Le mea-culpa du FMI

Publié le par Mahi Ahmed

 

Par Ammar Belhimer

Les productions intellectuelles du FMI font référence en matière d’évaluation des politiques monétaires et financières. Pour autant, elles n’échappent pas à plusieurs critiques. Le Bureau d’évaluation indépendant du Fonds monétaire international a passé en revue les différents travaux de recherche de l’institution — toutes sortes de notes, Working Papers, World Economic Outlook, Global Financial Stability Report et études pays — sur la période 1999- 2008 pour expliquer pourquoi les économistes et experts de l’honorable institution n’ont pas vu venir la crise de 2007.
Cet organe, le Bureau d’évaluation, qui est rattaché au FMI, reste complètement indépendant de sa hiérarchie et ses expertises semblent peu complaisantes. Quatre faiblesses principales affectent la production du FMI selon le Bureau d’évaluation. Dans un récent rapport(*), il démontre comment, en raison d’une confiance aveugle dans l'idéologie libérale, l'institution n'a rien vu venir, ni aux Etats-Unis ni au Royaume-Uni, de la crise financière : elle a négligé la montée des risques dans la finance internationale en raison du préjugé idéologique et de la croyance sacro-sainte dans la capacité du marché à surmonter par lui-même ses propres travers. L’absence d’un «avertissement clair du FMI» est associée à quatre motifs : les faiblesses analytiques, les entraves administratives, les problèmes de gouvernance interne et les contraintes à caractère politique.
1. Les faiblesses analytiques révèlent un manque de prise en compte des contextes institutionnels spécifiques locaux, systématiquement formatés selon son modèle général de l’économie issu de la théorie dominante. A ce titre, il est avoué que «ces faiblesses sont globalement de deux types : pensée doctrinaire et autres postulats intellectuels ; méthodes d’analyse/connaissances incomplètes (…) le premier type de faiblesse a trait aux mécanismes de réflexion et de prise de décision, tandis que le second renvoie aux méthodes et aux outils utilisés par les services du FMI».
2. Les entraves de nature administrative se rapportent à un «mode de fonctionnement cloisonné», jugé comme étant «une importante entrave à l’efficacité de l’action du FMI». Ce cloisonnement aboutit à un fonctionnement «insulaire» des auteurs des documents qui n'écoutent pas ce qui se dit à l'extérieur et qui fonctionnent en cercle fermé et étroit : ils ne citent bien souvent que des auteurs et études du FMI, sans s’intéresser aux productions des économistes locaux ; de même qu’ils ne communiquent pas assez avec les autorités des pays concernés pour choisir les sujets les plus pertinents. Les rapports ont rarement fait référence à des travaux d’analystes extérieurs signalant les risques croissants des marchés financiers. Conséquences fâcheuses notables de ce cloisonnement : il empêche d’intégrer la surveillance multilatérale à la surveillance bilatérale, de relier l’évolution macroéconomique à l’évolution financière et de tirer les leçons de l’analyse comparative de l’expérience des pays.
3. Les problèmes de gouvernance interne font référence aux incitations et aux procédures de gestion qui s’appliquent aux fonctionnaires du FMI et à l’institution en général. «Il ressort de l’évaluation que le cadre incitatif en place n’était pas de nature à promouvoir les échanges de vues francs qui sont nécessaires à la bonne exécution de la mission de surveillance — plusieurs membres du personnel ayant exprimé leurs préoccupations quant aux conséquences de l’expression d’opinions contraires à celles des supérieurs hiérarchiques, de la direction et des autorités nationales ». Plusieurs cadres dirigeants et membres des services du FMI ont estimé que l’affirmation d’opinions dissidentes peut «nuire à une carrière ». Il s’ensuit un alignement «sur l’opinion dominante au FMI.» Dans l’ensemble, il règne un climat pesant de «dissuasion contre toute tentation de “contredire les autorités” et celles des grands pays en particulier ». Par ailleurs, la fréquence de rotation élevée des membres du personnel affectés aux dossiers des pays est une critique souvent exprimée par les autorités nationales ; elle a réduit l’efficacité du FMI au cours de la période qui a précédé la crise. «Durant cette période, le FMI a eu trois directeurs généraux et un directeur général par intérim dont le mandat a duré trois mois. Cette situation a donné lieu à des changements de priorités, au relâchement de l’attention accordée aux défis que devait relever l’économie mondiale et le FMI, ainsi que de la supervision des cadres supérieurs.»
4. Au chapitre des contraintes à caractère politique, il est carrément souligné des «demandes visant à faire modifier les messages contenus dans les rapports des services ; les exigences des autorités nationales pour imposer le remplacement de certains membres des missions ; la perception de pressions des autorités menant à l’autocensure ; et les injonctions à mener des initiatives politiques données». 62 % du staff interrogé pour l’exercice déclare qu’il vaut mieux que les résultats des analyses avancées soient dans «la ligne» de l’institution. Dans des entretiens réalisés sur place afin de prolonger les réponses au questionnaire, plus de la moitié des économistes sollicités confirment qu’on leur a demandé, ou bien qu’ils connaissent un collègue à qui on a demandé «d’ajuster» leurs résultats pour qu’ils soient compatibles avec les intérêts dominants. «L’opinion dominante au sein des services du FMI — groupe cohésif de macroéconomistes — était que la discipline et l’auto-régulation du marché suffiraient à écarter tout problème majeur des institutions financières. Toujours selon la pensée dominante, les crises étaient peu probables dans les pays avancés dont le degré de “sophistication” des marchés financiers leur permettrait de progresser sans encombre avec une régulation minimale d’une part importante et croissante du système financier.» Le Fonds aura ainsi fait tout faux. Tenant compte des enseignements du passé, il se demande aujourd’hui comment renforcer la surveillance qui lui est dévolue par ses membres. Cinq recommandations générales sont présentées, suivies chacune de plusieurs suggestions spécifiques sur leurs modalités de mise en œuvre :
- créer un environnement qui encourage la franchise et l’expression de points de vue variés, alternatifs, voire divergents : le FMI accepte enfin la critique ;
- renforcer les incitations à «faire usage de franc-parler face à l’autorité » : il s’agit de ne pas caresser les membres dans le sens du poil ;
- mieux intégrer les enjeux du secteur financier aux évaluations du cadre macroéconomique : ces enjeux ne sont pas neutres ;
- faire échec aux attitudes et à la culture du cloisonnement : le besoin d’aération est évident ;
- livrer un message clair et cohérent aux pays sur les perspectives et les risques mondiaux.
A. B.

(*) IMF Performance in the Run-Up to the Financial and Economic Crisis : IMF Surveillance in 2004-07, Independent Evaluation Office, disponible en langue française depuis le 10 janvier 2011 sous le titre Évaluation de l’action du FMI, au cours de la période qui a précédé la crise financière et économique mondiale : La surveillance du FMI en 2004-07, sur www.ieoimf. org <http://www.ieo-imf.org/>

http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2011/07/19/article.php?sid=120241&cid=8

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