L’UNIVERSITÉ : Un vrai problème pour notre économie

Publié le par Mahi Ahmed

L’UNIVERSITÉ :
Un vrai problème pour notre économie

Par Abdelmadjid Bouzidi

Si l’on devait s’en tenir à la seule économie, il n’est pas difficile d’établir que chez nous, l’école, l’université, la formation professionnelle, bref tout le système d’éducation-formation constitue de plus en plus un véritable handicap qui obère sérieusement toute ambition de faire de l’économie algérienne une économie émergente. Les cohortes formées dans chacun des paliers du système sont certes de plus en plus nombreuses, mais elles ne trouvent pas à s’employer et l’économie nationale n’en tire aucun profit de même d’ailleurs, et c’est encore plus dramatique, que les jeunes diplômés eux-mêmes. L’école algérienne est comme une immense machinerie qui fonctionne pour elle-même. Et on peut observer que les diplômés qui ne trouvent pas à s’employer le doivent moins à un manque d’occasions d’emploi qu’à l’inadéquation des formations qui leur ont été dispensées, aux postes de travail disponibles dans les différents secteurs d’activité économique revitalisés ces dix dernières années par les colossales dépenses publiques engagées dans le cadre des plans de relance. Les entrepreneurs, tant nationaux qu’étrangers installés chez nous, ne cessent de répéter qu’ils rencontrent d’énormes difficultés à recruter des cadres et des agents de maîtrise qualifiés et compétents. A la médiocrité de la formation diplomante qui est dispensée dans nos universités, s’ajoute l’absence d’une formation qualifiante. Comment progresser dès lors dans la réduction de la fracture technologique et le rattrapage ne serait ce que des pays à niveau de revenus similaires, sans la disponibilité sur le marché du travail d’ingénieurs et de cadres de divers profils qualifiés, compétents et «up to date» ? Comment développer réellement la recherche-développement et l’innovation dont a si besoin notre économie si le système d’éducation-formation ne produit pas des diplômes adressés à des qualifications réelles acquises aussi, au sein de l’entreprise par de fréquents stages (formation alternée) ? Et le système de formation en fonctionnement en Algérie n’offre pas de cursus en prise réelle avec les problèmes de l’entreprise quels que soient les secteurs d’activité : économiques, sociaux (gestion des hôpitaux) ou culturels ? Comment enfin attirer les capitaux internationaux dans le pays sous forme d’investissements directs, si les champions mondiaux porteurs de savoir-faire et de technologie et désirant investir chez nous ne trouvent pas sur le marché du travail local la main-d’œuvre qualifiée dont ils ont besoin et qui est devenue aujourd’hui le facteur décisif de compétitivité ? Il faut, en effet, souligner que c’est moins le coût de la main-d’œuvre que son niveau de qualification qui décident aujourd’hui les investisseurs étrangers à choisir tel ou tel autre site d'accueil sur leurs projets. L’Inde, l’Indonésie, la Malaisie, ou même plus près de nous, bien qu’à un degré moindre, la Tunisie et le Maroc nous l’enseignent chaque jour. Chez nous, la massification de l’enseignement tout à fait acceptable (et même recommandable) pour le premier palier (primaire) ne doit plus se faire au détriment de la qualité de la formation dispensée dans les cycles secondaires et surtout supérieurs. L’Etat ne pourra pas continuer à financer intégralement comme il le fait actuellement, indistinctement, les trois paliers du système éducatif sans hypothéquer très sérieusement la qualité de la formation dispensée dans chacun d’entre eux. L’enseignement primaire, qui détermine tout le reste, doit obéir au principe de l’égalité des chances pour tous les enfants en âge d’être scolarisés et l’Etat doit concentrer ici en priorité ses efforts. Mais, le cycle secondaire et surtout le cycle supérieur doivent connaître des discriminations en fonction des performances des élèves et surtout de leur situation sociale. Cette discrimination existe d’ailleurs déjà entre ceux qui peuvent payer des cours individuels supplémentaires et ceux qui ne le peuvent pas. Seuls les plus démunis bénéficieront du soutien de l’Etat qui devra, par ailleurs, encourager l’ouverture de lycées privés pour casser le monopole étatique de l’école et introduire des éléments de compétition entre établissements. La décision qui vient d’être prise de créer des cycles de formation d’excellence en instituant des classes préparatoires pour les meilleurs bacheliers, puis l’accès à de grandes écoles d’excellence pour ceux qui réussiront les concours d’entrée est une bonne décision. Il était grand temps de commencer à se préoccuper de la formation d’une élite scientifique dans les différentes filières car c’est de cette manière (suprême banalité !) qu’on dote le pays de la locomotive nécessaire à sa progression. Ce système de classes prépa et de grandes écoles qui, tout le monde le sait, ne date pas d’hier et qui a prouvé son efficacité sous d’autres cieux, a hélas été totalement délaissé chez nous on ne sait pourquoi. Pourtant, Belaïd Abdesselam, suivi par d’autres départements ministériels, avait mis en place, au début des années 70, de grandes écoles pour produire les cadres dont il avait besoin pour son ambitieux projet d’industrialisation. Rappelons-nous : Boumerdès et ses instituts, l’Ecole des travaux publics, l'Ecole nationale d’informatique, l’Ecole supérieure d’électronique, etc. Tout cela a été balayé par on ne sait quelle main invisible et nous voilà revenus à la case de départ. Le financement de ces grandes écoles devra mettre à contribution les futurs utilisateurs de ces cadres hautement qualifiés : entreprises nationales et étrangères, institutions publiques, Etat et collectivités locales, chacun en ce qui le concerne. Ici aussi, ce système des grandes écoles doit être ouvert au secteur privé. Mais un secteur privé novateur, efficace, «professionnel » et non pas à l’image de nos établissements d’enseignement privé qui ont actuellement «pignon sur rue» et dont les «sortants» grossissent aussi, pour leur part, les rangs des chômeurs ! Il faut aussi rappeler que le pays qui est allé le plus loin dans le système des grandes écoles (et qui en est fier depuis bien longtemps), la France a rattaché l’essentiel de ces écoles aux ministères techniques et notamment le ministère de l’Industrie, tant leurs finalités étaient bien précises et bien ciblées. De même, et en complément à ces écoles, ont été mises en place des «corporate universities» financées par les organisations patronales et produisant des top managers dont leurs entreprises ont besoin (Paris, Lyon, Toulouse, Chamberry, Grenoble…). Pour que notre système ne soit pas bancal et ne reste pas englué dans «la philosophie générale» qui marque notre enseignement supérieur, il faut poursuivre et approfondir la réflexion sur cette bonne initiative et la compléter dans le cadre d’une réforme globale de notre système de formation supérieure. ll faut arrêter d’être superficiel, de se contenter de réformes ponctuelles qui restent sans effet sur les objectifs ciblés. Il nous faut des actions à la mesure des ambitions légitimes de notre pays et de la faim de sciences et de savoir de notre formidable jeunesse. Et quoi qu’en pensent les cassandres, tout cela est à notre portée. Il est d’autre part entendu que ces grandes écoles dont les premières (au nombre de dix) ont ouvert leurs portes mais qui ne semblent pas, hélas, satisfaire les attentes des étudiants qui ont pu y accéder pour être efficaces et atteindre leur objectif qui est, faut-il le rappeler, de produire des formations d’excellence, exigent des capacités avérées de gestion non seulement pédagogiques mais aussi administratives. Ce qui, encore une fois, est de l’avis des étudiants eux-mêmes loin d’être le cas. La question que se posent les Algériens, de plus en plus nombreux à être rongés par le doute sur leurs propres capacités, est celle de savoir si nous serons capables d’atteindre les standards internationaux qu’exigent ce genre d’établissements ? On peut noter en tout cas que c’est bien dans le contexte algérien, avec un encadrement algérien, des équipes pédagogiques algériennes, des programmes d’enseignement conçus par des professeurs algériens que les hautes écoles d’ingénieurs et de technologues relevant du ministère de la Défense nationale (ENITA, Ecole supérieure de Rouiba, école de Tafraoui… pour ne citer que celles-ci), fonctionnement selon les standards internationaux et dispensent des formations de haut niveau qui n’ont rien à envier à celles assurées par les grandes écoles des pays du Nord. Pourquoi donc ce que nos militaires ont su faire ne pourrait-il pas l’être par nos gestionnaires et pédagogues «civils», bien sûr dans leur style propre.
A. B.

 

Publié dans Economie et société

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