Cette crise qui nous ronge III

Publié le par Mahi Ahmed

Le texte qui suit est extraits d’une contribution publiée dans le Quotidien d’Oran en 2003 portant le titre « Cette crise qui nous ronge »

(III)

2. LA PROBLÈMATIQUE DU CHANGEMENT DU SYSTÈME DE POUVOIR

Par Mahi Ahmed

  

L'évolution historique de notre pays ,quelques soient les courbes qu'elle a ou qu'elle produit , est la nôtre .Elle est celle de notre passé et surtout celle  que produira notre réel en mouvement . Elle est celle de notre développement économique , social et culturel . Elle est celle de nos capacités à la comprendre , à la rendre intelligible et surtout à la transformer. Nous n'avons d'autre choix que de l'assumer , telle qu'elle est , avec ses points forts ,ses points faibles ou même ses points noires. L'assumer signifie d'abord reconnaître qu'elle relèvent de nous en tant qu'Etat et nation . C'est aussi être déterminé à la traiter ,à l'analyser de façon critique , à prendre tout le recul pour en tirer les enseignements qui s'imposent et à construire les voies qui permettent de repérer , en profondeur, les racines des faiblesses qui l'ont entachée , de corriger les orientations qui ont été à la source des crises vécues  et de tracer les voies pour aller de l'avant dans le sens ,de la démocratie , du progrès et de la justice sociale. 

Une telle prise de conscience se forme , peu à peu , dans les différents secteurs de notre société au fur et à mesure du développement de la crise , de son aggravation et des blocages qui se dressent devant les efforts multiples pour en sortir . Cette prise de conscience s' aiguise aussi  avec  l'expérience accumulée dans les formes d'exercice démocratique ouvertes après les événements d'octobre 1988 et la constitution de 1989 . Une telle expérience, malgré ses limites ,  fait percevoir aux forces politiques et sociales qui s'organisent et qui imposent leur existence par une légitimité sociale renouvelée sur le terrain des luttes , l'importance de la démocratie et de rapports démocratiques réelles pour sortir de notre crise et édifier notre pays avec un système social et de pouvoir démocratiques . Ces forces saisissent, de mieux en mieux, que la démocratie est une chance historique et qu'il faut être capables de favoriser positivement et avec réalisme les processus complexes de sa construction.  

Cependant, construire la démocratie, dans un pays comme le nôtre et dans notre situation actuelle, exige , de nous tous et surtout de ceux qui dirigent les institutions et les forces politiques et sociales véritablement nationales , une forte dose de réalisme patriotique. Ce dernier est imposé en nécessité par la gravité et la complexité de la crise et surtout par l'urgence de lui trouver des directions de solution . Le réalisme patriotique ne peut signifier ni le renoncement ni même la liquéfaction de ses convictions idéologiques , politiques ou sociales. Il est la condition d'engager les changements radicaux dans la nature et la forme de notre Etat et dans la nature et la forme de système de pouvoir devant conduire notre société . Or le changement ,même s'il doit être radical et il doit l'être dans notre situation , procède de la durée et de processus complexes d'ordre idéologiques , politiques , économiques, sociaux ,culturels etc.. Le changement , c'est le passage d'une situation donnée, jugée insatisfaisante ou dangereuse pour l'évolution ou la survie d'une nation , à une situation nouvelle, accrochée à l'ancienne, nécessitant, pour sa  mise en place et sa stabilisation , des accords reflétant les forces politiques et sociales engagées dans l'option du changement sur les éléments essentiels suivants : 

a)      l'analyse de la situation dans le pays et des dynamiques lourdes internes et externes qui la déterminent, 

b)      la vision qui fonde le changement voulu et les objectifs stratégiques de moyen et de court terme qui en découlent, 

c)      les acteurs devant conduire le changement , c'est à dire les institutions et les forces politiques et sociales , 

d)     les formes d'organisation et de rapports devant présider aux différentes phases de la mise en place du changement. 

Ainsi le réalisme patriotique constitue cette position, éminemment politique, qui inscrit ,au cours des phases de la construction du front démocratique du changement de même qu'au cours des étapes de réalisation du changement, l'ordre des priorités et des objectifs du groupe politique ou social auquel on appartient ou duquel on se considère le plus proche, en rapport étroit avec les facteurs qui promettent le rassemblement le plus large pour la sauvegarde et la consolidation d'une nation qui avance et qui rejette la stagnation et l'archaïsme. Le réalisme patriotique , c'est la capacité de défricher la complexité , de rendre plus claire pour le plus grand nombre,  son intelligibilité et de donner aux radicalités qui s'y manifestent un sens adéquat découlant de la maîtrise du réel en mouvement. C'est la force ,pour un pays comme le nôtre, qui permet d'asseoir la démocratie et de donner vie à une pratique démocratique productrice de progrès et de justice sociale. 

Nous sommes arrivés à une étape où nous observons tout à la fois  les évolutions dangereuses de la crise , les mutations profondes qui se sont engagées au sein de notre société , l'émergence progressive d'une société civile et de formations politiques et sociales qui rejettent  l'instrumentation politique de la religion et le recours à la violence et au terrorisme et qui veulent agir pour la construction d'une Algérie démocratique , moderne et jalouse de ses insignes identitaires  . C'est une étape qui mûrit, plus  rapidement et plus largement qu'on ne le pense, la nécessité d'un changement radical au niveau de l'Etat et du système de pouvoir. 

Engager les indispensables processus d'un tel changement exige une volonté politique déterminée et un sens aiguë des accords ou des compromis qui font avancer. Cette volonté doit être d'abord celle de ceux qui  impulsent et dirigent réellement le système du pouvoir et qui prennent conscience du caractère impératif de la nature et du contenu du changement à opérer. Elle doit être aussi celle de toutes les forces politiques et sociales qui entendent participer pour refonder l'Etat et lui donner un véritable caractère républicain et démocratique. 

Initier le changement et persévérer dans sa réalisation ,en dépit des difficultés et des obstacles multiples , cela signifie aussi casser les tabous , vouloir et savoir communiquer, développer les échanges en respectant les positions de l'autre et être en mesure d'aboutir à des conclusions et à des décisions pour l'application desquelles on se considère engagé. 

Vouloir refonder l'Etat , ne peut être , dans notre cas,  que se placer dans une perspective d'avenir ,c'est à dire celle du 21è siècle si nous voulons survivre avec ce que nous représentons comme histoire millénaire ,comme culture et surtout comme potentiels ,donc comme nation et société . Le siècle qui commence est  et sera marqué par des dynamiques d'évolution en même temps lourdes et accélérées , modulées par  une indescriptible explosion du savoir , des sciences et des techniques , mais surtout de la productivité et de l'organisation du travail réduisant le temps productif à en deçà du milliardième de seconde. C'est le siècle de la digitalisation sans frontières où tout risque ,si on n'y prend pas garde , d'être digitalisé  , le système productif  comme l'être humain , sa pensée et ses modes d'expression. C'est le siècle ,dit-on , de la globalisation. Celle-ci porte déjà fortement les marques et l'hégémonie coercitive d'un néo-libéralisme internationaliste et déchaîné recherchant le profit le plus fort et produisant, avec les arguments des avantages concurrentiels , de la flexibilité , du management moderne à l'américaine  , un développement planétaire à plusieurs vitesses générant la massification globale du chômage , de l'exclusion et de la déchéance sociales et culturelles de même que l'instabilité internationale voire le fondamentalisme ,l'intégrisme religieux et le terrorisme mondialisé . C'est le siècle de tous les combats pour éviter que l'humanité ne se déshumanise  en radicalisant l'individualisme pris en charge par une civilisation du chaos fondée sur le paradigme de la consommation. C'est dans ces combats , pour la libération  et le développement économique , social et culturel réels et pour la justice sociale, que notre pays doit retrouver une place véritablement productive au sein de ce large et irrésistible mouvement planétaire qui naît de partout et au sein de tous les peuples pour rejeter la globalisation néo-libérale sauvage , remettre l'Etat nation dans sa nécessité et ses perspectives historiques et construire, avec l'effort de tous, un monde multiculturel de paix et de progrès social . 

C'est dire que les choix stratégiques et la plate-forme unitaire de refondation de notre Etat doivent procéder, dans leurs contenus , leurs formes et les moyens de leurs mise en oeuvre d'une telle volonté. 

Mais pourquoi la perception de plus en plus consciente et approfondie, par de larges secteurs de notre peuple,  des problématiques majeures que pose notre crise ne trouve-t-elle pas , sur le terrain,  une traduction pratique en mesure d'enclencher les processus du changement radical de système de pouvoir dont notre société a besoin? Cela est lié à de nombreux facteurs parmi lesquels les trois suivants : 

  

a)      l'absence d'une analyse fine et largement partagée sur la nature de l'Etat mis en place depuis l'indépendance et de la place et du rôle que joue l'ANP dans le système et l'exercice du pouvoir, 

b)      l'émergence difficile , à cause du système de pouvoir en place , d'une classe politique et d'une société civile réellement démocratique légitimées par de larges secteurs de la société, 

c)      le statut de la religion et le traitement de l'histoire . 

  

Ces trois éléments soulignent la nécessité et les contours de la phase de transition par laquelle nous devons impérativement passer pour aller vers le changement de système de pouvoir ciblé. La phase de transition est partie intégrante des processus engageant le changement et doit procéder de la vision fondamentale qui le porte . 

  

3. LA QUESTION DE LA TRANSITION 

  

La constitution adoptée le 26 janvier 1989 aurait pu marqué  le début d'une phase de transition vers un système de pouvoir et un Etat démocratiques si les deux points décisifs suivants y avaient trouvé un traitement clair  tant au niveau du contenu que des modalités législatives et exécutives de leurs mises en oeuvre : 

  

a)      La question des pouvoirs , de leur séparation et de leur transparence ainsi que la place et rôle de l'ANP en liaison avec le rôle historique qu'elle a joué et joue encore dans l'édification de notre jeune Etat indépendant, 

b)      Le statut de la religion et la position à l'égard de son instrumentation idéologique et  politique. 

  

Cette constitution de même que celle qui l'a suivi ne pouvaient  du fait du blocage entretenu par le système du pouvoir  sur ces deux points ,engager l'Algérie dans des dynamiques d'une véritable pratique démocratique , vivante, productive et efficiente . L'exercice réel du pouvoir a gardé son caractère non transparent . La hiérarchie supérieure de l'ANP a continué et continue d'être considérée comme le centre véritable du pouvoir. 

L'expérience amère  que nous vivons depuis plus d'une décennie a mis clairement en évidence que L'ANP et l' islamisme politique sont ,à des niveaux qualitatifs différents , deux  facteurs importants et même décisifs de notre crise  . Ces deux facteurs  ne sont en aucun cas comparables et surtout ils ne sont pas les seuls. 

  

3.1 : L'ARMÉE NATIONALE POPULAIRE ET LE POUVOIR 

  

Les faits historiques montrent que notre mouvement national, au fil des étapes qui ont préparé et conduit la guerre de libération nationale, n'a pas su définir et surtout imprimer dans la réalité, et de façon créatrice , les justes rapports démocratiques  entre le politique et le militaire et donnant la primauté au politique. Le congrès de la Soummam  et la plate-forme qu'il a adopté ont essayé ,sous l'impulsion d'Abane Ramdane en particulier, de définir de tels rapports , en procédant de la vision consistant à édifier, y compris dans les processus difficiles de la lutte révolutionnaire,  la nature républicaine ,démocratique et sociale du futur Etat algérien indépendant. 

La politisation de l'ANP et son rapport avec l'exercice du pouvoir réel relèvent d'un processus historique complexe. Celui-ci est étroitement lié aux processus qui ont marqué notre mouvement de libération national et notre guerre de libération nationale. Il se rattache aussi  aux dynamiques qui ont concouru à l'émergence de notre jeune Etat , à son édification compliquée dans un monde qui a été dominé par la guerre froide et l'action de deux systèmes sociaux mondiaux antagoniques et qui est aujourd'hui sous l'influence pesante  et à potentialités dangereuses d'une mondialisation chaotique initiée par le néo-libéralisme  .  Il est à mettre en outre en rapport avec la naissance difficile et continuellement réprimée de réelles forces politiques et sociales démocratiques de même que d'une réelle société civile. 

Il ne nous est pas possible , dans le cadre de cette réflexion , de procéder à une analyse des étapes marquantes , à signification politique , qui ont jalonné l'histoire de l'ANP et son rapport au pouvoir . Mais on peut affirmé que l'histoire de l'action politique de l'ANP ne peut être détachée de celle de l'ensemble de la société . Aucune armée dans le monde moderne ,si elle veut remplir la fonction qui lui est impartie par l'Etat ,  ne peut se désintéresser de tous les aspects économiques ,sociaux , culturels et politiques qui touchent aux objectifs stratégiques de défense nationale. Mais cela ne peut vouloir dire que l'ANP n'a assumé depuis l'indépendance que sa mission de défense nationale . 

L'ANP est certes une institution  de l'Etat algérien . Elle a une mission de défense nationale qu'elle assume au sens profond et large du terme. Elle est essentiellement formée de recrues du service national qui lui confèrent son essence populaire C'est une armée qui essaie continuellement de se moderniser et d'être à la hauteur des défis qui touchent de prés ou de loin sa mission fondamentale  . Elle a les faiblesses d'un corps régi par une organisation pyramidale mue par la philosophie de la discipline militaire telle que comprise et appliquée par la hiérarchie aux différents niveaux. Elle a les faiblesses d'un corps  ayant la force des armes et pouvant être doté d'un pouvoir de coercition, c'est à dire des faiblesses inhérentes à l'autoritarisme et à l'exercice ou à l'influence du pouvoir , aux passe-droits ,à la corruption au népotisme ,au régionalisme etc. .Elle a les faiblesses découlant de visions nationalistes étroites ou d'une certaine perception de l'exercice démocratique et de la modernité qu'ont pu et que peuvent  encore avoir certains de ses chefs. L'efficacité et l'efficience de l'ANP ,la courbe de son engagement révolutionnaire et patriotique ont toujours été fonction de la personnalité , de la compétence et de l'engagement de son chef réel , c'est à dire du chef d'état-major . 

L'ANP est intervenu avec toutes ses forces sur le champ politique à chaque fois que la stabilité de notre jeune Etat en construction et de notre société semblaient, à sa hiérarchie, sérieusement menacée alors que cela reflétait un aiguisement des luttes politiques et sociales posant la problématique de la démocratie et celle de la nature du système de pouvoir . C'était le cas en 1962 , 1963 ,1965 , 1967 ,1980 , 1988, 1991 . De telles interventions de l'ANP devenaient possibles du fait de l'absence de mécanismes démocratiques de l'exercice du pouvoir animés par des forces politiques et sociales démocratiques dont l'émergence a été étouffée par l'hégémonisme , le populisme et la démagogie qui ont caractérisé l'évolution du système de pouvoir , du parti unique et de leurs appareils . 

L'ANP a été et est dans les faits ,de par notre évolution historique , la véritable source et le centre réel du pouvoir. Le reconnaître aujourd'hui, exprimerait déjà une volonté d'en faire , sans tabou , un sujet important de débat pour sortir de la crise et pour engager les processus du changement démocratique dont il a été question plus haut, tout en intégrant ce que l'expérience collective durement accumulée aura fait ressortir d'impératifs pour la cohésion de la Nation et la stabilité du pays. 

  

L'ANP , héritière de l'ALN , dispose en effet : 

  

Ø  d'un fort potentiel patriotique et  d'élites éclairées , 

Ø  d'un important capital expérience accumulé en fonctionnant comme le cerveau et la colonne vertébrale de notre société,  au cours des phases complexes d'édification de l'Etat, du développement économique , social et culturel et de défense nationale , 

Ø  de l'accumulation d'une longue expérience dans l'édification de l'État et du développement en général ainsi que des riches leçons tirées de son engagement dans les différentes crises qui ont secoué dangereusement le pays . 

  

L'ANP doit cependant ,et elle en est certainement consciente , faire face  pour le court , le moyen et le long terme aux impératifs que lui imposent sa nécessaire modernisation pour être à la hauteur des défis , des alliances et des intégrations régionales et internationales que lui dessinent les dynamiques géostratégiques et militaires du 21é siècle. De tels impératifs supposent , de sa part , une perception nouvelle ,adaptée aux évolutions et aux exigences du temps , du concept de défense nationale , de la nature et de la forme de l'Etat. 

La transition pour refonder l'Etat et lui imprimer un réel caractère républicain , démocratique et moderne passe par une adaptation créatrice correspondante de la place et du rôle politique de l'ANP .Cette place et ce rôle doivent lui permettre d'assumer sa mission fondamentale et   d'intervenir dans des structures démocratiques et constitutionnelles à mettre en place pour  : 

  

Ø   favoriser les processus d'édification des trois pouvoirs  et contribuer à assurer la transparence de leur exercice , 

Ø   soutenir l'émergence et la consolidation d'une véritable classe politique démocratique et d'une réelle société civile, 

Ø   contribuer à prévenir les crises mettant en danger la stabilité du pays et la cohésion de la nation. 

  

Il s'agit donc pour les forces patriotiques et démocratiques qui veulent construire des voies de sortie de la crise  , qui entendent réussir la conception du changement et être en mesure d'engager les processus de sa réalisation , de trouver , avec l'ANP , des formes démocratiques et constitutionnelles transitoires définissant sa place et son rôle. 

  

3.2 L'INSTRUMENTATION IDÉOLOGIQUE ET POLITIQUE DE L'ISLAM ET LE STATUT DE LA RELIGION 

  

L'instrumentation idéologique et politique active de l'islam à des fins de prise du pouvoir et d'instauration d'un État théocratique dans notre pays a commencé depuis les années 1970. Elle a cristallisé  la crise qui secouait notre société depuis l'indépendance. Elle lui a donné un sens et des formes qui tirent vers le recul historique et qui sont ,de ce fait, extrêmement dangereux. Une telle instrumentation relève déjà , il faut le constater , de la durée. Elle doit être saisie dans toutes ses implications et surtout dans son rapport à l'évolution et à l'avenir moderne de notre société et de la nature de son État donc au politique  compris dans son sens profond . 

Le mouvement d'idéologisation et de politisation de l'islam, développé à l'échelle mondiale au début des années 1970, était impulsé , soutenu  et financé , sur recommandation de la « trilatérale » ,par les USA et  l'Arabie Saoudite en particulier . Il était conçu comme une opération de reislamisation pour  barrer la route  aux mouvements d'émancipation ,de progrès social et de modernité de pays dont l'islam est la religion de l'écrasante majorité et qui sont considérés sous influence soviétique et marxiste . 

L'islamisme politique ne peut être considéré comme la pratique religieuse de l'islam .La véritable pratique religieuse relève , elle , avant tout de la foi du croyant ,qui  est seul redevable devant son créateur . L'islamisme politique est une stratégie sectaire de prise du pouvoir élaborée et mise en oeuvre dans le contexte d'une crise aiguë de civilisation du monde arabe et musulman , du rapport de l'islam à l'État et de l'incapacité manifeste   de réponses adéquates aux problèmes  posés  par les évolutions des sociétés et par la portée de l'influence du modèle de civilisation occidentale . C'est une idéologisation dogmatique de l'islam poussant, au bout du compte, au fondamentalisme ,à l'intégrisme et au terrorisme et à leur internationalisation. 

L'islamisme politique en Algérie a , comme par hasard,  commencé lui aussi à se manifester et à s'organiser à grande échelle au début des années 70 en s'attaquant ,sous le prétexte de l'authenticité et de la préservation de l'identité nationale , par exemple : 

q  à l'émancipation de la femme ,à son insertion dans les différents secteurs du travail productif , 

q  à l'édification d'une école nationale moderne ouverte sur les sciences et les acquits de la culture universelle enseignant les langues étrangères et fondée sur la rationalité, 

q  aux forces politiques et sociales qui se réclamaient d'une vision moderne de l'édification de l'Etat et de la consolidation de la cohésion de la Nation et de développement de la société . 

L'islamisme politique en Algérie s'exclut lui-même de tout processus  démocratique . Dans sa compréhension de la politique et des préceptes de l'islam , la démocratie n'est qu'apostasie. C'est ce qu'avait affirmé et affirme toujours , avec une  forte conviction , Ali Belhadj , l'un de ses chefs les plus en vue. Les tenants de l'islamisme politique ne connaissent que le recours à l'argument de la violence et surtout armée et terroriste. Ils avaient organisé des maquis déjà au cours de la deuxième moitié des années 80, pour lutter contre le pouvoir et les citoyens considérés comme impies. Ils ont  été défaits , alors , grâce justement à une action vigoureuse et responsable de l'ANP . Certaines forces du pouvoir  avaient tenté ,à l'époque, de mobiliser et d' instrumenter les groupes islamistes pour les opposer aux organisations dites laïques et au mouvement culturel berbère. Les islamistes ont été activement encouragés , au regard des potentialités d'évolution démocratique que recelaient les événements du 5 octobre 1988 , à dévoyer le désarroi  et la fougue des jeunes en canalisant leur mouvement avec des slogans creux comme « l'Islam est la solution » . 

L'ouverture « démocratique » initiée par la constitution du 23 janvier 1989 et le décret portant création d'association à caractère politique ne permettaient pas la légalisation d'organisation politique  instrumentant la religion  .Le front islamique du salut a été cependant légalisé par calculs politiciens pour la sauvegarde du système de pouvoir . Le FIS , pouvait-on  ne pas s'y attendre , n'a pas et ne pouvait pas , faute de se renier , joué le jeu démocratique. Il se considérait investi de la volonté de Dieu pour instaurer un Etat théocratique fondé sur  la Charia  . Il n'a jamais renoncé au recours à la violence et au terrorisme ,comme peuvent l'attester ,à la fin des années 80,  plusieurs actes commis de Ouargla à Guemmar en passant par Blida ou Staoueli . Il a poursuivi la consolidation et le renforcement de ses organisations subversives et de sa logistique paramilitaires. Qu'a-t-il fait de son soit-disant succès aux élections communales de  1990 ? Il a essayé de transformer les communes conquises aux élections municipales en municipalités non régies par le code communal mais en municipalités islamiques régies par un code islamique existant seulement dans les têtes des dirigeants islamistes . Ces communes ont été utilisées comme des points d'appui à des actions d'envergure servant les intérêts du FIS comme par exemple l'utilisation des biens de l'État à des fins partisanes , le  détournement de fonds , le détournement ou la falsification de listes électorales ou de cartes d'électeurs etc. . 

Le constat est établi aujourd'hui que les élections communales de 1990 et les élections législatives de 1991 ne procédaient pas réellement d'une démarche sincère visant  à ancrer la démocratie dans notre pays . L'action violente des islamistes instrumentant la croyance religieuse et les radicalités psychosociales et politiques de larges secteurs de nos masses populaires a pris les formes les plus dangereuses en 1991 avec l'organisation d'actions  insurrectionnelles, défiant , non sans certains succès, l'autorité de l'État  .Cela constituait un véritable danger pour l'avenir véritablement démocratique de l'Algérie . Fallait-il alors accepter comme relevant d'un processus démocratique réel les résultats issus d' élections faussées au départ par les deux principaux intervenants : le pouvoir en place et le mouvement islamiste représenté par le FIS qui jurait qu'il allait , une fois le pouvoir pris,  imposer l'Etat islamiste. Fallait-il ,comme l'a suggéré  un sociologue algérien professant en France, « attendre que le FIS , une fois aux commandes , se révèle incapable de diriger l'Etat » ? L'ANP  et d'autres dirigeants et forces politiques et sociales ont pris la responsabilité historique, en essayant d'agir dans les cadres fixés par la constitution en vigueur, d'interrompre le faux processus électoral et d'épargner ainsi au pays et au peuple algérien les affres d'un régime théocratique fondamentaliste . L'histoire et le peuple algérien jugeront de la validité historique d'une telle décision . Ils ont sans aucun doute déjà jugé. Ils ont rejeté massivement et au prix d'immenses et douloureux sacrifices le recours à la violence armée et au terrorisme islamiste . Ils ont vécu quotidiennement la réalité du FIS et de l'islamisme politique dans les massacres et les dévastations barbares de biens publics et privés ,dans les assassinats d'intellectuels ,de journalistes ,de femmes et même d'enfants . Notre jeunesse ,nos travailleurs , nos couches moyennes , nos cadres et nos intellectuels ont voulu reprendre confiance et se mobiliser avec feu le Président Boudiaf .Celui-ci  avait su ,très rapidement redonner espoir et dégager une vision et une démarche pour refonder un Etat démocratique et républicain. Il voulait engager le pays vers le développement global et le progrès social par le travail et la mobilisation efficiente de notre génie national et par la pratique démocratique . Son assassinat a mis de nouveau notre peuple face à la réalité du terrorisme islamiste et d'un système de pouvoir qui ne voulait pas comprendre qu'il était arrivé à ses limites  . 

Ainsi l'instrumentation idéologique et politique de l'islam chez nous  a été rendue possible par la nature du système de pouvoir en place même si celui-ci a dû s'opposer à la violence de l'islamisme et à sa prétention à renverser l'ordre républicain établi au lendemain de l'indépendance. Le système de pouvoir était dans l'incapacité de par sa nature et de ses intérêts étroits à prendre rigoureusement compte de l'évolution de la société , de ses aspirations profondes , des radicalités et des mutations qui y prenaient formes et d'engager les indispensables réformes en mesure de faire avancer sa modernisation et sa sécularisation , de développer son identité tout en donnant toute sa place  à la religion et à la pratique religieuse mais en la soustrayant, par le développement économique , social et culturel  à l'archaïsme et aux dangers qu'engendre l'islamisme politique. 

L'islam et la culture arabo -musulmane constituent un patrimoine historique du peuple algérien .Ils ne peuvent être revendiqués par une organisation politique islamiste. Il n' y a pas de clergé en islam. Le statut de la religion doit être en accord avec  l'État de droit et favoriser le développement de ce dernier . Un tel rapport de la religion à l'État doit trouver sa claire traduction dans la  nouvelle constitution. C'est le défi que doivent relever nos États et nos forces politiques et sociales patriotiques   s'ils ont la volonté de mener avec succès nos sociétés et nos nations dans les véritables challenges  économiques ,sociaux et culturels du 21e siècle et mettre en échec l'internationale islamiste qui entend dévoyer l'islam , internationaliser le terrorisme et imposer l'archaïsme islamiste . 

  

 

 

 

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