Introduction de "Travailler!", à paraître incessamment aux éditions Chihab
Introduction de "Travailler!", à paraître incessamment aux éditions Chihab
Amin Khan Ecrivain
EDITIONS CHIHEB/COUVERTURE
D’une carrière qui n’existe pas j’ai extrait des pierres qui existent et j’en ai fait un petit mur pour mettre dessus rien qu’une parole, une parole que je connais mais ne peux prononcer.
Mon travail est à présent de creuser son trou exact dans ces pierres extraites d’une carrière qui n’existe pas, pour que puisse la prononcer le vent qui passe.
Roberto Juarroz
Poète argentin (1925-1995)
Dans ce volume, “Nous autres” propose, du point de vue du travail, quelques expériences et réflexions qui contiennent les germes d’avenirs possibles.
Nassima Metahri cisèle avec science, délicatesse et haute précision le concept central de l’ouvrage en se saisissant de ses racines psychologiques, philosophiques et historiques, intriquées qu’elles sont dans la conscience et dans la pratique de nos sociétés. Et elle parvient à faire ce travail de déconstruction de Travailler dans la perspective particulière de la démarche de Nous autres dont l’objectif est la connaissance et le progrès pour la réalisation des valeurs de liberté, de justice et de dignité, par les moyens de Penser !, Travailler !, Lutter !, et Aimer !
Tin Hinan El Kadi nous montre, de façon claire et documentée, la fabrication de mythologies culturalistes qui essentialisent les cultures des peuples au profit de la vision des dominants de l’heure. Vision qui d’une certaine façon les aveugle eux-mêmes et, miracle vertueux de la dialectique, les empêchent parfois de voir et de contrer la libération de ceux qu’ils considèrent comme intrinsèquement faibles et fatalement incapables de révolte et d’émergence historique.
Fatima Zohra Oufriha, qui malheureusement nous a quittés le 22 octobre dernier, est la première Algérienne Docteur d’Etat et Professeur agrégé de Sciences économiques. Sa contribution présente les faits et les chiffres du travail des femmes en Algérie. En démontant au passage, objectivement, tranquillement, nombre d’erreurs d’appréciation courantes sur la place des femmes algériennes dans les sphères de l’économie et de la société, elle montre notamment le rapport direct qui existe entre progrès de la scolarisation et de l’urbanisation et progrès social par l’amélioration du statut professionnel des femmes en dépit des distorsions et des obstacles constitués par la gestion bureaucratique et rentière de l’économie.
Nedjib Sidi Moussa occupe déjà une place éminente dans la nouvelle génération de politologues et d’historiens qui abordent aujourd’hui, avec un regard nouveau, plus informé, plus critique et plus libre, les questions demeurées irrésolues au tournant du siècle et qui concernent ici notamment l’autonomie idéologique et politique des travailleurs dans un contexte de construction nationale. Il aborde son texte en citant Aziz Krichen qui «estimait que le thème du travail était absent du répertoire de mobilisation du nationalisme tunisien. Il ajoutait que l’élite du mouvement national s’interdisait d’expliciter les valeurs d’une société nouvelle sans toutefois laisser quiconque les exprimer à sa place.»
Saïd Djaafer, dans la même perspective, décrit une dimension essentielle du délitement de la société, lorsque le système des valeurs positives s’effondre sans qu’il ne soit remplacé par un autre système de valeurs positives, lorsque les individus en nombres croissants et puis en masse se détachent de leurs responsabilités sociales et professionnelles et défont, de façon peut-être irrévocable, les liens qui font société, liens historiques, tissés patiemment par des générations successives d’Algériens confrontés à l’épreuve de la défaite, de la survie, de la résistance et de l’existence. Au plan moral, certains nomment ce mal silencieux, ce rapport ambigu mais finalement nocif du «citoyen» à sa communauté, «l’obligation absente».
Abdelghani Rahmani, qui a fait sa carrière professionnelle dans le domaine, nous fait part de ses préoccupations quant à la nécessité de préserver la santé des travailleurs. Ainsi, par exemple, «dans un contexte où l’Ansej a créé plus de 81.5OO micro-entreprises en dix d’années d’existence produisant ainsi un effectif de 231.546 travailleurs versés dans diverses activités telles que l’artisanat, l’agriculture, les prestations de services et autres métiers, on se pose la question de savoir si ces travailleurs sont suivis et pris en charge par la médecine du travail, pourtant obligatoire».
Fouad Soufi nous interroge sur un métier méconnu : «Archiviste, est-ce vraiment un métier ? Comment expliquer ce que peut être ce métier ? A quoi servent les archivistes ? Que font-ils dans leur royaume en sous-sol ? Comment alors peut-on être archiviste ? Choisir d’être archiviste après l’Indépendance, n’était-ce pas vraiment aller vers la difficulté, les caves sales et poussiéreuses quand elles ne sont pas régulièrement inondées, et surtout vers le quasi-déclassement bureaucratique, social, culturel et intellectuel ?»
Ahmed Maiddi, artisan et artiste de son état, nous confie dans un récit autobiographique dense et émouvant son expérience de la malédiction/bénédiction d’être possédé par le génie créatif qui sommeille en chaque être humain, mais qui n’est éveillé que par la connaissance, le travail, la culture. Par la même, il nous donne une idée de l’étendue du gâchis de cet immense potentiel en jachère dans un pays d’économie et de culture rentières qui, logiquement, accorde plus d’importance à l’argent qu’au travail et plus de reconnaissance à la débrouillardise qu’à l’effort.
Redouane Assari a cette capacité de s’exprimer aussi brillamment par l’écrit que par le dessin. Le lecteur aura donc le plaisir de découvrir ses souvenirs, illustrés, de dessinateur de presse à Alger au tournant des années 1990. Acuité visuelle, acuité intellectuelle, culture universelle, Red use ici de ses instruments, avec, comme toujours, humour et intelligence, générosité et humanité.
Arezki Tahar nous permet enfin d’introduire de la photographie dans la vision de Nous autres. Il en améliore ainsi le prisme en nous offrant ici des images capturées au cours de ses pérégrinations, rurales ou urbaines, à Alger, à Bejaia ou dans la montagne kabyle. Images d’Algériens au travail, images qui privilégient, il est vrai, la beauté du geste à la difficulté de l’effort, mais saisissant alors, quasi-naturellement, en un clin d’œil, les brisures du chemin escarpé, les couleurs du chemin espéré, vers l’Algérie heureuse.
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