Lire le capitalisme contemporain

Publié le par Mahi Ahmed

Lire "Lire le capitalisme contemporain" de Quynh et Jean-Claude Delaunay, Paris , 2007, Le Temps des cerises

Lire le capitalisme contemporain

 

Quynh et Jean-Claude Delaunay, Paris , 2007, Le Temps des cerises

 

Effort théorique ( 600 pages) dont l’ambition est de comprendre le capitalisme de l’ère de la mondialisation. Etude d’économie et de sociologie du monde contemporain, en confrontation avec les théories dominantes des champs actuels de la connaissance, mais l’essentiel des données utilisées sont françaises.

L’ouvrage comporte quatre parties : une critique anthropologique de l’idéologie de la fin du travail, une tentative de qualification la société actuelle en mettant en regard les différentes théories courantes (société de l’immatériel, société informationnelle, etc.), une étude de la structure de classe contemporaine face aux remises en question de la lutte des classes par la sociologie universitaire-médiatique, et une recherche de l’espace pertinent de l’action qui conclut à la résistance de l’espace national, avec une critique de la mondialisation dans ses pratiques et ses résultats.

Il commence par un rappel historique de la création de la catégorie unificatrice du travail, à partir de ses antécédents préhistoriques et antiques, (références à Leroy Gourhan et à Jean Pierre Vernant).

Le point de vue choisi est celui du travail, concept unificateur scientifique pour comprendre le monde capitaliste et les formations sociales (nations) qu’il crée, mais aussi de la praxis politique et historique. Les auteurs s’opposent à la thèse sociologique de la fin du travail en assumant cette prise de parti.

Mais en face du travail il rehausse aussi la consommation populaire comme potentiellement émancipatrice. Pour eux, l’Ipod ne l’est pas et la machine à laver l’est. Les auteurs ne semblent pas s’intéresser ici aux idées de Michel Clouscard sur l’idéologie du désir post soixante-huitarde, pourtant pertinentes dans ce champ d’étude.

Ce travail est le travail salarié, il y a une classe salariée, incorporant l’ancienne classe ouvrière, et largement mêlée à elle (par la constitution des ménages notamment) mais majoritairement employée aujourd’hui dans les services. La poussée de l’emploi salarié dans le secteur des services impose sans doute une modification de la base de classe des organisations révolutionnaires. Pour les auteurs, les salariés sont exploités encore plus durement dans les services que dans l’industrie (exploitation d’études des centres d’appel).

Autre thème, indépendant des deux premiers, une réhabilitation du concept de nation et du cadre national, « parce qu’il n’y pas de gouvernance mondiale », ou qu’elle se réduit à une hégémonie de fait des États-Unis. Pour les Delaunay, il n’y a de nation que dans un système de nations (conséquence qui se déduit tout naturellement de leurs propos: l’antinationalisme des trotskystes n’est que soumissions à la nation principale). Le PCF a tort d'abandonner ce teraain populaire à la droite (1)

Analyse fine du rôle du PCF depuis 1960 et de ses échecs qui auraient provoqué en son sein un rejet global de la théorie, ce qui en a fait une organisation sans orientation claire à la remorque de la mode. La dernière conception d’ensemble ayant servi à fonder une stratégie ayant été le capitalisme monopoliste d’État due à Paul Boccara, base du programme commun de gouvernement dont l’échec se fait encore sentir.

 

Remarques :

Je ne suis pas scientifique, et donc les réserves qui suivent ne peuvent que montrer sans rien prouver l’écart entre les idées des Delaunay et la manière de voir à laquelle je suis arrivé petit à petit, essentiellement en lisant des articles sur la conjoncture économique et sociale sur les sites de contre-info, en particulier celui de D Bleitrach, et en approfondissant ma connaissance des classiques du marxisme (Marx, Lénine, Gramsci, Mao).

Point à discuter : quelle est la pertinence pour l’analyse du réel de la catégorie statistique usuelle fourre-tout des « services », ou secteur tertiaire de l’économie et de l’emploi, distingué du primaire (agriculture) et du secondaire (transformation).

Certains analystes distinguent un secteur « quaternaire », (direction, recherche, finances, conception, création), sorte de tertiaire supérieur regroupant les activités nobles, et proposent de l'intégrer aux statistiques internationales.

Je pense pour ma part qu’il faudrait pour mieux penser la réalité diviser le secteur des services en plusieurs agrégats : un nouveau classement qui distingurait :

- les services d’aide à la production (qui ne sont que de l’industrie externalisée par les entreprises),

- les services productifs anciens (transports, Commerce de gros) ou relativement nouveaux (marketing, recherche, communication) qui sont à mon avis très sous estimés dans la tradition marxistes quant à la création de la valeur d’usage,

- les services de pur déplacement de plus-value (tourisme, finances, etc.) où il s’agit de transferts entre détenteurs de la plus-value recyclée,

- les services d'aide à la consommation : services à la personne qui ont une longue histoire derrière eux (domesticité, mais aussi comme le soulignent les Delaunay, l'aide hypermoderne à la consommation finale, sans laquelle les produits nouveaux seraient invendables, et intégré maintenant dès la conception marketing des nouveaux produits)

- les services non marchands qui contribuent à augmenter la valeur de la force de travail (santé, éducation),

- les services régaliens de l’États qui rendent possible tout le système (police, armée, administration, etc).

Les services « en général » dans ces conditions, c’est un concept qui me paraît imprécis.

 

Le déplacement de la production et le caractère parasitaire croissants des économies riches est peut être sous évalué par les auteurs. L’industrie, en se déplaçant vers le sud, attire avec elle aussi les services induits, à la production comme à la consommation, et même la partie « noble » de décision pour n’y laisser finalement qu’une finance parasitaire et appuyée sur la force militaire en dernière instance.

Evaluation du rôle de l’impérialisme, concept sous-utilisé. Comme beaucoup d’économistes, les auteurs  n’intègrent pas la préparation et la conduite des guerres à leurs schémas de dévalorisation du capital, même s’ils sont conscients que la situation actuelle est grosse de risques. Ils n’accordent pas assez d’importance à mon avis à la consolidation d’une bourgeoisie nomade mondiale et mondialiste, anglophone mais pas exclusivement anglo-saxonne et qui ambitionne de structurer à l’avenir les futures nations Europe et Monde.

Les auteurs sont critiques de la construction européenne mais ne semblent pas partisans de sortir de l’Europe. La partie programmatique est un peu sommaire. Peu d’intérêt pour la Chine et la multipolarité, hostilité à l’altermondialisme qui devrait être plus documentée pour placer une praxis en ce sens. De même le peu de cas fait des idées de Bourdieu sur la domination. A mon sens critiques de l’exploitation et critique de la domination ne devraient pas s’exclure mais se cumuler.

Donc un ouvrage théorique d’actualité, qui balise de vastes champs du savoir et qui par sa bibliographie et les commentaires polémiques qu’il contient permet au lecteur communiste de faire mûrir sa réflexion.

note :

 

1:[Un élément] explicatif de la faiblesse actuelle du concept de nation dans la pensée communiste en France, nous paraît être situé dans l’idéologie du PCF (…)

 

En raison même de son combat national ancien, le PCF, bien que de référence marxiste léniniste, élabora en 1973 la perspective d’un « socialisme aux couleurs de la France ». (…)

 

Cette organisation, attribuant à son passé théorique et politique l’essentiel de ses échecs à mesure que le temps passait, aurait été, selon notre interprétation, paralysée. Soucieuse de ne pas reproduire les erreurs qu’elle avait commises, elle abandonna toute théorie, se fiant, pour élaborer ses mots d’ordres, à l’air du temps.  Elle s’est retrouvée peu apte à combattre la mondialisation capitaliste de manière rigoureuse et suivie.  Affaiblie, ne pouvant apporter d’analyse convaincante autre que gesticulatoire de l’Europe capitaliste et mondialisée telle qu’elle fut défendue et promue par la direction socialiste et mitterrandienne lors des années de rigueur, (achèvement du marché unique, accords de Maastricht et monnaie unique, centrage autour de l’hyperconcurrence, essai de mise en place avec Jacques Delors d’une Europe financière), elle a supporté le poids principal, au plan électoral du fardeau de l’échec de cette politique, pourtant largement imputable à la famille française et européenne de ses alliés politiques. Sous l’angle critique, elle s’est alors mise à la remorque des théoriciens de l’altermondialisme et de l’antilibéralisme. Elle se coupa des classes populaires dont elle rejeta comme nulles et non avenues les interrogations, peut-être confuses mais réelles, sur l’avenir du fait national où elles avaient trouvé leur place au prix de durs combats. Le champ idéologique de la nation fut alors progressivement abandonné par elle à la pensée politique de la droite, à la fois mondialiste et conservatrice de l’ordre social capitaliste ainsi qu’à l’extrême droite nationaliste.

 

Quynh et Jean Claude Delaunay, Lire le capitalisme contemporain, Paris, 2007, pages 533-535

 

GQ, 18 août 2009

 

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