TLEMCEN À L’HONNEUR

Publié le par Mahi Ahmed

TLEMCEN À L’HONNEUR
L’Algérie capitale de la culture islamique
23 Avril 2011 -

«La civilisation n’est pas un entassement, mais une construction, une architecture». Malek Bennabi (Extrait de Vocation de l’Islam)

C’est fait! le 16 avril le Président a inauguré les festivités de Tlemcen, capitale de la culture islamique. Plus de 80 ambassadeurs accrédités en Algérie ont participé à la cérémonie d’ouverture officielle de la manifestation. Au-delà du décorum, en tant que citoyen plusieurs questions me sont venues à l’esprit. Pourquoi sommes-nous incapables d’augmenter le lectorat et le nombre de bibliothèques du pays qui est sur le constant déclin. Le nombre de bibliothèques, à titre d’exemple à Alger la capitale, se compte sur les doigts d’une main! Il est vrai que nous avons eu aussi le Panaf avec une fausse Lucy que l’on nous avait présentée comme la vraie. Pourquoi sommes-nous capables de faire des dépenses de prestige sans lendemain et ne pas pouvoir résoudre les fondamentaux de la lecture? Un bref regard sur le programme sur Internet m’a conforté dans l’idée qu’au-delà de la cérémonie d’ouverture où nous avons simulé les Mille et Une Nuits par cette floraison de chars et de costumes, les citoyens ont eu quelques moments de bonheur, avant que l’amère réalité du quotidien ne les rattrape. On peut se demander pourquoi l’Unesco est absente de cette manifestation, cette organisation aurait pu apporter beaucoup, notamment par le prêt d’ouvrages de la civilisation islamique, quand bien même ils ne seraient pas de Tlemcen, mais qui auraient pu être admirés en Algérie? Il en est de même de l’OCI pourquoi elle n’est pas partie prenante? Enfin, pourquoi nier l’histoire et ne pas raconter l’histoire de Tlemcen depuis l’avènement de l’Homme? C’était une occasion unique de faire connaître la préhistoire algérienne avec l’homme de Tirenife suite aux fouilles d’Arembourg, qui avait mis à jour l’homme de Palikao notre ancêtre d’il y a 1,7 million d’années. Nous aurions aussi parlé de la préhistoire et de la Tlemcen romaine avec Pomaria. L’Histoire de Tlemcen n’aurait pas de ce fait, été évacuée au détour d’un colloque sur l’Histoire de Tlemcen et de sa région, on aurait pu suggérer justement une exposition sur le passé préhistorique de l’Algérie avec, notamment un clin d’oeil à la dimension religieuse de l’homme de la préhistoire, notamment en rapportant que l’homme des grottes de Bourremel (près de Béjaïa) enterrait, il y a vingt mille ans, ses morts, c’est l’une des premières manifestations de la nature humaine et de son questionnement vis-à-vis de la mort.

Les capitales potentielles de la culture islamique
Lors de la conférence de presse du 05 février, la question, sur l’auteur de la désignation de Tlemcen, capitale de la culture islamique a été posée. Pourquoi Tlemcen et pas d’autres villes? Le conférencier a levé le voile sur cette question en précisant que le ministère de la Culture n’a fait que proposer trois villes algériennes, à savoir: Constantine, Béjaïa et Tlemcen à un organisme international: l’Icesco qui a choisi Tlemcen parce que tout simplement elle détient 70% du patrimoine religieux et historique de la nation.
Autre son de cloche, d’après les autorités «Tlemcen a été choisie capitale de la culture islamique car elle remplit les conditions pour cela et dispose de toutes les potentialités scientifiques et culturelles ainsi que les moyens nécessaires pour abriter une telle manifestation dans les meilleures conditions». C’est à voir!! Malgré les argents engloutis et dont le contribuable n’a pas été tenu informé, il n’est que de se souvenir de la mascarade du squelette de Lucy que l’on nous avait «vendu» pour la vraie Lucy et qui nous dit-on, serait venue et traitée comme une VIP. Pendant ce temps, la vraie Lucy était analysée dans un musée américain. Bref, des milliards ont été engloutis dans des dépenses de prestige sans retour sur investissement qui peut être multiforme. Tlemcen a-t-elle été choisie en fonction de ses infrastructures potentielles comme on le dit? Cela nous rappelle le choix du pays devant abriter la Coupe du Monde ou les Jeux olympiques. C’est faire peu de frais de la dimension culturelle et cultuelle qui devait prévaloir. A-t-on choisi Tlemcen pour sa dimension culturelle et cultuelle accomplie par rapport à d’autres villes d’Algérie? A-t-on demandé aux villes algériennes potentielles dans une compétition transparente de postuler pour abriter cette dimension culturelle qui est revenue cette année à l’Algérie, ou est-ce un choix?
Cependant, le choix de la ville n’est pas de mon point de vue fortuit. Cette distinction est une véritable distinction décernée à la ville et au pays qui l’abrite. Notons que Tlemcen est choisie capitale de la culture islamique en raison de sa longue histoire et de ses joyaux architecturaux qui représentent la plupart des époques islamiques. Elle est aussi l’une des plus anciennes cités algériennes, fortement marquée par l’époque islamique depuis la fondation du premier émirat islamique de Béni Ifren par la tribu des Zénètes, puis la fondation des Etats des Idrissides, des Fatimides et des Almoravides qui construiront une nouvelle cité qu’ils appelèrent Tlemcen. A cette époque, la capitale des Zianides, qui était aussi connue pour son importante activité commerciale, était une ville dédiée au savoir et était l’un des centres des sciences du Fiqh. Après la chute des Almoravides, Tlemcen est tombée sous la coupe des Almohades qui reconnurent la grande tribu algérienne des Zénètes et leur attribuèrent la régence de la ville en question et ce, jusqu’à la fondation du grand Etat des Zianides qui durera plus de trois siècles. Dans tous les cas, ce que l’on retiendra c’est le développement de la ville de Tlemcen et c’est une bonne chose pour cette ville d’art et d’histoire qui m’a toujours subjugué par son passé; chacun de nous pense à l’ouvrage culte El Boustane de Ibn Maryam Ec Cherif El Melity El Medyouni Tilimçani.
Tlemcen connut dit-on, son heure de gloire grâce, notamment à Sidi Boumediene le célèbre mystique andalou de la fin du XIIe siècle et dont le tombeau attirait les pélerins de tout le Maghreb. Tlemcen avait aussi sa milice chrétienne et comptait en cette période plus de cent mille âmes, il y avait un quartier spécial pour les chrétiens, ce quartier était géré aussi par un consul étranger. La situation de la ville était tellement florissante que très vite la ville acquit une réputation de richesse, de sécurité et de tolérance. La ville de Tlemcen développait des relations commerciales avec toutes les grandes capitales commerciales du Moyen Age (Marseille, Venise, Gênes...). La tribu des Beni Mérin 1244-1465 est aussi une tribu berbère qui fut poussée des confins de l’Oranie aux confins de l’Ouest et ceci sous la pression des Almohades. Ce n’est qu’à la fin du XIIe siècle, qu’ils sortirent de leur retraite en participant à la bataille d’Alarcos contre les Espagnols.La dynastie débuta réellement avec Abou Yahia Abou Bakr (1244-1258) fils du fondateur ‘Abd El Haq.(1)
Je pense qu’il était préférable que toute l’Algérie soit déclarée capitale de la culture islamique, elle aurait ce faisant, fait participer toutes les villes algériennes de la plus humble et la plus connue et qui ont apporté cette lueur d’humanité que véhicule l’Islam. De ce fait, Tlemcen aurait pu être le trait d’union entre les autres villes algériennes qui ont eu un passé prestigieux et les pays islamiques représentées. Mieux encore, le programme de la culture islamique en Algérie aurait pu être enrichi de façon croisée en invitant toutes les troupes et délégations étrangères de faire un périple de 15 jours pour faire profiter les autres villes d’Algérie et elles-mêmes s’imprégner de la dimension de la culture islamique dans ces villes auxquelles a fait mention le Président dans son discours; je veux citer, notamment, Constantine, Bejaïa où il y avait dit-on 100 savants qui vivaient à l’ombre de l’Islam, je veux citer pour le lecteur le libre culte: Ounouan addhyraya fi machaïkh Béjaïa «Galerie des 100 savants de Bougie» de l’auteur célèbre El Ghobrini. Ce même auteur parle de Aïcha poétesse fille d’un juriste émérite Omara Ben Yahia El Hosseini. Elle aurai copié de sa main «L’Explication du Coran» en 18 chapitres de Thaâlibi, l’andalou. Dans un ouvrage édité il y a dix ans, j’avais tenté de consolider une histoire de l’éducation et de la culture en Algérie des origines à nos jours, j’avais d’ailleurs fait une place de choix à Tlemcen et à ses savants.(2)
Si on devait aussi, honorer les savants de l’Islam, force est de signaler une «amnésie», en l’occurrence, l’absence de Mohamed Arkoun. Nous devons vivre dans le présent et honorer aussi ceux qui dans le temps présent ont honoré l’Islam. Ce qui montrerait à coup sûr l’intemporalité de la culture islamique. L’écrivain Amine Zaoui écrit à ce propos: «Le 11 avril dernier, en présence de Mme Irina Bokova, directrice générale de l’Unesco [curieusement absente de la manifestation de Tlemcen Ndlr], et en marge de la remise du prix Unesco-Sharjah pour la culture arabe, l’islamologue Mohamed Arkoun, décédé le 14 septembre 2010, fut présent à travers un colloque scientifique qui lui a été consacré. Le 16 avril, en présence de Monsieur le Président de la République, le coup d’envoi des «festivités» de «Tlemcen, capitale de la culture islamique» a été donné dans l’absence totale et le silence absolu sur notre grand Mohamed Arkoun. L’homme des questions. Le messager. Le passeur. (...) Mais aucun musulman moderne ne peut tolérer l’absence de Mohamed Arkoun dans le programme de cette année, et notamment dans la journée symbolique de l’ouverture. L’Algérie moderne et grande est universellement présente et connue grâce à la pensée moderne du grand islamologue Mohammed Arkoun. Si célébration est faite pour parler des dialogues des religions ou des cultures, Mohamed Arkoun, par excellence, doit être au centre de ce débat. Au centre de toute réflexion autour de l’humanisme islamique. Faiseur de paix et de dialogue. L’Unesco-Sharjah pour la culture arabe, dans sa 9e édition n’a pas oublié de rendre un vibrant hommage en forme d’un colloque scientifique, au grand islamologue algérien Mohamed Arkoun. En contrepartie, chez lui, dans sa patrie, sur sa terre natale, qui célèbre en cette année 2011, avec fanfare, «La Culture islamique», les siens n’ont pas eu le temps d’observer une minute de silence en son âme ou un arrêt sur ses idées de el-ijtihad. Mohamed Arkoun mérite un hommage d’État, en cette année où Tlemcen est choisie comme capitale de la culture islamique. Arkoun a le droit à un grand colloque scientifique, en cette période où notre pays mène une guerre contre les idées intégristes et contre le terrorisme local et international. (...) Et Tlemcen capitale de la culture islamique est un moment historique pour rendre un hommage scientifique à nos savants d’aujourd’hui, ceux qui symbolisent «les passeurs» entre les religions et les cultures. Et Arkoun fut l’un de ces passeurs, le plus brillant. En ce temps amer, les jeunes ont perdu la force du rêve. Et nos jeunes égarés sur le plan religieux ont besoin de lire, d’écouter un nouveau discours sur l’Islam et sur les musulmans. Et, sans doute, la pensée de Mohamed Arkoun est une réponse à ce grave trouble religieux. Lui qui, dans tous ses écrits, a appelé, avec courage et rigueur scientifique, à moderniser l’Islam pour la renaissance d’une pensée islamique plurielle. En quête d’une nouvelle Andalousie. Une nouvelle Tolède».(3)
Là encore, nous avons la pénible impression que le monde musulman vit dans le passé. A-t-on vu cette manifestation s’emparer des sujets du temps présent? Qu’a-t-on fait après depuis la période de roukoud et dont Mostefa Lacheraf disait que la chute ne fut pas brutale qu’elle fut un long délitement. Ce délitement, dont on accuse la fermeture de l’Ijtihad, a amené à la formation d’intellectuels organiques - au sens d’Antonio Gramsci- qui sévissent encore de nous jours et qui adaptent le savoir, la science aux désirs du prince. Qui aurait empêché ce Conseil scientifique des colloques de s’emparer de sujets comme l’analyse des causes du déclin de la civilisation islamique, ce qui aurait pu «en creux», nous faire percevoir les «solutions» ou en tout cas les voies et moyens d’éviter les chemins de travers actuels? Ce Conseil scientifique aurait pu aussi nous surprendre en analysant les causes de l’échec de la Nahda depuis Djamel Eddine al Afghani en mettant en valeur l’apport des Ouléma musulmans d’Algérie et d’un certain Abdelhamid Ibn Badis, dont la mort coïncidait justement avec ce 16 avril et appelé depuis Youm el ’Ilm. Les grandes métropoles de l’Islam que sont les trois autres capitales Béjaïa, Alger et Constantine auraient pu être mises en valeur par au moins des expositions spécifiques.

L’Islam de la science absent
A titre d’exemple, le système de mesure fut promulgué nous dit Brosselard, en 1328 sous le règne du sultan Abdelouadite Abou Tachfine 1er. La coudée, qui variait entre 45 et 50 cm avait une valeur précise, développée par les savants de l’Islam et que les marchands du pourtour de la Méditerranée ont adopté pour commercer avec Tlemcen cité de 100.000 âmes qui avait un quartier appelé El Kissaria fort de 6000 âmes et qui abritait la communauté étrangère. On a retrouvé un marbre qui décrit justement la coudée de 47 cm. Cette coudée était subdivisée en 36 portions égales (le doigt) de 1,3 cm en moyenne. Ce doigt était subdivisé lui-même en 6 grains d’orge moyen, rangés en ordre serré dos à ventre (environ 0, 215cm). Le grain d’orge représente lui-même l’espace que peuvent remplir six crins de mulet de l’espèce appelée Bardeau (Cha’ir bardhoune) environ 0,33 millimètre. Ainsi cinq siècles avant la conférence internationale des poids et mesure de 1889 pour définir le prototype du mètre, la science musulmane avait déjà posé les jalons pour l’unification des systèmes de mesure. Nul doute que la science universelle a profité de cette avancée.(4) Cet exemple parmi tant d’autres montre l’unicité de la science et la part des savants musulmans à cette aventure humaine.
A-t-on vu l’avènement de la science qui permettrait à l’Islam de se battre scientifiquement? A t-on vu des scientifiques musulmans venir exposer leurs découvertes? A-t-on vu les savants iraniens venir nous parler de leurs fusées dans l’espace, de leur centrale nucléaire, des savant turcs indonésiens? L’Islam ne se réduit pas à une quacida, la musique fut-elle andalouse, ou les robaïate d’el Khayyam aussi envoutantes soient-elles ne permettent pas à l’Islam, dans ce siècle sauvage, de garder son rang et d’être une alternative à ce money-théïsme qui nous envahit de toute part et à cette mondialatinisation rampante qui problématise les identités et les spiritualités. La culture islamique c’est aussi une culture scientifique. Je formule le voeu et ce n’est pas trop tard de recueillir à la fois le patrimoine à la fois matériel et immatériel par la confection d’un ouvrage dédié à l’apport de l’Algérie à l’Islam; cet ouvrage qui devra été rédigé par des spécialistes doit restituer toutes les manifestations avec un fil directeur: l’histoire de l’Algérie musulmane placée dans une perspective historique de l’Histoire des religions.

1. C.E. Chitour: Histoire religieuse de l’Algérie. Editions Enag 2001
2. L’Education et la culture en Algérie des origines à nos jours. Editions Enag 1999
3. Amine Zaoui http://culture.dz.lesnews.tk/ 2011/04/tlemcen-mohamed-arkoun-est-le-grand.html#comment-form
4. Charles Brosselard cité dans C.E. Chitour: L’Education et la culture en Algérie des origines à nos jours.
Edit.Enag 1999.

Pr Chems Eddine CHITOUR

http://www.lexpressiondz.com/article/8/2011-04-23/88596.html

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