Interview de Mourad PREURE à Samira Imadalou – La Tribune.: «Il faut tout remettre à plat et réévaluer la menace»
Hier 29 janvier 2013, 21:14:18
Hier 29 janvier 2013, 21:10:24 | mouradpreure
Alger 28 Janvier 2013
http://www.latribune-online.com/suplements/economiesup/77902.html
Quelle place pour le champs gazier de Tiguentourine de manière particulière et de In Amenas globalement en terme de production? Qu’en est-il des répercussions directs sur les exportations sur les du pétrole et du gaz ?
Les champs de cette région produisent 9 milliards de m3 (Gm3) sur une production totale de notre pays de 85 Gm3 et une exportation de 55 Gm3. En outre, les champs du sud-est contiennent du gaz humide riche en GPL et condensats. Cela représente 10% de notre production et 18% de nos exportations de gaz. La valeur marchande de la production de cette région est aux alentours de 3 milliards de dollars. Nous ne sommes bien heureusement pas dans une situation où la production nationale est amputée de l’apport de cette région, loin s’en faut. Mais si c’était le cas cela serait difficile pour nous car notre offre gazière est à un niveau critique par rapport à nos engagements contractuels et surtout à la nécessité de disposer de volumes pour défendre nos parts de marché en Europe où nous subissons une violente pression concurrentielle de la part de nouveaux entrants aux dents longues comme le Qatar. Il nous faut disposer de volumes pour nous battre et tout accident grave nous mettrait en difficulté.
Quelles leçons tirer de l’attaque de In Amenas concernant la sécurité des sites gaziers et pétroliers?
Je pense qu’il ne faut pas paniquer. Nous avons une grande expérience et nous faisons référence en la matière. Pensez-vous qu’il était facile de sécuriser durant la décennie noire les sites pétroliers, la raffinerie de Sidi Arcine dans le piémont algérois, au cœur du fameux triangle de la mort, ou encore le CNDG, le centre national de dispatching du gaz de Hassi Rmel, par où transite tout le gaz naturel exporté, ou encore 14 000 km de pipelines reliant nos gisements du Sahara aux zones industrielles du nord et aux gazoducs transcontinentaux acheminant notre gaz vers les marchés consommateurs européens ? Sonatrach et les services de sécurité algériens ont acquis une expérience et une expertise qui font école. La grave crise que nous venons de vivre montre que l’on a sous-évalué la menace. En effet ce paramètre détermine les dispositifs et les moyens mis en place pour sanctuariser les sites de production et d’hébergement ainsi que les déplacements de personnels et d’équipements.
Quelles solutions préconisez-vous dans ce cadre ?
Je pense que les responsables de Sonatrach et des services de sécurité sont en train de réévaluer la menace et les risques encourus en matière d’intrusion dans les sites, d’attaques de convois, etc. Ils sont parfaitement en mesure de les contrer efficacement. Nous l’avons déjà fait avec succès. Cela représente un coût tout au plus. Les primes d’assurances vont s’envoler ainsi que les coûts de la sécurité. Mais la vie humaine n’a pas de prix et la valeur de la production compense largement ces surcoûts. La première des préconisations que l’on peut faire est que la privatisation de la sécurité à l’intérieur des sites pratiquée une décennie durant présente de sévères limites. Autant pour les sites de Sonatrach que ceux gérés par nos partenaires étrangers, les services de sécurité doivent participer au moins au niveau de l’ingénierie et de l’audit permanent des systèmes et procédures de sécurité autres que techniques. Il s’agit d’une question centrale de souveraineté. Ils le font déjà en matière d’habilitation des personnels de sécurité, ils doivent le faire de manière plus approfondie sur certains personnels qui peuvent fournir des informations aux groupes terroristes comme ce chauffeur nigérien membre du commando. Mais je n’ai aucun doute sur la grande compétence de Sonatrach et de nos services de sécurité en la matière. Je pense qu’il faut faire confiance, et je m’adresse aussi à nos partenaires étrangers. Il faut faire confiance
Le ministre de l’énergie a assuré que les compagnies étrangères ne comptent pas quitter l’Algérie définitivement. C’est le cas. Mais en attendant, certaines compagnies ont arrêté jusqu’à nouvel ordre leurs projets en Algérie et ont évacué leurs ressortissants. Quel serait l’impact sur l’économie nationale si cet arrêt se prolonge?
Il y a un effet de souffle après la grave crise que nous avons vécue. Il est normal que les compagnies prennent immédiatement des mesures qu’on peut appeler des mesures urgentes de crise. Cela a pour but de prévenir d’autres menaces et surtout de traiter le traumatisme psychologique consécutif à la crise, de communiquer pour rassurer le personnel, leurs familles et prendre date devant l’opinion publique. Des compagnies annoncent déjà des réductions d’effectifs expatriés dans les sites du sud, des déplacements de personnels du sud vers Alger. Mais il faut bien comprendre que ce sont des professionnels habitués à traiter le risque. Nous sommes dans une phase d’évaluation et de redéploiement des systèmes de sécurité. Les compagnies ont d’importants intérêts en Algérie et sont d’autre part en mesure de s’adapter aux nouvelles conditions. Elles font aussi confiance dans les capacités de Sonatrach et des services de sécurité pour traiter ce genre de menaces. Pour toutes ces raisons je ne pense pas qu’une telle situation est vouée à se prolonger. Quant à son impact sur l’économie nationale il est important, et nous n’avions pas besoin de cela. Il y a une perte, un manque à gagner comme je l’ai dit. Il y aura une hausse des coûts pour les projets existants. Les compagnies peuvent invoquer la clause de force majeure dans les contrats pour réévaluer un certain nombre de dépenses, voire allonger des délais. Des nouveaux projets peuvent être pénalisés, particulièrement des petits projets dont la rentabilité est limite. D’autre part les procédures de sécurité peuvent alourdir l’activité. Je pense qu’il faut communiquer intensément pour rassurer et éviter le catastrophisme car c’est de l’intérêt national qu’il s’agit. Tout le monde doit se mobiliser, les premiers concernés mais aussi la presse pour défendre l’image de l’Algérie qui reste un pays sûr, d’abord au niveau de ses institutions, de ses lois et règlements, ensuite au niveau du professionnalisme de Sonatrach et de la grande compétence, on l’a vu de l’ANP et des services de sécurité. Nous n’avons pas eu d’interruption d’approvisionnements tout au long de la tragédie qui a duré plus qu’une décennie. En Libye au bout d’un mois de crise les approvisionnements gaziers ont été interrompus. En Russie en janvier 2010 ils l’ont été durant 13 jours pour le marché européen du fait de la crise ukrainienne, et c’était l’hiver !
N’est-il pas aussi nécessaire de revoir les conditions de sous-traitance dans le volet restauration, transport et sécurité dans les sites gaziers et pétroliers?
Je pense qu’il faut tout remettre à plat, réévaluer la menace et considérer, comme je l’ai dit plus haut, toutes les questions liées à la gestion des sites de production et d’hébergement sous l’angle de la sécurité en considérant hautement probable le risque terroriste. La sous-traitance restera nécessaire. Sonatrach doit se concentrer sur son métier de base et sous-traiter toutes les activités de soutien. Je pense qu’il y a là tout un domaine qui peut être investi par les entreprises algériennes. Pourquoi, riche d’une expérience unique en matière de sécurité durant la décennie noire, l’Algérie ne donnerait-elle pas naissance à des leaders dans la sécurité des installations pétrolières maintenant où le besoin est si fort ? De même, le catering, la gestion et l’entretien des bases de vie peuvent être une source de richesse et d’emplois. Des entreprises peuvent naitre au sud de l’Algérie mais aussi au nord qui pourront demain intervenir en international. C’est aussi cela l’effet d’entrainement que l’on doit attendre de Sonatrach.
Ne pensez-vous pas qu’il y aurait des conséquences sur d’autres secteurs, sur les IDE en Algérie ?
Je le redis, il faut communiquer tous azimuts car l’image de l’Algérie a été fortement altérée par ces tristes évènements. Communiquer c’est aussi réaliser. Il faut que les nouvelles procédures, plus rigoureuses en matière de sécurité, fassent l’objet d’une publicité, pour rassurer et créer un effet de contre-feu qui va estomper l’image formée par le fort impact médiatique de l’évènement. La presse doit aussi jouer son rôle. Souvenez-vous du traitement par la presse américaine de ce type de crise. C’est un traitement responsable, tout en étant strict en matière de déontologie. La couverture de l’évènement par de nombreux médias européens, notamment français est choquante. Choquante car manquant d’empathie concernant l’Algérie, surtout car, se basant sur des sources islamistes, elle en a été souvent le porte-voix. Pour revenir à votre question sur les IDE, faut-il rappeler que ces investissements étrangers sont quasi-insignifiants. Je pense que ce qui vient d’arriver n’arrange pas les choses. Mais les grands projets d’IDE sont toujours le fait d’acteurs ayant une réelle visibilité et qui savent apprécier le risque en fonction des gains attendus. Pas d’inquiétude donc de ce coté. Mais où sont-ils donc ces porteurs de projets, a-t-on adopté les meilleures approches pour les attirer ?
Qu’en est-il de la politique de l’emploi dans le secteur de l’énergie selon vous?
Le secteur de l’énergie emploie près de 226 000 personnes dont plus de 42 000 pour Sonatrach sans ses filiales. Je pense que les hydrocarbures doivent enclencher un cercle vertueux pour nos compatriotes du sud algérien avec des emplois, mais aussi la création d’entreprises, le développement des universités. C’est un véritable chantier stratégique pour notre pays. Il faut le mener dans un esprit visionnaire, avec un sens élevé de l’éthique et surtout de manière résolue.
La loi sur les hydrocarbures accorde de nombreux avantages aux entreprises étrangères. Qu’en pensez-vous d’autant que la loi a été adoptée dans cette conjoncture particulière?
Il faut replacer la nouvelle loi dans le contexte d’une profonde restructuration de l’industrie pétrolière et gazière internationale à laquelle l’Algérie doit s’adapter. Nous sommes aujourd’hui attaqués sur nos marchés traditionnels en Europe par de puissants concurrents comme le Qatar et, bien que nos ressources gazières soient conséquentes, nous n’avons pas les volumes nécessaires pour défendre nos parts de marché et sommes à un niveau de vulnérabilité critique. La nouvelle loi doit être vue à partir de cette réalité. Pour relancer notre production il faut des investissements importants ainsi que la technologie. Nous devons pour cela relancer le partenariat et la nouvelle loi est de ce point de vue pragmatique et en mesure d’être un levier pour relancer notre amont qui en a urgemment besoin. La loi définit les ressources conventionnelles et non conventionnelles et encourage l’investissement dans ces dernières ainsi que dans l’offshore. Elle comporte aussi une fiscalité plus incitative, fondée sur la rentabilité des investissements, plus flexible et souple, prenant en compte notamment les petits gisements. Elle va rassurer les compagnies pétrolières et attirer les investissements à condition que, bien entendu, la communication suive car notre domaine minier est prospectif et notre pays un bon risque, toutes choses égales par ailleurs. Et cela, les compagnies pétrolières le savent fort bien.