Matrix, le changement climatique et nous

Publié le par Mahi Ahmed

Matrix, le changement climatique et nous

ASMA MECHAKRA, CHERCHEUSE SCIENTIFIQUE 

13 DÉCEMBRE 2018

 

“Vous n’êtes pas en fait des mammifères. Chaque mammifère dans cette planète développe instinctivement un équilibre avec son environnement, mais ce n’est pas le cas avec vous les humains. Vous débarquez dans un endroit et vous vous multipliez et multipliez jusqu’à épuisement de toutes les ressources naturelles et la seule façon de survivre est de se répandre dans un autre endroit. Il y a un autre organisme sur cette planète qui suit le même schéma. Savez-vous lequel? Le virus”. Réplique du célèbre film “Matrix”.

 

Comment aborder la question du gaz de schiste en Algérie au milieu de la conjoncture explosive que nous vivons : crise économique, spectre d’un 5ème mandat qui plane, criminalisation, emprisonnement des voix dissidentes, démission de l’écrasante majorité des citoyens, hogra, harga…? Par ou commencer et par dessus tout, est-ce vraiment une priorité dans cette pagaille généralisée ?

 

Non seulement il l’est, mais tout est interconnecté.  Pour faciliter la démonstration, permettez-moi d’abord d’expliquer la référence à “Matrix”. Les auteurs du film (Les Washowski) ont imaginé un monde à l’horizon 2100 dominé par l’intelligence artificielle. L’homme pensait au début pouvoir garder ces machines sous contrôle en leur interdisant l’énergie solaire nécessaire à leur fonctionnement. Erreur, puisque ces mêmes machines ont pris le dessus et l’ont transformé en générateur de bioélectricité. On y voit une terre devenue un vaste désert noirâtre, comme enduite de carbone, et peuplée de champs infinis d’homo Sapiens cultivés dans la matrice, des sortes d’uteri artificiels qui par simulation électronique ont la capacité de maintenir leurs hôtes dans un monde virtuel. Tout ce qui est alors perçu comme “réalité” par l’homme n’est autre qu’un vulgaire signal électrique interprété par le cerveau.

 

Certains diront que c’est une allégorie à la société du spectacle, d’autres que le film ne traduit finalement que la préoccupation et la sensibilité des auteurs face à la question de l’intelligence artificielle… Mais ce qui m’intéresse le plus maintenant, c’est la réplique citée plus haut. Elle est de l’agent Smith, un programme informatique intégré au monde virtuel de la matrice pour traquer toute menace “terroriste”. Oui la terre est détruite, il a profondément raison, mais pas par n’importe quel homme. L’agent Smith ne fait finalement que reprendre le mythe néolibéral qui voudrait amalgamer les effets nocifs inhérents au stade le plus évolué du modèle économique capitaliste; l’économie globalisée et la domination totale des corporations transnationales (par opposition au ‘penny capitalism’ ou encore au ‘regional capitalism’), à la nature innée de l’être humain. Il le fait aussi en posant la démographie (surtout africaine) comme principal danger face à l’épuisement des ressources naturelles, occultant ainsi les vraies raisons liées à la surproduction des biens et au gaspillage du ‘toujours plus’, de ‘la croissance infinie’ et des dynamiques consuméristes qui les accompagnent.

 

Du capitalisme sauvage

 

Depuis la fin du féodalisme et l’invention de la machine à vapeur par James Watt quelque part en Angleterre, les activités humaines industrielles n’ont cessé de s’accroitre. En puisant de manière frénétique dans les ressources naturelles, l’homme (surtout les élites économiques des premières puissances industrielles) a ainsi rompu les cycles vitaux et régénératifs de la Terre, nous faisant entrer dans une nouvelle ère, l’anthropocène. Une époque caractérisée par un impact humain important sur la géologie et les écosystèmes de la terre.

 

Et pour cause, la recherche du profit par le capitalisme sauvage basé sur les énergies fossiles. Marées noires (industries du pétrole), continents de plastique dans les océans (industrie pétrochimique), disparition de montagnes (industrie du charbon), déforestation (agroalimentaire), pollution des végétaux et de la terre par les pesticides et fertilisants chimiques (exploitation agricole intensive) sont les impacts visibles de ce système…

 

Toutes ces industries extractives rejettent les fameux gaz à effet de serre (GES), qui par cumulation emmagasinent de plus en plus de chaleur, provoquant ainsi la hausse de la température moyenne mondiale.. Pourtant, il existe le consensus scientifique suivant : si  cette température augmente au-delà de 2°C, la planète sera de manière irréversible non viable pour les générations futures. Une fois atteint, ce point de non retour climatique mènera inévitablement à la fin de la civilisation humaine telle que nous la connaissons.

 

Les dirigeants du monde entier sont conscients de l’ampleur de la catastrophe et les Etats avaient adopté unanimement, en décembre 2015, le texte de l’accord de la COP21 qui prévoit de limiter la hausse de la température moyenne mondiale à 1,5 °C à l’horizon 2020. Petit bémol, l’accord est basé sur le volontariat et l’étude des engagements des différents pays conduirait plutôt à une hausse entre 3-4°C selon Kevin Anderson, directeur adjoint du « Tyndall Centre pour la recherche sur le changement climatique » à l’Université de Manchester en Grande-Bretagne. L’Organisation météorologique mondiale prévoit quant à elle dans un récent rapport une hausse de 3-4°C d’ici 2100.

 

En conséquence, un génocide climatique à grande échelle, jadis considéré comme une menace lointaine, est en train de se dérouler sous nos yeux. Des événements climatiques extrêmes ne cessent d’augmenter en survenue et en impact. Par exemple, l’ouragan Patricia est l’ouragan le plus intense jamais observé dans l’hémisphère ouest. Un rapport de l’ONG “Fonds mondial pour la nature”, impliquant 59 scientifiques, montre que la taille de la population d’espèces sauvages, mammifères, de reptiles, d’amphibiens, d’oiseaux et poissons, a diminué de 60% entre 1970 et 20141.

 

Le niveau des océans pourtant stable depuis des millions d’années ne cesse d’augmenter significativement depuis le 20e siècle. Si rien n’est fait, les îles du Pacifique, de l’Atlantique et autres grandes villes côtières risqueraient ainsi d’êtres englouties sous les eaux; Miami, Osaka, Shanghai, Alexandrie… Les températures extrêmes transformeront de larges territoires, particulièrement dans la zone du MENA, en terres arides inhabitables et nos enfants en réfugiés climatiques2.

 

L’Algérie est un pays très vulnérable aux effets du changement climatique

 

Quelle relation avec l’Algérie me diriez-vous? Sonatrach vise le Top 5 mondial à l’horizon 2030. Donc forcément, plus de “production et d’exploitation”.  En annonçant la signature d’un accord, fin octobre 2018, avec British Petroleum (BP/Angleterre) et Equinor (Norvège) pour l’exploitation du gaz de schiste dans le Sahara, les dirigeants algériens ne participent pas seulement au déni du changement climatique, mais ils s’engagent dans un écocide certain.

 

Hormis les avantages économiques plus qu’incertains, la fracturation hydraulique est une technologie vorace en eau, nocive pour l’environnement et le vivant ; dangers relatifs à la santé humaine, à la perturbation des écosystèmes, aux séismes et à la contamination des nappes phréatique et albienne. Au lieu de transformer le Sahara algérien en dépotoir à ciel ouvert, les autorités ne feraient-elles pas mieux de mener à terme les négociations avec la France pour la décontamination du site B2 Namous (expérimentation d’armes chimiques et bactériennes) et celui de Reggane (essais nucléaires)? Pis encore, vu le climat aride et semi-aride du pays, des scénarios inquiétants nous attendent dès 2020.

 

Ils prévoient une hausse importante des températures concomitamment à une baisse significative des précipitations3. Le droit naturel de l’accès à l’eau pour les habitants et pour les générations futures se trouve ainsi compromis.

 

L’expérience étasunienne, pourtant érigée en étalon-or en la matière, confirme au contraire son insanité. La technologie actuelle est coûteuse. Elle n’est rentable qu’à condition de cours mondiaux d’hydrocarbures élevés, ce qui n’est pas le cas. Depuis 2015, rien que dans le Texas, 71 sociétés d’exploration et de production ont fait faillite4.

 

Le New York Times rapporte que les activités des 60 plus grandes sociétés d’exploration et de production ne génèrent pas assez de cash-flow pour couvrir leurs dépenses d’exploitation et leurs dépenses en capital5. Mais par quelle magie certaines continuent-elles à opérer et à développer de nouvelles exploitations ? Les industries du schiste, pétrole comme gaz, sont des industries monétisées basées sur la dette, un énorme “schéma de Ponzi”6 .

 

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En d’autres termes, c’est un marché bâtit sur une bulle spéculative qui permet aux géants du domaine de faire du bénéfice dans les marchés financiers, tant que le flux d’argent des investisseurs de Wall Street ou de la City continue de couler. Cet argent lui-même provient des politiques de ‘money printing-l’impression d’argent-’ aussi appelées QE, ‘quantitative easing-assouplissement quantitatif’, où l’argent crée par les banques centrales (notamment la Reserve Fédérale et la Banque Centrale Européenne) est mis à disposition des banques à des taux d’intérêt avoisinant zéro.

 

Cet argent sensé relancer l’économie réelle est utilisé pour financer des opérations au futur douteux. Cette bulle risque à tout moment d’éclater quand la croyance dans ces investissements se rompt comme se fut le cas des hypothèques subprimes, qui a engendré la crise capitaliste de 2008.

 

Pour ce qui est des autres dangers, la US Geological Survey, une agence scientifique gouvernementale, a confirmé dans une publication récente que le séisme le plus fort jamais enregistré dans le Kansas a été causé par l’injection des fluides (déchets liquides de la fracturation hydraulique)7. Nous savons aussi, depuis longtemps, que l’extraction du gaz de schiste provoque la pollution des nappes phréatiques. A titre d’exemple, en Caroline du Nord, des chercheurs ont constaté que les taux de contamination augmentaient à proximité des puits8. Enfin, la santé humaine est également menacée par la pollution de l’air par les composés organiques volatils cancérogènes et neurotoxiques utilisés (benzène, éthylbenzène, sulfure d’hydrogène)9.

 

Pour toutes ces raisons, une pétition contre le gaz de schiste a été lancée (accessible ici). J’invite tous les concitoyens à la signer massivement.

 

Notre matrice, c’est ceux d’en haut qui ont fermé le jeu politique et séquestré les rouages économico-institutionnels du pays et beaucoup de monde se plait finalement dans son confort au milieu de la corruption généralisée. Voyez-vous d’autre issue viable à part décarboner notre économie ? Je n’en vois pas. Seuls les citoyens pourront changer la donne.

 

 

 

1WWF, “Living Planet Report”, 2018. https://www.wwf.org.uk/updates/living-planet-report-2018

 

2 J. Lelieveld and others, ‘Strongly Increasing Heat Extremes in the Middle East and North Africa (MENA) in the 21st Century’, Climatic Change, 2016, 1–16. https://doi.org/10.1007/s10584-016-1665-6>

 

3 Selon le Programme de développement des Nations Unies.

 

4 The economist. ‘The Shale Boom Has Made America the World’s Top Oil Producer – Peering inside the Permian’, 10 Octobre 2018.

 

5 The New York Times, ‘Opinion | The Next Financial Crisis Lurks Underground’. 01.09.2018. <.

 

6 The New York Times. ‘Documents: Leaked Industry E-Mails and Reports – Interactive Feature – NYTimes.Com’.

 

7 George L. Choy and others, ‘A Rare Moderate-Sized (Mw 4.9) Earthquake in Kansas: Rupture Process of the Milan, Kansas, Earthquake of 12 November 2014 and Its Relationship to Fluid Injection’, Seismological Research Letters, 87.6 (2016), 1433–41 <https://doi.org/10.1785/0220160100>.

 

8 Jeff Tollefson, ‘Gas Drilling Taints Groundwater’, Nature News, 498.7455 (2013), 415.

 

9 Carpenter DO. Rev Environ Health. ‘Hydraulic fracturing for natural gas: impact on health and environment’. 31.03.2016.

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