Que se passerait-il si les Palestiniens déclaraient unilatéralement leur état ?

Publié le par Mahi Ahmed

Que se passerait-il si les Palestiniens déclaraient unilatéralement leur état ?

Shlomo Avineri (Ha’aretz) suivi de 2 articles de Al Ahram-hebdo sur Salam Fayyad,

 

publié le mardi 20 avril 2010.

 

http://www.haaretz.com/hasen/spages/1164008.html

Que se passerait-il si les Palestiniens déclarait unilatéralement leur état ?

Par Shlomo Avineri

19/04/2010

Le premier ministre palestinien Salam Fayyad a récemment annoncé que son gouvernement a l’intention de déclarer un état palestinien indépendant à l’été de 2011, même si aucun accord n’est conclu avec Israël. Cette déclaration a évidemment généré un malaise en Israël, et pas seulement parmi les partisans du gouvernement de Benjamin Netanyahu, —particulièrement parce que Fayyad a aussi sous-entendu que des pays européens et même l’UE elle-même reconnaîtraient cette déclaration d’indépendance unilatérale.

Le malaise et les appréhensions concomitantes sont compréhensibles, mais il est fort possible qu’ils soient aussi fondamentalement injustifiés. Après tout, à moins d’être prisonnier de slogans creux ou adepte du politiquement correct, quiconque a des yeux pour voir doit admettre que, même si les négociations entre Israël et les Palestiniens reprennent, les perspectives d’un accord sont nulles. Et ce n’est pas uniquement dû à la position du gouvernement Netanyahu : son prédécesseur, dirigé par Ehud Olmert et Tzipi Livni, a négocié avec le président de l’Autorité Palestinienne Mahmoud Abbas pendant deux années complètes et lui a fait des offres très généreuses sans jamais réussir à parvenir à un accord.

Les raisons sont claires : sur les questions essentielles —frontières, Jérusalem, réfugiés—, les divergences entre les positions les plus modérées des uns et des autres sont tellement larges qu’aucun discours (et aucune intervention américaine autoritaire) n’est en capacité de les combler. Quiconque pense autrement poursuit des chimères.

Nous devrions donc sérieusement envisager ce qui se passerait si les Palestiniens déclaraient effectivement un état et obtenait une reconnaissance internationale relativement large. D’abord, il est évident qu’Israël annoncerait que cette déclaration unilatérale annule tout accord antérieur entre les Palestiniens et lui à partir d’Oslo, qu’il est libéré de toutes les obligations (y compris économiques) qu’il a endossées, et qu’il assimilera dorénavant les zones sous contrôle palestinien à un territoire étranger. Il est également clair que toutes les obligations israéliennes découlant de son contrôle militaire des territoires seraient abrogées au regard de la loi israélienne comme du droit international. Tout le monde n’accepterait de cet argument, mais il ne serait pas possible de l’ignorer.

Une déclaration unilatérale palestinienne ne changerait pas la situation sur le terrain. En soi, une telle déclaration ne pourrait pas provoquer l’évacuation des colonies, indépendamment de la question de savoir si les Palestiniens diraient qu’ils acceptent les colons en tant que citoyens de leur état ou continueraient à soutenir que les colonies sont illégales. Bien entendu, il en va de même pour Jérusalem-Est, dont les Palestiniens diraient probablement qu’ils la voient comme leur capitale.

Ce que générerait une déclaration d’indépendance unilatérale, cependant, serait un changement radical de la nature du conflit israélo-palestinien. Au lieu d’un différend entre occupants israéliens et Palestiniens occupés, il deviendrait un différend entre deux états. Une Palestine indépendante affirmerait sans aucun doute qu’Israël occupe ses territoires, mais c’est aussi ce que fait la Syrie.

En outre, si la Palestine était indépendante, Israël n’aurait aucune responsabilité envers la Bande de Gaza, et la frontière Israël-Gaza deviendrait une frontière internationale comme celle entre l’Égypte et Gaza. Israël ne serait alors pas tenu, entre autres, de permettre le passage entre son territoire et le territoire palestinien, tout comme il n’y a aucun passage de la sorte entre Israël et la Syrie.

Bien entendu, la question n’est pas si simple que ça, mais toute mesure qui rendrait le conflit israélo-palestinien plus "normal" —c’est-à-dire qui en ferait un différend entre états—augmenterait également les chances de négociations : il serait beaucoup plus facile de mener des négociations sur les frontières, l’avenir des colonies, les échanges de territoires, Jérusalem et autres questions entre états.

Il faut espérer que ce scénario ne dissuadera pas les membres de la direction palestinienne et ne fera les changer d’avis. Au contraire, ils doivent prendre leur destin entre leurs mains et résister à Israël en tant qu’état à part entière. Ce faisant, ils se libèreraient et nous libèreraient de l’occupation, et feraient ce qu’ils ne réussissent pas à faire depuis 1948, et ce que nous ne réussissons pas à faire depuis 1967. C’est la seule façon de faire que la perspective "deux états pour deux peuples" devienne réalité.

Traduction : M.C.


http://weekly.ahram.org.eg/2010/993/re1.htm

Visionnaire, rêveur ou pire ?

Al-Ahram, hebdo égyptien, 08-14 avril 2010

Fayyad : son apparente détermination à construire les institutions d’un état palestinien suscite de nombreuses interrogations sur la sorte d’état qu’il envisage précisément, écrit Khaled Amayreh à Ramallah

Dans la grande interview qu’il a accordée au journal Ha’aretz cette semaine, Salam Fayyad, premier ministre de l’autorité Palestinienne (AP), s’est engagé à proclamer un état avant fin 2011.

"La naissance d’un État palestinien sera célébrée comme un jour de liesse par l’ensemble de la communauté des nations. L’heure viendra que naisse ce bébé et nous estimons que ce sera vers 2011. C’est notre vision et l’expression de notre volonté d’exercer notre droit de vivre dans la liberté et la dignité dans le pays où nous sommes nés, aux côtés de l’état d’Israël, en toute harmonie."

Fayyad a souligné que les Palestiniens veulent un "véritable état, un état indépendant et souverain, pas un état fait de miettes qu’on lui aurait laissées ni un état à la Mickey Mouse". En août 2011, a-t-il ajouté, l’AP "bénéficiera d’un tel crédit [aux yeux de la communauté internationale], sous forme de faits concrets sur le terrain, que cette réalité s’imposera".

"Je pense que nous serons mûrs en termes de faits positifs sur le terrain et vous aurons convaincus sur la durée, voisins Israéliens ; nous aurons commencé à transformer une théorie en possibilité puis une possibilité en réalité. C’est le droit d’une nation opprimée de dire "assez". Personne n’est censé supporter l’injustice, encore moins les Palestiniens qui endurent l’occupation depuis de longues décennies."

À ce stade, on ne sait pas très bien si les déclarations de Fayyad sont fondées sur des espoirs politiques concrets ou ne sont que des vœux pieux. Une troisième possibilité est que Fayyad considère la proclamation unilatérale d’un état comme faisant partie de la poursuite de la lutte pour mettre fin à l’occupation israélienne, qui a débuté en 1967. Toutefois, la confrontation n’est pas son style, et il est peu probable qu’il raisonne ainsi.

Pendant ce temps, la plupart des Palestiniens qui sont profondément frustrés par les nombreuses promesses non tenues de la communauté internationale, en particulier depuis les malheureux accords d’Oslo, ne sont pas disposés à donner à Fayyad le bénéfice du doute.

En effet, à la lumière de la longue et pénible expérience qu’ont les Palestiniens de l’occupation israélienne et à la lumière de la déférence avec laquelle la communauté internationale traite Israël quoiqu’il fasse, il semble que Fayyad sous-estime et minimise le "facteur Israélien", qui est le facteur décisif et déterminant en matière de souveraineté palestinienne, et qu’il surestime en même temps la capacité du facteur "pression internationale" à favoriser l’avènement d’un état palestinien.

Dans l’interview, Fayyad a soutenu que c’est l’incapacité à construire des institutions à l’état qui entrave l’accession de la Palestine au statut d’état, et non l’occupation israélienne. En suggérant que les institutions de l’état peuvent être construites sous occupation israélienne, Fayyad laisse un point d’interrogation sur la nature de l’état qu’il envisage. Les commentateurs palestiniens ont sanctionné sa "conceptualisation biaisée".

Pour Hani Al-Masri, éminent intellectuel et commentateur politique, Fayyad "renverse les faits en suggérant que l’absence d’état est due à l’absence de préparation palestinienne." "L’Autorité Palestinienne a bien construit de nombreuses institutions à la suite des Accords d’Oslo mais [elles] ont été totalement détruites par l’armée israélienne après l’an 2000".

Fayyad ne peut prétendre ignorer le penchant d’Israël à recourir à des mesures draconiennes pour faire avorter les tentatives palestiniennes de déclaration unilatérale d’un état, ou de création d’un état. Mais, contrairement à la réaction de Yasser Arafat au blocage des négociations sur les questions comme Jérusalem et le sort des réfugiés, Fayyad recourrait à des options non-violentes dans l’espoir de convaincre Israël d’accorder leurs droits aux Palestiniens. En d’autres termes, Fayyad compte sur la magnanimité d’Israël plutôt que sur le droit international et l’affirmation des droits des Palestiniens.

Les Israéliens n’ont pas formulé de réponse définitive à la stratégie de Fayyad. Il est probable —si on peut tirer enseignement du passé— qu’ils l’encourageront à continuer à focaliser sur [la création d’] un état tout en reculant progressivement sur les questions capitales que sont par exemple le droit au retour des réfugiés palestiniens et la question de Jérusalem. De fait, au cours de l’interview avec le journal israélien, Fayyad a semblé prêt à minimiser la centralité du droit au retour : il a laissé entendre que la principale solution au sort des réfugiés serait de les réinstaller dans l’état palestinien à venir quel qu’il soit, et non de les faire retourner à leurs villes et villages dans ce qui est maintenant d’Israël.

Comme c’était prévisible, ce concept a irrité de nombreux Palestiniens de tous bords politiques et idéologiques. Le Hamas l’a traité d "apaiseur" sioniste qui "lâche le droit au retour pour satisfaire et apaiser Israël". "Fayyad est une personne sans légitimité, qui a usurpé le contrôle en Cisjordanie et dont les mains sont entachées par les souffrances de milliers de martyrs en Cisjordanie".

Le Jihad Islamique et Hizbul Tahrir (Parti de la Libération Islamiste) ont également invectivé Fayyad en l’accusant d’avoir commis une "péché fracassant". Al-Masri, commentateur de Naplouse, a abondé dans ce sens en disant que Fayyad vend en fait une illusion au peuple palestinien. "Nous avons déjà payé cette illusion au prix fort, et nous ne voulons pas payer une autre fois pour une autre illusion", a-t-il dit en ajoutant qu’ "il serait stupide de compter sur la bonne volonté de la communauté internationale, qui a été totalement incapable d’obliger Israël à geler l’extension des colonies juives".

Mohamed Al-Rifi, autre intellectuel palestinien, a également descendu Fayyad en flammes en disant qu’ "il remet encore une dose d’analgésiques aux Palestiniens". "On nous a donné... un président, un premier ministre, un gouvernement, un cabinet et des ministres... et nous nous sommes crus nous-mêmes, nous avons cru à nos propres mensonges et nous sommes devenus euphoriques et notre cœur a bondi, nous avions [enfin] des cartes de VIPs et des passeports diplomatiques... tout çà pour découvrir que toute l’histoire était un mensonge, un gros mensonge. Et Fayyad essaye maintenant de reproduire la même supercherie et les mêmes mensonges pendant qu’Israël continue de plus en plus à voler notre terre."

Fayyad nie qu’un état tel qu’il l’imagine exclut le droit au retour et la souveraineté palestinienne sur Jérusalem-Est. Il semble toutefois que, voulant construire un "état" quels que soient les moyens nécessaires et quelle qu’en soit la forme, Fayyad est prêt à reléguer à plus tard les deux principales questions palestiniennes : Jérusalem et les réfugiés.


http://weekly.ahram.org.eg/2010/994/op3.htm

Immaculée conception ?

Al Ahram, hebdo égyptien, 15-21 avril 2010

La progéniture du plan de Fayyad sera le fœtus d’un "état" palestinien qui souscrit à la conception d’Israël comme état juif "biblique", postule Joseph Masaad*.

L’Autorité Palestinienne est enceinte ! En fait, c’est Salam Fayyad, premier ministre palestinien non élu et imposé par l’Amérique qui est enceint. "Le temps viendra que naisse ce bébé... et nous estimons que ce sera pour 2011", a-t-il dit au quotidien israélien Haaretz dans une récente interview. Contrairement aux futures mères d’espèce humaine mais comme les futures mères chez les baleines, la période de gestation pour collaborateurs palestiniens masculins de l’occupation israélienne s’étend sur au moins deux ans. Fayyad, "le Ben Gurion palestinien", comme l’a récemment surnommé Shimon Peres, a déclaré sa grossesse dans un document qu’il a publié le 25 août 2009 et s’intitule "Palestine : mettre fin à l’occupation et créer l’état", et il a récemment confié à Haaretz : "la naissance d’un État palestinien sera célébrée comme un jour de joie par la communauté des nations toute entière".

On a l’impression de déjà connaître le nom, le poids, la couleur idéologique et les caractéristiques physiques de ce "bébé" ; pour ainsi dire, nous connaissons même la structure politique et la politique étrangère du fruit des entrailles de Fayyad : un "état" palestinien miniature qui reconnaît Israël comme état juif "biblique". Le moment de la naissance sera défini par Fayyad, qui sera à la fois mère et sage-femme. Alors que la dernière immaculée conception qui a eu lieu en Palestine s’est produite à Nazareth, on ne sait pas très bien si ce qui se passe à Ramallah est une deuxième immaculée conception vu qu’aucun test de paternité n’a été encore prévu pour ce bébé illégitime. Étant donné les longues aventures qu’a Fayyad avec les Américains depuis son passage au Fonds Monétaire International (de 1995 à 2002), certains hérétiques rejettent la théorie de l’immaculée conception, disent qu’ils connaissent l’identité du père et que les mots de Fayyad constituent une preuve. Selon Haaretz, Fayyad pense que le travail commencera en août 2011 "pour que l’état naisse pendant le premier mandat de Barack Obama", qui, d’après les hérétiques, est le père le plus probable. Des cigares non-cubains seront à disposition immédiate pour les amis et la famille de l’heureux couple. Il convient de noter que même si Fayyad a déclaré sa grossesse de deux ans en août 2009, les félicitations tardives ne sont finalement arrivées de l’Union Européenne et du Quartette qu’en décembre 2009.

Mais comme, par le passé, les grossesses des collaborateurs palestiniens masculins se sont pour la plupart avérées, au désespoir de beaucoup, être des grossesses nerveuses, ou comme, quand il s’agissait de vraies grossesses, elles se sont finies prématurément, il faut, avant que naisse le bébé de Fayyad, que soient entreprises plusieurs démarches afin de garantir que cette "vraie"grossesse ira complètement à terme :

 Premièrement, reconnaître Israël comme "pays biblique" juif, et donc reconnaître à Israël le droit d’être un état-colon colonialiste et raciste.

Fayyad s’est montré accommodant : "D’après l’idéologie sioniste, d’accord, Israël est un pays biblique, il y a beaucoup de sommets de collines, beaucoup d’espace libre, pourquoi est-ce que [les colons] ne prennent pas çà et ne nous laissent pas vivre à côté ?"

 Deuxièmement, s’engager à réprimer toute forme de résistance à Israël, appelée "incitation", y compris la liberté d’expression et la liberté d’action politique.

Fayyad s’est montré accommodant : "L’incitation peut prendre de nombreuses formes —des choses qu’on dit, des choses qu’on fait, des provocations—, mais il existe des moyens de régler çà. Nous sommes en train de régler çà."

 Troisièmement, capituler sur le droit du peuple palestinien au retour dans les maisons et les terres dont ils ont été expulsés en 1948 par les colons juifs européens.

Fayyad s’est montré accommodant : "Bien entendu, les Palestiniens auraient le droit de résider dans l’état de Palestine."

Mais au cas où nous penserions que Fayyad ne satisfait pas qu’aux exigences d’Israël, il nous assure qu’il tient tête aux Américains. Dans une récente interview à "Arabic Majallat al-Dirasat al-Filastiniyyah", il fait bien attention de se présenter comme tout le contraire d’un pantin des États-Unis. Hugo Chavez devrait prendre une ou deux leçons de ce Fayyad indépendant et non aligné de la "Troisième Voie" (liste pour laquelle il était candidat aux élections de 2006 et qui a été accusée par le Fatah d’être financée par la CIA. La "Troisième Voie" a récolté le score massif de 2,41%). Fayyad, voyez-vous, est le seul témoin de ses positions héroïques face aux Américains, et c’est pourquoi il les raconte avec délice à ses intervieweurs. Il nous dit qu’il a résisté aux Américains quand, devenu ministre des finances en 2002, il a été invité par les États-Unis. Il a décliné l’invitation en disant qu’il était trop occupé par sa nouvelle fonction et viendrait quand son agenda le permettrait ; plus tard, bien que personne ne semble encore au courant, Fayyad aurait tenu tête au général Keith Dayton, formateur en chef américain des voyous de la mafia palestinienne, en lui apprenant qu’il n’avait pas à parler à la presse et qu’il n’était que formateur des forces de sécurité de l’Autorité Palestinienne (AP) et non consultant de l’AP. Dayton, nous dit-on, s’est empressé de lui présenter des excuses et a promis de ne pas recommencer ; enfin et surtout, quand les États-Unis lui ont demandé de ne pas participer au gouvernement d’Union Nationale en 2007, il a repoussé la demande des américains et a tenu à participer au gouvernement dirigé par le Hamas, que l’UE a immédiatement boycotté. Bien entendu, rien sur le fait que Fayyad a été nommé ministre de l’AP en juin 2007 à la demande des américains après que l’AP et Keith Dayton aient raté leur coup d’état à Gaza, —chose que ses interviewers ne lui ont pas rappelée. En tout cas, sans ces révélations, les attestations d’anti-impérialisme de Fayyad seraient restées inconnues des masses.

Dans l’interview qu’il a donnée à Majallat al-Dirasat al-Filastiniyyah, Fayyad est tellement préoccupé par le vol colonial de Jérusalem en cours qu’il préconise sagement une normalisation arabe complète avec Israël afin d’y mettre un terme : "l’identité arabe de la ville sera renforcée lorsque les Arabes viendront s’y promener au lieu de la boycotter sous prétexte que s’y promener serait normaliser avec l’occupant. Je pense qu’il est du devoir des Arabes de venir en visite à Jérusalem, et je les y encourage fortement car, ce faisant, ils soutiendraient et renforceraient la dimension arabe de l’identité de Jérusalem." Il est curieux que cette partie de l’entrevue ait été supprimée de la version anglaise de l’interview (parue dans le dernier numéro du English Journal of Palestine Studies [JPS]) !

Fayyad a bien sûr été un pionnier de la normalisation. Non seulement il croule sous les louanges de ses mécènes américains et israéliens pour ses qualités de leader et d’homme d’état mais il en est généreusement récompensé, au point qu’en février dernier, il a été invité, a assisté et a prononcé un discours à la conférence israélienne annuelle de Herzliya, où les politiciens et universitaires israéliens discutent de stratégies pour désamorcer la"bombe démographique" palestinienne et où Martin Kramer (extrémiste d’un point de vue américain mais grand stratège en Israël) a réitéré ses infâmes recommandations génocidaires selon lesquelles il faut restreindre les naissances palestiniennes et se débarrasser de "l’excédent de jeunes hommes [palestiniens]". C’est peut-être à Herzliya que Fayyad a trouvé l’inspiration de reconnaître les revendications "bibliques" d’Israël sur la Palestine.

Non seulement Fayyad est un démocrate au-dessus de la politique partisane et du conflit Fatah-Hamas, mais il se vante de faire appel aux voyous de l’appareil de sécurité formé par Dayton qu’on a mis à sa disposition pour ne réprimer que ceux qui violent la loi d’un côté ou de l’autre. Dans son interview à JPS, il tient à faire savoir qu’il est opposé à la violation des droits de l’homme, au recours à la torture, ou aux arrestations pour cause d’opinion politique, —malgré l’énorme dossier accumulé par les organisations de droits de l’homme locales et internationales sur les permanentes violations tous azimuts qu’il perpètre avec les voyous de sécurité de Dayton, qui ciblent particulièrement toute personne associée au Hamas.

Peut-être le petit exemple des récentes élections étudiantes à l’Université de Birzeit suffit-il. Comme l’a soutenu dans un récent article Jad Islah, professeur de Birzeit et directeur de son Institut d’études pour Femmes, c’est la nature démocratique des élections elle-même qui est maintenant en jeu dans une université qui les a toujours respectées et encouragées. Depuis l’arrivée au pouvoir de l’AP et de plus en plus depuis l’élection du Hamas, les candidats islamistes aux élections étudiantes locales sont arrêtés par les voyous de Dayton peu après avoir déclaré leur candidature ou après avoir gagné. Dans ce climat de terreur, les organisations islamistes n’ont pas toutes présenté des candidats aux récentes élections étudiantes de Birzeit par crainte de représailles. Ainsi, alors que sont tenues des élections libres, on terrorise et intimide les candidats pour s’assurer du résultat final, qui est néanmoins déclaré "démocratique". Le fait que moins de 50% de l’électorat étudiant de Birzeit aient au final participé aux élections donne une idée de la démocratie à l’américaine que les voyous de Fayyad et Dayton visent à instaurer dans l’ensemble de l’état palestinien quand Fayyad lui aura donné naissance.

Le projet qu’a Fayyad de fonder un état palestinien en août 2011 revient en réalité à accepter les propositions de Camp David qu’Arafat s’est vu faire et a rejetées en 2000. Les Américains comprennent que si les Palestiniens, ou du moins les agents américains parmi eux, proposent un tel arrangement et que cette proposition est présentée comme un défi au diktat israélien et même américain, elle aura plus de chances d’être acceptée par les Palestiniens crédules que si les Américains et les Israéliens devaient purement et simplement l’imposer. En 1999, l’administration Clinton, aidée par ses alliés locaux (dont le gouvernement jordanien), a fait tout son possible pour battre Netanyahu aux élections israéliennes et a réussi à amener Ehud Barak au pouvoir pour que se tiennent les désormais tristement célèbres négociations de Camp David de Clinton. Si Arafat a reçu une offre qu’il ne pouvait que refuser parce qu’il aurait été totalement délégitimé aux yeux de son peuple, Barack Obama a un nouveau partenaire que ne soucient ni intéressent toutes ces questions de légitimité populaire puisqu’il n’en a aucune. Après tout, en plus d’être le chef historique des Palestiniens depuis le milieu des années 1960, Arafat avait été élu à la majorité en 1996 suite à un charcutage électoral et des élections truquées, tandis que l’inconnu Fayyad qui n’a eu aucun rôle dans le mouvement national palestinien et qui ne dispose pas d’aucun mandat électoral que ce soit a été imposé comme chef suprême de l’AP.

Le roi de Jordanie ayant rejoint le chœur anti-Netanyahu dans une récente interview donnée au Wall Street Journal, Obama semble coordonner ses efforts avec le Parti Travailliste israélien, qui fait partie du gouvernement de la coalition de Netanyahu, pour faire plier Netanyahu, qui a refusé de se conformer aux ordres d’Obama. À cette fin, des ténors du Parti Travailliste ont rencontré des officiels et non-officiels palestiniens aux États-Unis et en Cisjordanie pour coordonner les efforts et faire chorus avec le projet de nouveau Camp David d’Obama.

Le bébé d’Obama ne peut naître que si un nouveau dirigeant palestinien accepte les termes de Camp David, maintenant encore plus réduits que lorsqu’Ehud Barak les a offerts à Arafat en 2000. Avec des dizaines de milliers de colons supplémentaires, davantage de terres palestiniennes saisies par le Mur de l’apartheid et davantage de confiscations de terres en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, les 65% de Cisjordanie (vendus par la propagande américaine et israélienne comme représentant plus de 95% de la Cisjordanie) qu’a rejetés Arafat seront encore réduits et reproposés au peuple palestinien par Fayyad lui-même. En effet, le bruit court à Washington, ou du moins au Washington Post, que le plan de paix envisagé par Obama est basé sur Camp David, sauf que "90% de la carte auraient la même apparence" que la carte offerte par Ehud Barak en 2000, c’est-à-dire que les Palestiniens se verront maintenant proposer 58% de la Cisjordanie. Ce sera la taille du nouveau-né de Fayyad.

Quand ces préparatifs seront achevés, Fayyad donnera naissance à son bébé américain illégitime, baptisé "Palestine". Contrairement au bébé nazaréen, le bébé de Fayyad ne sera pas annonciateur de salut mais d’une plus grande misère pour le peuple palestinien. Les cadeaux à la mère et l’enfant devront être envoyés "aux bons soins" du bureau de Salam Fayyad à Ramallah.

* L’auteur enseigne la politique moderne arabe et l’histoire intellectuelle à Columbia University, New York. Il est l’auteur de "The Persistence of the Palestinian Question" (Routledge, 2006).

 

 

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