L'élection de M. Trump : une manifestation de la nouvelle société de statuts

Publié le par Mahi Ahmed

L'élection de M. Trump : une manifestation de la nouvelle société de statuts

Par AHMED HENNI*

 

Le capitalisme développé actuel semble animé d’antagonismes de statuts de plus en plus ressentis comme moteurs historiques. Ce cycle d’une lutte de statuts, que l’élection de M. Trump vient de confirmer, est concomitant de la réapparition depuis les années 1980 des rentes comme source principale de capture de richesses et la fin d’un cycle historique de luttes de classes liées à l’industrie.

Marx arrive à une époque où il observe que les révolutions anti-féodales en Europe, conjuguées à l’apparition du profit industriel comme source d’enrichissement des bourgeois, ont réduit les rentes foncières à un statut mineur et par suite rabaissé la position politique et sociale de la noblesse terrienne. À partir de ces faits, il théorise une analyse d’où les rentes sont exclues, aussi bien celles de l’aristocratie, des Églises ou des États et même celles des monopoles de la bourgeoisie ascendante. Ne restent que des profits et des salaires qui inaugurent un siècle et demi d’antagonismes de classes. Ce cycle historique de la lutte des classes se ferme avec la réapparition dans les années 1980 des rentes — ici monétaires, électroniques (informatique, médias) et technologiques (brevets) —  comme élément majeur de la capture de richesses. J’avais en 1994 attiré l’attention sur cette mutation du capitalisme en pronostiquant l’ouverture d’un nouveau cycle d’antagonismes sociaux entre rentiers et non-rentiers sous forme de luttes de statuts. Ce nouveau capitalisme de rente crée de nouveaux statuts: celui de rentier dominant et celui de rentier subalterne. Les premiers, insérés dans la mondialisation des circulations monétaires, électroniques et technologiques, vivant de capture d’intérêts, de plus-values et de redevances, s’enrichissent et dominent, vivent dans les métropoles urbaines et se construisent un monde culturel à eux. Les seconds, bien que bénéficiant de compléments monétaires sous forme d’annones redistribuées par l’État, n’arrivent pas, avec un salaire, à accéder à ce niveau de vie rêvé. Mieux, d’anciens subalternes — femmes, bronzés, ex-colonisés — se hissent, parfois et même souvent, au dessus d’eux et les commandent. Ces nouveaux subalternisés qui, avant, participaient, au moins symboliquement, à la domination du monde se trouvent déchus, condamnés par la disparition des Empires qui les mettaient au premier rang, rabaissés au statut de travailleur dans des secteurs en déclin (industrie) et source de souillure (pollution et saletés) où à celui de petites mains ou de précaires salariés dans le monde de la distribution et, enfin, dévirilisés par un sentiment d’impuissance face à ce que de nouvelles lois votées par les nouveaux patriciens ont conféré comme droits à leurs anciens subalternes et qu’ils ressentent comme cause d’arrogance de la part des femmes, des bronzés et des anciens colonisés. 

L’élection de M. Trump aux États-Unis s’inscrit dans cette dynamique historique.  

Article publié sur le blog de Ahmed Henni

*Ahmed Henni est l’auteur de :

Le capitalisme de rente. De la société du travail industriel à la société des rentiers, L’Harmattan, 2012

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