Les 100 premiers jours de la présidence Obama : le verre à moitié plein ou à moitié vide ? »

Publié le par Mahi Ahmed

 Les 100 premiers jours de la présidence Obama : le verre à moitié plein ou à moitié vide ? »
Restitution de la conférence de Mark Kesselman du 5 mai 2009

par Mark Kesselman

Professeur de sciences politiques à l'université Columbia. Membre du conseil scientifique de la Fondation Gabriel Péri.

Après les premiers mois de la présidence de Barack Obama, la comparaison avec F. D. Roosevelt se révèle toujours pertinente. Il paraît difficile de porter d'ores-et-déjà un jugement sur les actions du nouveau président, lorsque l'on a en mémoire que Roosevelt n'a véritablement enclenché le New Deal que 4 ans après son arrivée au pouvoir. Ce sont les mouvements sociaux et les mobilisations qui ont eu lieu lors de sa réélection qu'ils l'ont conduit à mettre en œuvre des politiques innovantes. Le début de son mandat fut assez frileux. Il n'y avait pas de sécurité sociale. Les droits des salariés n'ont été reconnus que sous la pression des syndicats et des mouvements populaires.

Il faut par conséquent être prudent quant au jugement porté sur les actes d'Obama. Par ailleurs, il reste un personnage relativement mal connu car nouveau sur la scène politique. Rappelons qu'il fut sénateur de l'Illinois et qu'avant son discours prononcé lors de la convention démocrate de 2004 qui allait désignée John Kerry comme candidat à l'élection présidentielle, personne ne le connaissait. B. Obama développa d'ailleurs dans ce propos les mêmes thèmes qu'il utilise aujourd'hui pour gouverner. Il nie la différenciation entre des Etats « rouges », républicains, et des Etats « bleus » démocrates. Pour lui, il ne s'agit avant tout que d'une seule nation, celle des Etats-Unis d'Amérique. Il veut apparaître comme le réconciliateur garant de l'unité.

Si l'on doit se garder de tirer des conclusions trop hâtives sur ces premiers mois d'exercice du pouvoir, on peut néanmoins à travers les actes du président élu, distinguer plusieurs profils et tenter de déterminer quels sont ceux dont Obama semble le plus proche.

Peut-on penser qu'Obama est un révolutionnaire ? La réponse évidente est non. Les conditions ne sont en effet pas réunies aux Etats-Unis pour qu'il y ait une révolution dans ce pays.

Obama est-il un conservateur éclairé qui n'entreprendra que le minimum de réforme ? Pour une part, il peut être classé dans cette catégorie.

Peut-il réaliser un second New Deal ? Cela signifierait qu'il est un réformiste audacieux.

Enfin, peut-il aller plus loin que le New Deal en allant jusqu'à des réformes institutionnelles et à la création d'un nouveau contrat social ? On peut en douter.

D'après les premiers mois de la présidence, on peut penser qu'Obama se rapproche de la figure du conservateur pragmatique et éclairé, et dans le même temps de celle du réformiste dont l'horizon des réformes à moyen et long termes témoigne d'un niveau d'exigence assez élevé. Cette contradiction apparaît au cœur de la personnalité du nouveau président. On peut donc parler de deux Obamas : l'un réformateur conservateur, éclairé, et prudent, et l'autre réformateur audacieux et innovateur. Pour le moment, les deux coexistent et, bien qu'il faille être prudent pour savoir lequel dominera l'autre, pour ma part, je crois qu'il y a de fortes probabilités pour qu'il soit plutôt le réformateur conservateur.

Un conservateur pragmatique et éclairé

Le grand attachement d'Obama aux institutions fondatrices indique qu'il souhaite d'abord les faire fonctionner, plutôt que de les reconstruire. Pourtant un vif débat existe aujourd'hui aux Etat-Unis, qui a pu notamment s'exprimer lors du Left forum d'avril 2009, sur la nécessité de réformer la société pour garantir sa stabilité. C'est tout le sens de la théorie d'Edmund Burke.

Au sein de la gauche américaine, les opinions sont divisés entre ceux qui sont contre Obama, ceux qui sont enthousiastes, et ceux qui demeurent dans l'hésitation et l'incertitude. Chaque tendance représentant un tiers de la gauche.

Par ailleurs, le génie du nouveau président entretient une sorte d'admiration qui prête à confusion. Les analyses objectives manquent dans ce climat d'euphorie qui domine la société américaine depuis son élection.

Pour autant, son programme permet de cerner sa personnalité. Celui-ci se concentre sur cinq objectifs :

  • Redonner la confiance, remoraliser, décrisper la société américaine et ses acteurs économiques pour surmonter l'angoisse née avec la crise.
  • Réduire les inégalités économiques, sociales, raciales, ethniques en établissant plus d'équité.
  • Faire face à la crise.
  • Réformer les structures.
  • Repenser le rôle des USA dans le monde.

Ces ambitions exprimées lors de sa campagne lui ont permis d'être élues et empêché que joue ce que les commentateurs appellent l'effet Bradley, qui n'a pas fonctionné lors de ce scrutin. Des Américains blancs ont voté pour lui. Il a mobilisé l'électorat noir, qui a voté à 95% pour lui, alors que par le passé, celui-ci s'est caractérisé par un fort taux d'abstention. Les hispaniques, qui ont massivement rejeté la position des républicains sur l'immigration, ont voté pour Obama à 66%. Lors de la précédente élection présidentielle, ils n'avaient été que 53% à voter pour John Kerry, le candidat démocrate.

Même s'il reste un noyau dur de Blancs racistes, les rapports entre les gens se sont apaisés. Les tensions sont bien moins vives.

Son caractère modéré que l'on doit à son pragmatisme a été sa principale force dans la campagne. Ce trait de personnalité est toujours présent et va rester. En même temps, il a pris des décisions claires comme la fermeture de Guantanamo et l'alignement du code militaire des Etats-Unis sur celui des conventions de Genève. Mais il a tout de suite fixé les limites, en défendant des positions prises par l'administration Bush, dans les litiges juridiques sur la sécurité.

Un réformiste modéré

On peut également penser qu'il est sincère dans son combat contre les inégalités. Il a choisi comme secrétaire au travail, une femme de caractère, d'origine hispanique, qui vient du milieu syndical. Elle défend donc le projet de loi appelé « Employee Free Choice Act » qui vise à favoriser la création et le fonctionnement de syndicat dans les entreprises. En effet la législation actuelle impose aux salariés de faire signer une carte par plus de 50 % des salariés pour créer un syndicat. Cette procédure s'effectue sous le contrôle du patron qui peut exercer des pressions sur les salariés alors largement dissuadés de se syndiquer.

Le patronat, la droite et une partie des démocrates les plus fortunés, y compris ceux qui ont financé la campagne d'Obama, ont engagé une virulente riposte contre ce projet de loi. On peut penser que s'il n'est pas voté les syndicats se mobiliseront.

Mais il faut aussi avoir conscience que le mouvement social est très faible. Les mobilisations contre la guerre ont été très fortes, sans pour autant s'enraciner durablement dans une contestation de plus grande envergure. Les syndicats sont très affaiblis en raison de la désindustrialisation et du combat idéologique mené par le pouvoir à leur égard depuis plusieurs décennies. Pourtant, les ouvriers votent en majorité démocrate. Par le passé, ils n'ont supporté ni Reagan, ni Bush. Les femmes blanches votent aussi pour la plupart démocrate dans une proportion qui est même plus forte que chez les hommes.

Sa réforme de la fiscalité peut également aller dans le sens de cette volonté de réduire les inégalités. Il souhaite réduire les impôts pour les Américains qui gagnent moins de 200 000 dollars par an, soit 95% de la population, et augmenter les impôts pour les plus riches. Le premier volet de cette loi a été voté, mais pour le moment celui concernant les plus aisés est en suspend. Il opte pour une voie plus passive, à savoir que la loi mise en place par Bush allégeant les impôts pour les plus riches, qui prend fin en 2011, ne sera pas renouvelée.

On observe aussi quelques signes positifs sur le terrain de l'égalité entre les générations, les plus âgés et les plus jeunes, et entre les sexes.

Sa manière de faire face à la crise est sans doute celle qui cristallise critiques, craintes et méfiances. Il y a deux grands volets. Premièrement, le plan d'aide aux banques. Celui-ci constitue le point faible de sa politique, qui se révèle sur ce volet très semblable à ce que proposait le plan Paulson. A la critique formulée par de nombreux intellectuels selon laquelle ce plan n'exige aucune contrepartie de la part des banques, Obama se contente de répondre qu'il n'est pas socialiste et qu'il n'a pas pour ambition de gérer les structures financières du pays. Or, des économistes de gauche des Etats-Unis auraient évidemment les compétences pour gérer les banques qui pourraient être nationalisées pendant une période définie, peut-être 6 mois.

Deuxièmement, le budget voté au printemps est beaucoup plus ambitieux. Il prévoit la plus forte hausse de dépenses pour des programmes dans les domaines de la santé, des énergies nouvelles, et de l'éducation, budget auquel l'Etat fédéral ne participe traditionnellement que très faiblement. Obama montre ainsi une certaine volonté à combattre les inégalités entre les Etats en matière d'éducation.

Dans le domaine de la santé, le contenu de la réforme n'est pas encore arrêté. Il est débattu au Congrès. Ce qui est sûr, c'est qu'il ne vise pas à mettre en place le système de « single payer », un organisme paraétatique qui centraliserait les opérations afin d'éviter les dépenses administratives et de réduire le rôle des compagnies d'assurance. Obama a déclaré qu'il aurait été partisan d'un tel système, si on commençait de zéro. Or, étant donné le poids des compagnies d'assurance et le fait que beaucoup d'américains sont satisfait avec leur contrat d'assurance actuelle, il a proposé un système mixte où le secteur privé joue le plus grand rôle.

Sur le plan des énergies renouvelables, de nombreuses mesures ont été prises au premier rang desquelles la reconnaissance du réchauffement climatique et de la responsabilité de l'action de l'homme, et des Etats-Unis dans celui-ci. De nouveaux programmes de construction sont établis. Néanmoins nous sommes encore loin d'un vrai New Deal.

Au niveau international, l'ambition première du nouveau président est de restaurer l'image des USA dans le monde. Il a commencé par condamner l'usage de la torture en ordonnant que soit publié le rapport rédigé par la Commission des Forces Armées du Sénat faisant état des crimes de guerre perpétrés par l'administration Bush. Le nouveau président s'est néanmoins refusé à poursuivre les coupables. Peut-être peut-on voir ici sa volonté de passer la main à la société civile pour qu'elle réclame des poursuites ?

Obama a déclaré un retrait des troupes qui mènent les opérations de combat en Irak dans 6 à 10 mois, mais il prévoit que 50 000 soldats resteront encore sur place pour les missions d'entrainement des troupes irakiennes, et de protection de l'ambassade américaine. Par contre, avec l'envoie de 20.000 troupes, il met l'accent sur l'Afghanistan et le Pakistan, les deux terrains de cette autre guerre qui risque de ternir sa politique extérieure.

Celle-ci se veut incarner le multilatéralisme dans un monde multipolaire. Obama proclame qu'il ne sera pas un donneur de leçons, mais dans le même temps, il vient conseiller à l'Europe d'admettre la Turquie dans son Union.

Il opère par la négociation, un changement modéré qui vaut plus sur la forme que sur le fond, des positions américaines à l'égard de Cuba, de l'Iran et de la Corée du Nord. Cela traduit le passage d'une hégémonie dure à une hégémonie « soft ».

Son souci est également d'ouvrir des négociations avec la Russie pour réduire l'armement nucléaire et enjoindre ce pays à respecter les engagements du TNP.

La politique d'Obama en direction du Moyen-Orient reste quant à elle encore à définir. Son discours du Caireétait d'une rhétorique remarquable et plein de bonnes intentions, mais contenait peu de propositions concrètes. S'il a critiqué Israël en appelant à l'arrêt de l'expansion des colonies, il n'est pas allé plus loin en réclamant leur démantèlement.

Pour conclure, Obama semble osciller entre deux figures celle du conservateur modéré et celle du réformiste plus audacieux. Pour le moment, il garde les mains relativement libres, dans la mesure où peu de personne le conteste.

Cette absence de contestation, que l'on remarquait également sous l'ère Bush, est due à la peur qui règne dans la société américaine et qui pousse celle-ci à s'en remettre au président et à ses choix. En outre, Obama bénéficie toujours d'un grand capital de confiance, en partie grâce à sa personnalité et à son génie, mais aussi d'une certaine manière en raison de la comparaison avec son prédécesseur à la maison blanche).

Certains choix semblent difficilement compréhensibles comme celui de ne pas poursuivre les commanditaires de la torture dans la précédente administration, ou bien l'envoi de troupes supplémentaires en Afghanistan, une guerre qui constitue son talon d'Achille. Il a en effet annoncé l'augmentation des effectifs sur place (aux 17000 soldats, entre 3 et 4000 viendront s'ajouter) avant d'annoncer son plan pour résoudre le conflit. Ces mesures indiquent que la véritable crainte du gouvernement est liée à l'instabilité politique au Pakistan et aux conséquences redoutables que cela pourrait avoir étant donné que le pays possède l'arme nucléaire.

Hormis ce point délicat, Obama défend l'idée d'une Amérique en paix avec le monde, qui maintient son hégémonie de manière intelligente, en usant du « smart power ».

Sa vision, sa méthode et son style sont ceux d'un homme du XXIe siècle qui se distingue donc des dirigeants politiques du siècle passé. L'expression la plus efficace en est l'usage qu'il est parvenu à faire de la technologie d'internet durant sa campagne et qui continue d'être un outil majeur de communication de la maison blanche. Une des mesures qui l'a d'ailleurs prise a été de créer un fonds dont l'objectif est d'étendre le réseau à haut débit à d'autres régions des Etats-Unis.

Ces signes de grande modernité n'effacent cependant pas certaines pesanteurs, comme par exemple, le rôle des lobbies et des multinationales qui continuent de peser lourdement sur les choix politiques. Néanmoins, la forte majorité démocrate au congrès est un atout formidable,, même s'il ne faut pas sous-estimer la grande indépendance de celui-ci. Une partie des démocrates est en effet très modérée.

Ces différents paramètres démontrent que l'analyse des premiers mois de la présidence d'Obama doit être nuancée. La situation peut être appréhendée de façon dynamique. L'histoire nous le démontre. Roosevelt n'a approfondi ses réformes que sous la pression de la contestation organisée par la gauche américaine.

L'interrogation majeure qui perdure à ce jour est donc la suivante : une dynamique populaire est-elle possible ? Si oui, cette dynamique va-t-elle pousser Obama vers la droite ou vers la gauche ? Les élections de 2010 qui vont voir la totalité de la chambre des représentants être renouvelée vont beaucoup peser.

Pour approfondir :

Sites américains d'information et d'analyse politique :

 

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