Crise mondiale et dérive des continents
Crise mondiale et dérive des continents
Smaïl GOUMEZIANE
Lundi 30 Janvier 2012
Malgré (ou à cause de) la crise économique de ces dernières années, née aux Etats Unis, la dérive économique des continents, c'est-à-dire l’élargissement des niveaux de revenus, entre pays riches et pays émergents ou pauvres, repart, de plus belle. Nous avions présenté, en 2005, avant cette crise, dans un autre texte, la réalité de cette dérive qui contrastait avec les taux de croissance affichés et l’idée reçue d’un rattrapage économique des pays émergents, dont le plus symbolique la Chine, à l’égard des pays développés, principalement les, Etats Unis.
Depuis la crise, c’est donc à une poursuite de la dérive économique des continents que l’on assiste. Que ce soit en termes de richesse nationale (PIB à parité de pouvoir d’achat) ou de richesse individuelle (PIB, par habitant, à parité de pouvoir d’achat), les écarts absolus, entre pays développés et pays « émergents », ne cessent de s’élargir.
1- Ainsi, en termes globaux, de 1993 à 2009, le PIB global des Etats-Unis, à parité de pouvoir d’achat, s’accroît de 6.226 à 14 256 milliards de dollars, celui de la France passe de 1.068 à 2 108 milliards de dollars.
Au cours de la même période, dans le continent asiatique, celui de la Chine passe de 3.503 à 8 765 milliards de dollars, et celui de la Corée du Sud de 503 à 1 364 milliards de dollars.
Enfin, en Afrique, le PIB de l’Algérie passe de 84 à 233 milliards de dollars.
2- Ce faisant, malgré ces évolutions globalement positives entre 1993 et 2009, les écarts de richesse nationale par rapport aux Etats-Unis se sont creusés :
- De 5.158 à 12 148 milliards de dollars pour la France, soit plus 135 % ;
- De 2.723 à 5 491 milliards de dollars pour la Chine, soit plus 118 % ;
- De 5.723 à 12 692 milliards de dollars pour la Corée du Sud, soit plus 122 % ;
- De 6.142 à 14 023 milliards de dollars pour l’Algérie, soit plus 128 % ;
3- En termes de richesse individuelle, sur la période 1993/2009, on assiste au même processus d’aggravation des écarts. Alors que le revenu annuel par habitant, à parité de pouvoir d’achat, des Etats-Unis augmente de 23.640 à 47 283 dollars, celui de la France passe de 18.367 à 33 675 dollars. Pendant ce temps, en Asie, celui du Chinois passe de 2.897 à 6 828 dollars, et celui du Sud-Coréen de 11.213 à 27 100 dollars.
Enfin, sur le Vieux Continent, celui de l’Algérien, grâce à l’embellie pétrolière, passe de 3 761 à 8 173 dollars.
4- Dès lors, malgré l’évolution positive des revenus moyens des pays émergents, les écarts de richesse individuelle, par rapport aux Etats-Unis, se sont également aggravés :
- De 5.273 à 13 608 dollars pour le Français, soit plus 158 % ;
- De 20.743 à 40 455 dollars pour le Chinois, soit plus 95 % ;
- De 12.427 à 20 183 dollars pour le Sud-Coréen, soit plus 62 % ;
- De 19.879 à 39 110 dollars pour l’Algérien, soit plus 97 % ;
5- Ainsi, avec la mondialisation ultralibérale, et malgré la crise, au cours de ces deux dernières décennies, l’Américain moyen est celui dont la richesse individuelle, déjà la plus élevée au départ, a le plus augmenté (+ 24 123 dollars). Autrement dit, au cours de cette période, lorsqu’un Américain moyen a empoché 100 dollars de plus,
- Le Français a amélioré son revenu de 65 dollars ;
- Le Sud-Coréen de 62 dollars ;
- L’Algérien de 17 dollars ;
- Le Chinois de 17 dollars.
C’est dire que les efforts fournis par les pays « émergents », dans le cadre de la mondialisation ultra- libérale, pour sortir de la crise, retrouver des rythmes de croissance positifs et améliorer les revenus moyens de leurs populations, conduisent toujours, indirectement (et inéluctablement ?), à accroître davantage encore ceux des Américains. Du point de vue de ces pays, il est clair que lorsqu’un Chinois moyen fait l’effort d’obtenir 1 dollar de plus de revenu, l’Américain moyen en gagne 5,9 de plus (contre 5,4 en 2003) !
Aussi, malgré la crise et les mesures « historiques » prises pour en sortir, les Etats-Unis, locomotive de l’économie mondiale, ont toujours la particularité de rouler plus vite que les wagons qui suivent ! Comment ne pas conclure, une fois encore, que la mondialisation profite, à l’évidence, davantage aux Etats-Unis, pays où les rentiers ont déclenché la crise, qu’au reste du monde ? Et que c’est une des raisons de l’hyper-puissance américaine, puisque celle-ci dispose toujours d’un tiers de la richesse mondiale ?
Dès lors, puisque la dérive économique se poursuit et que le rattrapage est, dans ces conditions, un leurre, ne serait-il pas temps de concevoir un autre type de développement, plus humain et plus durable ?
Source La Nation du 2.2.2012