La secte wahhabite (2)

Publié le par Mahi Ahmed

La secte wahhabite (2)

 

Par Ammar Belhimer
ambelhimer@hotmail.com

Le troisième et actuel royaume date de 1932. Il résulte de l’action d’une machine de guerre constituée d’hommes en armes «intrépides, stupides et féroces» sous le commandement d’Abdelaziz Ibn Saoud, nous dit encore Hamadi Redissi(*).
Ils sont recrutés parmi les citadins (minoritaires), les Bédouins (dominants) et les Frères (les idéologues de la secte). La secte a pour signes forts de ralliement l’interdiction du tabac, de la soie, de l’or, du rire, du jeu, des instruments de musique, de la peinture, du théâtre, du cinéma. H. Redissi l’assimile à une «armée de mercenaires» qui pratique la razzia, une coutume ancestrale, sous couvert de jihad. Elle compte à son actif la reprise de Riyad en 1902, date charnière, de mise en marche d’un processus fondamental de réhabilitation progressive et croissante du wahhabisme comme «revivificateur de l’islam des origines» au sein de la communauté des musulmans. Le wahhabisme commence à diffuser une nouvelle image de lui-même. Une telle image s’impose d’abord aux yeux des néoconservateurs, avec pour tête de file et de pont – «le passeur», nous dit H. Redissi — Rachid Ridha, un exilé syrien au Caire. On lui doit cette sentence qui déclare la guerre aux musulmans : «Les musulmans sont aujourd’hui plus ignorants que les Arabes de la jahiliyya». Le wahhabisme s’impose également, aux yeux des libéraux, comme «critique des despotes, des clercs et des marabouts». Il réussit, enfin, à s’imposer, aux yeux des intellectuels arabes des années 1920, comme partie intégrante du mouvement de libération nationale, en raison de la fermeté de ses positions sur la question sioniste. Le wahhabisme le leur rendra bien en mentionnant le nationalisme au rang des pires péchés dans ses manuels scolaires (encore en usage). En Algérie, le wahhabisme aura peu d’impact auprès des nationalistes. Il se frayera une timide et furtive incursion parmi les Ulémas. La revue Shihab (Le Météore), porte-parole du réformisme algérien (1925-1939), qualifie Ibn Saoud de «roi de l’Islam» en 1935, tandis que deux animateurs de ce mouvement (Tayeb Okbi et Moubarak El Mili) affichent «de réelles sympathies pour le wahhabisme ». L’auteur de l’ouvrage tempère ce jugement sur Okbi qui «après avoir passé une partie de sa jeunesse à Médine, s’installe en 1920 à Biskra pour diffuser une version modérée du wahhabisme. Il adhère, en 1925, à l’équipe de Ibn Badis, mais s’interdit expressément de “professer les doctrines du pur wahhabisme”». Le dernier mot sur la relation entre le réformisme algérien et le wahhabisme revient à son président Abdelhamid Ibn Badis qui écrit en mars 1935 : «Si les nadjdiens, les wahhabites se réclament du cheikh Ibn Abd al- Wahhab parce qu’il fut le premier réformateur de leur pays, nous ne nous réclamons point de lui parce que nous n’avons pas été ses disciples ; nous n’avons pas pratiqué son œuvre. Notre respect pour la vérité et pour nous-mêmes nous interdit de nier ce qui nous lie à quoi que ce soit, ou de nous réclamer faussement de quelqu’un.» Lorsque l’Algérie renouera plus tard avec le wahhabisme, au début des années 1990, c’est pour sombrer dans l’islamisme armé, la violence et l’intolérance. Force est de reconnaître alors au wahhabisme une étonnante capacité de persuasion. La secte wahhabite hétérodoxe a été «réhabilitée par la communauté sunnite parce que l’hérésie est devenue la nouvelle orthodoxie islamique». Une secte «belliqueuse qui a tué, saccagé, profané et pillé les lieux sacrés», décroche le certificat de bonne conduite de ceux-là mêmes qui l’ont combattue. H. Redissi impute ce renversement à la crise de la «tradition» (ou éducation par l’argument d’autorité) qui survient vers la fin du XIXe siècle. Il y a crise de la tradition lorsque «le doute gagne les esprits sur le sérieux des autorités, la validité des précédents et l’efficience pratique des préceptes ». Comparé à une tradition «stéréotypée », le fondamentalisme islamique qu’incarne le wahhabisme s’apparente alors à «une bonne hérésie». Une expression qui n’est pas sans nous rappeler la proposition de «régression féconde» de notre sociologue L. Addi. Le fondamentalisme se présente ainsi non comme une alternative salutaire à des régimes autoritaires et policiers, mais comme leur prolongement naturel, leur résultante. Le monde arabo-musulman mérite naturellement mieux. Le wahhabisme est, à bien des égards, une insulte aux musulmans. Son hégémonisme a pour corpus essentiel les Lettres aux musulmans d’Ibn Abd al-Wahhab (cinquante et une lettres) qui renouent avec «l’Appel à conversion » (ou à «reconversion») de musulmans accusés d’être «impies». Ainsi, aux «gens du Maghreb», Ibn Abd al-Wahhab intime l’ordre de carrément se convertir ! Aux citadins de Damas, il est reproché leurs «innovations dégoûtantes». Dans le sillage de l’anticommunisme des néoconservateurs, à la faveur notamment de l’occupation de l’Afghanistan par les troupes soviétiques, les wahhabites s’imposeront, au milieu des années 1980 du siècle passé, comme un démembrement actif du complexe militaro-industriel de l’impérialisme américain. Leur action introduit un nouveau lexique (salafisme, fondamentalisme, islamisme) et une nouvelle réalité géopolitique : c’est l’Arabie saoudite qui est sous-traitée pour fixer désormais à l’Islam son ordre du jour. Elle le fera directement ou, lorsque les contingences diplomatiques l’imposent, par groupes interposés. Le nouveau lexique accorde une signification particulière au salafisme. Cette expression renvoie à salafiyya qui, dans la lettre, signifie «l’association des salafs», les «pieux devanciers» : les «devanciers» s’étalent sur trois générations : celle des «compagnons » du Prophète, celle des «suivants» et celle des «continuateurs ». Aux salafs (devanciers) succèdent les khalafs (tardifs) dont le cycle s’ouvre au milieu de la seconde dynastie, celle des Abbassides (750-1254). Cet islamisme est par ailleurs associé à usuliyya (fondamentalisme), l’objectif étant de retourner aux usul (fondements) apurés des résidus de la scolastique. Le Pacte de Nadjd pouvait faire encore illusion si un autre pacte ne s’était pas invité à la formation de l’entité saoudienne contemporaine : le Pacte de Quincy. Le «Pacte du Quincy» — souvent associé à un troc pétrole contre protection militaire — semble avoir mis à terre le «cartel de princes indolents» qui consentent à l’intervention de commandos français pour déloger le groupe armé qui a investi la Grande Mosquée de La Mecque le 20 novembre 1979, au stationnement de troupes américaines «impies» en Terre sainte en 1990 et financent l’occupation de pays musulmans par des troupes étrangères. En 1990, le mufti Ibn Al-Baz s’autorise même à rendre une fatwa qui déclare licite le stationnement de ces troupes en Terre sainte et la participation des soldats de l’islam au combat armé contre leurs frères musulmans irakiens agressés sur leurs terres. Le texte de la fatwa est intitulé «Le jugement relatif au recours en assistance des infidèles pour combattre les infidèles». Autrement dit : une dynastie roturière, assise sur des rentes pétrolière (l’énergie) et de situation (le pèlerinage) prétend manipuler son «nouveau dieu» : (l’Amérique) ! Au final, le wahhabisme comme idéologie d’Etat théocratique est porté aujourd’hui par «un médiocre clergé traditionnel, débordé par les islamistes radicaux et pressuré par les libéraux. Les uns lui reprochent son inconstance, les autres de figer la vie». La cohésion cléricale est maintenue par sa position économique dominante, des stratégies matrimoniales tenant principalement à des «échanges de cousines croisées » et, enfin, une hiérarchisation des tribus ou des clans.
A. B.
(*) Hamadi Redissi, Le Pacte de Nadjd, Le Seuil, Paris, septembre 2007, 343 pages.

http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2010/08/31/article.php?sid=105285&cid=8

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article