LE GRAND JACKPOT

Publié le par Mahi Ahmed

LE GRAND JACKPOT

par K. Selim

Dépenser 320 millions d'euros pour se créer un marché de 200 milliards de dollars. Cette fabuleuse affaire est en passe de devenir une réalité. Le grand jackpot de la guerre contre le régime dictatorial de Kadhafi est sur le point d'être raflé. Il faut bien reconstruire ce qui a été détruit par la guerre. Et quoi de plus «normal» que de servir surtout les amis qui ont fait le bon placement…

 La cause est entendue. Les dirigeants du CNT libyen l'ont dit clairement, les amis occidentaux l'ont souhaité. A demi-mot au début. Ouvertement désormais. Et l'on ne se prive pas de rappeler aux nouveaux dirigeants libyens ce qu'ils doivent aux «libérateurs».

 Devant un parterre de patrons français réunis par le Medef pour s'organiser en vue d'être à la bonne place en Libye, le secrétaire d'Etat français au Commerce extérieur, Pierre Lellouche, a été très limpide : «Le Président de la République, Nicolas Sarkozy, a pris des risques politiques et militaires. Tout ça crée un climat où les responsables libyens, le peuple libyen savent ce qu'ils doivent à la France». Pas besoin d'analyse sophistiquée pour saisir le message. C'est une piqûre de rappel, au cas où les nouveaux dirigeants libyens, très sollicités, s'oublieraient.

 Les entreprises françaises se frottent les mains et elles ont de bonnes raisons de le faire. Elles veulent une part importante du marché de la reconstruction en Libye. Elles l'auront, selon toute probabilité. Le retour sur investissement doit être assuré. On rappelle donc aux gens du CNT que s'ils sont des rois, encore provisoires, ils ne le doivent pas seulement à leur combat.

 Le message, délivré dans un contexte où la course aux contrats est grande ouverte et les appétits aiguisés, n'est pas anodin. Les Russes, qui ont voté la zone d'exclusion aérienne et maugréé par la suite contre le détournement de la résolution 1973, s'attendaient à faire les frais d'une guerre où ils se sont abstenus d'investir. Ils ont pris acte, sans surprise, de la déclaration du président du CNT, Mustapha Abdeljalil, annonçant que la Libye allait renoncer à acheter des armes russes. Moscou connaît les «règles» et ne doute pas que les nouveaux dirigeants de la Libye vont acheter des armes en premier lieu en France et en Grande-Bretagne. Ces achats d'armes, qui ne seront probablement pas annoncés rapidement, ne figureront pas dans le chapitre «reconstruction». Ce qui permet d'envisager que les affaires de la Libye nouvelle dépasseront très largement les 200 milliards de dollars.

 Le cas libyen n'est sans doute pas reproductible à l'identique, mais… il faut bien prendre acte que, quelle que soit la forme qu'il prendra, l'investissement dans la guerre peut être rentable. Surtout dans un contexte de crise. Et l'on sait que les dictatures, par l'exclusion et les injustices qu'elles génèrent, créent des potentiels de fractures utilisables par ceux qui pourraient estimer qu'une guerre est une bonne chose pour relancer la machine. Ce n'est pas une question de morale, c'est une question d'intérêts politiques et économiques.

 Les guerres impériales ne s'énoncent pas de la manière frustre et brutale du 19e siècle. Elles ont un souci des formes et se donnent des couvertures juridiques légales que l'Onu octroie. Leurs arguments, ils les prennent chez les régimes dictatoriaux et autoritaires, qui peuvent passer du statut d'amis à celui d'affreux sur décision politique. La seule conclusion patriotique à en tirer est que ces régimes sont la pire des menaces à la sécurité nationale. Et que la démocratie, aussi «fatigante» qu'elle puisse être, est le seul atout pour contrer les investissements qui s'annoncent dans les guerres « humanitaires». Le capitalisme intègre froidement des calculs de gains et de pertes. Et 200 milliards de dollars à prendre sur dix ans, c'est un argument massue qui fait rêver à de nouveaux humains, arabo-berbères, à libérer…

http://www.lequotidien-oran.com/?news=5157547

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