Les enjeux de l’islamisme au Maghreb :3è partie et fin
Du GSPC à Al Qaida au pays du Maghreb islamique (AQMI)
Créé en septembre 1998 par le jihadiste Hassan Hattab, le Groupe salafiste pour
la prédication et le combat (GSPC - en arabe : Al Jamaa al Salafiya l’il Daawa wal
Qital) est la plus grande organisation fondamentaliste armée en Algérie, remplaçant
progressivement le GIA en Algérie. Hattab a fondé son organisation, après avoir
fait sécession du GIA. Beaucoup d’hommes armés l’ont suivi car, selon eux, le GIA
avait dévié des principes du jihad légal.
Hassan Hattab est né en 1967 près de la ville d’Alger qui reste l’un des principaux
fiefs islamistes. Il a été partisan du FIS, très admiratif du numéro deux,
Ali Bel Hadj. Après le coup d’arrêt du processus électoral en janvier 1992, suite
à l’intervention de l’armée pour faire barrage à l’avancée des islamistes, Hattab
a rejoint le premier noyau de l’action armée en Algérie, le Mouvement de l’Etat
Islamique (Harakat ad Daoula al islamiyya). À cette époque quatre de ses frères
l’avaient suivi dans les maquis. Tous sont morts entre 1993 et 1995, au cours de
liquidations internes ou des affrontements avec les forces de sécurité. Il a rejoint le
GIA en 1994. Al Charif Qossemi, le chef du GIA, lui a confié le commandement
d’un groupe armé « Katiba Al Fath », puis il a reçu la charge du groupe « Katiba
Jound Al itissam », avant de se faire nommer chef de la « deuxième région », située
à l’est de la capitale.
Parmi les attaques attribuées à Hattab, on compte l’assassinat de l’ancien Premier
ministre Kasdi Merbah, tombé dans une embuscade en 1993 dans la région de Bani
Mourad. Après la mort de Qossemi, tué par les forces de sécurité, Djamel Zitouni
a pris le commandement du GIA. Les relations se sont détériorées entre Zitouni et
Hattab à cause de leur désaccord sur les méthodes de combat. Le conflit se précisa
entre Hattab et le GIA sous le commandement d’Antar Zouabri, en 1996, en particulier
quand ce dernier a essayé de liquider Hattab en tentant de le faire tomber
dans une embuscade.
Hattab affirme que la raison principale qui l’a poussé à quitter le GIA et à fonder
le GSPC est la déviance de Zouabri qui ne respectait pas les règles du « jihad
légal », en s’en prenant arbitrairement aux civils non armés. Tous ceux qui l’ont
suivi au GSPC répètent le même argument. Officiellement, le GSPC a été créé le
14 septembre 1998. Plusieurs membres éminents étaient candidats pour prendre le
commandement, tel Abdel Aziz Aabi (alias Akacha el Para) tué en 2004, Amari Saïfi
(alias Abdelrazzak el Para), dont on suppose qu’il est en détention actuellement.
Les 1300 membres armés du GSPC ont fini par désigner Hattab, comme
leur chef. Il en est resté le chef jusqu’à l’annonce de sa « démission » en 2003.
Le « Conseil » du groupe a alors nommé Nabil Sahraoui, appelé Moustafa Abou
Ibrahim, comme nouveau chef. Après la mort de ce dernier, en 2004, Abdel Malek
Droukdal a pris la suite.
D’abord cantonné dans une seule région du pays (la Kabylie), où il était relativement
peu actif, il a acquis une notoriété internationale avec l’enlèvement d’une
trentaine de touristes européens au Sahara, au premier semestre 2003. Depuis lors,
il a multiplié attentats et actions armées dans le Nord du pays, ciblant principalement
les forces de sécurité, puis des civils et des cibles étrangères, au point d’être
considéré comme une menace majeure en Europe, par ses « réseaux dormants »
prêts à perpétrer des attentats meurtriers. Une menace confirmée par le ralliement
du GSPC à Al-Qaida en septembre 2006, et sa transformation, en janvier 2007, en
« Organisation d’Al-Qaida au Pays du Maghreb islamique » (AQMI).
En effet c’est l’actuel chef du GSPC, Abdel Malek Droukdal (alias Abou
Moussaab Abdel Aoudoud), qui avait annoncé son allégeance à Al Qaïda et révélé
ses contacts avec les responsables de l’organisation d’Oussama Ben Laden via
Internet. Par ce même canal, on laisse supposer que c’est sur les ordres d’Oussama
Ben Laden que le groupe salafiste a adopté l’appellation de l’organisation Al Qaida
au pays du Maghreb islamique, ainsi voulait-il indiquer la véracité de la connexion
très étroite entre les moujahidins algériens avec leurs frères d’Al Qaida. Ce groupe
salafiste devait s’appeler au départ « Qaidate al-jihad fi bilad al-Barbares », allusion
au groupe « Qaidate al-jihad fi bilad ar-Râfidane » en Irak dirigé par l’islamiste
Abou Mossâab al-Zarkaoui, lui-même martyrisé en 2006 à Bakouba en Irak.
Cette transformation du GSPC, n’est pas un simple luxe sémantique, il s’agit
bien d’une nouvelle mutation du mode opératoire du GSPC dans un environnement
déterminé et visant expansion et prolifération des mouvements d’obédience
islamiste dans l’ensemble du Maghreb.
On peut penser que désormais le GSPC est le représentant exclusif d’Al Qaîda,
non pas uniquement dans la région du Maghreb, mais aussi dans la vaste bande
du Sahel. La collusion définitivement établie entre le GSPC et Al Qaîda, est venue
tout à coup compliquer les choses dans le Maghreb et la région du Sahel. Depuis
qu’il a prêté allégeance à Al Qaîda, le GSPC tente de se donner une plus grande
dimension et une envergure transnationale, afin, d’abord, de justifier sa connexion
avec l’organisation de Ben Laden, de frapper ensuite, même symboliquement, des
puissances comme les Etats-Unis et la France, et de se donner de l’aura dans le marché
surpeuplé des groupes djihadistes transnationaux.
Le groupe salafiste (GSPC), par la prédication et le combat doit devenir « l’os
dans la gorge des croisés américains et français ». Cette formule de guerre lancée par
le deuxième homme de l’organisation d’Al Qaîda, Aymane al-Zawahiri, constitue
ce qu’il convient d’appeler en termes de guerre « la stratégie de la menace permanente
». Ceci est d’autant plus inquiétant que ce groupe dispose - selon les services
de renseignements occidentaux - de nombreux relais et soutiens en Europe.
En s’alliant à l’organisation de Ben Laden, le groupe salafiste voulait devenir
une organisation de portée internationale, aux pratiques opérationnelles importées.
Quant à ces objectifs, ils peuvent se décliner comme suit :
1. objectif national : continuer la lutte armée en vue de renverser le régime en
Algérie, en d’autres termes vouloir réussir là où d’autres avant lui ont échoué notamment
le FIS et le GIA
2. objectif régional : ré-islamiser le Maghreb en menant le jihad contre des
régimes considérés comme excessivement pro-occidentaux pour ne pas dire impies
3. objectif international : se placer sur l’échiquier de la lutte internationale pour
libérer partout dans le monde des musulmans opprimés, en somme islamiser le
monde. On est bien dans une logique d’internationalisation ou de globalisation du
conflit algérien, c’est à dire le passage d’une lutte longtemps restée localisée, en lutte
globale adaptant stratégie et rhétorique.
Il ressort de cette analyse que la genèse des groupes armés se réclamant de l’Islam,
leurs actions, leurs fondements idéologiques et leur impact dans la société
algérienne, comportent encore aujourd’hui de nombreuses zones d’ombre en raison
de la complexité de la situation, enracinée dans les mutations internes et internationales
proliférantes, sur fond de lutte de libération sanglante contre les colonisateurs,
suivie de fluctuations profondes entre légalisation et répression des partis
d’obédience islamiste.
Force est aussi d’observer, que le contrôle étatique de l’islam en tant que religion,
par les Etats au Maghreb et plus particulièrement en Algérie, conjugué aux
autres facteurs exposés ci-dessus, expliquent la montée en puissance d’une forme
d’opposition islamiste, qui se veut émancipatrice des énergies locales devant la défaillance
des choix politiques et économiques post-indépendance.
Notes
1. Mot d’origine arabe, calife ou khalife, vicaire du prophète Muhammad, souverain
musulman désigné comme son successeur. A ce titre, il est investi du pouvoir spirituel
et temporel. Rappelons qu’après la mort du prophète de l’islam Muhammad
en 632, l’histoire de l’empire musulman s’est divisée en trois périodes :
- celle des quatre premiers successeurs dits Khalifes parfaits ou légitimes à savoir:
Abu Bakr, Umar, Uthman et Ali (632-660).
- la période dite des khalifes Umayyades dont la capitale fut Damas (660-750)
- la période dite des khalifes abbassides dont le plus célèbre fut Hârun-al-Rachid
avec pour capitale Bagdad (750-1258)
2. Les quatre écoles juridiques appelées également (madhab) en arabe, correspondent
à quatre rites, fondées au huitième et neuvième siècle, proposant chacune son application
des enseignements originels. Au Maghreb, c’est essentiellement l’école
malékite qui est la plus suivie, fondé par le médinois Malek Ibn Anas ( mort en
795), elle est la plus ancienne école musulmane d’interprétation. Les trois autres
rites sont le Chaféisme, rite officiel des Abbassides (dynastie de 37 califes arabes
descendants d’Abbas, oncle du prophète Muhammad qui se substituèrent aux
Umayyades et régnèrent à Bagdad de 750 à 1258). Le Hanafisme, rite le moins
rigide de tous, présent notamment en Turquie et en Asie centrale du sud. Enfin le
Hanbalisme, école la plus rigoureuse et la plus moraliste, puisque opposée à toute
innovation. Son influence est limitée pour l’essentiel à la Péninsule arabique et
constitue le rite officiel du régime wahhabite d’Arabie Séoudite.
3. C’est la coutume ou traditions du prophète, relatées par ses compagnons pour servir
de modèle à la communauté des croyants. La Sunna est en outre une des sources
du droit musulman.
4. L’islam n’est pas seulement une doctrine religieuse, c’est également un ensemble de
normes juridiques et éthiques qui fixent les règles de la vie collective et personnelle.
Diverses écoles ont codifié ces règles pour aboutir à la loi islamique « la charia » ou
la loi religieuse en Islam.
5. Dans l’utopie islamique (Presse de la fondation nationale des sciences politiques)
Géostratégiques n° 25 10/09 Géopolitique des Afriques subsahariennes
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6. Né en 1928, n’avait guère fait parler de lui jusqu’en 1974, date à laquelle, il
adressera à Hassan II une lettre ouverte lui reprochant ses déviances et l’appelle à
une conduite exemplaire doublement imposée par son titre de commandeur des
croyants et sa qualité de descendant du prophète. Traditionaliste jusqu’au bouddhisme,
il avait l’ambition de rétablir au Maroc, la tradition musulmane des premiers
siècles de l’Hégire. Age d’or au cours duquel l’exégète (fakih), assurait le rôle
de contestataire au pouvoir. Il rappelle que Malik Ibn Anas, fondateur d’une plus
ancienne école d’interprétation, le malékisme, fut fouetté et torturé pour s’être
acquitté de ce devoir face au calife abbasside El Mansour. Il refuse le pluralisme
politique, comme il l’explique dans son livre « l’islam ou le déluge » et le considère
comme une calamité, léguée par l’occident. A ses yeux, la solution consiste à remettre
en selle le modèle ancien, avec une monarchie qui règne et des oulémas qui
la guident et lui désignent le chemin à suivre.
7. Rappelons que le système colonial pratiqué en Algérie, dit de colonisation de
« comptoir », avait pour finalité d’effacer la personnalité arabo-musulmane de
ce pays considéré comme un département français et dépendant du ministère de
l’intérieur. À titre de comparaison, la Tunisie et le Maroc étaient des protectorats,
dépendant du ministère des affaires étrangères.
8. Né en 1956 à Tunis, ce professeur de langue arabe se considère comme un résistant
à l’Etat impie. Enfant pendant la guerre de libération, il fera très tôt sa propre lecture
de la lutte de libération nationale « guerre sainte », « jihad ». Il reprochera plus
tard au FLN, d’avoir conduit la guerre d’émancipation au nom d’un nationalisme
laïc qu’il rejette. Dans un livre intitulé « maître mot sur le despotisme des gouvernants
», il livre les sources de son inspiration qui se résument à deux personnages :
Ibn Taymiyya, qui a développé une lecture violente des textes coraniques notamment
sur l’institution des décrets religieux « Fatwa » et Abdelatif Soltani dont il
loue, je cite « la résistance héroïque face aux exactions du pouvoir »
9. Mot d’origine arabe, il a été francisé et utilisé pour désigner les savants musulmans.
10. Association fondée en 1963, elle a compté dans ses rangs des personnes comme
Sahnoun, Soltani et surtout Abbasi Madani, des prédicateurs qui vont parler d’eux
et occuper la scène algérienne dès 1990. Cette association a plusieurs revendications:
la moralisation de la vie publique, l’application stricte de la charia (loi islamique),
l’arabisation et la révision du Code de statut personnel visant principalement
la population féminine.
11. La mosquée de Baït al-Arqam servait de lieu de prêche pour Soltani, Sahnoun et
Madani, dans les années 1970. La mosquée de Bab el-Oued servait dans les années
1980 de lieu de prédication de Belhaj.
12. DRS (Département des renseignements et de sécurité), ex-sécurité militaire algérienne