendance au complotisme.

Le ministre fugace. A-t-on évalué toute l’ampleur de la nomination et du limogeage du ministre du Tourisme en quelques heures ? Quelles qu’en soient les raisons, nommer et débarquer un ministre dans le même mouvement démontre, au bas mot, un manque de rigueur de la part de ce grand garçon censé être réfléchi, rationnel, pondéré, prospectif qui s’appelle l’Etat.

Comment peut-il se faire que les services de police et de renseignement, dont la fonction consiste à accumuler des pléthores d’informations sur le dernier des quidams, n’aient pas prévenu la présidence de la République que l’impétrant n’était pas éligible au maroquin ?

Avec tout le respect que l’on a pour la fonction de gardien de parking municipal, même à ce niveau, il aurait été anormal qu’on le recrute avec une légèreté telle qu’il doive quitter son poste quelques heures plus tard. Trois hypothèses, l’affaire étant aussi grave dans l’une que dans les autres :

1- Que l’on constate après sa nomination plutôt qu’avant, qu’il avait un casier judiciaire, c’est plutôt consternant dans un Etat qui possède de beaux restes policiers.

2- Qu’à l’inverse, il soit innocent et qu’il ait été victime d’une machination comme le soutient le MPA, c’est tout aussi effarant.

3- Plus affolant encore : que le casier ait été nettoyé. Je ne fais pas partie de ces gens blasés ou lucides qui pensent que le pays est déjà en lambeaux, et que cette affaire n’est qu’un malheureux épisode de plus dans un feuilleton apocalyptique sans fin ni fond. Néanmoins, on ressent comme une impression délétère de désagrégation. La chute de l’Empire romain n’a pas été une dégringolade subite mais une détérioration lente et progressive avec des secousses sismiques plus ou moins violentes. Derrière l’aspect accessoire de cette nomination éphémère, c’est un pan de plus de l’architecture de l’Etat qui fiche le camp.

Le vieil ex-ministre a-t-il pété les plombs ? On ne sait pas grand-chose non plus de ce fait divers dans lequel est impliqué cet ancien ministre des Affaires religieuses, Abdelhafid Amokrane, 91 ans, qui a tiré à trois reprises sur son épouse, l’atteignant à l’épaule. L’information, laconique, n’a peut-être pas plus d’importance que ça, sauf qu’il s’agit d’un ex-ministre, et que le fait divers surgit à un moment où, connecté au reste des informations, il pose question.

Qui a posté la vidéo de la honte ? Là encore, c’est une affaire à prendre avec des pincettes. Celle du P-dg de Naftal. On a presque envie de ne pas l’aborder pour ne pas avoir à répandre ce qui a détruit un homme. Au fond, on ne sait rien tant les communiqués sont contradictoires.

Une vidéo d’origine douteuse aurait mis en cause ce dirigeant de société nationale. Truquée ? Si elle est authentique, ce qui est grave, c’est qu’elle ait été diffusée. Si elle est truquée, c’est doublement dramatique pour l’avoir été d’une part, et d’autre part, une fois encore, pour avoir été diffusée. Certaines sources affirment qu’il s’agit d’un complot en vue d’anéantir le Pdg qui ne convient pas à certains intérêts tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’entreprise.

Pour violentes que puissent être les luttes, cette affaire dépasse, et de loin, les limites de l’entendement. On se retrouve avec un homme victime d’une crise cardiaque, et très probablement, des conséquences tragiques sur sa famille et ses proches. Sans compter les dégâts causés à l’entreprise elle-même. Mais peut-être est-ce cela qui était visé.

Même sans rien connaître du fond de cette affaire, on voit bien qu’il s’agit d’une conspiration machiavélique. C’est pourquoi cet homme mérite toute la sympathie que l’on doit à une victime. Honte aux médias numériques qui ont trempé dans l’ignominie en diffusant ces images.

L’écrivain et la télé bidon. L’humiliation qu'ont fait subir ces tarés d'Ennahar TV à Rachid Boudjedra a suscité, et heureusement, une émotion sincère sur les réseaux sociaux. Quiconque a vu ces images qui ressemblent à une vidéo de Daesh contraignant sous la menace d'une arme un otage à prononcer la chahada en sort révulsé. Condamner ces pratiques de l'inquisition et de la débilité qui se prend pour de l'humour, répandues par une télé qui semble avoir des appuis au pouvoir en place, est le minimum. On peut comprendre celles et ceux qui tempèrent leur solidarité à Boudjedra en raison de ses nombreuses déclarations hostiles à des personnalités et intellectuels du camp des démocrates et en raison surtout du fait qu'il accepta à de nombreuses reprises une invitation de ces télés-poubelles. Mais ne nous trompons pas dans l'analyse de la situation. Nous n'avons pas le droit de tenir Rachid Boudjedra, quoi qu'on puisse en penser, pour responsable de ce qu’il lui arrive. Cette émission est un cran de plus dans la propagation des métastases de l'islamisme violent, débile, médiocre, qui est en train de détruire ce qu'il nous reste d'intelligence, de sensibilité, de simple humanité. En caressant dans le sens du poil les bas instincts inquisiteurs de téléspectateurs à la longue acquis à une vulgate, ce type d’émission produit un effet de peur qui promeut encore plus la médiocrité et l'abdication de l'intelligence. Je me rappelle que lors des premiers attentats, au début des années 1990, visant les intellectuels et les journalistes, on avait assisté à ce type de solidarité conditionnelle. On se gardait de dénoncer un assassinat car on supposait la victime proche du pouvoir, de l'armée, de ceci, de cela. A un degré moindre, on en est encore là. J'ai envie de dire à tous les amis qu'il ne s'agit pas seulement de Rachid Boudjedra mais d'un processus de dégradation de la liberté de conscience, de poursuite de la dévalorisation des intellectuels qui ont survécu au carnage. Et pour cela, il faut dénoncer vigoureusement cette coercition débilitante obtenue par la peur. Sinon, comme jadis s'agissant des attentats, on pourra toujours avoir le loisir de répéter après le pasteur Martin Niemöller (1892-1984) :

«Quand les nazis sont venus chercher les communistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas communiste.

Quand ils ont enfermé les sociaux-démocrates, je n’ai rien dit, je n’étais pas social-démocrate.

Quand ils sont venus chercher les syndicalistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas syndicaliste.

Quand ils sont venus me chercher, il ne restait plus personne pour protester.»

A. M.

 

 

 

 

Source de cet article :

http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2017/06/04/article.php?sid=214594&cid=8

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