Stratégie impériale pour un nouvel ordre mondial: les origines de la Troisième Guerre mondiale.2ème partie

Publié le par Mahi Ahmed

Le « grand échiquier » de Brzezinski



Ancien conseiller à la sécurité nationale des États-Unis : Zbigniew Brzezinski

Le stratégiste faucon par excellence, Zbigniew Brzezinski, co-fondateur de la Commission trilatérale avec David Rockefeller, ancien conseiller à la Sécurité nationale et architecte clé de la politique étrangère sous Jimmy Carter, est également l’auteur d’un livre sur la géostratégie états-unienne. M. Brzezinski est par ailleurs membre du Council on Foreign Relations, du groupe Bilderberg et a aussi été membre du conseil d’administration d’Amnistie internationale, du Conseil de l'Atlantique et de National Endowment for Democracy (NED). À l’heure actuelle, il est administrateur et conseiller au Center for Strategic and International Studies (CSIS), un important cercle de réflexion états-unien.

 

Dans son livre Le grand échiquier, paru en 1997, Brzezinski a tracé les grandes lignes  d’une stratégie pour les États-Unis dans le monde. Il a écrit : « Pour les États-Unis, le grand prix politique est l’Eurasie. Depuis un demi-millénaire, les affaires mondiales ont été dominées par les pouvoirs eurasiens et les peuples qui se sont battus entre eux pour la domination régionale et ont aspiré au pouvoir mondial. » Il ajoute, « la façon dont les États-Unis “s’y prennent” avec l’Eurasie est critique. L’Eurasie constitue le plus grand continent du globe et représente un axe géopolitique. Un pouvoir dominant l’Eurasie contrôlerait deux des trois régions du monde les plus avancées et les plus productives sur le plan économique. Un simple coup d’œil sur la carte suggère également que la domination de l’Eurasie impliquerait presque systématiquement la subordination de l’Afrique [29] ».

 

Il poursuit l’élaboration d’une stratégie pour l’empire états-unien en affirmant qu’« il est impératif qu’aucun opposant eurasien n’émerge, et soit capable de dominer l’Eurasie et, par conséquent, de défier les États-Unis. L’objectif de ce livre est donc de formuler une géostratégie eurasienne approfondie et intégrée [30] ». Il explique : « Deux étapes fondamentales sont donc requises : premièrement, identifier les États eurasiens dynamiques sur le plan géostratégique ayant le pouvoir de provoquer un changement potentiellement important dans la distribution internationale du pouvoir et de déchiffrer les principaux objectifs extérieurs de leurs élites politiques respectives et les conséquences probables de ces aspirations; deuxièmement, formuler des politiques spécifiquement états-uniennes pour compenser, coopter et/ou contrôler ce qui précède [31]. »

 

Cela signifie qu’il est primordial d’identifier les États qui seraient de potentiels pivots sur lesquels l’équilibre des puissances de la région mettrait fin à la sphère d’influence états-unienne, et qu’il faut ensuite « compenser, coopter et/ou contrôler » de tels États et de telles circonstances. L’Iran serait un exemple : il est l’un des plus grands producteurs de pétrole du monde et détient une position stratégique significative dans l’axe de l’Europe, de l’Asie et du Moyen-Orient. L’Iran pourrait détenir la capacité de modifier l’équilibre des puissances en Eurasie s’il s’alliait étroitement à la Russie ou à la Chine, ou les deux, en leur offrant un important approvisionnement en pétrole de même qu’une sphère d’influence dans le Golfe, rivalisant ainsi l’hégémonie états-unienne dans la région.

 

M. Brzezinski a supprimé toute subtilité de ses penchants impérialistes et écrit : « Afin de l’exprimer dans une terminologie rappelant l’âge davantage brutal des anciens empires, les trois grands impératifs de la géostratégie sont : prévenir la collusion et maintenir la dépendance sécuritaire entre les vassaux, préserver la protection des tributaires et leur caractère influençable, et finalement empêcher les barbares de s’unir [32]. »

 

Brzezinski fait référence aux républiques d’Asie centrale sous le nom « Balkans eurasiens » en écrivant : « De plus, d’un point de vue sécuritaire et sur le plan des ambitions historiques elles [républiques d’Asie centrale] sont importantes pour au moins trois de leurs voisins immédiats les plus puissants, à savoir, la Russie, la Turquie et l’Iran, ainsi que pour la Chine, qui démontre un intérêt politique accru envers la région. Mais les Balkans eurasiens constituent un trésor économique potentiel et sont infiniment plus importants pour cette raison : une énorme concentration de gaz naturel et de réserves de pétrole se trouve dans cette région, en plus d’importants minéraux, dont l’or [33]. » Il ajoute :« Il s’ensuit que l’intérêt principal des États-Unis est d’aider à s’assurer qu’aucun pouvoir à lui seul arrive à contrôler cet espace géopolitique et que la communauté internationale y ait accès économiquement et financièrement, sans entraves [34] ». Voilà un illustre exemple du rôle des États-Unis en tant qu’engin impérial : le pays pratique une politique étrangère impériale conçue pour maintenir ses positions stratégiques, mais dont le but « infiniment plus important » est d’abord, de sécuriser le « trésor économique » pour la « communauté internationale ». En d’autres termes, les États-Unis constituent une hégémonie impériale œuvrant pour les intérêts financiers internationaux.

 

Brzezinski a également avertit que « les États-Unis pourraient devoir déterminer la façon de composer avec les coalitions régionales qui cherchent à évincer le pays de l’Eurasie, menaçant ainsi son statut de puissance mondiale [35] ». Il « met au premier plan la tactique et la manipulation afin de prévenir l’émergence d’une coalition hostile qui pourrait tôt ou tard chercher à défier la primauté états-unienne ». Ainsi, « [l]a tâche la plus urgente consiste à s’assurer qu’aucun État ou ensemble d’États acquière la capacité d’expulser les États-Unis de l’Eurasie ou même de diminuer de manière significative son rôle décisif d’arbitre [36] ».

 

La guerre au terrorisme et l’impérialisme excessif

 

En 2000, le Pentagone a publié un document appelé Joint Vision 2020, qui expose brièvement un projet destiné à accomplir ce qu’ils nomment « Full Spectrum Dominance » (domination sous tous ses aspects), en tant que modèle pour le département de la Défense dans le futur. « La domination sous tous ses aspects signifie la capacité des forces états-uniennes, agissant seules ou avec des alliés, de vaincre n’importe quel adversaire et de contrôler n’importe quelle situation pour l’ensemble des opérations militaires. » Le rapport «  aborde la domination sous tous ses aspects dans l’ensemble des conflits, de la guerre nucléaire aux grandes guerres de théâtre, en passant par les contingences de plus petite échelle. Il touche également aux situations imprécises comme le maintien de la paix et l’aide humanitaire n’impliquant pas de combat ». On mentionne également « [l]e développement d’un réseau d’informations mondial offrant un environnement propice à la supériorité décisionnelle [37] ».

 

Comme l’expliquait l’économiste politique Ellen Wood, « [l]a domination sans frontières de l’économie mondiale et des nombreux États qui l’administrent nécessite une action militaire sans fin, dans l’intention ou dans le temps [38] ». Elle ajoute : « La domination impériale dans une économie capitaliste mondiale requière un équilibre délicat et contradictoire entre l’abolition de la compétition et le maintien des conditions qui génèrent des marchés et des profits dans les économies en compétition. Il s’agit des contradictions les plus fondamentales du nouvel ordre mondial [39]. »

 

Après le 11 septembre, la « doctrine Bush » a été mise en place. Elle réclamait « un droit exclusif et unilatéral à l’attaque préventive, partout et en tout temps, libre de tout accord international, afin de s’assurer que “[leurs] forces seront assez fortes pour dissuader des adversaires potentiels de se développer militairement dans l’espoir de surpasser ou d’égaler la puissance des États-Unis” [40] ».

 

L’OTAN a entrepris la première invasion terrestre de toute son histoire avec l’invasion et l’occupation de l’Afghanistan en octobre 2001. En réalité, la guerre afghane avait été planifiée avant les événements du 11 septembre, avec la rupture d’un important marché de pipeline entre des compagnies pétrolières occidentales et les talibans. La guerre en soi a été orchestrée en été 2001, avec le plan fonctionnel pour aller en guerre à la mi-octobre [41].

 

D’un point de vu géopolitique, l’Afghanistan est extrêmement important, car « le transport de tout le combustible fossile du bassin de la mer Caspienne à travers la Russie ou l’Azerbaïdjan accroîtrait énormément le contrôle politique et économique de la Russie sur les républiques d’Asie centrale, ce que l’Ouest a précisément tenté de prévenir pendant 10 ans. Le faire passer par l’Iran enrichirait un régime que les États-Unis cherchent à isoler. Envoyer le combustible par le long chemin de la Chine, en passant complètement à côté des considérations stratégiques, se ferait à un coût prohibitif. Si les pipelines passaient toutefois par l’Afghanistan, cela permettrait aux États-Unis de poursuivre à la fois son objectif de “diversification de l’approvisionnement énergétique” et de pénétrer les marchés les plus lucratifs du monde [42] ».

 

Comme le soulignait le San Francisco Chronicle, à peine deux semaines après les attaques du 11 septembre, « [a]u-delà de la détermination états-unienne de se venger des auteurs de l’attentat, au-delà de la probabilité de batailles interminables provoquant davantage de pertes civiles dans les mois et les années à venir, les enjeux cachés dans la guerre au terrorisme peuvent se résumer en un seul mot : pétrole ». Le quotidien explique en outre que « [l]a carte des sanctuaires de terroristes et des cibles au Moyen-Orient et en Asie centrale est également, dans une mesure extraordinaire, la carte des principales sources d’énergie mondiales au 21e siècle. La défense de ces ressources énergétiques, au lieu d’être une simple confrontation entre l’Islam et l’Ouest – sera la première étincelle du conflit mondial qui perdurera dans les prochaines décennies ».

 

Au nombre des multiples États notables où il y a un croisement entre le terrorisme, le pétrole et les réserves de gaz, et qui sont d’une importance capitale pour les États-Unis et l’Ouest, on trouve l’Arabie Saoudite, la Lybie, le Bahreïn, les Émirats du Golfe, l’Iran, l’Irak, l’Égypte, le Soudan, l’Algérie, le Turkménistan, le Kazakhstan, l’Azerbaïdjan, la Tchétchénie, la Géorgie et l’est de la Turquie. Fait marquant, « cette région compte plus de 65 % de la production mondiale de pétrole et de gaz naturel ». Aussi, « inévitablement, bien des gens verront la guerre contre le terrorisme comme une guerre pour le compte des états-uniennes Chevron, ExxonMobil et Arco, de la française TotalFinaElf; de la britannique British Petroleum et de la et néerlandaise Royal Dutch Shell et d’autres géantes multinationales, lesquelles ont investi des centaines de milliards de dollars dans la région [43] ».

 

Ce n’est pas un secret que la guerre en Irak était étroitement liée au pétrole. À l’été 2001, Dick Cheney a organisé une Energy Task Force (unité d’intervention sur l’énergie), qui constituait une série de rencontres extrêmement secrètes, où l’on déterminait la politique énergétique des États-Unis. Lors de ces rencontres, ainsi que par divers moyens de communication, M. Cheney et ses assistants se sont entretenus avec de hauts représentants et des dirigeants de Shell Oil, British Petroleum (BP), Exxon Mobil, Chevron, et Conoco [44]. Lors de la réunion qui s’est tenue avant le 11 septembre et avant que l’on ne mentionne une guerre en Irak, des documents traitant des champs pétrolifères, des pipelines, des raffineries et des terminaux ont été présentés et ont fait l’objet de discussions. « [S]ur des documents saoudiens et émiratis figurait également une carte de tous les champs pétrolifères, pipelines, raffineries et terminaux pétroliers de chaque pays [45]. » Depuis, Royal Dutch Shell et British Petroleum ont toutes deux reçu d’importants contrats pour développer les champs pétrolifères iraquiens [46]. 

 

La guerre en Irak, tout comme la guerre en Afghanistan, servent des intérêts stratégiques dans cette région : en grande partie, des intérêts spécifiquement états-uniens, et, en général, des intérêts impériaux de l’Occident. Ces guerres ont été particulièrement conçues pour éliminer, menacer ou endiguer les pouvoirs régionaux, ainsi que pour y instaurer directement plusieurs douzaines de bases militaires, établissant ainsi, de manière ferme, une présence impériale. Le but de cette entreprise vise largement les joueurs important de la région et tend spécifiquement à encercler la Russie et la Chine et à menacer leur accès aux réserves régionales de pétrole et de gaz. L’Iran est désormais cerné, par l’Irak d’un côté et l’Afghanistan de l’autre.

 

Conclusion

 

La première partie de cet essai a tracé les grandes lignes de la stratégie impériale des États-Unis et de l’OTAN visant à entrer dans le nouvel ordre mondial après le démantèlement de l’Union Soviétique. Le but principal visait à encercler la Russie et la Chine et à prévenir l’émergence d’une nouvelle superpuissance. Les États-Unis devaient agir à titre d’hégémonie impériale, servant les intérêts financiers internationaux dans l’imposition d’un nouvel ordre mondial. La prochaine partie de cet essai examine les « révolutions de couleur » à travers l’Europe de l’Est et l’Asie centrale, lesquelles perpétuent la politique d’endiguement de la Russie et de la Chine, en contrôlant l’accès aux principales réserves de gaz naturel et leurs voies de transport. Les « révolutions de couleur » ont été une force cruciale de la stratégie géopolitique, et leur analyse est  essentielle à la compréhension du nouvel ordre mondial.



Article original en anglais: An Imperial Strategy for a New World Order, publié le 16 octobre 2009.

Traduction : Julie Lévesque pour
Mondialisation.ca.

Notes

 

[1]           Tyler, Patrick E. U.S. Strategy Plan Calls for Insuring No Rivals Develop: A One Superpower World. The New York Times: March 8, 1992. http://work.colum.edu/~amiller/wolfowitz1992.htm

 

[2]           Louis Sell, Slobodan Milosevic and the Destruction of Yugoslavia. Duke University Press, 2002: Page 28

 

Michel Chossudovsky, Dismantling Former Yugoslavia, Recolonizing Bosnia-Herzegovina. Global Research: February 19, 2002: http://globalresearch.ca/index.php?context=va&aid=370

 

[3]           Michel Chossudovsky, Dismantling Former Yugoslavia, Recolonizing Bosnia-Herzegovina. Global Research: February 19, 2002: http://globalresearch.ca/index.php?context=va&aid=370

 

[4]           David Binder, Yugoslavia Seen Breaking Up Soon. The New York Times: November 28, 1990

 

[5]           Ian Traynor, Croat general on trial for war crimes. The Guardian: March 12, 2008: http://www.guardian.co.uk/world/2008/mar/12/warcrimes.balkans

 

[6]           Adam LeBor, Croat general Ante Gotovina stands trial for war crimes. The Times Online: March 11, 2008: http://www.timesonline.co.uk/tol/news/world/europe/article3522828.ece

 

[7]           Brendan O’Neill, 'You are only allowed to see Bosnia in black and white'. Spiked: January 23, 2004: http://www.spiked-online.com/Articles/0000000CA374.htm

 

[8]           Richard J. Aldrich, America used Islamists to arm the Bosnian Muslims. The Guardian: April 22, 2002: http://www.guardian.co.uk/world/2002/apr/22/warcrimes.comment/print

 

[9]           Tim Judah, German spies accused of arming Bosnian Muslims. The Telegraph: April 20, 1997: http://www.serbianlinks.freehosting.net/german.htm

 

[10]        Charlotte Eagar, Invisible US Army defeats Serbs. The Observer: November 5, 1995: http://charlotte-eagar.com/stories/balkans110595.shtml

 

[11]        Gary Wilson, New reports show secret U.S. role in Balkan war. Workers World News Service: 1996: http://www.workers.org/ww/1997/bosnia.html

 

[12]        IAC, The CIA Role in Bosnia. International Action Center: http://www.iacenter.org/bosnia/ciarole.htm

 

[13]        History Commons, Serbia and Montenegro: 1996-1999: Albanian Mafia and KLA Take Control of Balkan Heroin Trafficking Route. The Center for Cooperative Research: http://www.historycommons.org/topic.jsp?topic=country_serbia_and_montenegro

 

[14]        History Commons, Serbia and Montenegro: 1997: KLA Surfaces to Resist Serbian Persecution of Albanians. The Center for Cooperative Research: http://www.historycommons.org/topic.jsp?topic=country_serbia_and_montenegro

 

[15]        History Commons, Serbia and Montenegro: February 1998: State Department Removes KLA from Terrorism List. The Center for Cooperative Research: http://www.historycommons.org/topic.jsp?topic=country_serbia_and_montenegro

 

[16]        Marcia Christoff Kurop, Al Qaeda's Balkan Links. The Wall Street Journal: November 1, 2001: http://www.freerepublic.com/focus/fr/561291/posts

 

[17]        Global Research, German Intelligence and the CIA supported Al Qaeda sponsored Terrorists in Yugoslavia. Global Research: February 20, 2005: http://globalresearch.ca/index.php?context=va&aid=431

 

[18]        Michel Chossudovsky, Kosovo: The US and the EU support a Political Process linked to Organized Crime. Global Research: February 12, 2008: http://globalresearch.ca/index.php?context=va&aid=8055

 

[19]        Andrew Gavin Marshall, Breaking Yugoslavia. Geopolitical Monitor: July 21, 2008: http://www.geopoliticalmonitor.com/content/backgrounders/2008-07-21/breaking-yugoslavia/

 

[20]        AEI, Is Euro-Atlantic Integration Still on Track? Participant List. American Enterprise Institute: April 28-30, 2000: http://www.aei.org/research/nai/events/pageID.440,projectID.11/default.asp
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