AVENIR ÉNERGÉTIQUE DU PAYS
AVENIR ÉNERGÉTIQUE DU PAYS
Une stratégie et un plan Marshall pour la réussite
06 Janvier 2011 - Page : 15
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«Sous un bon gouvernement, la pauvreté est une honte; sous un mauvais gouvernement, la richesse est aussi une honte.»
Confucius (Extrait de Livre des sentences)
L’Algérie vit au rythme du sensationnel, on ne parle que de l’apport miraculeux des énergies renouvelables. Pourtant, le problème est ancien. Pour rappel et depuis une quinzaine d’années, j’attire l’attention des gouvernants sur la nécessité d’un cap pour l’utilisation rationnelle et rationnée de cette manne pétrolière en assurant non seulement le développement de l’Algérie actuelle mais en assurant aussi celui de générations futures. C’est d’autant plus important qu’étant mono-exportateur, nous nous sommes enfoncés au fil des ans dans une dépendance paresseuse et sommes passés de 30% de dépendance dans les années 70 à pratiquement 98% actuellement. Un pays comme l’Indonésie était comme nous dans les années, en termes de dépendance. Depuis, l’Indonésie est sortie du sortilège du pétrole et la rente a pratiquement disparu. L’argent reçu a permis à ce pays d’être l’un des dragons de l’Asie du Sud-Est en fabriquant l’essentiel de ses besoins. D’ailleurs l’Indonésie est sortie de l’Opep n’exportant plus de pétrole.
Chaque année on nous annonce que Sonatrach a fait des découvertes. Cependant, il faut s’interroger sur le rapport production-découverte. Certes, chaque année une vingtaine de découvertes sont faites. Que représentent-elles par rapport à la production? On dit qu’elles ne couvrent pas les réserves découvertes Cela veut dire que les réserves actuelles d’après l’AIE BP..sont de l’ordre de 12 à 16 milliards de barils. Certes, il est vrai que le pays est vaste, mais comme le dit un proverbe africain: «Il pleut toujours où c’est mouillé», les grandes structures géologiques sont répertoriées. Il n’est pas interdit de penser que çà et là on trouve des petits gisements ou des poches de gaz, mais l’analyse mondiale il nous faut en tenir compte. Dans les années 60 on découvrait 4 barils et en on en consommait un. Depuis 200 on découvre un baril et on en consomme 4. Voilà la réalité: le pétrole est sur le déclin, le peak oil aurait été dépassé en 2008. On parle du pétrole off-shore (prolongement du bassin sédimentaire): des expériences ont été tentées au large d’Oran sans suite. Cependant, pourquoi s’en remettre à d’hypothétiques trouvailles - certes il faut faire les explorations, sans en attendre des miracles - et bercer d’illusions les Algériens en ne leur disant pas tout. A ce rythme, nous avons pour 20 ans pour le pétrole. C’est-à-dire qu’à ce rythme d’exploitation, voire plus, à partir de 2030, nous ne pourrons plus exporter, peut-être que ce que nous produirons suffira à peine quelques années pour nous?
Le meilleur gisement d’énergie c’est celle que l’on ne consomme pas
Pour Nicolas Sarkis «l’Algérie va devenir un importateur de pétrole». Après que la revue statistiques de British Petroleum ait prédit, en 2004, que l’Algérie deviendrait un pays importateur de pétrole dans 16 ans, l’expert international Nicolas Sarkis affirme que l’Algérie est le premier pays producteur qui risque de devenir un pays importateur de pétrole. «L’Algérie est le pays qui détient le plus faible taux de production et de réserves à l’Opep...De plus, nous remarquons que du fait de l’augmentation des besoins énergétiques internes, l’Algérie ne pourra pas exporter dans un proche avenir des quantités importantes de pétrole», indique M.Sarkis. L’Algérie n’a pas joué la prudence dans l’exploitation de ses richesses: «Non seulement la dépendance aux hydrocarbures a augmenté de 70% dans les années 1970 à 98% aujourd’hui, la production actuelle, estimée à 1,4 million de barils/jour, demeure élevée.» N.Sarkis s’interroge sur cette propension algérienne à vouloir épuiser les réserves: «C’est une erreur que de penser à gagner beaucoup d’argent en un temps réduit en épuisant les réserves, notamment dans la conjoncture actuelle», dit-il. Plaidant pour une exploitation rationnelle des hydrocarbures, il signale que les réserves de Hassi Messaoud s’amenuisent et que les nouvelles découvertes ne font que couvrir cette faiblesse pour un temps.
«Avec le maintien de sa dépendance aux hydrocarbures, l’Algérie peut se réveiller un jour sur une situation très douloureuse», note M.Sarkis. (1)
La situation du gaz est plus délicate surtout avec l’avènement des gaz non conventionnels (gaz de schiste) développés d’une faon intensive aux Etats-Unis et qui ont perturbé le marché spot. Là encore, miser aussi sur les gaz de schistes algériens ne nous prémunit en rien contre l’extinction inexorable des 4500 milliards déclarés de gaz naturel avec un rythme de production aussi effréné qui atteindra rapidement les 200 milliards de m3 an. A ce rythme, les années trente verront un bouleversement total de notre façon de consommer l’énergie.
Il y a de ce fait, nécessité d’un débat sur cette frénésie à gaspiller une ressource qui appartient aussi aux générations futures. Pourquoi extraire du pétrole outre la stricte mesure de nos besoins et le vendre à un prix qui sera vraisemblablement multiplié par deux ou trois dans les prochaines années. Un simple calcul montre que ce sont des milliards de dollars qui seraient épargnés surtout si l’Algérie ne retire que les quantités nécessaires à son développement.
S’agissant du Plan énergie renouvelable et sous réserve d’une étude plus fine, on ne peut qu’applaudir à cette prise de conscience d’aller vers les énergies renouvelables. Cependant, il y a nécessité d’un débat en dehors de toute chapelle politique et tout fil à la patte externe. La société algérienne doit être partie prenante d’un débat qui est aussi important que celui de la Charte tant il est vrai qu’il détermine l’avenir de notre pays. Un pays sans énergie est un pays sans avenir. Il faut comprendre par énergie non seulement l’énergie directe (calories engendrées par l’énergie thermique ou le travail engendrée par l’énergie mécanique ou mieux une énergie de qualité comme l’énergie électrique c’est aussi l’énergie nécessaire à la nourriture, pour la boisson. L’eau c’est de l’énergie. Nous avons vu les politiques désastreuses des décisions par le haut sous prétexte que le peuple est immature et qu’il ne comprend pas. En dehors de toute démagogie, qui va appliquer un tel plan si le peuple n’adhère pas?
Le meilleur gisement d’énergie c’est celle que l’on ne consomme pas. L’Aprue a des moyens très limités. On évalue les économies d’énergie si elles venaient à être mises en place à au moins 20%. C’est toute une culture qu’il nous faut adopter pour éviter les gaspillages.
J’en appelle à un Plan Marshal multidimensionnel de l’énergie, une véritable stratégie adossée à un modèle énergétique flexible qui débouche sur un «bouquet énergétique». La stratégie énergétique que j’appelle de mes voeux n’est pas de la seule responsabilité du ministre de l’Energie qui s’occupe de rendre performant l’outil de production de l’énergie. Certes, c’est un acteur important mais ce n’est pas le seul. Tous les départements ministériels sont concernés à des degrés divers.
Pour cela, une cohérence des politiques sectorielles des départements ministériels est indispensable. Car, en effet, comment peut-on parler d’énergies renouvelables notamment du solaire quand l’utilisation la plus abordable à notre savoir-faire, en l’occurrence le chauffe-eau solaire, ne se traduit pas dans les faits par une application immédiate dans le bâtiment. On va confier à titre d’exemple 1 million de logements à construire à des entreprises étrangères sans sédimentation et réel transfert de l’autre et ceci sans imposer dans le cahier des charges sur l’économie d’énergie. L’installation de 1 million de chauffe-eau solaires. On ne se rend pas compte mais les milliers d’ingénieurs de mécanique de génie, d’électronique pourront créer des centaines de petites entreprises autour de ce filon. Un petit calcul simple montre que les économies d’énergie compenseront largement le coût initial élevé.
La stratégie énergétique
Concernant le ministère des Travaux publics, la construction d’une autoroute de 1200 km aurait pu être une opportunité extraordinaire pour la mise en place d’une signalisation en led avec le solaire; il n’y a pas un point lumineux qui fonctionne au solaire et qui aurait pu éviter de faire appel à l’énergie électrique d’origine thermique.
S’agissant du ministère des Transports, il a la responsabilité de la consommation de 40% de l’énergie chaque année. Une stratégie basée sur la substitution de l’essence par le GPL devrait être un objectif. Des instruments juridiques et des dispositions financières pourraient amener le consommateur a aller vers le GPL (vignette.;) et surtout la taxation anormalement basse du mazout qui oblige l’Etat à acheter de l’étranger pour 250 millions de dollars (500.000 tonnes).
Que peut apporter aussi le ministère des Ressources en eau en dehors des efforts remarquables qu’il faut saluer pour rendre disponible l’eau potable? Nous avons construit plus d’une cinquantaine de barrages; aucun n’est conçu pour être hydroélectrique et pourtant, la technologie a fait que de faibles chutes d’eau peuvent être valorisées pour produire de l’énergie électrique. Je ne crois pas à des maxi-plans sans lendemain. Consommer de l’énergie nécessite de changer de paradigme: l’Etat ne doit pas donner l’illusion au citoyen qu’il peut gaspiller ad vitam aeternam. Sans être totalement exhaustif, il ne faut pas oublier le ministère du Commerce responsable de la facture des achats. Que peut faire le ministre du Commerce dans le domaine de l’énergie, Il a un rôle important parce que c’est lui qui est responsable de ce que l’on achète à l’extérieur. Quand on achète un frigidaire de classe A+ très économe, c’est environ 50% de consommation électrique de moins qu’un frigidaire de classe E, environ 200 kWh épargnés par frigidaire, soit 40 kg de pétrole ou encore 25 dollars par an avec un parc d’un million de frigidaires c’est 25 millions de dollars de gagnés. De quoi permettre à l’Ecole polytechnique ou de s’équiper ou de construire. Le même raisonnement est à faire concernant l’électroménager dans son ensemble. Des règles strictes doivent permettre le refoulement des équipements énergivores S’agissant de l’achat des véhicules, les normes européennes seront de 110 g de CO² par km à partir de 2012. Ne peut-on pas demander aux constructeurs de faire un effort pour commercialiser graduellement des véhicules ne dépassant pas un certain seuil? De plus, peut-on étudier la possibilité d’une double carburation (essence, GPL) comme certains constructeurs le proposent. Cela permettra de diminuer la pression sur les essences.
Enfin, une énergie gaspillée aussi par manque d’organisation est la biomasse. C’est à aussi près de 3 millions de tonnes équivalent pétrole, qui pourrissent chaque année. C’est dire si le ministère de l’Agriculture a son mot à dire dans cette stratégie énergétique
Pour faire court, le programme proposé par le secteur de l’énergie est une rupture par rapport au discours d’avant. Nous avons un énorme retard qu’il nous faut rattraper. A titre d’exemple, le Maroc qui dispose d’un modèle énergétique, fait feu de tout bois, si je puis m’exprimer ainsi, depuis dix ans prévoit 42% d’énergie renouvelable en 2020, en ayant déjà installé 270 MW d’éolien et en mettant en chantier depuis novembre 2009, 2000 MW de solaire pour 9 milliards de dollars.
Dans le discours actuel, on ne parle pas à notre connaissance des économies d’énergie qui peuvent être évaluées à au moins 20%, soit l’équivalent de 7 millions de tep/an, soit encore au prix du baril de 70 dollars de 2010, soit l’équivalent de 5 milliards de dollars, c’est au choix une centrale électrique de 1000 MW, la facture alimentaire. Ces 7 millions de tonnes auraient pu rester dans le sous-sol et être vendus beaucoup plus cher dans quelques années.
Nous n’avons pas encore, il faut le regretter, une vision claire de l’avenir des énergies renouvelables, car nous peinons à mettre en place une stratégie énergétique basée sur un modèle prévisionnel pour 2030, un «bouquet énergétique» où les énergies renouvelables prendraient graduellement la place des énergies fossiles. L’Europe a mis en place une stratégie à 27 pays avec les 3 fois 20% (20% d’économie d’énergie, 20% de diminution de l’intensité énergétique, c’est-à-dire consommer moins en consommant mieux, et enfin 20% d’énergie renouvelable). Tout cela à l’horizon 2030. Nous pouvons et nous devons faire de même, avant qu’il ne soit trop tard. La stratégie énergétique n’est pas l’affaire d’un département ministériel, c’est l’affaire de tous, le gouvernement, la société civile, les universitaires et même les écoliers - ceux qui seront les plus concernés en 2030 - à qui on inculquerait une nouvelle vision progressive du développement durable visant à former l’«écocitoyen» de demain en lieu et place de l’«égocitoyen» d’aujourd’hui.
L’eau, l’énergie et l’environnement sont le triptyque autour duquel devrait s’articuler, dans une grande mesure, le développement économique scientifique du pays pour les prochaines décennies. Sur la base de modèles énergétiques, il nous faut imaginer rapidement des Etats généraux de l’énergie qui concerneront tous les départements ministériels et même la société civile qui devra être convaincue de la nécessité de changer de cap: passer de l’ébriété énergétique à la sobriété énergétique. Nous sommes profondément convaincus que le problème de l’énergie, problème majeur s’il en est, sera de plus en plus le problème structurant de notre devenir tant il est vrai qu’une utilisation rationnelle pondérée sans compromettre l’avenir des générations futures est le plus sûr moyen d’augmenter la durée de vie de nos ressources fossiles.
Au risque de me répéter encore une fois, notre meilleure banque est notre sous-sol. Avec un modèle énergétique, nous ne produirons que ce dont on a besoin, sans compromettre l’avenir. Le temps presse. Soit on organise cette mutation, soit on la subit. On devrait ajouter que pour le pays, la meilleure énergie c’est encore et toujours sa jeunesse qui devra être partie prenante de son avenir. Un plan Marshall de l’énergie donnerait de l’emploi aux milliers d’ingénieurs qui chôment ou quittent le pays. Dans le monde actuel, il n’y a pas de patriotisme désintéressé -surtout s’il n’y a pas d’exemple de référence-, nos élites scientifiques s’offriront à ceux qui les évaluent à leur juste valeur. C’est à nous tous de savoir les mobiliser pour des projets structurants et non pas en leur offrant des CDD sans lendemain, façon solidarité à 800 km des côtes européennes où leur talent est reconnu.
(*) Ecole nationale polytechnique
1.N.Sarkis; Interview El Khabar février 2010
Professeur Chems Eddine Chitour
Directeur de recherche
Directeur du Laboratoire de valorisation des énergies fossiles
Ecole polytechnique, Alger
Pr Chems Eddine CHITOUR (*)
http://www.lexpressiondz.com/article/8/2011-01-06/84590.html