TUNISIE :Présidentielles 2019 : Le crachat des électeurs

Publié le par Mahi Ahmed

TUNISIE :Présidentielles 2019 : Le crachat des électeurs

Thameur Mekki

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17 Sep 2019 

Réduire Saied à un robot populiste relève de la bêtise, de l’entêtement et du mépris. C’est la trinité d’une classe qui résume la Tunisie aux microcosmes qui la composent, aux recettes qu’elle a bien connues. Aujourd’hui, depuis sa position hors-jeu, elle ne peut qu’observer de nouvelles lignes de clivage apparaitre entre ceux qui veulent moraliser la vie publique quitte à draper la société dans le conservatisme et ceux qui veulent manger peu importe celui qui leur sert le râtelier.

Thameur Mekki

Il faut le reconnaitre. Saied a cartonné en raflant 18,4% des voix contre 15,58% pour Nabil Karoui. Un succès mis en relief par l’échec retentissant de tous ses concurrents. Les faits sont têtus, plus têtus que cette classe appelée, à tort, par certains « élite », alors qu’elle s’est condamnée à jouer tantôt les chiens de garde, tantôt les parasites. Si ses annexes peuvent paraitre lumineuses, et lui donner ainsi un semblant d’espoir scintillant, l’illusion ne tarde guère à se dissiper dans les méandres de l’entrisme drapé dans une prétendue volonté de réformer.

La nébuleuse Nida Tounes et ses avortons, de Qalb Tounes à Tahya Tounes, en sont la preuve. Chahed (7,4), Marzouk (0,2), Jalloul (0,2), Aidi (0,3), Elloumi (0,2), leurs cinq candidats réunis n’atteignent pas 9% des suffrages exprimés. Des frères ennemis qui s’affrontent, essentiellement pour des considérations affairistes, tout en cachant leur bâtardise derrière un portrait poussiéreux de Bourguiba. Des partis fourre-tout dont les annexes ne sont que les transfuges d’un syndicalisme, d’organisations citoyennes et d’une tendance de gauche à bout de souffle, résolus à s’enliser dans le compromis avant même de le définir ou de mesurer leur capacité de survie dans un environnement aussi hostile à leurs aspirations. Sept ans passés dans le bricolage, le leurre, les acrobaties ratées, pour aboutir à revendiquer le maintien du statu quo. Progressistes, dites-vous ?

Les électeurs ont décidé, non seulement de les bouder, mais de leur cracher dessus. Tout comme les islamistes. Il suffit de voir la dégringolade des votes pour Ennahdha de la Constituante de 2011 au premier tour des Présidentielles de 2019 en passant par les Législatives de 2014 et les Municipales de 2018. Tous les ex-ministres, l’actuel président de l’Assemblée, l’ancien président de la République et anciens chefs de gouvernement se sont fait cracher dessus par les urnes. Il n’y a pas que les électeurs de Kais Saied qui leur ont craché dessus. Ceux d’autres candidats, sans parti, ni structure quelconque, ni médias à leur solde l’ont fait. Il suffit de comparer, par exemple, les scores de Safi Said (7,11%) et Lotfi Mraihi (6,56%) à ceux de Youssef Chahed (7,38%) et Abdelkarim Zbidi (10,73). Et ce, sans nous attarder sur les tristes résultats d’autres anciens ministres comme Mehdi Jomaa (1,82%), Elyes Fakhfakh (0,34%), Mohamed Abbou (3,63%) et Said Aidi (0,30%). Quant à la gauche partisane, confinée tout en bas, qu’elle repose en paix. Elle n’est pas touchée par le crachat. Elle sombre dans l’indifférence.

Bien que ce soit une razzia populiste, le résultat de ce scrutin présidentiel dans son premier tour vient scander haut et fort le besoin urgent sur le plan socio-économique. Il est incarné par la réponse favorable à l’offre fourbe de Nabil Karoui aux effets éphémères et aux conséquences désastreuses. Mais il crie encore plus fort le besoin urgent d’ancrage social des institutions et de moralisation de la vie politique incarné par Kais Saied qui trouve le conservatisme soluble dans sa potion. Bref, les électeurs l’ont dit : « Tout sauf ce qu’on a connu ». Exit les camps « progressiste » et « islamiste », droite et gauche aussi. Le nouveau clivage sera entre moralisateurs et profanes, entre partisans de la rupture et adeptes du rafistolage commode. Ce sera entre l’enseignant modèle aux airs d’illuminé et le businessman grimé en Robin des Bois. Mais dans les besoins exprimés par ces voix, les libertés n’ont dramatiquement pas de place. Elles suffoquent sous les priorités des deux candidats. Or, aussi alimenté soit-il, un corps a besoin d’oxygène pour vivre. De quoi alerter encore plus sur la nécessité d’écouter leurs voix si pressées, si déterminées à avoir un tel ordre de priorités.

 

Kais Saied : contre « le système », pour le patriarcat !

20 Sep 2019

Certains le décrivent comme « islamiste », « salafiste », « ultraconservateur », le soupçonne d’affinités avec le parti salafiste Hizb Ettahrir ou le désignent comme « conservateur, comme le sont beaucoup de Tunisiens, jeunes et moins jeunes ». Malgré lui, Kais Saied attise le clivage progressistes/modernistes dans le pays. Lui, qui voyait dans cette dualité identitaire « un faux débat », est appelé à clarifier ses positions concernant les droits et les libertés individuelles.

 

Sous son armure d’enseignant de droit constitutionnel, Kais Saied balaye d’un revers de main les polémiques autour de son supposé penchant islamiste. « Ceci ne me concerne pas », assène-t-il. Le candidat à la présidentielle préfère parler de « la concrétisation de la volonté du peuple », de «  souveraineté populaire ». Un positionnement qui inquiète de nombreuses organisations de défense des droits humains, dont la Coalition civile pour les libertés individuelles. Et il y a de quoi vu les opinions de Saied concernant l’égalité à l’héritage, l’abolition de la peine de mort ainsi que la dépénalisation de l’homosexualité et la consommation du cannabis.

Lors de la première conférence de presse tenue après l’annonce des résultats préliminaires définitifs par l’Instance Supérieure Indépendante des Elections (ISIE), Saied a tenu à être rassurant. « Nous ne ferons pas un retour arrière sur nos acquis en matière de libertés, en matière des droits des femmes, en matière des droits de l’enfant. Nous les soutiendrons encore plus, jusqu’à ce que nous parvenions de l’Etat de droit à la société de droit », a-t-il déclaré.

Entre Constitution et référentiel religieux

L’enseignant de droit constitutionnel ambitionne de mettre en place une décentralisation du pouvoir qui permettrait d’exprimer les aspirations de tous. Il assure qu’il tachera de respecter la Constitution, non par conviction mais parce qu’il « obligé » de le faire. Il tient ainsi au formalisme des institutions en attendant de les chambouler. Pour lui, la Constitution de 2014 a confisqué la volonté du peuple, minée par les blocages puisqu’elle a été édictée dans une logique partisane.

Saied met en exergue le dilemme de l’interprétation des dispositions constitutionnelles en évoquant l’article 1er considérant l’islam comme religion de l’Etat ou encore l’article 6 garantissant à la fois la liberté de conscience et de croyance et la protection du sacré. Toutefois, Saied ne présente pas une alternative concrète, il se contente de dire que « la Constitution devrait traduire les valeurs et la volonté d’un peuple ». D’après lui, la solution résiderait dans la composition non partisane de la Cour constitutionnelle, censée trancher sur ces antagonismes, et la transparence des avis que ses membres vont émettre.

Protecteur du patriarcat

Or, tout en promettant de ne pas toucher aux acquis des femmes, Saied émet un avis intransigeant concernant l’égalité à l’héritage, tout en s’appuyant sur l’article 21 de la Constitution consacrant l’égalité entre citoyens et citoyennes. Pour lui, le texte coranique est clair là-dessus et il est basé sur « la justice ». Pour lui, établir l’égalité piétinera tout le système matrimonial où les hommes sont amenés à prendre en charge femmes et enfants d’où cette inégalité en leur faveur. A noter que les féministes, dont l’Association Tunisienne des Femmes Démocrates (ATFD), appellent aussi bien à l’égalité à l’héritage que l’abrogation de l’article 23 du Code du Statut Personnel (CSP) qui énonce que l’époux est « chef de famille ».  Cet article confère à l’homme des avantages mais aussi plusieurs  obligations contraignantes. D’ailleurs, même la Colibe a proposé son abrogation. Tout en louant le courage politique du président Bourguiba lors de sa promulgation du CSP, Saied assène que l’ijitihad (l’effort d’interprétation) est permis mais dans la limite du système établi.

Ses positions sont encore plus liberticides concernant les défenseurs des minorités sexuelles, qu’il accuse d’être à la solde des étrangers pour faire « propager l’homosexualité ». Saied affirme pourtant que « la dignité du pays est dans la dignité de ses citoyens et citoyennes », sans exprimer quelconque intention d’arrêter le recours aux tests anaux.

Ses prises de positions rappellent celles de plusieurs figures d’Ennahdha et autres courants islamistes, mais il rejette catégoriquement quelconque affinité avec eux. D’ailleurs, il accuse Ennahdha d’instrumentaliser l’islam à des fins politiques. Quant à sa rencontre avec Ridha Bel Haj, secrétaire général de Hizb Ettahrir, il dit qu’il est prêt à rencontrer tout le monde. Entouré et soutenu par des figures de gauche et des islamistes, tous apartisans, Kais Saied, qui a reconnu ne pas connaitre tous ses adeptes, aspire à balayer tout le système… sauf le système patriarcal.

 

Publié dans Tunisie actuelle

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