Léchec répété

Publié le par Mahi Ahmed


L’échec répété

 

Par Ammar Belhimer

La Banque mondiale vient de publier un document d’un intérêt particulier qui devrait inspirer nos gouvernants dont il établit, au demeurant, l’absence de capacité de direction. Le Rapport sur la croissance : stratégies à l’appui d’une croissance durable et d’un développement solidaire» élaboré par la Commission sur la croissance et le développement(*) a comme point de départ les cas de croissance forte durable dans la longue période d’après-guerre. Il en dresse un bilan tout aussi exhaustif que riche d’enseignements. Treize pays remplissent les conditions requises pour une croissance forte et durable : le Botswana, le Brésil, la Chine, l’Indonésie, le Japon, la République de Corée, la Malaisie, Malte, le sultanat d’Oman, Singapour, Taïwan et la Thaïlande. Le rapport situe le secret de leur réussite fulgurante dans «cinq points de similitude frappants » :
1. ils ont exploité au maximum l’économie mondiale ;
2. ils ont maintenu la stabilité macroéconomique ;
3. ils ont associé des taux d’épargne et des taux d’investissement élevés ;
4. ils ont laissé les marchés affecter les ressources ;
5. leurs gouvernants étaient très impliqués, crédibles et compétents. On relèvera sans être grand clerc en la matière qu’à l’exception relative du troisième point, l’expérience algérienne témoigne d’une tendance totalement inverse. En fixant plus attentivement le dernier point, aisément à notre portée pour peu que la volonté politique y soit, le document souligne que «dans les pays à croissance rapide, ce sont souvent des technocrates hautement qualifiés, au sein de petites équipes réformatrices très impliquées, qui ont été chargés de “tâter les pierres”. Singapour avait son Bureau de développement économique, la Corée son Bureau de planification économique et le Japon son ministère du Commerce et de l’Industrie». Il ne s’agit pas d’une démarche administrative au sens bureaucratique du terme : «Les équipes réformatrices n’étaient pas accablées de tâches administratives, mais elles avaient accès direct aux échelons les plus élevés du gouvernement. En Malaisie, l’Unité de planification économique rendait directement compte au Premier ministre. A Taïwan, le China’s Council for USAid, qui fut instauré en 1948 et se transforma en Conseil économique de la planification et du développement rendait directement compte au président.» Ce sont donc des structures souveraines de commandement, de planification et d’anticipation, et non des appendices de l’exécutif. Mieux, c’est de leurs rangs qu’émergent les premiers dirigeants du pays, ce qui assure le suivi et donne de la profondeur à leur action : «Plusieurs futurs chefs de gouvernement étaient issus des rangs de ces organismes (…) Bien introduites dans les sphères du pouvoir, mais n’ayant pas à se soucier de la routine administrative ni des demandes politiques immédiates, les équipes réformatrices, grâce à cette situation unique, aidaient à coordonner les efforts du gouvernement et à vaincre l’opposition et l’inertie de l’administration. » Les lignes d’action d’une réforme structurelle réussie sont explicitement fixées à cinq : l’accumulation, l’innovation, l’affectation, la stabilisation et l’inclusion. L’accumulation comprend de «solides investissements publics qui permettent de constituer les infrastructures et de rassembler les compétences nécessaires pour une croissance rapide». «L’innovation» et «l’imitation» aident une économie à «apprendre à faire de nouvelles choses – par exemple à se lancer dans des activités exportatrices dont elle n’a pas l’habitude – et à expérimenter des pratiques innovantes ». Le troisième groupe, relatif «l’affectation» du capital, et notamment de la main-d’œuvre, permet aux prix d’orienter les ressources et aux ressources de réagir aux prix : «Les activités microéconomiques ne peuvent pas se développer si elles sont brutalement interrompues par des problèmes d’endettement ou si le niveau général des prix subit des fluctuations erratiques.» Le quatrième groupe assure la «stabilisation» de la macroéconomie, la protégeant «des crises, des faillites et de l’inflation galopante ». Un cinquième et dernier paquet de mesures est destiné à favoriser «l’inclusion». Une importance particulière est attachée, ici, «à l’équité et à l’égalité des chances en tant que telles» pour cette raison évidente que «si une stratégie de croissance bénéficie à toutes les classes et à toutes les régions d’une société, aucun groupe ne cherchera à la faire échouer». Pourquoi la région MENA n’a-t-elle pas réussi à créer les conditions d’une croissance inclusive ? s’interroge Elena Ianchovichina, experte à la Banque mondiale(**). «Contrairement à d’autres nations, les pays de la région MENA ne sont pas parvenus à instaurer cette croissance qui profiterait à tous», déplore-t-elle, avant de s’interroger sur les raisons de cet échec. Les pays de la région MENA ont enregistré, en moyenne, une croissance économique «nettement plus modeste : leur revenu par habitant a augmenté, en moyenne, d’un peu moins de 3% entre 1969 et 2008. De surcroît, dans cette région, le taux de chômage est beaucoup plus élevé que dans les 13 économies retenues, et le secteur privé n’offre quasiment pas d’emplois de qualité ». Aussi, dans la région, le commerce a joué un rôle «relativement faible dans la croissance économique, avec de fortes variations régionales au niveau du volume des exportations de produits non pétroliers». Par ailleurs, ces pays ont «plus ou moins connu des problèmes d’instabilité et de déséquilibre macroéconomiques». Les distorsions créées par les politiques publiques ont également empêché une allocation efficace des ressources ; «en particulier, les subventions à l’énergie ont induit un biais en faveur des activités à forte intensité capitalistique, et les distorsions du marché du travail ont découragé l’emploi dans le secteur privé et l’acquisition des compétences demandées par les entreprises». Compte tenu de l’origine de leurs ressources, les pays arabes souffrent du caractère rentier de leurs économies, caractère qui «fait obstacle à la concurrence et à l’adoption de technologies plus avancées», tandis que les entreprises, et tout particulièrement les PME, ont peu de possibilités d’accès à des financements. Le rapport recense neuf tares qui affectent le fonctionnement de notre économie résumées, par ordre d’impact, à ce qui suit : la corruption, les taux d’imposition, la concurrence informelle, le financement, les incertitudes macroéconomiques, les incompétences, les contraintes foncières, les incertitudes réglementaires, l’électricité, le régime douanier et la réglementation des échanges, l’administration fiscale, le système juridique, les autorisations d’activité permanente Dans l’ensemble, «l’État préfère redistribuer les richesses plutôt que d’instaurer les conditions d’une croissance et d’un développement inclusifs. La redistribution a été opérée via les subventions, les emplois dans la Fonction publique et l’investissement public. Plus grave encore, les institutions sont restées relativement fragiles, les passe-droits et le favoritisme entachant l’application de la réglementation ». La malédiction de nos Etats se résume à l’absence de règles générales et universelles, impératives et stables. Une situation que nous n’arrêterons pas de payer très cher : «La précarité de l’État de droit a découragé l’investissement privé, qui demeure encore relativement faible, et nuit à l’efficience de l’investissement public.» Si les fondamentaux restent macroéconomiques, la gouvernance et les capacités institutionnelles hypothèquent toute velléité de relance.
A. B.
(*) http://siteresources.worldbank. org/EXTPREMNET/Resourc es/4899601338997241035/Growth _Commission_Final_Report_Fren ch.pdf
(**) Elena Ianchovichina, Pourquoi la région MENA n’a-telle pas réussi à créer les conditions d’une croissance inclusive ? 4 février 2013
http://menablog.banquemondiale. org/croissance-inclusivemena? cid=EXT_BulletinFR_W_E XT

 

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