Economie Quel projet socio-économique pour la Tunisie après la transition ? : Ennahdha, Ettajdid et le POCT se prononcent
Economie Quel projet socio-économique pour la Tunisie après la transition ? : Ennahdha, Ettajdid et le POCT se prononcent 11/04/2011
Najeh Jaouadi
La révolution tunisienne n’était pas essentiellement une révolution politique pour la démocratie, elle était aussi une révolution économique et sociale, d’ailleurs ce sont les jeunes chômeurs qui ont déclenché la révolution. Une révolution contre la dictature et contre les inégalités socioéconomiques. Cela suppose que la cinquantaine de partis politiques récemment créés en Tunisie, devraient proposer, outre un projet politique, un projet socio-économique pour la Tunisie après transition. Le modèle économique existant depuis l’indépendance continuera-t-il à exister ou il y aura-t-il un nouveau model ? Focus
Bien que le modèle économique existant ait permis d’atteindre un taux de croissance de 5% durant les deux dernières décennies, cela n’a pas suffit pour réaliser un développement notamment micro-économique et un équilibre socio-économique. Aujourd’hui la Tunisie a fortement besoin d’une transition économique. Afin de réaliser cette transition il faudrait s’attarder sur les failles de l’ancien modèle économique pour en tirer les enseignements. Première faille celle du chômage, particulièrement celui des jeunes diplômés. En 2010, le nombre de chômeurs en Tunisie a atteint 1 demi million dont 157.000 ayant un niveau supérieur et 139.000 sont des diplômés. Par ailleurs, le déséquilibre régional en chômage est très éloquent. Les régions les plus touchées par le chômage sont celles du Sud et du Centre soit 28% à Gafsa, Tataouine et Kasserine. La moyenne nationale du taux de chômage des diplômés universitaires est estimée à 23,3%, contre 47.4% à Gafsa, 40.1% à Jendouba et 38.9% à Kasserine. Quant à la pauvreté, le taux de pauvreté au niveau national serait de 3,8%, contre 12,8% dans le Centre-Ouest et 5,5% dans Sud-Ouest de la Tunisie, ce qui représente les taux de pauvreté les plus élevés dans le pays. Notre tissu économique n’arrive plus à générer de nouveaux emplois. L’économie tunisienne se base actuellement sur quelques secteurs qui semblent les plus productifs de la valeur ajoutée, à savoir les secteurs du textile, les composants automobiles et les services. Le textile dont la Tunisie dispose d’une tradition de plus de quarante ans, est aujourd’hui incapable d’être compétitif notamment devant le marché asiatique dont le coût de production est plus faible. Le secteur demeure en majorité de soutraitance et incapable de basculer vers le produit fini ou la cotraitance à forte valeur ajoutée. Le secteur des services notamment, le tourisme, est en double crise. Souffrant de manque d’innovation, le tourisme a pris un grand choc suite à la révolution. Comment peut-il passer vers un tourisme de haut de gamme, basé sur des arguments autre que le soleil et la plage ? Quant au système financier, il est dominé par un secteur bancaire caractérisé par une faible concurrence et une incertitude sur le recouvrement des créances. Nous savons aujourd’hui que 30% des crédits étaient des créances douteuses et que la famille du président s’est accaparée, par exemple 5% du montant global des crédits. Ce qui nous mène à la corruption qui a empêché notre économie de fonctionner à pleine vitesse. La Tunisie a parié depuis longtemps sur l’investissement étranger direct. Mais cette politique a prouvé son incapacité à développer l’économie tunisienne en micro-économique. En effet ces IDE ont favorisé les inégalités sociales et c’est ce qui explique les manifestations, les grèves et les sit-in des employés qui réclament aujourd’hui une justice sociale. Selon les chiffres de 1999, 87% du capital des sociétés privées en Tunisie revient au capital étranger. Devrons-nous renégocier l’implantation de ces IDE en Tunisie?
Mahmoud Ben Romdhane du parti Attajdid
Le modèle économique tunisien était très injuste vis-à-vis d’une grande partie de la Tunisie en particulier la Tunisie intérieure. Un système qui nous a légué un taux de chômage élevé et augmentera encore plus quelles que soient les politiques que nous allons prendre. Une structure économique dominée par des emplois faiblement ou moyennement qualifiés alors que notre système éducatif produit pour l’essentiel des diplômés de l’enseignement supérieur. C’est un système autoritaire et descendant alors que nous avons consacré d’énormes ressources à l’éducation et l’enseignement. D’ailleurs la Tunisie n’a plus de recherche scientifique à part la recherche dans les sciences médicales et biologiques qui n’a aucune relation avec le monde de l’entreprise. Nous avons certes des exportations mais à très faible valeur ajoutée parce que l’Etat depuis plus de 20 ans n’est plus un Etat stratège mais plutôt soumis à l’ordre des choses dont la fonction essentielle est de maintenir les grands équilibres macro-financiers sans se préoccuper de changer le système économique. Un système en voie d’épuisement bien que la croissance ait atteint les 5%. Nous avons perdu le leadership que nous avions il y a une dizaine d’années et nous sommes très loin derrière le Maroc ou l’Egypte ou même la Jordanie. L’investissement actuellement est en crise en raison de l’absence de confiance des investisseurs. Le programme que le parti Attajdid propose est de refaire la Tunisie. Il n’est plus question d’un modèle économique et social conçu uniquement par l’Etat. Si nous avons une chance de surmonter les difficultés dans lesquelles nous nous trouvons aujourd’hui c’est en collaboration avec toute la partie civile et des syndicats. Il faut qu’il y ait partout des comités d’usagers qui expriment leurs revendications. Première action à faire c’est de répondre aux exigences qui ont fait la révolution.
Le programme d’Attajdid :
un taux de croissance de 10% On continuera à privatiser mais en redonnant en même temps à l’Etat son rôle développementaliste. En effet il n’y a pas d’incompatibilité entre une économie de marché et un Etat stratège. Ce qu’il faut c’est que l’un n’agisse pas contre l’autre. L’Etat a un rôle déterminant dans le développement d’un secteur privé dynamique. Un secteur privé qui est laissé à l’abandon pour l’Etat n’a pas de chance de se développer et c’est la leçon que nous tirons des expériences historiques.
Secteur privé, monde de la recherche et administrations doivent chercher les investissements stratégiques dans des secteurs d’importance cruciale. Il y a trente ans les cimenteries étaient un secteur stratégique pour la Tunisie. Aux années 70 l’Etat détenait le monopole de cette industrie, aujourd’hui on a plus besoin que l’Etat soit l’acteur fondamental sur ce secteur. Par contre il y a des secteurs dont l’Etat doit avoir une présence forte à savoir l’industrie manufacturière qui doit avoir une remontée technologique. Pour gagner de la valeur ajoutée, par exemple, l’industrie manufacturière exige des capitaux importants, des infrastructures, un savoir faire et une concentration d’ordre scientifique et technologique que le secteur privé ne peut assurer et que seul l’Etat est capable de rassembler tous ces éléments. C’est en ce moment que les secteurs stratégiques peuvent atteindre des vitesses de croisière et être compétitifs sur le marché international. Et ce n’est qu’à ce moment que l’Etat peut se retirer et entamer un autre chantier. Selon Attajdid il ne peut pas y avoir de secteurs privés dynamiques sans l’intervention de l’Etat. Il faut développer le secteur privé car c’est lui le fer de lance de toute économie et créateur d’emploi et c’est sur lui que toute économie moderne dynamique repose mais il doit être adossé à un Etat fort et stratège. La Tunisie est un pays low cost malgré qu’elle soit riche sur le plan naturel et en biodiversité, sur le plan archéologique et culturel. Et tout ce qu’on peut offrir c’est le soleil et la plage. Il faut que nous réfléchissions à améliorer le niveau de notre tourisme en particulier dans les régions intérieures. Sur ce secteur il y a aussi une matière de profonde réforme et on a des gains considérables en matière de diversification et de remontée en termes de valeur ajoutée. L’investissement étranger aujourd’hui n’est pas la source d’un progrès en valeur ajoutée et en matière technologique. Un IDE basé sur des entreprises off shore qui importent les matières premières et les exportent une fois transformées. Il n’y a pas une relation étroite avec le tissu économique tunisien et ces IDE sont devenus des enclaves. Il faut revoir la stratégie des IDE en Tunisie pour qu’on puisse gagner plus en remontée technologique. Par ailleurs il ne peut pas y avoir d’économie séparée du développement social. Nous soutenons une économie de marché mais une économie sociale du marché. Donc le développement régional est un immense programme, certes très couteux mais sans lequel il ne peut pas y avoir de paix sociale en Tunisie. L’emploi est un immense chantier ou plusieurs secteurs doivent être mis à niveau à savoir l’éducation, l’enseignement, la santé et cela va générer des emplois sur le privé et le public. Il faut par ailleurs qu’il soit un traitement social du chômage en accordant aux chômeurs un revenu minimal d’insertion. Il va falloir élaborer rapidement un schéma national d’aménagement du territoire pour mettre en exergue la reconfiguration de la Tunisie. Il est indispensable de développer un secteur que nous avons toujours ignoré parce qu’il faisait peur au pouvoir, c’est celui de l’économie sociale et solidaire ce qu’on appelle le tiers secteur plus exactement les associations les coopératives les mutuelles. Ce secteur doit fusionner dans la Tunisie démocratique. Notre projet économique et social est de court et moyen termes. Nous n’allons pas vous promettre que nous allons mettre fin définitivement au chômage. Nous sommes capables dans un délai raisonnable de reprendre un taux de croissance très rapide. Dès que nous entrons en démocratie et qu’on a maitrisé la transition nous pensons que nous allons être immédiatement attractifs pour l’investissement national. L’investissement privé domestique qui est aujourd’hui à 11%, connaitra un bond fulgurant soit plus de 20%. Une fois cette dynamique enclenchée nous aurons un taux de croissance qui avoisinera les 10%.
Hamma Hammami, le POCT
Notre économie actuelle de la Tunisie est colonisée, car disait-il les Tunisiens sont aujourd’hui victimes de la dépendance par rapport au capital étranger. Les 3.000 entreprises étrangères travaillant en Tunisie, pillent nos richesses, exploitent nos travailleurs et rapatrient les profils qu’elles ramassent. Quant à la dette extérieure, elle a été multipliée par plus de cinq fois et actuellement la Tunisie emprunte pour payer ces dettes et non pour investir dans les secteurs productifs. Les choix économiques de l’ancien régime ont accentué les disparités régionales trois quarts des investissements ont été réalisés dans les zones côtières.
Aujourd’hui les secteurs productifs sont en net recul, et ce en faveur du secteur des services. Or une économie qui se base sur les services est une économie qui ne crée pas de richesse et par conséquent d’emplois sans oublier le pourrissement du milieu des affaires principalement dans le secteur bancaire et fiscal. En fait l’économie tunisienne était basée sur un accord tacite entre une minorité locale, familiale et de grandes sociétés étrangères qui spoliaient les pays et usaient et abusaient d’une main d’œuvre aux salaires dérisoires. Ce qui a constitué la plus grande catastrophe pour le pays. Ces dérives économiques instaurées par la dictature ont mené à l’accroissement de la disparité entre les plus pauvres et les riches. 10% de la population la plus nantie s’accapare de 33% de la richesse alors que 10% de la population la plus pauvre ne récolte que 3,2%. D’un autre côté le chômage a augmenté. Selon les spécialistes le taux de chômage a atteint les 25%. Si on ajoute les emplois précaires, ce taux grimperait à 43%. On remarque une augmentation des maladies sociales et psychologiques ainsi que la propagation de l’alcoolisme de la dépendance à la drogue et du proxénétisme et ce dans tous les milieux sociaux.
Programme économique et social du POCT pour la Tunisie de demain : changer complètement l’ancien système
L’indépendance du pays de toute tutelle du capital étranger. Cela ne veut pas dire le repli sur soi, mais nous préconisons que tout investissement étranger doit être fait uniquement pour le développement réel du pays et dans le cadre d’une stratégie nationale et populaire globale.
- Il faut satisfaire les besoins matériels et moraux du peuple à savoir le droit au travail, l’accès à la santé, une éducation publique équitable, un transport efficace un habitat décent et un écosystème sain.
- La nationalisation des intérêts étrangers à caractère hégémoniste et colonialiste.
- L’abolition de tous les accords et conventions qui nous imposent la dépendance.
Ces accords avaient été conclus sans consultation du peuple tunisien, il faut renégocier l’accord de partenariat avec l’UE.
- L’effacement de la dette extérieure contractée par le dictateur au détriment de nos intérêts nationaux et l’élimination de la dette des petits agriculteurs.
- La nationalisation des secteurs stratégiques afin de constituer un noyau dur de l’économie nationale. Ces secteurs seront gérés démocratiquement par leurs employés.
- Faire valoir, dans le secteur privé, les exigences du développement national et les besoins du peuple. La priorité privée doit être au service de la société.
- Donner la priorité dans les investissements aux secteurs productifs (agriculture et industrie) et à la protection de la production nationale.
- Accorder à la recherche scientifique et technologique une place importante dans le processus du développement.
- Mise en place d’un nouvel ordre fiscal juste et instauration du principe de l’impôt progressif sur les biens et revenus.
Ajmi Lourimi, Annahdha
A la fin des années 70, la Tunisie a entrepris des expériences économiques qui n’ont fait que creuser la faille entre la société et l’Etat. En effet la politique économique libérale de la Tunisie était bénéfique pour les investissements étrangers mais par contre a fortement pénalisé la société tunisienne. La soumission sans limites de notre économie aux instructions du Fonds Monétaire International (FMI) n’a fait qu’aggraver la dépendance de notre économie. Parallèlement à cette économie libérale, une réforme politique et une liberté d’expression n’ont pas suivi. A la fin du régime de Bourguiba, la Tunisie était au bord de la faillite. Le régime de Ben Ali quant à lui a entamé des projets de réformes économiques qui n’ont fait que doubler la fragilité de l’économie nationale. Le régime de Ben Ali notamment la privatisation agressive a frappé l’économie tunisienne de plein fouet. Par ailleurs l’UGTT a perdu son rôle de catalyseur socio-économique, l’opposition est très faible et la société civile est silencieuse, ce qui a permis à quelques familles proches du pouvoir de piller et spolier nos richesses. Toutes ces pratiques ont favorisé la disparité entre les régions du pays, l’augmentation massive du chômage notamment les diplômés du supérieur.
Programme d’Annahdha : encourager l’investissement arabe
Il faut absolument une révision globale du système du développement. L’Etat doit rééquilibrer l’économie et améliorer le climat de l’investissement tout en garantissant une complémentarité entre la dimension économique et la dimension sociale. Il faut tout de même commencer par les réformes politiques. Une politique qui encourage l’investissement étranger du Monde arabe notamment celui des pays du Golfe. La coopération économique tunisienne doit s’élargir au delà de l’UE et de la France et s’intéresser aux pays riverains à savoir la Libye et l’Algérie. S’ouvrir également au marché africain. Il faut aussi encourager l’investissement national privé notamment dans les régions intérieures du pays. Il faut reformer le secteur de la recherche scientifique afin de monter en technologie nos secteurs productifs. Faire participer les forces sociales à savoir l’UGTT et la société civile dans la création des politiques du développement de notre pays et ouvrir un dialogue pour relever les défis afin de regagner la confiance du Tunisien. Les priorités du mouvement Annahdha est l’emploi des jeunes chômeurs et le développement régional. Ces priorités ne sont pas uniquement l’apanage de l’Etat mais aussi des forces nationales et de la société civile. Ce qui est sûr que nous n’allons pas partir à zéro, nous avons déjà une structure qui nécessite une révision. Nous allons accorder plus d’intérêt au secteur de l’agriculture. Par ailleurs le secteur du tourisme doit se diriger vers de nouveaux marchés qui prennent en considération les particularités culturelles et religieuses de la Tunisie tel que le marché arabe et notamment celui des pays du Golfe. Le secteur des TICs est un secteur stratégique pour la Tunisie qu’il faut aussi développer. Nous sommes en train d’élaborer un programme socio-économique détaillé qui sera publié prochainement.
Najeh Jaouadi
La révolution tunisienne n’était pas essentiellement une révolution politique pour la démocratie, elle était aussi une révolution économique et sociale, d’ailleurs ce sont les jeunes chômeurs qui ont déclenché la révolution. Une révolution contre la dictature et contre les inégalités socioéconomiques. Cela suppose que la cinquantaine de partis politiques récemment créés en Tunisie, devraient proposer, outre un projet politique, un projet socio-économique pour la Tunisie après transition. Le modèle économique existant depuis l’indépendance continuera-t-il à exister ou il y aura-t-il un nouveau model ? Focus
Bien que le modèle économique existant ait permis d’atteindre un taux de croissance de 5% durant les deux dernières décennies, cela n’a pas suffit pour réaliser un développement notamment micro-économique et un équilibre socio-économique. Aujourd’hui la Tunisie a fortement besoin d’une transition économique. Afin de réaliser cette transition il faudrait s’attarder sur les failles de l’ancien modèle économique pour en tirer les enseignements. Première faille celle du chômage, particulièrement celui des jeunes diplômés. En 2010, le nombre de chômeurs en Tunisie a atteint 1 demi million dont 157.000 ayant un niveau supérieur et 139.000 sont des diplômés. Par ailleurs, le déséquilibre régional en chômage est très éloquent. Les régions les plus touchées par le chômage sont celles du Sud et du Centre soit 28% à Gafsa, Tataouine et Kasserine. La moyenne nationale du taux de chômage des diplômés universitaires est estimée à 23,3%, contre 47.4% à Gafsa, 40.1% à Jendouba et 38.9% à Kasserine. Quant à la pauvreté, le taux de pauvreté au niveau national serait de 3,8%, contre 12,8% dans le Centre-Ouest et 5,5% dans Sud-Ouest de la Tunisie, ce qui représente les taux de pauvreté les plus élevés dans le pays. Notre tissu économique n’arrive plus à générer de nouveaux emplois. L’économie tunisienne se base actuellement sur quelques secteurs qui semblent les plus productifs de la valeur ajoutée, à savoir les secteurs du textile, les composants automobiles et les services. Le textile dont la Tunisie dispose d’une tradition de plus de quarante ans, est aujourd’hui incapable d’être compétitif notamment devant le marché asiatique dont le coût de production est plus faible. Le secteur demeure en majorité de soutraitance et incapable de basculer vers le produit fini ou la cotraitance à forte valeur ajoutée. Le secteur des services notamment, le tourisme, est en double crise.
de manque d’innovation, le tourisme a pris un grand choc suite à la révolution. Comment peut-il passer vers un tourisme de haut de gamme, basé sur des arguments autre que le soleil et la plage ? Quant au système financier, il est dominé par un secteur bancaire caractérisé par une faible concurrence et une incertitude sur le recouvrement des créances. Nous savons aujourd’hui que 30% des crédits étaient des créances douteuses et que la famille du président s’est accaparée, par exemple 5% du montant global des crédits. Ce qui nous mène à la corruption qui a empêché notre économie de fonctionner à pleine vitesse. La Tunisie a parié depuis longtemps sur l’investissement étranger direct. Mais cette politique a prouvé son incapacité à développer l’économie tunisienne en micro-économique. En effet ces IDE ont favorisé les inégalités sociales et c’est ce qui explique les manifestations, les grèves et les sit-in des employés qui réclament aujourd’hui une justice sociale. Selon les chiffres de 1999, 87% du capital des sociétés privées en Tunisie revient au capital étranger. Devrons-nous renégocier l’implantation de ces IDE en Tunisie?
Mahmoud Ben Romdhane du parti Attajdid
Le modèle économique tunisien était très injuste vis-à-vis d’une grande partie de la Tunisie en particulier la Tunisie intérieure. Un système qui nous a légué un taux de chômage élevé et augmentera encore plus quelles que soient les politiques que nous allons prendre. Une structure économique dominée par des emplois faiblement ou moyennement qualifiés alors que notre système éducatif produit pour l’essentiel des diplômés de l’enseignement supérieur. C’est un système autoritaire et descendant alors que nous avons consacré d’énormes ressources à l’éducation et l’enseignement. D’ailleurs la Tunisie n’a plus de recherche scientifique à part la recherche dans les sciences médicales et biologiques qui n’a aucune relation avec le monde de l’entreprise. Nous avons certes des exportations mais à très faible valeur ajoutée parce que l’Etat depuis plus de 20 ans n’est plus un Etat stratège mais plutôt soumis à l’ordre des choses dont la fonction essentielle est de maintenir les grands équilibres macro-financiers sans se préoccuper de changer le système économique. Un système en voie d’épuisement bien que la croissance ait atteint les 5%. Nous avons perdu le leadership que nous avions il y a une dizaine d’années et nous sommes très loin derrière le Maroc ou l’Egypte ou même la Jordanie. L’investissement actuellement est en crise en raison de l’absence de confiance des investisseurs. Le programme que le parti Attajdid propose est de refaire la Tunisie. Il n’est plus question d’un modèle économique et social conçu uniquement par l’Etat. Si nous avons une chance de surmonter les difficultés dans lesquelles nous nous trouvons aujourd’hui c’est en collaboration avec toute la partie civile et des syndicats. Il faut qu’il y ait partout des comités d’usagers qui expriment leurs revendications. Première action à faire c’est de répondre aux exigences qui ont fait la révolution.
Le programme d’Attajdid :
un taux de croissance de 10% On continuera à privatiser mais en redonnant en même temps à l’Etat son rôle développementaliste. En effet il n’y a pas d’incompatibilité entre une économie de marché et un Etat stratège. Ce qu’il faut c’est que l’un n’agisse pas contre l’autre. L’Etat a un rôle déterminant dans le développement d’un secteur privé dynamique. Un secteur privé qui est laissé à l’abandon pour l’Etat n’a pas de chance de se développer et c’est la leçon que nous tirons des expériences historiques.
Secteur privé, monde de la recherche et administrations doivent chercher les investissements stratégiques dans des secteurs d’importance cruciale. Il y a trente ans les cimenteries étaient un secteur stratégique pour la Tunisie. Aux années 70 l’Etat détenait le monopole de cette industrie, aujourd’hui on a plus besoin que l’Etat soit l’acteur fondamental sur ce secteur. Par contre il y a des secteurs dont l’Etat doit avoir une présence forte à savoir l’industrie manufacturière qui doit avoir une remontée technologique. Pour gagner de la valeur ajoutée, par exemple, l’industrie manufacturière exige des capitaux importants, des infrastructures, un savoir faire et une concentration d’ordre scientifique et technologique que le secteur privé ne peut assurer et que seul l’Etat est capable de rassembler tous ces éléments. C’est en ce moment que les secteurs stratégiques peuvent atteindre des vitesses de croisière et être compétitifs sur le marché international. Et ce n’est qu’à ce moment que l’Etat peut se retirer et entamer un autre chantier. Selon Attajdid il ne peut pas y avoir de secteurs privés dynamiques sans l’intervention de l’Etat. Il faut développer le secteur privé car c’est lui le fer de lance de toute économie et créateur d’emploi et c’est sur lui que toute économie moderne dynamique repose mais il doit être adossé à un Etat fort et stratège. La Tunisie est un pays low cost malgré qu’elle soit riche sur le plan naturel et en biodiversité, sur le plan archéologique et culturel. Et tout ce qu’on peut offrir c’est le soleil et la plage. Il faut que nous réfléchissions à améliorer le niveau de notre tourisme en particulier dans les régions intérieures. Sur ce secteur il y a aussi une matière de profonde réforme et on a des gains considérables en matière de diversification et de remontée en termes de valeur ajoutée. L’investissement étranger aujourd’hui n’est pas la source d’un progrès en valeur ajoutée et en matière technologique. Un IDE basé sur des entreprises off shore qui importent les matières premières et les exportent une fois transformées. Il n’y a pas une relation étroite avec le tissu économique tunisien et ces IDE sont devenus des enclaves. Il faut revoir la stratégie des IDE en Tunisie pour qu’on puisse gagner plus en remontée technologique. Par ailleurs il ne peut pas y avoir d’économie séparée du développement social. Nous soutenons une économie de marché mais une économie sociale du marché. Donc le développement régional est un immense programme, certes très couteux mais sans lequel il ne peut pas y avoir de paix sociale en Tunisie. L’emploi est un immense chantier ou plusieurs secteurs doivent être mis à niveau à savoir l’éducation, l’enseignement, la santé et cela va générer des emplois sur le privé et le public. Il faut par ailleurs qu’il soit un traitement social du chômage en accordant aux chômeurs un revenu minimal d’insertion. Il va falloir élaborer rapidement un schéma national d’aménagement du territoire pour mettre en exergue la reconfiguration de la Tunisie. Il est indispensable de développer un secteur que nous avons toujours ignoré parce qu’il faisait peur au pouvoir, c’est celui de l’économie sociale et solidaire ce qu’on appelle le tiers secteur plus exactement les associations les coopératives les mutuelles. Ce secteur doit fusionner dans la Tunisie démocratique. Notre projet économique et social est de court et moyen termes. Nous n’allons pas vous promettre que nous allons mettre fin définitivement au chômage. Nous sommes capables dans un délai raisonnable de reprendre un taux de croissance très rapide. Dès que nous entrons en démocratie et qu’on a maitrisé la transition nous pensons que nous allons être immédiatement attractifs pour l’investissement national. L’investissement privé domestique qui est aujourd’hui à 11%, connaitra un bond
fulgurant soit plus de 20%. Une fois cette dynamique enclenchée nous aurons un taux de croissance qui avoisinera les 10%.
Hamma Hammami, le POCT
Notre économie actuelle de la Tunisie est colonisée, car disait-il les Tunisiens sont aujourd’hui victimes de la dépendance par rapport au capital étranger. Les 3.000 entreprises étrangères travaillant en Tunisie, pillent nos richesses, exploitent nos travailleurs et rapatrient les profils qu’elles ramassent. Quant à la dette extérieure, elle a été multipliée par plus de cinq fois et actuellement la Tunisie emprunte pour payer ces dettes et non pour investir dans les secteurs productifs. Les choix économiques de l’ancien régime ont accentué les disparités régionales trois quarts des investissements ont été réalisés dans les zones côtières.
Aujourd’hui les secteurs productifs sont en net recul, et ce en faveur du secteur des services. Or une économie qui se base sur les services est une économie qui ne crée pas de richesse et par conséquent d’emplois sans oublier le pourrissement du milieu des affaires principalement dans le secteur bancaire et fiscal. En fait l’économie tunisienne était basée sur un accord tacite entre une minorité locale, familiale et de grandes sociétés étrangères qui spoliaient les pays et usaient et abusaient d’une main d’œuvre aux salaires dérisoires. Ce qui a constitué la plus grande catastrophe pour le pays. Ces dérives économiques instaurées par la dictature ont mené à l’accroissement de la disparité entre les plus pauvres et les riches. 10% de la population la plus nantie s’accapare de 33% de la richesse alors que 10% de la population la plus pauvre ne récolte que 3,2%. D’un autre côté le chômage a augmenté. Selon les spécialistes le taux de chômage a atteint les 25%. Si on ajoute les emplois précaires, ce taux grimperait à 43%. On remarque une augmentation des maladies sociales et psychologiques ainsi que la propagation de l’alcoolisme de la dépendance à la drogue et du proxénétisme et ce dans tous les milieux sociaux.
Programme économique et social du POCT pour la Tunisie de demain : changer complètement l’ancien système
L’indépendance du pays de toute tutelle du capital étranger. Cela ne veut pas dire le repli sur soi, mais nous préconisons que tout investissement étranger doit être fait uniquement pour le développement réel du pays et dans le cadre d’une stratégie nationale et populaire globale.
- Il faut satisfaire les besoins matériels et moraux du peuple à savoir le droit au travail, l’accès à la santé, une éducation publique équitable, un transport efficace un habitat décent et un écosystème sain.
- La nationalisation des intérêts étrangers à caractère hégémoniste et colonialiste.
- L’abolition de tous les accords et conventions qui nous imposent la dépendance.
Ces accords avaient été conclus sans consultation du peuple tunisien, il faut renégocier l’accord de partenariat avec l’UE.
- L’effacement de la dette extérieure contractée par le dictateur au détriment de nos intérêts nationaux et l’élimination de la dette des petits agriculteurs.
- La nationalisation des secteurs stratégiques afin de constituer un noyau dur de l’économie nationale. Ces secteurs seront gérés démocratiquement par leurs employés.
- Faire valoir, dans le secteur privé, les exigences du développement national et les besoins du peuple. La priorité privée doit être au service de la société.
- Donner la priorité dans les investissements aux secteurs productifs (agriculture et industrie) et à la protection de la production nationale.
- Accorder à la recherche scientifique et technologique une place importante dans le processus du développement.
- Mise en place d’un nouvel ordre fiscal juste et instauration du principe de l’impôt progressif sur les biens et revenus.
Ajmi Lourimi, Annahdha
A la fin des années 70, la Tunisie a entrepris des expériences économiques qui n’ont fait que creuser la faille entre la société et l’Etat. En effet la politique économique libérale de la Tunisie était bénéfique pour les investissements étrangers mais par contre a fortement pénalisé la société tunisienne. La soumission sans limites de notre économie aux instructions du Fonds Monétaire International (FMI) n’a fait qu’aggraver la dépendance de notre économie. Parallèlement à cette économie libérale, une réforme politique et une liberté d’expression n’ont pas suivi. A la fin du régime de Bourguiba, la Tunisie était au bord de la faillite. Le régime de Ben Ali quant à lui a entamé des projets de réformes économiques qui n’ont fait que doubler la fragilité de l’économie nationale. Le régime de Ben Ali notamment la privatisation agressive a frappé l’économie tunisienne de plein fouet. Par ailleurs l’UGTT a perdu son rôle de catalyseur socio-économique, l’opposition est très faible et la société civile est silencieuse, ce qui a permis à quelques familles proches du pouvoir de piller et spolier nos richesses. Toutes ces pratiques ont favorisé la disparité entre les régions du pays, l’augmentation massive du chômage notamment les diplômés du supérieur.
Programme d’Annahdha : encourager l’investissement arabe
Il faut absolument une révision globale du système du développement. L’Etat doit rééquilibrer l’économie et améliorer le climat de l’investissement tout en garantissant une complémentarité entre la dimension économique et la dimension sociale. Il faut tout de même commencer par les réformes politiques. Une politique qui encourage l’investissement étranger du Monde arabe notamment celui des pays du Golfe. La coopération économique tunisienne doit s’élargir au delà de l’UE et de la France et s’intéresser aux pays riverains à savoir la Libye et l’Algérie. S’ouvrir également au marché africain. Il faut aussi encourager l’investissement national privé notamment dans les régions intérieures du pays. Il faut reformer le secteur de la recherche scientifique afin de monter en technologie nos secteurs productifs. Faire participer les forces sociales à savoir l’UGTT et la société civile dans la création des politiques du développement de notre pays et ouvrir un dialogue pour relever les défis afin de regagner la confiance du Tunisien. Les priorités du mouvement Annahdha est l’emploi des jeunes chômeurs et le développement régional. Ces priorités ne sont pas uniquement l’apanage de l’Etat mais aussi des forces nationales et de la société civile. Ce qui est sûr que nous n’allons pas partir à zéro, nous avons déjà une structure qui nécessite une révision. Nous allons accorder plus d’intérêt au secteur de l’agriculture. Par ailleurs le secteur du tourisme doit se diriger vers de nouveaux marchés qui prennent en considération les particularités culturelles et religieuses de la Tunisie tel que le marché arabe et notamment celui des pays du Golfe. Le secteur des TICs est un secteur stratégique pour la Tunisie qu’il faut aussi développer. Nous sommes en train d’élaborer un programme socio-économique détaillé qui sera publié prochainement.