«Nous demeurons dans le mauvais système dominé par le dollar»

Publié le par Mahi Ahmed

Jean-Louis Perrault. Maître de conférences à l’université de Rennes 1 (France)

«Nous demeurons dans le mauvais système dominé par le dollar»

le 08.08.11

 

- Les Etats-Unis, avec une dette publique dépassant les 14 300 milliards de dollars, est le pays le plus endetté du monde. Quelle analyse faites-vous de cette formule de financement du déficit par l’endettement ?


La question du financement par l’endettement renvoie à une évidence : le capitalisme se compose, par essence, d’économies de crédit organisé. En revanche, il convient de rappeler que la science économique n’a pas tranché la question du meilleur mode de financement d’un déficit public. Le vieux modèle IS-LM, dans le cadre duquel John Hicks avait cru transcrire la pensée de Keynes, en 1936, estimait clairement que le meilleur modèle de financement du déficit public était, d’abord, la création monétaire, ensuite l’emprunt, et, enfin, la hausse de l’impôt. Les remises en cause de cette approche par les idéologues de l’école de Chicago ont fait prévaloir l’idée selon laquelle le déficit public se régulait de lui-même. Mais que la meilleure façon de le financer était l’emprunt.
Depuis lors, dans les principales économies occidentales, la création monétaire est le fait des banques privées qui demandent, par ailleurs, des actifs sans risque : les obligations d’Etat. En d’autres termes, la dette gouvernementale, aux Etats-Unis comme en Europe, permet d’améliorer le ratio de solvabilité des banques en diminuant le risque associé à leur portefeuille d’actifs. Une question essentielle, face aux innombrables crises financières qui nous accompagnent depuis 20 ans, pourrait être : «Qu’est-ce qui a désorganisé le crédit ?» Sachant que le crédit est privé, les offreurs de crédit sont les seuls responsables de cette désorganisation.


- Le modèle fiscal des Etats-Unis et les différentes dépenses de l’Etat fédéral ne posent-ils pas problème ?


Ce que l’on retrouve dans la gestion budgétaire fédérale, ce sont les influences de quelques groupes de pression. En outre, dans le cas des Etats-Unis, il faut rappeler que cinq administrations républicaines se sont succédées depuis 1980, c’est-à-dire pendant 20 ans, si l’on excepte les deux mandats du président Clinton (1993-2001), lui-même contraint par un Congrès républicain d’adopter le Balanced Enforcement Act. Nous observons les conséquences d’une même idéologie budgétaire : réduction des dépenses fédérales avec militarisation de l’action gouvernementale et réduction de l’assiette fiscale. Or, ces éléments contribuent à définir un budget pro-cyclique. En effet, déjà bien entamée sous les mandats du président Reagan, la «révolution fiscale» a été achevée pendant les deux mandats du président Bush Jr. L’idéologie fiscale des néoconservateurs fut d’abord que la baisse des impôts avait des effets de relance de la croissance. La démonstration n’ayant pas eu lieu, l’Administration néoconservatrice a développé l’argument «d’affamer la bête» (starving the beast). En d’autres termes, la réduction des revenus de l’Etat est, selon cette hypothèse, la meilleure façon d’amener à réduire les dépenses. Mais, et nous y assistons à présent, d’importantes réductions d’impôts qui ne sont pas accompagnées de réductions de dépenses engendrent une crise fiscale. À titre d’illustration, les recettes fiscales fédérales, qui oscillaient depuis 1950 entre 17% et 19% du PNB, ont été ramenées à 14% avec la récession, en 2011. Alors que, à l’inverse, les dépenses sont passées mécaniquement de 19% à 25% du PNB.


- La dette globale publique et privée s’élève, cependant, à 50 531 milliards de dollars. Quels seraient les risques futurs sur l’économie américaine ainsi que sur l’économie mondiale ?


L’administration du président Obama est confrontée à une situation totalement subie. Ainsi, entre 2008 et 2011, l’Administration fédérale aura perdu plus de 400 milliards de dollars de recettes et vu augmenter de plus de 900 milliards ses dépenses, dont 150 milliards pour la défense. Les 750 autres milliards sont essentiellement les augmentations de dépenses «sociales». Le compromis sur la dette devant le Congrès n’a contribué qu’à entériner les vues pathologiques néolibérales.
Paul Krugman l’évoque dans le New York Times : cet accord est un désastre qui va rendre le problème du déficit américain encore plus grave. Le résultat ne s’est pas fait attendre puisque le 4 août, en partie pour des raisons techniques, la dette publique des Etats-Unis a franchi 100% du PIB (le niveau de l’Islande). Un résultat qui, là encore, est équivalent à celui de 1949. Ces théoriciens, qui raisonnent comme des apothicaires ou des notaires, en Europe comme aux Etats-Unis, affaiblissent l’économie mondiale.
La Chine, le plus grand créancier des Etats-Unis avec 1152,5 milliards de dollars, a annoncé qu’elle allait continuer à diversifier ses investissements en devises étrangères face aux menaces qui continuent de peser sur le dollar en raison de la dette des Etats-Unis.

 

- Quel serait, d’après vous, le comportement futur des autres créanciers si cette crise venait à se rééditer ?


Il s’agit, me semble-t-il, autant de géopolitique que de finance... Affaiblir le dollar peut être occasionnellement l’intérêt du gouvernement chinois, notamment au regard des besoins structurellement croissants de l’économie et de la société chinoises en matières premières. En effet, les cours des matières premières sont repartis à la hausse depuis 2010, par conséquent affaiblir le dollar c’est compresser les coûts de la production manufacturière et, accessoirement, les coûts de la vie quotidienne pour le peuple chinois.
A l’inverse, bien sûr, cet affaiblissement induit une hausse des prix des produits fabriqués en Chine. De la même façon, cela enchérit le coût des investissements directs étrangers, toujours effectués en devises, des compagnies chinoises. Pour autant, le mécanisme d’érosion du dollar vis-à-vis du yuan est engagé depuis plus de 10 ans. La monnaie chinoise s’est appréciée de 4,2% par an pendant le second mandat du président Bush. Cette appréciation s’est accélérée pour atteindre 5,3% depuis que les autorités chinoises ont élargi la marge de fluctuation du yuan vis-à-vis du dollar, en 2010.
L’intervention de M. Guan Tao, le 6 août, menaçait d’une réduction des actifs en dollars détenus par les autorités, si les autorités américaines accéléraient le processus d’affaiblissement de leur monnaie. Pour autant, il n’existe toujours pas, à ce jour, de monnaie mondiale, de monnaie véhiculaire – unité de compte et de règlement, suffisamment disponible en quantité – pour constituer un substitut au dollar. L’euro reste un instrument de placement et son poids dans le règlement des échanges reste excessivement limité. Par conséquent, à moyen terme, nous demeurons dans le mauvais système dominé par le dollar.


- En toile de fond de ce modèle de financement du déficit par l’endettement figure le risque de soumettre l’économie des Etats-Unis à l’appréciation des agences de notation. Quel est votre avis ?


L’agence Standard & Poor’s a rétrogradé de «AAA» à «AA+», le 5 août, la note sur la dette à long terme des Etats-Unis, pour la première fois de son histoire. Cet événement montre l’emprise aberrante des agences de notation sur les Etats souverains, puisque ces structures, strictement opaques, sont privées et émanent du système financier. Or, la dégradation de la note peut constituer une assez bonne affaire pour le système bancaire qui pourra relever la prime de risque (spread) sur les prêts au gouvernement.
Il faut comprendre que le système bancaire, aux Etats-Unis, a ouvert 4400 milliards de dollars de crédits nets de remboursements à l’économie en 2007. Or, l’état critique du système financier a débouché sur des remboursements excédentaires depuis 2008 : c’est-à-dire que le système bancaire a reçu 650 milliards de plus de remboursements qu’il n’a effectué de prêts en 2009. Parmi ces chiffres, en revanche, les crédits du secteur bancaire au Trésor représentaient +1443 milliards en 2009 contre +237 milliards en 2007. En d’autres termes, les prêts au gouvernement ont pris le relais des prêts au secteur privé dans la structure des nouvelles créances bancaires. Cela peut constituer une compensation dans la mesure où les crédits à la consommation ne cessent de marquer le pas : depuis 2008 où ils ont atteint 2561 milliards de dollars, ils sont tombés sous le seuil de 2400 milliards.
Dans une économie où, grâce au système fiscal, les compagnies s’autofinancent largement, le renchérissement de la dette publique constitue la meilleure solution pour distribuer la rente au système bancaire.

Ali Titouche

http://www.elwatan.com/economie/nous-demeurons-dans-le-mauvais-systeme-domine-par-le-dollar-08-08-2011-135444_111.php

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