Pourra-t-on défendre le pétrole avec une derbouka ?

Publié le par Mahi Ahmed

Pourra-t-on défendre le pétrole avec une derbouka ?

par Kamel Daoud

P ar centaines, les chômeurs qui ont marché hier entre Ouargla et Hassi Messaoud, ont demandé la nationalisation des hydrocarbures. « Et de tout le pays » a dit l'un deux. En plus dur, cela veut dire que pour certains Algériens, l'Indépendance est à refaire. Et donc aussi la guerre de Libération. En moins hard, cela veut dire que les Algériens ne croient plus que le pays leur appartient. Ce que Sellal a fêté à In Aménas, selon les chômeurs, c'est une fête familiale, privée, entre intimes (lui, Bouteflika, Sidi Saïd…etc), c'est l'anniversaire du régime, pas la date de naissance de la justice sociale. Le pétrole est donc désormais vu comme un fleuve détourné. Mais pas le pétrole seulement : l'espace public, le débat, le multipartisme, le Sud, la présidence, la communication. Les gens en Algérie, certains, beaucoup, à la folie, se sentent exclus, le régime se sent cerné et l'Occident peut se sentir concerné. Et cela va en s'accentuant. Le pétrole, aujourd'hui, concentre non seulement les envies de prédations internationales, mais aussi l'image des injustices nationales. Sonatrach, entre scandales, corruptions, gestions à huis-clos, gros contrats et manque de transparence, attire donc marchés, procès, prédations, pressions et émeutes. Pour les Algériens, si on peut être patron du FLN avec une derbouka comme CV, cela veut dire que le rêve algérien existe et qu'on peut être Président avec une flûte.

Donc hier, c'était une journée particulière : les uns fêtaient le pétrole, d'autres le réclamaient, d'autres en profitaient et d'autres attendaient leur tour pour le manger ou le voler ou le prendre de force. On s'imagine un peu un 24 février utopique, genre fin du monde ou jugement dernier : dans la même enceinte, les milliers de marcheurs encerclant Sellal qui lui-même fait partie du cercle qui encercle Bouteflika.

Les milliers de chômeurs encerclés par des centaines de Belmokhtar, encerclés par des milliers de militaires eux-mêmes encerclés par l'OTAN, le Qatar, l'ONU et l'Occident qui encercle tous. Et c'est ce qui rend cette fête particulière cette année : les cercles se resserrent les uns sur les autres. On ne sait plus qui y gagne ou qui y perd. Et donc il y a urgence. On ne peut pas défendre le puits sans le peuple. Et on ne peut pas convaincre le peuple sans ouvrir le puits, au regard et au contrôle de tous.

A la fin ? La question de la justice sociale en Algérie ne peut pas se contenter d'une logique de distribution de la rente. Il y manque la légitimité : celle du politique, de la richesse et de la fortune. Tant qu'un joueur de derbouka peut devenir un homme d'Etat, un chômeur a le droit de demander à être P-DG de Sonatrach. Un Rappel ? Ahmed Mahsas vient de mourir. Que Dieu ait son âme. La légitimité par l'histoire en arrive à son terme et à sa place n'émerge aucune autre légitimité consensuelle et acceptée par tous : ni celle des hommes d'affaires, ni celle des élites, ni celle de la lutte syndicale, ni celle de l'armée. Le chaos. Fêtons donc la nationalisation ou la privatisation des hydrocarbures pendant qu'il est encore temps. Dans quelque temps, il ne nous restera que des photos de ces moments, peut-être.

Source : Le Quotidien d’Oran du 24.02.13

 

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