Les auteurs du code de la famille de 2005 sont ceux de celui de 1984
Ghania Graba. Professeur de droit, université d’Alger
Les auteurs du code de la famille de 2005 sont ceux de celui de 1984
le 26.11.10
- Pourquoi un plaidoyer pour une loi cadre ?
Je préfère parler de loi spécifique que de loi cadre. Il s’agit en fait d’ouvrir le débat sur la nécessité d’un tel texte qui va réunir toutes les lois qui existent, le remanier pour extirper leurs contradictions. Par exemple, le harcèlement sexuel est prévu dans le code pénal au chapitre des violences contre la famille et la morale, ce qui est anormal. Au Maroc, je dirais que c’est pire, parce qu’il est classé au chapitre de la prostitution. Je dis donc qu’il faut reconcevoir la problématique de la défense de la société et la famille, pour revenir à l’individu. Il ne faut pas s’arrêter à la répression pénale seulement, mais aller à la prévention contre ces violences à travers la formation et la refonte du droit de la famille, du devoir conjugal, mais aussi le droit du travail, etc.
- Cela veut-il dire qu’il y a nécessité de revoir le code de la famille ?
Tel qu’il a été amendé en 2005, le code de la famille est devenu plus compliqué et engendre plus de problèmes. L’histoire du wali est humiliante. Sa présence est toujours obligatoire, même s’il s’agit de quelqu’un que la femme choisit. Je ne sais pas à quoi il sert. Il n’est pas témoin, donc il est là pour servir de gardien à une institution afin que les excités qui luttent contre la réforme du code de la famille -et qui se projettent dans l’avenir- puissent demain, le rédiger à leur manière. Il y a plusieurs aspects de ce code qui, en réalité, posent plus de problèmes qu’ils n’en résolvent. Beaucoup de juges préfèrent s’inspirer de l’esprit de l’ancien texte pour éviter l’embarras dans lequel ils sont mis. Prenons le cas de la polygamie : le nouveau code oblige l’époux à avoir l’accord de sa première épouse. C’est une humiliation que d’amener son épouse devant le juge et de lui dire d’affirmer son acceptation. Alger n’est pas l’Algérie. Les femmes de l’intérieur, qui n’ont pas de quoi manger, un toit et ont de surcroît des bouches à nourrir, ne refuseront jamais d’aller avec leur mari devant le juge. Elles subissent cette violence dans le silence, de peur des conséquences.
- S’agit-il d’une volonté politique ou de l’ignorance de ceux qui l’ont élaboré ?
Je pense qu’il y a la volonté politique. Il ne faut pas se leurrer. Ceux qui ont rédigé le code de 2005 sont ceux-là même qui ont rédigé celui de 1984. Il ne s’agit pas d’incompétence. La réforme arrangeait ceux qui l’ont pensée. Nous nous sommes fait avoir. En fait, il y a une volonté de refus de sortir du droit musulman en matière de réforme du code de la famille. Une volonté de ne pas aller vers un code civil. Alors appelons à une cohérence des textes pour que la famille soit tranquille et protégée. Il nous faut des mécanismes de protection contre les violences dans les foyers mêmes…
- Parce que la violence intrafamiliale est la plus répandue ?
Oui, ces violences sont les plus récurrentes, même si les autres sont tout aussi importantes. Il existe quelques procédures et des textes qui permettent à la femme violentée par son mari d’interdire le domicile à ce dernier et de l’empêcher de la voir, mais ce n’est pas appliqué. Ce sont les référés conjugaux contenus dans le code de procédure pénale et pourtant sur le terrain, rares sont ceux qui les connaissent. Il faut ramasser toutes les procédures, tous les textes, les décrets, les circulaires, etc., et en faire une seule loi pour se prémunir de la violence contre les femmes, la punir et prendre en charge les victimes.
- Comme pour la loi sur la protection de l’enfance dont on parle depuis des années ?
Moi-même j’ai travaillé sur la convention internationale de protection de l’enfance et j’ai découvert qu’il y a des milliers de textes consacrés à l’enfance et je les ai dépouillés. En fait pour une meilleure application, il faut ramener cet arsenal à une loi pluridisciplinaire. Le droit social est très mal connu, y compris par les magistrats. Il y a des lacunes qu’il faut combler et si on part du point juridique, nécessairement nous allons traiter tous les autres points socio-économiques, culturels, politiques et cultuels.
- Voulez-vous dire que nous sommes condamnés à le subir ?
Ce n’est pas évident. Les problèmes liés à son application sont tellement énormes qu’ils finiront par ouvrir une brèche. Il faudra que les gens qui ont pris leurs responsabilités pour exiger la réforme du code de 1984, reviennent sur le terrain pour revendiquer la refonte de celui de 2005. Je cite l’exemple du certificat prénuptial. Il a été prévu dans le code de manière scandaleuse qui a prêté à de mauvaises interprétations. Nous avons corrigé cette aberration dans la loi sur la santé qui vient d’être achevée, pour rendre cette disposition plus cohérente. Il est important de rappeler que ce certificat a été le fruit de la lutte des médecins professeurs femmes généticiennes. Elles voulaient dire stop aux mariages consanguins dont les enfants sont en général des filles attardées. Ce document doit relever du secret médical, parce qu’il comporte des informations sur la santé des époux. Il ne doit pas être remis au notaire. De plus, le code indique que ce document est exigé pour détecter les maladies qui contreviennent au mariage. Or, aucune maladie ne contrevient au mariage. Il y a des époux qui veulent se marier et ne pas faire d’enfants. Les sidéens aussi peuvent se marier en prenant les mesures de protection connues.
Salima Tlemçani
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