Crise sociale au Maghreb : Kadhafi baisse les prix, Ben Ali hausse le ton
Crise sociale au Maghreb
Kadhafi baisse les prix, Ben Ali hausse le ton
Par : Merzak Tigrine
Alors que le leader libyen Mouammar Kadhafi a procédé à la suppression de toutes les taxes sur les produits alimentaires, le président tunisien a haussé le ton en accusant les émeutiers de terrorisme.
Devant la détérioration de la situation sociale en Algérie et en Tunisie, due en partie à l’augmentation des prix des produits alimentaires de base, et anticipant une crise en Libye, Tripoli a décidé lundi de supprimer toutes les taxes sur les produits alimentaires, selon une source officielle du gouvernement. Bien que cette source n’ait pas précisé si cette décision était liée aux troubles sociaux en Tunisie et en Algérie voisines, il est clair que le fait qu’elle intervient sur fond de troubles sociaux dans ces deux pays, laisse supposer qu’elle a pour but d’acheter la paix sociale. Ainsi, le gouvernement libyen a décidé de “supprimer les droits de douane et toute autre taxe sur les produits alimentaires, notamment
de première nécessité, ainsi que sur le lait
pour enfants”.
Cette mesure a été justifiée par la flambée des prix des produits alimentaires dans le monde, tout en minimisant les recettes tirées par la Libye, un riche pays pétrolier, des taxes douanières sur les produits alimentaires. Effectivement, les recettes fiscales tirées des produits alimentaires ne doivent représenter qu’un taux insignifiants des revenus de Tripoli, qui doit se suffire de la rente des hydrocarbures, d’autant plus que les besoins de la population libyenne, un peu plus de six millions d’habitants, ne sont pas aussi importants que ceux des pays beaucoup plus peuplés.
La même source a révélé que la Libye avait dépensé 6 milliards de dollars en 2010 sous forme de subventions pour les produits de première nécessité, ainsi que pour le carburant et les médicaments. Il est évident que les dépenses pour s’approvisionner en matières premières destinées à la consommation ne sont pas de nature à grever le budget de l’Etat libyen, qui a les moyens de sa politique. Contrairement à ses voisins, Mouammar Kadhafi peut tout se permettre sur ce plan.
Par ailleurs, le président tunisien, Zine El Abidine Ben Ali, a adressé lundi des remerciements au leader libyen, Mouammar Kadhafi, pour le remercier son soutien dans le contexte des troubles sociaux qui secouent le pays sur fond de chômage et de précarité des conditions de vie.
En effet, dans un message à la nation, il a réitéré ses remerciements et sa considération au leader Mouammar Kadhafi, chef de la révolution libyenne, pour son “honorable initiative que notre peuple a accueillie avec une grande satisfaction et consistant à faciliter la circulation et les activités des Tunisiens en Libye sœur et à les traiter au même titre que les Libyens”.
“Ceci confirme toute la fraternité sincère et le fort soutien que nous avons toujours perçus auprès de lui et auprès du peuple libyen frère”, a notamment écrit le président tunisien.
Ben Ali ne cède pas
Il n’en demeure pas moins qu’en Tunisie, le président Zine El Abidine Ben Ali, qui est intervenu lundi à la télévision, a élevé le ton en qualifiant les violences de “terroristes” tout en promettant des centaines de milliers d'emplois nouveaux. Au pouvoir depuis 23 ans, il a dénoncé des “actes terroristes impardonnables perpétrés par des voyous cagoulés”. “À ceux qui veulent porter atteinte aux intérêts du pays, ou manipuler notre jeunesse, nous disons que la loi sera appliquée”, a-t-il averti. Il y a lieu de signaler que les écoles et universités ont été fermées à partir d’hier jusqu'à nouvel ordre dans tout le pays. Le président tunisien a attribué les troubles à des “éléments hostiles à la solde de l'étranger”, ajoutant que “certaines parties qui veulent porter atteinte aux intérêts du pays, ou manipuler notre jeunesse”. Pour juguler le chômage et désamorcer la crise, il s'est engagé à créer plus d'emplois, notamment pour les jeunes diplômés d'ici 2012, en affirmant : “Nous avons décidé de multiplier les capacités d'emploi et la création de sources de revenus (...) dans tous les secteurs durant les années 2011 et 2012”, annonçant 300 000 emplois en plus de 50 000 autres promis par le patronat. Quant à l’évolution de la situation sur le terrain, il faut noter que le bilan des violences en Tunisie s'est alourdi à au moins 35 morts identifiés après un week-end de manifestations sanglant, selon des défenseurs des droits de l'homme, alors que le régime cherche à désamorcer près d'un mois de contestation en maniant la carotte et le bâton. “Le chiffre de 35 morts s'appuie sur une liste nominative”, a indiqué à l'AFP à Paris la présidente de la Fédération internationale des ligues de droits de l'homme (FIDH), Souhayr Belhassen. Mais un responsable syndical a déclaré que la situation est chaotique à Kasserine, chef-lieu du centre-ouest de la Tunisie, région où les émeutes ont fait plus de 50 tués ces trois derniers jours. “C'est le chaos à Kasserine après une nuit de violences, de tirs de snipers, pillages et vols de commerces et de domiciles par des effectifs de police en civil qui se sont ensuite retirés”, a indiqué Sadok Mahmoudi, membre de l'union régionale de l'Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT, centrale syndicale).
Cette version des faits a été corroborée par d'autres témoins interrogés par l'AFP. “Le nombre de tués a dépassé la cinquante”, a-t-il indiqué, citant un bilan recueilli auprès du personnel médical de l'hôpital régional de Kasserine où ont été transportés les corps. Après l'Europe et les États-Unis, qui se sont déjà dit préoccupés, le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon s'est à son tour, lundi, “inquiété de l'escalade des affrontements violents” entre forces de l'ordre et manifestants. Il a appelé à la retenue, au dialogue et au respect de la liberté d'expression.
À Washington, le département d'État a reconnu que l'ambassadeur des États-Unis à Tunis avait été convoqué par le gouvernement tunisien lundi, après des commentaires de Washington sur la crise sociale.
Principal partenaire et bailleur de fonds de la Tunisie, l'Union européenne a haussé le ton conditionnant lundi les négociations sur des relations renforcées au respect des droits de l'homme. La France s’est limitée à déplorer hier les “violences”, tout en appelant à “l'apaisement”.