Entre ordre et désordre, notre Tunisie n’ira pas au chaos

Publié le par Mahi Ahmed

 

 

Entre ordre et désordre, notre Tunisie n’ira pas au chaos

Par Lilia Rebaï * -

 

Grisée de sa liberté, notre Tunisie  risque-t-elle l’enlisement ? Le pays semble en difficulté, tiraillé entre deux tendances : maintenir une pression dans la rue pour aller au bout de la révolution et rétablir l’ordre pour pérenniser ses acquis historiques.

La première tendance pousse les Tunisiens à parachever ce qu’ils considèrent comme étant  une révolution incomplète. Ceci implique un changement radical au niveau des structures constitutionnelles, politiques et économiques du pays et exige par conséquent la remise en cause de tous les vestiges des structures d’avant le 14 janvier 2011.

 

 Cette volonté, pousse certaines franges de la société à repartir de zéro afin de redéfinir le système régissant les relations entre l’ensemble des citoyens ainsi que leurs rapports avec le reste du monde. Il s’agit, dans cette perspective de reconsidérer à la fois les relations et les rapports sociaux, politiques et économiques.

Cette voie pousse des Tunisiens à refuser toutes les formes de l’ordre établi et les conduit à des mouvements permanents de contestations (« sit in », grèves, manifestations, troubles sur les voies publiques, violences, etc.) dont les débouchés ne sont pas toujours clairs.

C’est précisément cette tendance, portée plus volontiers par la frange sociale la plus précaire, (les oubliés du « miracle économique », les étudiants, les militants des différents « partis d’opposition») qui est en première ligne. Selon les cas, à tort ou à raison, ses tenants font barrage aux propositions du gouvernement de transition, exigent sa démission, réclament la dissolution de la Constitution, de la Chambre des députés, de la Chambre des conseillers, de celle de l’ex parti au pouvoir, demandent la démission de tous les dirigeants à tous les niveaux, de toutes les structures administratives et économiques du pays.  

La seconde tendance, qui semble mue par une sorte de « réflexe de protection », pousse quant à elle, certains Tunisiens à vouloir restaurer l’ordre, pensant mieux protéger ainsi les fragiles acquis des changements issus du 14 janvier,  mais surtout certains acquis antérieurs.

Les acquis historiques du pays, matérialisés par les réalisations du peuple, suite à une accumulation de travail fourni par les générations successives de tunisiens et de tunisiennes, sont nombreux et légitiment la volonté d’une frange de la population de vouloir les protéger.

Ces acquis sont d’ordre juridique. Les Tunisiens sont dans leur ensemble profondément attachés au droit « Kanoun ». La Constitution tunisienne de 1861 a été la première du genre dans le monde arabe et celle de 1959 a été un élément fondateur de la Tunisie indépendante. Même très imparfaite, partiellement et mal appliquée, elle était supposée garantir certains droits fondamentaux (notamment la liberté d’expression et du culte ainsi que l’égalité devant la loi). Il en va de même de certaines dispositions du code du statut personnel (notamment en matière des droits de la femme) qui restent, relativement à celui des autres Etats arabes, un motif de fierté nationale.

Ces acquis sont aussi d’ordre organisationnel et socio-économique. Les institutions économiques, sociales, culturelles et administratives, malgré leurs nombreux dysfonctionnements, dus en grande partie à la nature autocratique des pouvoirs qui  se sont succédés, ont contribué à un certain développement du pays. La Tunisie s’est dotée, au cours du temps, d’un tissu socioéconomique diversifié ainsi que d’une infrastructure importante qu’il convient de renforcer et de développer. Or, face à cet objectif de développement, les mouvements révolutionnaires les plus durs sont ressentis par les partisans du retour à l’ordre, comme une menace susceptible d’handicaper lourdement l’économie tunisienne.

Préserver ces acquis, pousse une partie des Tunisiens à protéger leurs institutions et réclamer la reprise d’une activité normale, dans l’attente d’élections organisées par le gouvernement transitoire. Beaucoup d’entre eux demandent davantage une révision de la législation en vigueur qu’une nouvelle constitution.

Le résultat de la conjonction de ces deux tendances, représentées par deux courants divergents (les uns font des sit in à la Kasba en réclamant la dissolution de toutes les structures, les autres des sit in devant la maison de M. Ghanouchi ou à la Kobba en réclamant un retour à une activité « normale »), fait que la Tunisie cherche actuellement la voie pour sortir de l’impasse.

Les deux tendances, au sein de la population, ne sont pas nécessairement irréconciliables, mais il semble indispensable, pour ne pas créer de fractures irrémédiables et dommageables entre les Tunisiens, de prendre rapidement des mesures concrètes pour établir un dialogue constructif indispensable à un aboutissement vertueux de la révolution.

Comment en sortir ? L’appel à une Assemblée constituante est, par définition, le temps fort pendant lequel une démocratie définit ses règles, les conditions du « vivre ensemble » dans le respect de chacun. Quels que soient les acquis ou les aspects critiquables de la Constitution actuelle, la situation de la Tunisie nous impose de rediscuter ensemble du pacte démocratique et social. Une élection présidentielle (ou législative) n’aura ni sens ni légitimité, si elle repose sur une Constitution héritée des anciens régimes. Et sans légitimité, il est fort peu probable de voir l’ordre et la paix sociale revenir de manière durable.

Les partisans d’un retour à l’ordre- tout comme ceux appelant à la redéfinition des rapports socioéconomiques, d’ailleurs-, doivent donc non seulement militer pour une Constituante mais être partie prenante du processus, dès maintenant. De leur côté, ceux qui militent déjà (mais de manière souvent désordonnée) pour cette option doivent définir et mettre en débat les conditions qu’ils considéreraient comme acceptables. Ils doivent s’impliquer en faisant des propositions concrètes et en contrôlant les dirigeants provisoires.

Dans cette perspective, les deux débats les plus urgents sont :

• D’une part celui de définir les conditions d’un processus électoral incontestable;

• D’autre part, celui de définir les fondements sur lesquels reposera notre Assemblée constituante.

Ce deuxième débat est particulièrement important car il ne suffit pas, en effet, d’appeler à l’élection d’une Assemblée constituante. Il faut aussi s’assurer que cette Assemblée sera effectivement composée par toutes les franges de la société civile et non pas uniquement par une certaine « élite » ou par des  représentants auto-désignés d’une population qui n’a pas encore eu l’occasion de s’exprimer par les urnes.

Ses membres doivent être majoritairement élus parmi des candidats représentatifs de l’ensemble de la société civile mais également de l’ensemble des régions du territoire tunisien. Pourquoi n’envisagerait-on pas d’organiser une partie au moins des débats de l’Assemblée constituante de manière itinérante, en commençant par Sidi-Bouzid ?

Pourquoi ne pas envisager aussi, pour assurer une meilleure représentativité de la population et éviter des risques de « lobbying », qu’une certaine proportion de ses membres soit tirée au sort parmi les candidats qui se seraient présentés aux élections.

Enfin, il est primordial, pour un maximum de transparence et pour permettre une implication active de l’ensemble des citoyens, que les travaux de l’Assemblée soient publics et accessibles au public. Les moyens de communication (TV, radio, Internet), ayant d’ailleurs contribué à la réussite de la Révolution tunisienne, devraient être largement utilisés.

Ce n’est alors qu’à l’issue de ce processus que la nouvelle Constitution pourra être soumise à référendum avant la convocation de nouvelles élections dans le cadre des nouvelles institutions.

Ce processus : élections d’une Assemblée constituante représentative du peuple tunisien -travaux publics- approbation d’une nouvelle Constitution- élections selon les dispositions de la nouvelle constitution- permettrait de dépasser les clivages actuels en établissant un ordre commun nouveau que, au fond,  tous les Tunisiens souhaitent pour notre pays.

C’est dans cette perspective que nous appelons tous les Tunisiens à signer l’appel pour une Constituante impliquant tous les citoyens : http://constituante.frontlaique.org.

 

* Enseignante universitaire à l’Ecole supérieure des communications de Tunis et co-fondatrice du Front laïque pour la démocratie et les libertés

http://www.pressetunisie.net/letemps3.php

Publié dans TUNISIE Spécial

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<br /> <br /> trés chere lilia, je ne te reconnais pas, bravo pour cette reflexion.<br /> <br /> <br /> <br />
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