Les révolutions arabes ne resteront pas sans impact sur les contrats et les prix du pétrole et du gaz
le 15 mai 2011
PETROSTRATEGIES N°1206 25 avril 2011
La vague révolutionnaire qui balaie le monde arabe aura très probablement un impact sur les contrats pétroliers et gaziers signés par le passé dans des pays producteurs et exportateurs d’hydrocarbures, ainsi que sur leur attitude quant aux prix futurs du pétrole et du gaz. Cet impact sera ressenti aussi bien dans les pays dont les régimes autoritaires sont ou seront remplacés par des systèmes plus démocratiques que dans les Etats dont les régimes survivront à la vague révolutionnaire. L’exigence de transparence et d’une meilleure défense des intérêts nationaux est l’un des leitmotivs des mouvements révolutionnaires arabes. Ceux-ci soupçonnent des dirigeants corrompus d’avoir signé des contrats trop favorables aux partenaires privés locaux ou étrangers. Ils exigent un réexamen de ces contrats en vue de leur éventuelle révision. L’autre leitmotiv porte sur une meilleure redistribution des richesses nationales et une augmentation des dépenses à caractère social, ce qui peut entraîner des dépenses budgétaires plus élevées, exigeant un financement conséquent. Même dans les pays qui ne sont pas touchés par la vague révolutionnaire ou qui y résistent, les Etats édictent des mesures à caractère social et économique (dans l’espoir de prévenir une montée des protestations ou leur extension) qui entraîneront une importante augmentation de leurs dépenses.
Révolution et contrats : l’Irak post-Saddam avait donné un avant-goût des changements actuels
En réalité, l’Irak post-Saddam avait donné un avant-goût de ces changements, surprenant presque tout le monde, y compris les grandes puissances occidentales qui ont fait la guerre. Sous l’impulsion de Hussein Shahristani, alors ministre du Pétrole, le gouvernement irakien a imposé à partir de 2009 des conditions draconiennes aux sociétés étrangères désireuses de signer des contrats de développement de gisements pétroliers. Le choc a été brutal et, dans un premier temps, les compagnies ont refusé les conditions posées par les Irakiens, jusqu’à ce que BP capitule et les accepte, ouvrant la voie aux autres acceptations. Ce faisant, le gouvernement irakien entendait démontrer son attachement à la défense des intérêts du pays, en dépit du fait qu’il doit aux forces occidentales le renversement de Saddam Hussein. Aujourd’hui, grâce à ces accords très favorables à l’Irak, Shahristani jouit d’un grand prestige dans de larges parties de la population. Ainsi, même s’il a été écarté du ministère du Pétrole pour être nommé vice-Premier ministre dans le second gouvernement Maliki, un poste moins exécutif, il dispose d’une capacité de nuisance certaine pour empêcher toute concession trop marquée que Baghdad serait tenté de faire sur des dossiers qui lui tiennent à coeur, comme les contrats d’E&P et les relations pétrolières du pouvoir central avec la région kurde. Dans un entretien à PETROSTRATEGIES, Shahristani a indiqué qu’il refuse les contrats de partage-production signés par les Kurdes et exige leur conversion en contrats de services (PETROSTRATEGIES du 13 avril 2011).
La potion irakienne a été amère pour des majors originaires de la coalition militaire anti-Saddam. Ces majors avaient rêvé, à un moment donné, d’un accès plus aisé aux ressources pétrolières et gazières d’un Irak libéré. Le quotidien londonien The Independent a dévoilé la semaine dernière la teneur de réunions (au nombre de cinq au moins) qui ont été tenues plusieurs mois avant l’invasion de l’Irak en avril 2003, entre le gouvernement britannique, d’un côté, et BP et Shell, de l’autre. Après l’une de ces réunions, en octobre 2002, unresponsable du Foreign Office britannique aurait déclaré (d’après les documents vus par le journal) : « Shell et BP ne pouvaient pas envisager de ne pas avoir une part en Irak, pour la préservation de leur avenir à long terme ». Et BP aurait déclaré, lors d’une réunion, que l’Irak était « plus important que tout ce que nous avons vu depuis très longtemps ». Selon les minutes de l’une des réunions, « BP est prêt à tout pour y entrer et tient beaucoup à ce que des arrangements politiques ne le privent pas de cette opportunité ». Le major britannique craignait des « arrangements » des Américains en Irak en faveur de sociétés US, mais aussi en faveur de sociétés russes et françaises pour essayer de gagner l’adhésion de Moscou et de Paris à la guerre. Ces questions ont-elles été discutées entre le Premier ministre britannique Tony Blair et le président américain George W. Bush lors des préparatifs de la guerre ? On ne le sait pas. Toujours est-il qu’après la chute de Saddam, les Irakiens ont déjoué tous les pronostics en se montrant très coriaces sur les termes contractuels et en diversifiant leurs partenariats. Cela n’a pas empêché BP de tout faire, comme il l’avait dit en réunion, pour accéder aux ressources de ce très grand Etat pétrolier du Golfe, le seul capable de rivaliser un jour avec l’Arabie Séoudite en termes de réserves conventionnelles.
L’Egypte est le seul pays arabe ayant récemment changé de régime à avoir déclaré sa volonté de réexaminer des contrats gaziers
L’Egypte est à ce jour le seul pays arabe ayant récemment changé de régime par voie révolutionnaire à avoir déclaré sa volonté de réviser des contrats, ceux d’exportation de gaz conclus avec Israël et la Jordanie. Le contrat israélien, signé en 2005, a toujours été contesté en Egypte. Un tribunal avait même donné raison en novembre 2008 à des plaignants qui réclamaient son abrogation, avant que la Cour administrative suprême d’Egypte ne casse ce verdict, en février 2010, permettant le maintien du contrat. Mais ce contrat est revenu sur la scène lors des émeutes qui ont conduit au renversement de Hosni Moubarak. Le 5 février dernier, une explosion mystérieuse dans le désert de Sinaï a arrêté l’exportation de gaz égyptien, qui n’a repris qu’à la mi-mars 2011. Quelques jours plus tard, le 20 mars, le ministre égyptien du Pétrole a déclaré que les contrats seraient renégociés avec Israël et la Jordanie et cette décision a été confirmée le 13 avril par le Premier ministre égyptien. Deux questions seront examinées : le prix du gaz vendu à ces deux pays et la disponibilité de ce gaz pour l’exportation en tenant compte des besoins futurs du marché domestique égyptien, auxquels il est demandé de donner la priorité. Le contrat de 2005 portait sur la vente de 34 Gm3 de gaz égyptien à Israël sur vingt ans, soit 1,7 Gm3/an en plateau. Ce volume a été porté à 42 Gm3 en septembre 2009. Le gaz égyptien assure 40 à 45 % de la production électrique en Israël. Les volumes vendus à la Jordanie sont plus faibles, 240 Mm3 en 2010, mais ils assurent 80 % de la production électrique de ce pays.
Parmi les pays qui tentent de juguler la vague protestataire par des mesures socio-économiques, l’Arabie Séoudite vient en premier, bien entendu, par l’ampleur des sommes mobilisées et à cause de leur impact sur le prix du pétrole. Dans les deux mois qui ont suivi son retour au pays, le 23 février dernier, après une longue absence due à une maladie, le roi Abdallah a édicté des mesures (création de nouveaux emplois dans le secteur public, hausse des salaires des fonctionnaires, majoration des indemnités de chômage, etc.) qui représentent $129 milliards/an ! Les analystes pensent que le prix du pétrole nécessaire pour équilibrer le budget séoudien est ainsi passé de $68/b en 2010 à $90-95/b pour 2011 et qu’il sera de $110/b en 2015. Rappelons que, dans une déclaration faite le 29 mai 2009, le roi Abdallah avait parlé de $70-$80/b comme un « prix équitable » du pétrole. Riyad va-t-il militer pour des prix plus élevés ?
La voie séoudienne ne peut pas être suivie par beaucoup de pays. A l’exception d’une poignée de monarchies du Golfe, les autres Etats ne disposent pas de très grandes ressources pétrolières par tête d’habitant. Or, dans la plupart de ces pays, les prix de l’énergie (carburant, gaz, électricité) et de denrées de base (pain, sucre, etc.) sont subventionnés. Ces subventions coûtent très cher. En Egypte, par exemple, les subventions aux produits pétroliers coûtent $13,8 milliards/an à l’Etat, a récemment indiqué le ministre du Pétrole de ce pays. Comment un gouvernement issu d’une révolution populaire pourrait-il envisager de réduire de telles subventions, sachant qu’il déclencherait la protestation de ceux qui l’ont porté au pouvoir ? Gageons qu’il sera plutôt tenté d’examiner les contrats signés par le régime précédent pour savoir s’il ne peut pas y trouver un moyen d’améliorer les recettes de l’Etat.
Il est une autre revendication démocratique que l’on retrouve plutôt dans les monarchies du Golfe : celle d’une plus grande transparence dans l’emploi des recettes de l’Etat et notamment sur une certaine confusion entre budget de l’Etat et revenus des familles régnantes. Il s’agirait, d’abord, de mieux contrôler les recettes publiques et leur répartition. Mais ira-t-on plus loin un jour, en revendiquant la suppression des avantages consentis aux membres des familles régnantes, là ou ils existent ? Vaste chantier qui donne lieu, depuis plusieurs années déjà, à des débats non seulement dans les élites de ces pays, mais jusqu’au sein des familles régnantes, où la question compte ses partisans et ses adversaires. Et pour finir, comment venir à bout du plus grave des fléaux après l’absence de liberté, celui de la corruption ? En principe, les démocraties sont mieux armées pour éradiquer ou, à tout le moins, réduire la corruption que les régimes autoritaires. Encore faut-il que ces démocraties fonctionnent et que le règne de la loi puisse s’imposer.
Naïmi et Tillerson estiment que le marché pétrolier est surapprovisionné
Les prix élevés actuels du pétrole ne sont pas justifiés et c’est la spéculation qui est la cause principale de leur hausse, a déclaré le 19 avril le ministre séoudien du Pétrole, Ali Naïmi. Il a ajouté que la baisse de la production séoudienne de mars est un signe de surapprovisionnement du marché. Les stocks sont abondants et certains pays ont des excédents de production, a déclaré le ministre. De son côté, le CEO d’ExxonMobil, Rex Tillerson, a déclaré le 20 avril qu’il y a « plein de pétrole sur le marché ».
A l’avenir, les revenus pétroliers de l’Arabie Séoudite dépendront davantage du prix
Dans une conférence donnée le 18 avril en Arabie Séoudite, Majed Al-Moneef, conseiller du ministre séoudien du Pétrole, a estimé que « si le taux de croissance actuel » de son pays « se poursuit, en ligne avec la croissance économique et démographique ainsi que la demande d’électricité, d’eau et de transport, une plus grande part de la production [séoudienne de pétrole] sera progressivement dirigée vers la couverture de la demande intérieure, qui croît à un rythme plus rapide que prévu, ce qui réduira le volume disponible pour l’exportation ». Moneef a ajouté : « Ceci signifie que la valeur des exportations dépendra principalement des prix du pétrole et non pas du volume de la production et des exportations. Ce n’est pas un développement nouveau, mais cela deviendra plus évident au cours des deux décennies à venir ».
http://mouradpreure.unblog.fr/2011/05/15/les-revolutions-arabes-ne-resteront-pas-sans-impact-sur-les-contrats-et-les-prix-du-petrole-et-du-gaz/