Islam et espace public
La chronique de Youssef SEDDIK
Islam et espace public
Quand a été révélé le passage de la Sourate 24, La Lumière, qui exige quatre témoins oculaires pour établir et confirmer l’accusation d’adultère, l’Islam des commencements venait de fonder ce que nous appelons aujourd’hui l’espace public. L’élément essentiel du témoignage pour ouvrir un procès ou pour donner l’aspect juridique à un fait ou un acte ne demande pour toute autre affaire que celle-ci que deux témoins.
La raison essentielle pour que soit doublé le nombre des témoins nécessaires à la mise à nue de la vie intime de deux personnes «fautives » c’est qu’il faille séparer nettement entre un espace exclusif, intime qui ne doit être livré à la publicité que dans les circonstances exceptionnelles où le couple adultère s’est livré lui-même aux regards d’un si grand nombre de « voyeurs » ce qui équivaut au renoncement volontaire à l’abri même de ce qu’on appelle aujourd’hui l’intimité. Ce qui ne saurait être raisonnablement concevable car l’espace public, s’il est par définition celui de tous, n’appartient à personne. Tous doivent se reconnaître et donc consentir également à se livrer aux regards de tous du fait même que dans cet espace devenu public, personne ne doit s’adonner à un comportement que tel autre n’est pas censé s’y adonner à tout moment. A ce propos, les chroniques du prime Islam nous rapportent que le deuxième calife Omar a jeté en prison trois malheureux témoins qui ont promis de ramener un quatrième pour dénoncer un adultère, sans pouvoir tenir leurs promesses.
Cette avancée des règles du vivre-ensemble inscrite à même le livre fondateur de la religion islamique a des conséquences que de nombreux musulmans parmi nos contemporains semblent avoir complètement ignoré ou oublié. L’une des conséquences de cette ignorance ou de cet oubli demeure sans nul doute cette question vestimentaire qui tourmente les sociétés d’aujourd’hui. A chaque époque, sur chaque territoire délimité par une tradition spécifique le comportement vestimentaire est une affaire de groupe et c’est bien l’instance collective qui produit tel style, telle démarche ou tel rapport à la pudeur. La seule raison que la Sourate 33, Les Factions, a donné pour justifier la recommandation du Khimar ( couvre-chef féminin dont personne ne peut exactement établir la forme et la coupe exactes ) est qu’il permet « de distinguer les femmes honorables afin qu’elles ne soient victimes de nuisance ». Dans la même sourate, il est proposé aux femmes de la Demeure, Ahel al-bait, si elles préfèrent ne pas du tout courir les risques de l’immersion dans l’espace public de demeurer cloîtrées chez elles ( Waqirna fî buyûtikunna… ).
Avec la bataille du Niqab et des burqa, une contradiction est de nos jours érigée en un impératif de piété. Aucun texte-satellite du Coran, ni le Coran lui-même d’ailleurs, ne mentionne ni ne signale le niqab, pour une raison déjà inhérente à ce que nous voulons établir quant à la cohérence des textes fondateurs de la religion islamique. Car une femme ne peut prendre le risque de travailler, s’instruire, commercer avec les autres citadins, prendre parfois le commandement d’une armée comme l’a fait Aïcha l’épouse du Prophète sans se soumettre à la règle première qui donne à tout espace public son sens : la reconnaissance de tous et de toutes par tous les vis-à-vis de l’échange.
Cette ignorance et cet oubli de la première victoire de la foi islamique sur les espaces de la bédouinité et de la Jahiliya étendent leur ravage sur plein d’autres domaines, sur l’urbanisme par exemple et la vie citadine. La cité est devenue une nébuleuse de bruits et de fureurs où le religieux n’a plus sa majestueuse singularité et son sétus visible ou sonore ; il s’inscrit partout, dans le bavardage quotidien, dans les kiosques à tabac, dans les cafés et même les bars… Et, le comble, c’est de voir tel faux dévot bien campé sur son divan à regarder et écouter à la télé le serment de Vendredi alors qu’une sourate entière, le Vendredi ( al Jumâa) précisément, recommande « d’abandonner le négoce quand il est appelé à ce rite », et qu’un célèbre Hadith considère le moindre divertissement ( toucher un cailloux, par exemple) comme ce qui peut annuler la conformité à ce devoir religieux.
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