Développement de luttes dans tous les secteurs en Égypte

Publié le par Mahi Ahmed

Développement de luttes dans tous les secteurs en Égypte

Derrière le bras de fer mis en scène islamistes-militaires, le combat pour la réalisation des promesses sociales de la révolution

Article AC pour http://solidarite-internationale-pcf.over-blog.net/

 

Un an et demi après la chute du dictateur, plus d'un an de manifestations, de luttes porteuses d'espoir, le peuple Égyptien n'est toujours pas maître de son sort. Ses revendications, celle de la « révolution » de février, sont toujours étouffées.

Le bras de fer au sommet entre le président Mohammed Morsi des Frères musulmans et le Conseil suprême des forces armées (CSFA) ne représente qu'une lutte de pouvoir au sommet entre les intérêts de diverses fractions du capital égyptien, celle dominante sous l'Ancien régime de Moubarak et une bourgeoisie émergente issue du « capital vert » islamiste.

Des intérêts différents mais pas nécessairement opposés. Les « purges » dans l'armée apparaissent plus comme un remaniement habilement mis en scène, de connivence entre une fraction de l'armée et le pouvoir islamiste, que comme une lutte à mort entre les deux parties.

La mascarade électorale des législatives puis des présidentielles de 2012, boycottée par les communistes Égyptiens, avait déjà révélé la fermeture de la perspective politique, et la réalité d'une transition contrôlée par le pilier de l'ancien régime, l'armée, et acceptée par les islamistes.

Une « transition politique » visant d'une part à instaurer un État d'urgence permanent pour mieux étouffer les contestations populaires, d'autre part à assurer le maintien de l’Égypte dans le giron impérialiste.

Un face-à-face Frères musulmans/forces armées alimenté par le jeu et les contradictions des puissances impérialistes

Un face-à-face qui s'insère donc aussi dans les stratégies, tantôt convergentes tantôt contradictoires du capital international et des grandes puissances impérialistes. Un camp impérialiste dont les contradictions pèsent sur les relations conflictuelles entre les deux fractions de la classe dominante Égyptienne.

Du côté d’Israël, l'hostilité envers les Frères musulmans, parrains du Hamas et anti-sionistes par principe, explique le soutien inconditionnel accordé à l'Etat-major de Moubarak. L'armée reste le seul garant du traité de paix Israélo-Egyptien de 1979.

La première annonce du CSFA, en février 2011, a été de garantir à Israël le respect du traité de paix. Les derniers troubles au Sinaï, réprimés par l'armée Égyptienne avec la bienveillance d’Israël, rappellent l'importance stratégique de ce territoire, seule porte de sortie pour les palestiniens assiégés à Gaza.

Pour ce qui est des pétro-monarchies, Qataret Arabie saoudite, le soutien aux partis islamistes, comme aux « rebelles » en Syrie, en Libye ou au Mali répond à une politique de puissance avec double objectif : une stratégie de diffusion d'un islamisme fondamentaliste (wahhabisteet salafiste) d'une part, et une entreprise impérialiste de sécurisation de leurs investissements dans la région.

En 2010, le Qatar, l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis faisaient partie des cinq principaux investisseurs en Égypte, juste derrière les États-Unis et la Grande-Bretagne.

Les partis islamistes salafistes (comme Al-Nour) ont ainsi bénéficié pendant la campagne électorale de 2012 des pétrodollars saoudiens tandis que les Frères musulmans profitaient de leurs réseaux au Qatar, un certain nombre de cadres étant passés par l'exil dans la dictature du Golfe.

C'est du côté des puissances occidentales, et en premier lieu des États-Unis, que lescontradictions sont les plus manifestes, comme les a révélées la visite à la mi-juillet d'Hillary Clinton au Caire, avec la volonté d'une transition politique maîtrisée.

D'une part par leur soutien à l’État sioniste, les États-Unis, qui fournissent une aide annuelle de 1,3 milliards de $, ont intérêt à maintenir une tutelle militaire sur l'appareil d’État, tout du moins à préserver son rôle de « garant de la sécurité nationale ».

D'autre part, les intérêts du capital multi-national réclament la stabilité. Une stabilité qui ne pouvait plus passer par le régime honni de Moubarak, qui ne peut pas durablement s'appuyer sur une dictature militaire mais qui doit reposer sur une force capable d'assurer l'ordre social et d'offrir un cadre économique favorable aux investisseurs.

L'islamisme conservateur des Frères musulmans, un agenda compatible avec les intérêts du capital international

Tout comme en Tunisie, en Turquie, en Libye et bientôt en Syrie, les intérêts de l'impérialisme américain et du capital international rejoignent ceux des islamistes dits « modérés », entendre les partisans de l'économie de marché.

Si les relations avec les Frères musulmanssont plus particulières qu'ailleurs, avec la place stratégique qu'occupe l’Égypte au Proche-Orient, elles reposent sur des antécédents historiques.

Les Frères musulmans n'ont pas été historiquement une force anti-impérialiste révolutionnaire ;leur discours social articulé à un islamisme conservateur, leur anti-impérialisme sélectif a été utilisé dès les années 1950 par la CIApour contrer le mouvement communiste Égyptien et faire tomber le régime nationaliste de Nasser.

Ennemis jurés de Nasser, légalisés par Sadate, les Frères musulmansfurent pendant trente ans l'opposition officielle de Moubarak.

Leurs œuvres sociales palliaient l'absence de système de sécurité sociale et rendaient vivable la pauvreté extrême subie par près de la moitié de la population, survivant avec moins de 2 $ par jour. Leurs positions syndicales et associatives, tolérées par le régime, privaient les forces laïques, progressistes et révolutionnaires de tout ancrage de masse.

Par ailleurs, si les vagues de répression, légitimées au nom de la lutte contre le « péril islamiste » renforçaient leur crédit auprès d'une majorité d’Égyptiens opposés à la dictature, leur posture légaliste et leur participation aux institutions croupions du régime, ont affermi son statut d' « opposition de sa majesté », légitimant la façade démocratique dont voulait se doter le régime.

Cette attitude de collaboration tacite avec le régime explique l'attitude attentiste des Frères musulmanslors des manifestations contre Moubarak début 2011, la prédominance alors de mots d'ordre laïcs, sociaux et révolutionnaires. Les Frèresne prirent réellement la direction du mouvement qu'après le départ du dictateur, y voyant une occasion d'imposer son propre agenda et de faire obstacle à l'édification d'une Égypte laïque et progressiste.

Dès sa nomination, le nouveau premier ministre Hicham Qandil, ancien bureaucrate du ministère de l'Irrigation sous Moubarak, a lancé un rappel à l'ordre : « Il faut que la discipline revienne rapidement dans la rue », et à la continuité : « Nous n'allons pas partir de zéro. Nous allons construire à partir de ce qu'ont fait les gouvernements précédents ».

Les Frères musulmans sont encore moinsune force anti-capitaliste ou même « anti-libérale » ; la restauration d'un islamisme traditionaliste peut tout à fait coexister avec la promotion d'un cadre favorable aux investissements étrangers. Cela marche déjà en Turquie avec le modèle AKP, désormais imité en Tunisie, et peut-être demain en Égypte.

Les premières déclarations des leaders des Frères musulmans vont dans ce sens : aucune restriction sur les IDE et transactions bancaires ; aucune nationalisation ni mesure sociale ; priorité à la restauration de la stabilité, accent sur le développement du secteur privé.

Dans la bouche du banquier et dirigeant des Frères musulmans, Hassan Malek, « le secteur privé doit être le levier principal de l'économie dans le années qui viennent », il s'agit de ne prendre aucune mesure « qui risquerait d'effrayer les investisseurset de réduire l'activité ».

 

Hassan Malek, comme Khairat Al-Chaiter (partisan d'un « capitalisme aménagé ») ou encore Youssef Nada, font partie de ces multi-millionnaires intégrés aux cercles dirigeants des Frères musulmans, qui financent le parti et façonnent la politique économique « pragmatique » du nouveau régime.

Signe fort de cette orientation ultra-libérale, un des deux ministres conservés du cabinet formé par les militaires est justement l'expérimenté ministre des Finances, Mumtaz al-Said, partisan zélé dans les années 1990 et 2000 des programmes d'ajustement structurel du FMI.

Déjà récompensés par un « plan d'aide » de 2 milliards de $ du Qatar et de 500 millions de $ de l'Arabie saoudite, le nouveau gouvernement négocie désormais les conditions d'un prêt du FMI de 3,5 milliards de $, en contre-partie d'un plan d'ajustement structurel.

Un plan d'austérité, déjà esquissé par al-Said, qui prévoirait une coupe dans les dépenses publiques qui dégraisserait le secteur public, avec des privatisations et des réductions de postes, et rehausserait les taxes à la consommation.

La seule incertitude porterait sur l'essence et la nourriture subventionnées. Mesure d'assistance du régime Moubarak, destinée à acheter une paix sociale précaire, que le FMI voudrait supprimer mais que les Frères hésitent à remettre en cause, de peur de s'aliéner leur base sociale.

Un mouvement de luttes pour la réalisation des promesses sociales de la révolution

Le bras de fer entre Frèreset militaires, reflétant des contradictions internes à la classe dirigeante égyptienne et aux puissances impérialistes, est aussi une diversion, permettant d'éluder les questions économiques et sociales, et le consensus existant sur ce terrain entre Frères musulmans, militaires, bureaucrates d'ancien régime et impérialisme occidental.

Un an et demi après le début de la « révolution », c'est la désillusion pour la classe ouvrière égyptienne. Le mot d'ordre « Pain, liberté et justice sociale »est passé aux oubliettes : pas de filet de sécurité sociale, pas d'impôt progressif ni même de salaire minimum promis, dont la mise en œuvre est sans cesse retardée.

Depuis le début de l'année, les mouvements de grève ont touché tous les secteurs, des luttes qui se sont multipliées depuis le mois de juin et l'intronisation de Mohammed Morsi.

Un mouvement dont les ouvriers du textile de Mahalla sont encore à l'avant-garde, déjà à l'origine de grèves massives en 2006 et 2008 qui avaient ébranlé l'ancien régime.

Les 24 000 ouvriers de la grande entreprise de filage et de tissage de Misr se sont mis en grève le 15 juillet dernier pour réclamer notamment une augmentation des salaires, et des avantages sociaux notamment des soins médicaux à l'entreprise. Une grève suivie par sept autres entreprises textiles de la région du Delta du Nil.

Des mouvements de grève qui ont également touché les usines de l'entreprise de céramique Cléopatra, fleuron de l'industrie Égyptienne située à Suez, dont 5 000 ouvriers sont en lutte depuis le début de l'année pour réclamer une redistribution des profits dégagés par l'entreprise et la démission du PDG véreux Mohammed Abul-Enein, lié à l'ancien régime, ainsi que la mine d'or de Soukari, au bord de la mer Rouge, qui ont obtenu gain de cause sur leur revendication d'un complément de salaire pour couvrir l'achat du « minimum vital ».

Des luttes qui touchent tous les secteurs et posent la question de la rupture avec la gestion libérale portée par l'ancien régime et perpétuée par le nouveau :

  • des luttes dans la fonction publique, pour de meilleurs salaires et des moyens, et dans les entreprises publiques, comme à l'usine de textile de Mahalla ;
  • des luttes contre la précarité au travail, comme à l'entreprise de ciment Torah, dans la banlieue-sud du Caire, privatisée en 2005 et employant 1 200 travailleurs en contrat temporaire, une lutte qui est passé début juillet par la grève, l'occupation puis le débrayage pour exiger l'embauche à temps-plein et en contrat stable des ouvriers ;
  • des luttes enfin pour imposer le respect des droits fondamentaux des travailleurs, comme dans la ville ouvrière de Kafr al-Dawar réclamant de l'entreprise turque Tetco non seulement le paiement d'arriérés de salaires mais aussi le respect de leurs droits syndicaux. Position révélatrice, les organisations locales des Frères musulmans ont publiquement refusé d'apporter leur soutien à une lutte contre un investisseur étranger, affaire relevant pour eux du consulat de Turquie et non du gouvernement Égyptien ;

En Égypte, comme en Tunisie, les aspirations réelles du peuple à un avenir de paix, de liberté et de justice sociale ont été dévoyées et récupérées par la classe dominante de ces pays, ainsi que par l'impérialisme américain et européen, qui ont géré une transition conforme à la défense de leurs intérêts.

Tout a changé pour que rien ne change. La lutte pour un véritable changement, pour une transformation révolutionnaire, n'a pas encore commencé.

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