Le niqab de la concorde ?!

Publié le par Mahi Ahmed

Le niqab de la concorde ?!

 

 

Par Ahmed Tessa, pédagogue

Quand une idéologie impose sa tenue vestimentaire et fait de la démographie galopante un tabou (pas touche !), cela signifie que la société est gravement déstabilisée dans ses fondements identitaires et ses «citoyens» intellectuellement dévitalisés.

Dans une émission sur une chaîne TV émiratie, un philosophe jordanien, spécialiste des questions religieuses, affirme que «la foi religieuse est du seul ressort de l’individu». Et au journaliste de le relancer en lui rappelant que la religion est un phénomène social dans les sociétés arabes. Ce à quoi le spécialiste réplique en faisant une lecture actualisée du verset de La Vache, du Saint Coran («sourate el Baqara») où Dieu fustige les hypocrites. Et d’éclairer son interprétation en ces mots : «Quand le discours religieux inonde avec ostentation la société, il n’est pas étonnant que des comportements hypocrites apparaissent. Cela signifie aussi que la manipulation politicienne de la religion devient une réalité.» En plein dans le mille ! Pour preuve, l’actualité algérienne d’un boucher «cocaïnisé » qui a arrosé des politiques, des imams, des fidèles et des mosquées ! Dans la même veine que ce Jordanien, c’est Mohamed Aïssa, notre ministre des Affaires religieuses, qui enfonce le clou lors de son dernier passage à la radio Chaîne III. Sa cible ? L’usage abusif du discours religieux par certaines TV privées. C’est bien connu : des patrons de médias de masse – pas seulement en Algérie – peuvent être tentés par une entreprise «de formatage» sur les esprits mal outillés intellectuellement et fragiles psychologiquement. La manipulation des masses étant une réalité codifiée de par le monde. En connaissance de cause, notre ministre a souligné sa préoccupation devant le surdosage du discours religieux par ces TV de droit étranger, faut-il le rappeler. Si elles sont tolérées par les autorités, c’est en contrepartie d’un deal où le bon peuple se retrouve dindon d’une farce… tragique : «Formatez le citoyen comme cela bon vous semble, mais voici les lignes rouges à ne pas approcher, encore moins dépasser.» Une porte ouverte royale pour ces chaînes ! Elles ne se feront pas prier pour appliquer ce deal, avec zèle. Une démarche conforme à leur mission de formatage/déculturation fixée par on ne sait quelle partie occulte (étrangère ?). A-t-on vu leurs animateurs — dont certains sont des amuseurs de galeries, et ces prêcheurs cathodiques, plus «célèbres» que nos plus brillants chercheurs universitaires — aborder des sujets qui éclairent l’opinion publique ? Non, ils nous abreuvent à longueur de journée d’émissions truffées de références «areligieuses» (qui n’a rien à voir avec la religion faite de spiritualité), au point de concurrencer TV5, la chaîne publique coranique. A toute heure de la journée, ces TV diffusent des plateaux de foot «minbarisé et wahhabisé» à gogo, nous faisant oublier qu’il existe d’autres sports en Algérie. Avec des animateurs plus portés sur le degré de religiosité de tel ou tel footballeur que sur son talent («il a été à La Mecque» – «il fait la prière» – «il observe le jeûne», «il refuse de toucher à la bouteille de champagne» et des inepties du même tonneau…). Ces chaînes nous invitent à des séances de voyeurisme en affichant, sans gêne, la misère des gens du peuple. Elles nous endorment aussi par cette émission quotidienne d’interprétation des rêves. Sans parler des prêches (bi ou triquotidiens) pseudo-moralisateurs dont certains sont délivrés par des stars ramenées des pays du Golfe, patrie du wahhabisme à grand renfort de publicité et... de dollars. Alors que l’œuvre de feu Mohamed Arkoun, Abdelkader Merad et Abdelmadjid Meziane ou les arguments d’un Saïd Djabelkheir, d’un Nour-eddine Boukrouh sont combattus… par le silence radio ou par des procès en sorcellerie. Tout comme sont ignorés, à dessein, les travaux d’érudits maghrébins (marocains et tunisiens) qui font honneur à l’islam de nos ancêtres, l’islam des Lumières, qui n’a rien à voir avec cette idéologie, le wahhabisme triomphant dans nos contrées, dopé, qu’il fut et qu’il est, par la CIA et les pétrodollars. Qu’on se souvienne de la triste mascarade de la vaccination contre la rougeole cautionnée et encouragée sur fond d’accusations. Leurs «experts»/maison, en kamis/barbe ou en hidjab, ont poussé leur ignorance jusqu’à remettre en cause le principe même de la vaccination. Tout comme ils s’opposent à la planification des naissances. Au point où notre taux de natalité a grimpé de façon exponentielle digne des pays du quart-monde englués dans la misère. Comparaison : en 50 ans (1968/ 2018), la Hollande est passée de 12 millions d’habitants à 17 millions, alors que, pour la même période, l’Algérie a vu son taux de natalité exploser, passant de 12 millions à 40 millions ! «Dieu garantira la vie de tout nouveau-né» : tel est l’argument avancé par les esprits rétrogrades pour ne pas se culpabiliser d’avoir encouragé, de connivence avec les politiques, cette explosion démographique. Ainsi se noircit le tableau d’un développement économique qui peine à satisfaire des besoins sociaux «colossaux» en logements, santé, éducation, emploi… L’année dernière, ces experts/maison, habitués de ces plateaux TV et adeptes de la roqia et de la hijama, ont été appelés en renfort pour expliquer «scientifiquement » le danger de la vaccination. Naïfs et victimes de leur ignorance, des parents ont mordu à l’hameçon – même ceux instruits, y compris de jeunes couples de médecins : une honte ! Résultats des courses : nous avons sur les bras le retour de maladies du Moyen-Âge (rougeole, choléra…). Il est vrai que ces médias et ces charlatans ne sont pas les seuls responsables : les pouvoirs publics ont leur part de mauvaise conscience par leur laxisme complice. Et que dire de cette séquence vidéo qui montre un jeune homme déverser sa frustration et sa colère en décapant à la main le bitume d’une rue de son quartier ? Et à cet animateur TV qui «monte et qui descend» de l’encourager, toute gorge déployée, à continuer à détruire un bien public. Une leçon d’incivisme en direct, à une heure de forte écoute, transformé en scoop moralisateur ! Voilà comment ces TVroqia éduquent nos enfants et les téléspectateurs au nihilisme. Face à ces dérives récurrentes, dangereuses pour la santé mentale et physique des citoyens, les âmes sensibles ne voient aucune réaction : ni de l’Arav(Autorité de régulation de l’audiovisuel) ni des autorités compétentes, excepté le courage de Mohamed Aïssa. Ce serait un crime que de laisser faire cette opération de dévitalisation intellectuelle de la société algérienne. Mais à qui profite ce crime ? Pour qui roulent ces TVroqia, ces «dévitaliseurs d’esprit» d’un nouveau genre ?

Noir tableau

A leur avènement, nous avons tant espéré de ces TV privées de statut étranger, désespérés que nous étions de la TV Unique. Quelques années sont passées : point d’émissions ou de reportages de conscientisation/sensibilisation qui font travailler les neurones des téléspectateurs. Rares sont les émissions pédagogiques qui réhabilitent notre riche patrimoine national historique, littéraire, cinématographique, scientifique… Il est vrai que les vrais experts dans ces domaines ne figurent pas dans le fichier «des compétences » des patrons de ces TV. Sans respect aucun, leurs jeunes journalistes peuvent se permettre, en toute impunité, de brocarder des responsables locaux, des walis ou certains ministres – jamais ceux de souveraineté à cause de la fameuse ligne rouge —, voire de les décrédibiliser aux yeux de l’opinion publique. Une autre piste très prisée : chercher l’audimat à tout prix afin d’attirer la manne publicitaire d’industriels irresponsables qui exposent des spots mensongers et dangereux pour la santé de nos enfants (profusion de produits alimentaires sucrés, salés et gras). Quand ces TVroqia daignent aborder des sujets classiques en politique, économie, éducation, santé et autres, leurs invités sont triés sur le volet du profil idoine, celui de la conformité idéologique : tenue vestimentaire requise et références «areligieuses » de mise — y compris pour parler de questions cartésienne relevant du profane. On a assisté à des émissions sur la prise en charge psychologique de jeunes addicts aux drogues, où le psychologue et sa collègue abusent de versets coraniques et de hadiths au détriment des explications scientifiques. A-t-on vu sur leurs plateaux des militants de partis d’opposition se revendiquant de la modernité ? Rarement, pour ne pas dire jamais pour certains ! Alors que des hommes et femmes de partis politiques d’obédience wahhabiste y défilent à longueur de journée, sans discontinuer ; parfois sur trois quatre chaînes à la fois. Un formatage à plein tube qui a abouti au résultat suivant : la roqia et l’interprétation des rêves remplacent les sciences psy, pas seulement chez le simple citoyen mais auprès de gens instruits et douktourisés. Même des «psy» et des universitaires de la nouvelle génération adhérent à ces «sciences occultes» venues du Moyen-Âge. Le comble ! Comment ne pas évoquer la place de la philosophie ? Les débats la concernant sont inexistants. A l’Université, exceptées certaines compétences qui s’y opposent, la mère des sciences (Oum el 3ouloum) est totalement assimilée à la théologie. Est-ce un hasard si elle a été la première à être «algérianisée » en 1969, juste avant la sociologie ? Verrouiller la pensée critique. Aux yeux des gardiens du temple wahhabiste, Ibn Rochd, Socrate, Hannah Arendt et tant d’autres Lumières seraient des infidèles. Et pour cause : ces infidèles risquent de détruire leur opération d’endoctrinement de la société. Ils ont raison d’avoir peur pour leur fonds de commerce : c’est que ces philosophes accouchent (et forment) des esprits critiques, fortifiés et libérés des chaînes de toute soumission idéologique.

En son temps, Ibn Rochd n’a-t-il pas été pourchassé par une horde d’intégristes ? Souffrons de voir son héritage et les trésors de la Philosophie universelle méconnus, voire combattus en Algérie depuis 40 ans au moins, tant sur les plateaux TV que dans les lycées et les universités. Des trésors célébrés, en grande pompe, dans les lycées, les universités et les médias de… l’Occident. Ibn Rochd n’y est-il pas une référence depuis des siècles ? Et c’est notre société qui paye cash ce travail médiatique de sape qui consiste à dévitaliser les esprits. Revenons à notre ministre des Affaires religieuses. Au sujet du port du niqab à l’école, il a déclaré, toujours lors de cette émission de la Chaîne III : «Je suis solidaire de madame la ministre et je salue sa clairvoyance.». Cette position a quelque peu déstabilisé les chevaux de Troie du wahhabisme. En effet, sur une de leurs chaînes TV, un responsable de l’Association algérienne des oulémas était invité à donner son avis sur cette interdiction du niqab à l’école. Il prend un temps de réflexion pour, finalement, botter en touche : «Je n’ai pas d’avis tranché. Mais il faut réunir les oulémas, les zaouïas et les autorités pour décider.» Il ne pouvait agir autrement. Il sait bien que cette tenue importée par la mafia de l’import/import est étrangère à nos mœurs vestimentaires maghrébines. A contrario, il devrait aussi l’imposer aux ministères de la Défense, de la Justice, de l’Intérieur ou de la Présidence. Ces tenues vestimentaires dites de soumission par la peur n’ont pas investi nos établissements scolaires de façon spontanée. Leurs porteurs, femmes ou hommes, les ont affichées dans les enceintes universitaires et particulièrement lors de leur formation dans les ENS, ces établissements pourvoyeurs de futurs enseignants/éducateurs. Durant leur cursus de formation dans ces ENS, s’affichaient-ils en jean, baskets et cheveux au vent ? La question brûlante à poser est la suivante : pourquoi les autorités universitaires en charge des ENS ont-elles fermé les yeux sur cet accoutrement ? L’ont-ils encouragé ? Ces responsables savent pertinemment qu’il est contraire aux mœurs scolaires. Il est loin le temps où les normaliens de Bouzaréah se faisaient un point d’honneur à appliquer à la lettre les exigences du contrat signé dès leur entrée en formation. Entre autres points, le respect de la tenue : uniforme, cravate, chemise blanche, souliers cirés, barbe bien rasée. Idem pour les filles, avec leur tenue spécifique. Il est vrai que ce site historique, plus que centenaire, a perdu, pas seulement de son aura, mais aussi de son caractère physique. Des aménagements ont gommé le charme bucolique, et effacé l’âme de ses anciens pensionnaires, Mouloud Feraoun, Rachid Mimouni pour ne citer que ces deux monuments de la littérature algérienne. Imaginons des écolières, des collégiennes et des lycéennes voilées totalement, imitant leur enseignante niqabisée ? Comment cette dernière pourra-telle vérifier la présence des élèves pendant l’appel du début de séance ? Ou bien contrôler leur identité lors des compositions et des examens ? Il y a de cela deux ans, dans le chef-lieu d’une wilaya des Hauts-Plateaux, une enseignante en niqab a été appréhendée ; elle était venue à la place de sa fille se présenter au centre d’examen du bac. Pour un délit de débusqué, combien sont passés dans les mailles du filet dans d’autres villes du pays, et ce, depuis de longues années ? A-t-on besoin de justifier l’interdiction du niqab à l’école ? Cela va de soi pour des raisons de bon sens. L’enfant a besoin du contact franc et direct avec son enseignante. Le visage découvert est aussi un outil de communication avec les collègues : en conseil des classes, en réunion de travail. En classe, quand le visage est avenant, brillant de complicité et de bienveillance avec ses élèves, d’écoute et de compréhension, l’enseignante accroche facilement son auditoire : des élèves suspendus à ses lèvres et à son regard. Avec ces qualités, l’enseignante au regard affectueux peut contribuer à l’épanouissement de ses élèves. Emprisonnée dans le niqab, elle fera peur à ses élèves, particulièrement ceux du presco et du primaire ; elle ne sera pas à l’aise pour les observer dans leurs réactions. Elle sera dans l’incapacité de leur faire des activités physiques, des travaux manuels, des manipulations expérimentales. Dans les ateliers des lycées techniques ou de formation professionnelle, devant les machines, le niqab et le djelbab présentent un danger certain pour celles qui le portent. Des accidents ont déjà eu lieu par le passé. Imaginons un seul instant que ces vêtements de la peur soient portés par les pilotes femmes, les policières et les autres qui activent dans des secteurs sensibles. Air Algérie ferait faillite, faute de voyageurs. Et notre société prise en otage par les bandits et les voyous de tout acabit ! Allah yestar !

  1. T.

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