La mort du prix Nobel Saramago, écrivain portugais engagé
La mort du prix Nobel Saramago, écrivain portugais engagé
Hubert Artus (Rue89) + CCIPPP
publié le vendredi 18 juin 2010.
L’écrivain portugais José Saramago, prix Nobel de littérature en 1998, est mort à l’âge de 87 ans. C’est sur l’île de Lanzarote (Canaries) où il vivait depuis dix-sept ans, que José Saramago est décédé. Ces dernières années, il avait été hospitalisé plusieurs fois pour des problèmes cardiaques.
« Le Cahier », son dernier livre, était issu de son blog
Il avait donné une courte interview à Rue89 en janvier, pour « Le Cahier » (éd. du Cherche-Midi), un livre issu de son blog, qui lui avait valu beaucoup de polémiques en Italie, le livre s’en prenant à Silvio Berlusconi.
Maria Félix-Frazao, qui a amené le livre au Cherche-Midi avec Véronique Lefèvre et avec l’agent de l’auteur, témoignait ce vendredi après-midi que « son état s’était dégradé après ce voyage en Italie pour son livre, très éprouvant ». Un état de fatigue tel que, selon l’éditrice, « Saramago avait prévenu que le roman sur lequel il travaillait serait son dernier ».
Le Cherche-Midi s’apprêtait d’ailleurs, cet été, à travailler sur la suite de ce « Cahier », pour un deuxième tome. Contactée par Rue89, la maison n’a pas immédiatement réagi.
Cela étant, c’est le Seuil qui, en France, est l’éditeur principal de Saramago, et de pratiquement tous ses romans. Une grande œuvre, qui lui valut d’ailleurs le prix Nobel de Littérature en 1998, un prix dont il fut le premier lauréat lusophone.
« Le Dieu manchot », « L’évangile selon Jésus-Christ », « Le Radeau de Pierre », »L’Aveuglement » témoignent tous d’un réalisme historique, d’un engagement politique, et d’une volonté de fantastique.
Grande oeuvre littéraire, faite de colère et de sérénité
Saramago s’avouait « obsédé » par l’Histoire. C’est pourquoi nombre de ses fictions sont une sorte de relecture d’événements passés (épidémies, histoire de la péninsule ibérique, conflits religieux) sous l’angle intimiste, et avec les armes de l’allégorie, de la métaphore et du décalage.
Dans « L’Aveuglement », c’est une épidémie de cécité dont est frappé un pays entier. Un roman qui est une vision « réalisme magique » de « La Peste » d’Albert Camus. Quelque part d’ailleurs, Saramago est le Camus portugais : goût du politique laïque, proximité citoyenne, engagement politique, littérature faite de colère et de sérénité.
Une sérénité dont son style est la preuve : des phrases longues, langoureuses, successions d’appositions. Des dialogues souvent dilués dans la narration même. Le tout libérant une belle puissance romanesque, et témoignant d’une grande confiance en la fiction et la littérature.
Un écrivain politique, anti-libéral et propalestinien
Saramago explorait, avec ire et provocation, ce que les embrigadements collectifs font des individus que nous sommes. Parmi ces embrigadements : la religion et le libéralisme. L’un et l’autre ont toujours été les deux grands chevaux de bataille du Portugais.
« L’Evangile selon Jésus-Christ » est une relecture athée, et à hauteur d’homme, de la jeunesse dudit Jésus Christ. La plupart des notes de son blog, et de son dernier livre en France à ce jour, sont consacrés à la religion ou aux cataclysmes libéraux.
La question palestinienne aura beaucoup occupé Saramago. On se rappelle qu’en 2003, lors d’une visite controversée en Palestine du Parlement international des écrivains (alors dirigé par le Français Christian Salmon, Saramago avait déclaré « avoir trouvé à Ramallah l’esprit d’Auschwitz ». Et avoir fait coulé beaucoup d’encre.
Candidat aux élections portugaises sur la liste du PC
Cette vision avait irrité jusqu’aux éditions du Seuil, et il est à parier que c’est une des raisons pour lesquelles ces derniers n’avaient pas souhaité publier « Cahier », dont des textes sont consacrés à la Palestine.
Saramago était membre du Parti communiste portugais depuis 1969. Et engagé de longue date dans les mouvements alter-signataire notamment du Manifeste de Porto Alegre en 2005. En 2009, il avait été candidat sur la liste du PC portugais.
Enfin, Saramago a toujours été, non pas anti-américain, mais très américano-méfiant. L’élection d’Obama avait été pour lui comme une aubaine.
Photo : José Saramago en à Carthagène en juillet 2007 (Fredy Builes/Reuters)
NDLR : Nous rappelons que José Saramago faisait partie de la délégation internationale dont le carnet de route a fait l’objet du film "Écrivains des frontières".
Écrivain des frontières
Suite à l’appel du poète palestinien Mahmoud Darwish, membre fondateur du Parlement international des écrivains assiégé à Ramallah, une délégation d’écrivains est allée sur place pour manifester aux côtés des Palestiniens une "belle collaboration linguistique" dans ces "hauts lieux de la spiritualité" (Ramallah en arabe) où le programme d’humiliation israélienne est aussi une "guerre verbicide".
" Nous voulons écouter et faire entendre d’autres voix dans le fracas de la guerre, celle des écrivains, des artistes, des universitaires, de tous ceux qui préparent l’avenir... Opposer à la logique de la guerre, non pas une force d’interposition mais des FORCES D’INTERPRETATION ", dit l’écrivain français Christian Salmon, membre de la délégation internationale composée de l’Américain Russell Banks, le Nigérian Wole Soyinka, le Portugais José Saramago, le Chinois Bei Dao, le Sud-africain Breyten Breytenbach, l’Espagnol Juan Goytisolo, l’Italien Vincenzo Consolo.
" Écrivains des frontières, un voyage en Palestine(s) " est le carnet de voyage de cette délégation, accompagnée par Elias Sanbar et Leïla Shahid, filmé et réalisé par Samir Abdallah et José Reynès.
www.ecrivainsdesfrontieres.org
Hubert Artus (Rue89) + CCIPPP