Les recettes économiques du FMI en Tunisie ont provoqué la pauvreté généralisée et le chômage
Les recettes économiques du FMI en Tunisie ont provoqué la pauvreté généralisée et le chômage
Par Basel Saleh |
Le 24 janvier 2011 |
Le 17 décembre dernier des manifestations massives et spontannées ont éclaté dans la ville de Sidi Bouzid (dans le centre de la Tunisie) après que Mohammed Bouazizi, 26 ans, ait tenté de s'immoler par le feu parce qu'une policière l'a gifflé et craché au visage. Le seul crime de Bouazizi est d'être un vendeur de rue de fruits et légumes sans autorisation légale dans un pays où les politiques économiques néolibérales ne lui offrent, à lui comme à des milliers d'autres (1) aucun espoir de travail. La tentative de suicide de Bouazizi, provoquée par l'humiliation policière et la confiscation de sa seule source de revenus révèle le profond désespoir qui prévaut parmi la jeunesse tunisienne, particulièrement chez les jeunes diplômés universitaires. Vingt-quatre années ininterrompues de corruption, de dictature et de politiques néolibérales ont fait que la richesse du pays se concentre entre les mains d'une élite minoritaire liée au président Zine El Abidine Ben Ali et à la famille de sa femme. Bouazizi, diplômé universitaire (2) tentait de survivre avec dignité et d'entretenir sa famille en travaillant comme vendeur ambulant et cela dans un pays considéré par bon nombre d'observateurs et d'analyses économiques occidentaux comme un « miracle » économique, l'un des « Lions d'Afrique » (3). Les misérables conditions économiques à l'intérieur du pays, l'absence d'offre de travail et de libertés politiques ont projeté Bouazizi, comme des milliers d'autres jeunes hommes et jeunes femmes au Magrheb, aux marges de la société. Le taux de chômage officiel en Tunisie, très largement sous évalué, est de 14% (4). Cependant, le taux de chômage parmi la jeunesse (entre 15 et 24 ans) est de 31%. Les 10% les plus riches du pays accaparent 32% des revenus et les 20% les plus riches 47% tandis que les 60% de la population plus pauvre se partage seulement 30% des revenus (5). L'émigration est passée de 18.000 en 1980 et à 80.000 en 2005. Malgré ce panorama, le FMI décrit la gestion économique du gouvernement et la répartition inégale des richesses parmi la population et entre les régions plus riches du nord et de la côte et celle de l'intérieur du pays comme une « prudente gestion macro-économique » (6). Le méprisable comportement de la police à l'égard de Bouazizi est chose courant en Tunisie, une police qui ignire les droits humains élémentaires, piétine la dignité de la population et ne tolère aucune sorte de dissidence. Quelques jours après la tentative de suicide de Bouazizi, la pauvreté, le chômage et l'oppres L'épidémie de chômage chez les jeunes, les inégalités, la répression policière et l'absence de toute liberté fondamentale ont exacerbé la solidarité de la population qui a pris les rues dans des protestations spontannées et non planifiées. Quelques jours après la tentative de suicide de Bouazizi et du décès de Felhi, les protestations se sont étendues dans tout le pays pour atteindre la capitale, Tunis, et elles se poursuivent malgré le black out des médias nationaux et la brutalité de la répression policière qui a provoqué plusieur victimes mortelles, dont un jeune de 18 ans. Ce n'est pas la première fois qu'en 24 ans de règne le dictateur Zine El Abidine Ben Ali s'affronte à la rage du peuple causée par le manque de travail et la misère, mais il s'agit certainement aujourd'hui du plus grand défi lancé à la domination. Il y trois ans, en janvier 2008, son appareil de sécurité avait écrasé les protestations de Redhayef, une ville minière du sud du pays où les travailleurs et les jeunes s'étaient mobilisés pour les salaires et contre le chômage. A l'époque, plus de 300 personnes ont été détenues suite aux protestations (9). Mais, cette fois-ci, l'exaspération de la population a atteint son niveau maximal. En dépit du fait que le gouvernement a rapidement censuré toutes les pages web qui parlent des manifestations, plusieurs manifestants ont lancé une page Facebool pour donner et partager les informations sur la révolte (10). Cette dernière ne cesse de gagner en intensité et il n'y a aucun signe qu'elle va s'arrêter. Les manifestants en ont assez du status quo maintenu par la richissime famille corrompue qui est au pouvoir, un système de gouvernement répandu au Proche orient et en Afrique du nord Un allié de l'Occident: l'hypocrisie des politiques néolibérales et de la diplomatie occidentale Le respect des droits humains et de la liberté de la presse sont quasi inexistant en Tunisie. Un institut d'évaluation place le pays parmi les nations les plus corrompues avec une note de 4, 3 sur 10 (le chiffre 10 indiquant l'absence de corruption et le 1 le degré le plus élevé). Le Freedom House Index Túnez, considère la Tunisie comme un pays « non libre » (11), ce qui n'est pas surprenant dans un pays où le gouvernement contrôle presque tous les aspects de la vie de sa population. La jeunesse y est particulièrement étroitement contrôlée et observée. Le gouvernement, par le ministère de l'éducation décide y compris des champs d'étude des étudiants (12). Bien que les protestations qui se sont étendues à tout le pays ont adopté la forme d'un ras-le-bol social élémentaire pendant les premiers jours, elles se sont rapidement transformées par la suite en une sorte de meeting politique généralisé. Aujourd'hui, les manifestants qui descendent dans la rue exigent ouvertement la démission du président Ben Ali avec le mot d'ordre en dialecte tunisien « Yezzi Fock » (« Ben Ali, ça suffit! »), qui est devenu la principale consigne politique. Le président Ben Ali, qui a presque 80 ans, est très conscient de la gravité et de la menace qui pèse sur son pouvoir. Sa première réaction a été de tenter de lâcher du lest en démissionant certains hauts responsables locaux, en remplaçant quelques ministres et en promettant ensuite de noveaux investissements et des créations d'emplois. Mais comme ces fausses promesses ne peuvent calmer la rage des manifestants, c'est à la brutale répression policière habituelle et aux menaces qu'il a recours. Vu l'ampleur des événements, il a été forcé d'apparaître à la télévision en promettant de châtier la « minorité extrémiste » accusée de provoquer des « désordres » qui ont « un impact négatif sur la création d'emplois en éloignant les investisseurs et les touristes » (13). Cette préoccupation du président à l'égard du secteur du tourisme n'est pas étonnante vu qu'il est étroitement contrôlé par sa famille et par sa femme, comme l'ont révélé les câbles diplomatiques diffusés par Wikileaks. Pour les gouvernements occidentaux, Etats-Unis et Union européenne en tête, le dictateur tunisien et sa famille constitue un cas « exemplaire » de « stabilité » dans un pays musulman d'Afrique du nord. Le FMI qualifie les politiques néolibérales qui y sont menées comme « prudentes » et « intelligentes » alors qu'elles ne bénéficient qu'à une petite minorité qui s'est enrichie par la corruption sur le dos de la population. Un cas de corruption révélé par Wikileaks est à cet égard emblématique; le beau-frère du président a acheté 17% des actions d'une banque juste avant sa privatisation et les a ensuite revendues bien au-dessus de leur valeur. Le gouvernement tunisien est un fidèle allié des Etats-Unis dans ses guerres coloniales en Afghanistan, Irak et ailleurs. Un rapport de l'ONU sur les centres de détention secrets inclus la Tunisie dans la liste des pays qui abritent ces derniers où même la Croix rouge internationale ne peut avoir accès aux prisonniers. (14) Les services de renseignement tunisiens coopérent étroitement à la « guerre contre le terrorisme » menée par les Etats-Unis et ont participé aux interrogatoires de prisonniers dans la base aérienne de Bagram en Afghanistan, tout comme en Tunisie. Des câbles diplomatiques récents publiés par Wikileaks révèlent que, depuis un certain temps, les Etats-Unis sont préoccupés par la rage croissante qui vit dans la population et à l'égard de la corruption des familles Ben Ali et Trabelsi (la famille de la femme du président) pour lesquelles les richesses du pays sont des biens personnels. Une liste de câbles de l'ambassade des Etats-Unis à Tunis publiés sur la page web du journal britannique « The Guardian » indiquent que les Etats-Unis considèrent la Tunisie comme un état policier « avec peu de liberté d'expression ou d'association et de graves problèmes de droits humains » et qualifient y compris la famille Ben Ali de « quasi mafia » (15). Mais qu'à cela ne tienne, le Département d'Etat des Etats-Unis se flatte du soutien actif apporté par les forces de sécurité tunisiennes. Sur la page web du Département d'Etat, on peut lire que « Les Etats-Unis et la Tunisie ont un agenda actif d'exercices militaires conjoints. Historiquement, l'aide étatsunienne en matière de sécurité a joué un rôle important dans la consolidation de ces relations. La Commission militaire conjointe USA-Tunisie se réunit annuellement afin de discuter sur la collaboration militaire, le programme de modernisation des forces armées tunisiennes et d'autres questions de sécurité » (17). L'issue du mouvement de révolte n'est pas encore très clair. Le gouvernement de Ben Ali tente désespérement de contrôler la situation en déployant toutes ses forces de sécurité dans les villes touchées par la protestation. Jusqu'à présent, les manifestants ont été relativement pacifiques (ce qui n'est certainement pas le cas des forces répressives, qui ont tué, selon certaines sources, une vingtaine de personnes). Pendant que les manifestants brandissent du pain et des pancartes, le FMI continue à pressionner Tunis afin d'appliquer des politiques d'austérité et recommande au gouvernement d'en finir avec les subventions alimentaires et pour le combustible et qu'il réforme le système de sécurité sociale afin d'ouvrir la voie à sa privatisation (17). L'hypocrisie du FMI n'a pas de bornes puisque ces mesures, appliquées dans tous les pays sur les recommandations de cet organisme, sont présentées comme devant favoriser « l'emploi et la croissance ». [1] Voir Aljazeera (en arabe), 23 décembre 2010: [2] Les informations sur le fait que Mohammed Bouazizi est un diplômé universitaire sont contradictoires mais la majorité des sources indiquent que tel est le cas. Voir: [3] Les « Lions d'Afrique » est un terme utilisé par le Boston Consulting Group pour décrire les huit pays émergents du continent: Afrique du Sud, Algérie, Botswana, Egypte, Ile Maurice, Libye, Maroc et Tunisie. Voir Florence Beaugé, « Economic power of the 'African lions' tallied », « The Guardian Weekly », 10 juin 2010: http://www.guardian.co.uk/business/2010/jun/09/morocco-southafrica [4] Julian Borger, « Tunisian President Vows to Punish Rioters After Worst Unrest in a Decade », « The Guardian », 29 décembre 2010: [5] Indicateurs de la Banque Mondiale: http://data.worldbank.org/indicator/SL.UEM.1524.MA.ZS/countries/TN?display=graph [6] Joël Toujas-Bernate et Rina Bhattachary, « Tunisia Weathers Crisis Well, But Unemployment Persistsa », « IMFSurvey Magazine: Countries & Regions » , 10 septembre 2010: [7] Amro Hassan, « Tunisia: Apparent Suicide Triggers Youth Protests Against Unemployment », « The Los Angeles Times », 23 décembre 2010: [8] « Human Rights Watch, World Report Chapter: Tunisia », Janvier 2009: http://www.hrw.org/en/node/79260 [9] Amnesty International, “Behind Tunisia’s Economic Miracle: Inequality and Criminalization of Protests”, junio de 2009: [10] On peut consulter cette page facebook des manifestants vía http://www.facebook.com/yezzifock?v=photos#!/yezzifock?v=wall [11] Freedom House, « Freedom in The World Country Report », édition 2010: [12] Housa Trabelsi, « Unemployment Haunts Tunisia’s College Graduates », « The Megharebia », 30 juillet 2010: [13] « Tunisian President Says Job Riots are not Acceptable », BBC, 28 décembre de 2010: [14] Voir un rapport de l'ONU sur les pratiques de détention secrètes: [15] « US embassy cables: Tunisia - a US foreign policy conundrum », « The Guardian », 7 décembre 2010: [16] « Background Note: Tunisia », U.S. State Department, 13 octobre 2010: [17] Voir note 4. |